Mini-Critiques

(parce qu'on n'a pas toujours quelque chose d'intéressant à dire...)

L'Exercice de l'Etat

Mais non, il ne faut jamais perdre espoir, la preuve avec le remarquable L’Exercice de l’Etat, un film français sous l’influence bienveillante du cinéma politique américain mais aussi de la poésie asiatique. Improbable sur le papier, la recette s’avère particulièrement efficace devant la caméra de Pierre Schoeller. Le film se révèle nerveux et d'une grande richesse. Tout ne fonctionne pas, parfois les clichés surgissent, mais pas le temps de s’appesantir, on est déjà passé à autre chose. Mise en scène impeccable, musique parfaite, deux acteurs principaux extraordinaires, on peut, pour une fois, aligner les superlatifs. Comme quoi, c’est possible.


Hugo Cabret

Pour couronner une année placée sous le signe de la nostalgie cinéphilique, Hugo Cabret nous ramène à la préhistoire du 7e art. Venez partager l’émotion de tonton Martin devant les premiers films ! Oui, Hugo Cabret ressemble à une page Wikipédia richement illustrée, et c’est tout à son honneur. Après une première moitié de métrage au ralenti, qui enfile toutes les scènes incontournables du film d’aventure pour mômes, Scorsese emballe la machine et déclare son amour pour Georges Méliès. C’est presque une autre œuvre qui débute et qui nous ravit totalement. Le réalisateur américain parvient même à s’effacer devant le pionnier français et nous laisse émerveillé. Si on ajoute plein de petits détails attachants, de l’avalanche de rouages fous en passant par l’excellent Sacha Baron Cohen, on obtient un film qui dépasse le didactique pour atteindre le statut de classique familial immédiat.


We need to talk about Kevin

Un petit film d’horreur tout nul qui, tel le loup dans la bergerie, nous arrive déguisé sous les oripeaux de l’œuvre vachement sérieuse et sophistiquée. C’est donc un festival de narration éclatée et de symbolisme lourdingue. We need to talk about Kevin serait juste insignifiant si la manière d’appuyer son propos à coups de marteau piqueur ne le rendait pas franchement antipathique. L’insupportable petit démon (déjà il s'appelle Kevin, fallait se méfier) rejoue La Malédiction en moins subtil. C’est un festival de scènes choc ridicules, prévisibles et fortement ennuyeuses. Reste le comique involontaire engendré par ledit symbolisme qui fait patauger tout ce petit monde dans le sang métaphorique avec la finesse d’une chanson paillarde. En prime une morale qui se veut tellement nuancée qu’elle ne signifie plus rien du tout. Lamentable.


Le Stratège

Si comme moi vous n’avez jamais vu un seul match de baseball de votre vie et que vous ne connaissez même pas les règles de ce sport, vous risquez d’être très surpris en sortant enthousiasmés de Moneyball (Le Stratège). C’est un film qui rappelle que le cinéma c’est quand même aussi rudement bien quand il y a des scénaristes. Gloire donc à Aaron Sorkin (The Social Network) et à Steven Zaillian (une tonne de boulots petits et grands à Hollywood). Un tandem de luxe qui offre un rôle en or à Brad Pitt, toujours et encore l’un des meilleurs acteurs américains en activité. C’est passionnant, alors que franchement les transferts de joueurs entre équipes on en a rien à cirer dans la vraie vie. Tour de force.


Polisse

La principale surprise de Polisse est que le film est bien moins horrible qu’on ne pouvait le redouter vu l’accumulation de personnalités insupportables à son casting. Certes on s'ébat ici dans la facilité du film chorale qui se révèle surtout film à sketches, donc très inégal. Quand l’œuvre colle au réel, elle s'avère parfois drôle et touche souvent juste. Quand la fiction reprend ses droits, c’est nettement plus embarrassant. Personne n’a envie de voir une romance entre Maïwenn et Joey Starr. Tout cela ne vaut pas un bon vieux documentaire de Raymond Depardon, mais une demi-réussite aussi inespérée mérite les encouragements.


Time Out

Miam miam miam, le blockbuster nanar dans toute sa splendeur. La totale : idée idiote qui ne sert qu’à enchaîner les jeux de mots consternants, mise en scène d’un autre âge, casting complètement inapproprié, invraisemblances dans tous les sens. La débâcle est telle que le film ne cesse de changer de tonalité dans une sorte de panique qui fait ouvrir de grands yeux ronds avant de provoquer le rire. Film d’anticipation à sujet fort ? Teen movie pouêt pouêt ? Remake crétin de Bonnie & Clyde ? Episode de Beverly Hills The Next Generation ? Un peu tout à la fois, sans que rien ne fonctionne. Reste que le film est sympathique dans sa nullité, ce qui est toujours mieux que rien.


L'Apollonide, Souvenirs de la Maison Close

de Bertrand Bonello

On me dit : "ohlala ohlala, tu es bien sévère avec le cinéma français, le cinéma de la patrie où tu es né". Je réponds : "oh dites donc, c’est lui, d’abord, qui a commencé". Et qui persiste, le coquin. La preuve avec l’abominable L’Apollonide, Souvenirs de la Maison Close (tout un programme). Pétri dans tous les clichés et les tares du cinéma d’auteur, le film est un vrai petit manuel de ce qu’il ne faut pas faire pour ne pas passer pour le dernier des fumistes à caméra. Une histoire, pourquoi faire ? La narration ? Elle ne tient pas un round face à la Poésie et à l’Onirisme. Une direction d’acteurs ? La vérité, c’est tellement mieux. Et puis on a un propos, mince alors : prostitué, quel dur métier ! Les hommes ? Tous des lâches, des pervers et des salauds. Malgré tout, c’était mieux avant, y avait un peu de tendresse et d’hygiène. Important, ça, l’hygiène, tant les scènes de toilettes et de détails médicaux en tout genre scandent le film. Complaisant, L’Apollonide l’est jusqu’à l’absurde. Aucune place pour le non-dit et l’imagination, tout sera montré, tout sera raconté. La mutilation entra-aperçue de « la femme qui rit » ? Ne vous inquiétez pas, un flashback vous dévoilera tout le tralala. Un exemple parmi d’autres, mais particulièrement désolant. L’œuvre vire ainsi au catalogue, à l’inventaire. Cela ne poserait aucun problème si la forme était un peu soignée.

Mais non. Mise en scène sans imagination qui arbore toutes les postures postmodernes les plus éculées (utilisation de musiques contemporaines dans une reconstitution d’époque, ce genre), photographie terne tirant sur le téléfilm du mercredi soir, dialogues ridicules, actrices livrées à elles-mêmes et jouant toutes sur une tonalité différentes pour massacrer une partition déjà pas bien fameuse. Jolis costume et nudité abondante ne sauvent rien car tout cela est aussi érotique qu’un furoncle, aussi sensuel qu’un charnier sous le soleil (y en a qui aiment). Sans enjeu, sans émotion, sinistre et figé, L’Apollonide est cependant un crescendo dans la nullité tant le dernier quart d’heure vire au n’importe quoi. Les plus courageux pourront toujours s’y risquer, mais ce n’est même pas un bon nanar malgré quelques séquences et répliques assez poilantes (« Je veux un macaron », le slow endeuillé, l'interprétation générale). Et surtout, bien involontairement, le film semble étayer la thèse, mentionnée par un vilain monsieur (comme tous les messieurs du film, vraiment trop méchants), selon laquelle les prostituées possèdent une intelligence inférieure à la normale. On sort de L’Apollonide convaincu de ce fait et on hésite à étendre nos conclusions à une certaine partie du cinéma français, sous peine de se voir lapider une énième fois. Que diable ! On prend le risque.


Shame

de Steve McQueen

Ultra moderne solitude chantait Alain Souchon, il y a presque 25 ans. Ce pourrait être le sous-titre de Shame, qui, à l’instar de La Solitude des Nombres Premiers, évoque l’impossibilité des sentiments avec la plus grande âpreté. Autre point commun avec le film italien : une mise en scène extraordinaire. Rien de surprenant de la part de Steve McQueen dont la première œuvre, Hunger, était avant tout un tour de force formel. Depuis ce coup d’éclat, McQueen a mis de l’eau dans son vin. Loin d’abandonner ses artifices, il les met au service de personnages plus approfondis et d’une histoire plus complexe.

Shame est remarquable dans sa tension entre la crudité de la description du quotidien de son anti-héros et l’accumulation des non-dits. Bien vite on comprend que Brandon et sa sœur payent le prix d’une enfance traumatisée qui les a définitivement brisés. Le film ne fait aucun mystère sur ce point tout en se refusant au psychodrame lourdingue. Comme dans Hunger, McQueen préfère décrire les effets du mental sur le physique et de scruter la souffrance. Le chemin de croix est d’autant plus violent qu’il est sensé être associé au plus grand des plaisirs. Le sexe, l’hypersexualité même, valeur suprême et présentée comme un fleuron de nos sociétés, est ici le moyen le plus simple de trouver un exutoire, un plaisir, un espoir. Comme une drogue qui remplit de moins en moins son office et finit par ronger de l’intérieur.

Avant le début du film, les 20 minutes de publicités du multiplexe déroulent les spots comme autant de teasers pornographiques. Parfums, voitures, jeans, bijoux, glaces, tout est bon pour nous inonder d’images plus ou moins érotiques. La mise en perspective avec le film est glaçante. La pornographie est partout, internet l’a instituée comme modèle de vie, le mérite d’un être se mesure aux nombres de ses conquêtes, de ses amants, de ses maîtresses. Hédonisme à tous les étages, culture du tout porno. A tel point que certains en viennent à qualifier Shame de « puritain », voire de réactionnaire, ce qui est un contre-sens complet. On montrerait le même personnage qui remplacerait le sexe par la religion et l’œuvre serait portée aux nues pour sa critique du fanatisme.

Mais c’est oublier que tout ce qui touche au mystique a depuis été longtemps remplacé par la dictature de la jouissance immédiate. C’est vrai, quoi, ce Brandon n’a pas de quoi se plaindre, avec sa belle gueule de bourgeois bohême, son bel appart à New York, son travail de cadre supérieur et surtout son salaire qui lui permet de se payer toutes les jolies prostituées du coin. C’est l’exemple type de la réussite sociale, fantasmée par beaucoup. Présenter ce modèle comme étant une source de souffrances est la principale qualité de Shame. Un contre-pied qui touche à l’universel, surtout quand l’émotion s’immisce par petites touches, pour mieux nous submerger.

Les scènes sublimes et douloureuses s’enchaînent, en premier lieux une version bouleversante de New York New York par Carey Mulligan, dont on attend toujours le premier disque. Ou bien encore un travelling qui semble s’étendre à l’infini, magnifique et tragique fuite en avant. De même l’ouverture du film, avec son thème musical voisin de celui de La Ligne Rouge, plonge immédiatement dans l’angoisse et la férocité contenue. Michael Fassbender livre une prestation formidable qui fait déjà date. Il contribue à la perfection coupante de Shame, véritable miroir de plusieurs générations dont les modèles sont ici battus en brèches. Il est de bon ton de rire de l’handicap social des trentenaires infantiles, mais l’envers du décor est parfois plus proche de l’enfer que de la comédie.

Le film de Steve McQueen n’accuse jamais le sexe en lui-même, loin de là, il accuse son utilisation comme bouclier contre l’altérité. Pénétrer les corps ce n’est pas pénétrer l’âme, copuler n’est pas aimer et c’est surtout ne pas être aimé. Comme beaucoup, le Brandon de Shame accumule les aventures pour avoir l’impression d’exister, d’être vivant en adoptant le plus simple des comportements du vivant. On pourrait croire qu’il a accompli l’essentiel. Mais est-ce que nous noyer dans le sexe suffit vraiment à nous satisfaire ? Est-ce que cela suffit à nous rendre humain ? Des questions posées ici sans détour, avec autant de finesse que de brutalité. Impressionnant et indispensable.


Intouchables

de Eric Toledano et Olivier Nakache

Comment survivre après la catastrophe ? Comment espérer après le tsunami ? On cherche des survivants parmi les décombres. On ne trouve que des corps sans vie, mutilés, un peuple entier décimé. Une civilisation en ruine. Intouchables est passé par là. Pourtant à première vue, nous sommes en présence de l’archétype du film insignifiant. Le pauvre petit téléfilm égaré sur grand écran, comme il en sort des dizaines chaque mois. La mise en scène, l’interprétation, la musique, le sujet, tout est d’une banalité qui confine à l’inexistence. Dans l’absolu, je n’aurais jamais dû croiser la route de ce truc là. Mais, 19 millions de victimes plus tard, la curiosité l’a emporté. Erreur. What has been seen, can’t be unseen !

C’est sensé être une oeuvre contre les préjugés et a priori, alors qu’en fait tous sont flattés. Une scène où les flics apparaissent comme des débiles ? Dès le pré-générique. Une scène où le joint est la solution à tous les problèmes ? Tu l’as aussi. Des clichés sur la banlieue, les pauvres, les blacks, les riches, les jeunes de droite, de gauche, du centre… Partout, tout le temps. Mais c’est surtout une œuvre qui respire la méchanceté, la bêtise, l’hymne à l’inculture. Le tout bien dissimulé sous le mélo inattaquable, sous les oripeaux des bons sentiments les plus dégoulinants portés par le petit piano qui veut faire chialer la ménagère. Tout est calculé, pensé, soupesé, avec un cynisme probablement involontaire. Un personnage féminin « bandant » ? Une rousse, forcément, c’est tellement tendance. Mais on peut faire mieux. Une rousse lesbienne ! Double effet Kiss-Cool !

Ce qui choque le plus c’est la tendresse qu’on veut nous asséner pour deux protagonistes qui devraient s’appeler « Dumb & Dumber », pas un pour rattraper l’autre. La bêtise absolue du personnage de Driss est accueillie avec le petit rire bienveillant du paraplégique. Heureux de trouver son nouveau bouffon si en verve. On en vient à des scènes gerbantes où la moquerie tourne à la diarrhée. Par exemple, c’est le retour du cauchemar des cours de musique de mon enfance, quand, de la primaire au collège, les élèves ne reconnaissaient un morceau que parce que c’était « la musique de la pub ». Cela ne m’amusait pas d’entendre cela quand j’avais 10 ans, cela me désolait déjà pour mes semblables. Aujourd’hui c’est mis en avant et, surtout, en quasi opposition avec le "bon goût du peuple". La bonne culture de masse contre l’élitisme. Va chier avec ton classique, écoute plutôt Renée La Taupe ! Va mourir avec ton Terrence Malick, place à Intouchables !

Alors on me répondra que c’est ainsi. Le « peuple » a toujours été inculte, vulgaire et heureux de se rouler dans sa fange. C’est comme ça depuis la nuit des temps. Oui, mais pour parodier la citation d’Hemingway à la fin de Seven : « Le monde est un endroit horrible, mais cela vaut la peine de se battre pour lui ». Ce n’est pas la peine de baisser les bras et de se laisser couler dans la vague du tsunami. Le film insignifiant devenu phénomène de société dit en creux des choses effroyables sur nous. Sur nos rêves, sur notre rapport à autrui, sur ce qui nous fait rire, sur ce qui nous émeut. Peu importe donc ici l’absence de qualités cinématographiques d’Intouchables, d’autres en ont parlé avant moi ; peu importe le modèle « bling-bling » et poliment réac qu’il martèle, le mal est plus profond. Ecrire cela, comme dirait probablement Roselyn Bosch, c’est sans doute « rejoindre Hitler par l’esprit », mais je crois que c’est important. Le titre du film vaut aussi pour l'objet en lui-même, Intouchables est devenu intouchable.

Je ris des arguments à la Luc Besson qui estiment qu’à partir du moment où le public vient en masse, le film est forcément réussi. L’histoire du monde regorge d’exemple où la majorité a largement eu tort et s’en est aussi largement mordue les doigts ensuite. On me répondra qu’il n’y a pas lieu d’être aussi remonté contre un tout petit divertissement qui donne tant de bonheur aux gens. Si on pense cela, c’est que je n’ai pas été assez clair. Intouchables rend peut-être les gens heureux mais par quelles méthodes ? Qu’est-ce que le film nous dit vraiment, qu’est-ce qu’il nous aura proposé comme modèles de vie, d’humour, de rapport aux autres, de cinéma, de société ? Pas besoin, selon moi, de creuser bien loin pour s’inquiéter. Et oui, si le film n’avait pas fait 19 millions d’entrées, sans doute que je ne m’en serais jamais préoccupé. Des comédies lamentables, françaises ou autres, il en sort des brouettes, la télévision est la première à véhiculer la stupidité, les lieux communs et la nullité. Mais voilà, la catastrophe est arrivée et personne n’a été épargné. Dans les décombres, on cherche, avec un fol espoir, quelques uns de nos semblables à sauver. Allez, même handicapés, on est encore prêt à les aimer.


Mini-Critiques

(parce qu'on n'a pas toujours quelque chose d'intéressant à dire...)

Rare Exports : a Christmas Tale

Un vrai film d'horreur pour mômes, à la fois chouette oeuvre de Noël et conte angoissant caviardé de scènes chocs. Pour un premier long-métrage, c'est une vraie réussite. Beaucoup de bonnes idées et une ambiance soigneusement construite. Loin d'être parfait, mais le mélange des genres, bien casse-gueule, fait plaisir à voir. Par défaut, c'est LE film de Noël 2011.


Hanna

Les 45 premières minutes sont très prometteuses, mais le film est un long decrescendo assez remarquable dans sa capacité à décevoir les attentes. Saoirse Ronan est très bien, comme toujours, mais elle est la seule, le reste du casting assurant le service minimum. La mise en scène et le scénario ne cessent de surligner tous les symboles et autres révélations. Quant à l'énergie promise au début du film, elle tourne à vide, comme la musique des Chemical Brothers. Dommage.


L'Irlandais

Le Brendan Gleeson Show, mis en scène par le frangin du réalisateur de Bons Baisers de Bruges. Encore un polar humoristique britannique plein de bons mots et de "fuck you attitude". Le côté très décontracté de l'ensemble est assez plaisant, mais ça ne va pas beaucoup plus loin, à un ou deux gags près. Si vous êtes fan de Gleeson, vous pouvez y allez sans crainte. Pour les autres, ça semble un peu superflu.


Minuit à Paris

On pouvait craindre le pire de ce film en forme de carte postale idéalisée de la capitale française. Mais Woody Allen est loin d'être gâteux et très loin d'être le premier venu. Minuit à Paris contient sa propre critique et désamorce sans cesse ses pires penchants. L'aspect romantique est peut-être du Woody en roue libre, mais la flopée de citations, de personnages historiques et d'anecdotes dessine une oeuvre joyeusement élitiste et cultivée. Intellectuel et drôle, à l'image du réalisateur, le film sait se faire charmant malgré un casting pas toujours très heureux (et je ne parle pas seulement de madame Sarkozy).


La Couleur des Sentiments

En route pour les Oscars ! Enfin, non, car le gros Weinstein a décidé que The Artist gagnerait alors on peut déjà passer à autre chose. La Couleur des Sentiments est l'archétype du mélodrame édifiant pour faire pleurer les spectatrices du défunt Oprah Show. C'est parfaitement exécuté, rien ne dépasse. C'est drôle quand il le faut, tire-larmes juste après. Mise en scène impersonnelle au possible, écriture posée et sans trop de chocs, conté du point de vu des blancs, à recommander de 7 à 77 ans. Détestable, donc ? Pas plus que Le Discours d'un Roi. Point positif qui tire le film vers le haut : l'interprétation. Une ribambelle d'actrices toutes plus excellentes les unes que les autres, le trio de dindes blanches en tête.


Cars 2

Faire une suite au Pixar le plus "faible" ? Pourquoi pas ? On a bien vu ce qu'a donné la saga Toy Story, crescendo émotionnel unique. Dans le cas de Cars, c'est plutôt le chemin contraire. Purement ludique, ce second opus ne repose que sur des gags innombrables, des scènes d'action folles et un rythme ébouriffant. C'est moins inoubliable que d'habitude, mais c'est tout aussi divertissant. Mineur mais attachant.


Une Séparation

Lourdeur de la mise en scène ("énergique", "prise sur le vif"), lourdeur de l'écriture (rebondissements à toutes les séquences), lourdeur de l'interprétation (tellement "naturelle"), lourdeur des thèmes... Une Séparation ennuie tout en provoquant l'indigestion. En voulant échapper à toute force au manichéisme, le film avance de manière mécanique en refusant tout point de vue. Cela devient prévisible, du moindre décadrage à la prochaine révélation forcément "bouleversante". Reste un portrait terrifiant de la société Iranienne et de ses archaïsmes.


Les Immortels

de Tarsem Singh

C’est 300 avec un cœur, Troie avec des tripes, Le Choc des Titans avec un vrai metteur en scène. C’est, bon an mal an, le meilleur rejeton de la vague des néo-péplums mythologiques. Poète de la barbarie, styliste avant tout, Tarsem Singh est un des auteurs les plus passionnants d’Hollywood. Conspué à tort ou à raison depuis The Cell, auteur d’un des plus beaux films de ce début de siècle avec The Fall, le cinéaste galère à tourner, survit à la force de la passion mais aussi des concessions. Ses Immortels se situent entre l’opéra classique et le ballet contemporain, mi-Wagnérien, mi-Pina Bausch. Les protagonistes sont tiraillés entre le poids des corps, massifs, marqués, salis, torturés, et la légèreté des étoffes et des chorégraphies. C’est un grand spectacle entre barbarie et pureté.

Plus concerné par le ressenti pur que par le sens, Tarsem fait avancer son récit par tableaux, par blocs de scène, comme autant de sensations. Ce qui lui importe ce sont les fantasmes, les images légendaires, le marbre du mythe qui prend soudainement vie. Ici, une statue se révèle être Athéna, ailleurs, l’usage superbe de la 3D donne une perspective irréelle à des frises ou à des bas-reliefs ; la même sensation que devant les peintures de La Grotte de Werner Herzog. En contre-point, une symphonie de la cruauté, d’une violence incroyable, où abondent les tortures sophistiquées et les détails écœurants. Au milieu, le roi Hyperion, incarnation de toute la rancœur humaine. Dans le rôle, Mickey Rourke compose un méchant extrême, grotesque et immense.

On le sent, Tarsem préfère les ténèbres et il peine à donner autant de chair aux héros. Le film trébuche avec ses dieux de l’Olympe, portés par un casting improbable qui voit Athéna arborer les traits d’une actrice de films X et Zeus celui du bourrin lambda. Le réalisateur s’en moque, ce qui compte pour lui c’est le mouvement et l’image, l’instant où l’œil s’émerveille face à la beauté ou à l’horreur. En ne respectant que peu la mythologie, Tarsem en retrouve paradoxalement certains traits les plus essentiels. Les rebondissements, la folie, la férocité, l’abondance, la grandiloquence… Dieux, demi-dieux, héros, humains, monstres, tous lancés dans la furie des événements. Se mêlent dans un même chant, l’Histoire et la fiction, la vérité et le mensonge. C’était aussi le thème de The Fall, le pouvoir du conte, la magie du récit. Tout devient possible, la mythologie est un songe.

Comme évoqué plus haut, Les Immortels est loin d’être parfait et on regrette le chef-d’œuvre qu’il aurait pu être. Problèmes de rythme, de casting, maladresses imputables à Tarsem qui ne maîtrise pas encore totalement sa puissance formelle et oublie de ciseler des dialogues, de nuancer davantage. Néanmoins, la réussite est indéniable. Avec des techniques désormais familières (décors numériques, images retouchées, 3D), le cinéaste sculpte son univers. Au vu de l’accueil extrêmement négatif, beaucoup ne sont pas réceptifs à son style. C’était déjà le cas avec The Fall, qui n’avait même pas eu droit à une sortie en salles en France. Réalisateur incompris et vraiment culte, Tarsem Singh accompagne le cinéma sur des chemins trop rarement empruntés. Prendre des risques, suivre sa vision, ne pas plaire à tout le monde, échouer, remonter, triompher, en un seul film, même !


Crazy, Stupid, Love

Sexe entre Amis

Etat des lieux de la comédie romantique américaine : la suite. Après les cauchemars de Love & autres drogues et de Bad Teacher, nous voici dans le « haut du panier ». Ou non. Crazy, Stupid, Love et Sexe entre amis partent du même principe : se moquer des comédies romantiques et de leurs codes. Pour aboutir au même point : être des comédies romantiques on ne peut plus classiques. D’une première partie qui affiche sa pseudo subversion, on bascule vers une seconde moitié qui se réjouit de gommer tout penchant un peu libertaire. Le plus détestable du lot serait probablement Crazy, Stupid, Love qui tente de bouffer à tous les râteliers en se rêvant Magnolia alors qu’il n’est au final qu’un remake de Love Actually en moins rigolo. Malgré son casting correct, mais sans imagination (Steve Carell dans le rôle de Steve Carell, Julianne Moore dans le rôle de la femme dépressive, Ryan Gosling dans le rôle de Al SuperGay, etc.), le film aligne tous les poncifs et ne surnage que pour quelques scènes amusantes (l’ado qui fait des photos coquines, la baston générale dans le jardin). Mais ça ne fait pas lourd, surtout que l’ensemble se croit plus malin que la moyenne. Toutes les possibilités proposées dans la première heure sont soigneusement niées et même cruellement punies dans la seconde. Beurk.

Nettement plus sympathique, Sexe entre amis n’en est pas moins relativement affreux. Vaste pub pour des trucs déjà ringards tels que l’Ipad ou les Flash Mobs, le film se contredit en permanence et se vautre dans tous les travers qu’il croyait dénoncer. Mise en scène ignoble, BO dégorgeant les tubes de l’année dernière, vulgarité bien tendance, il y aurait de quoi lui coller un zéro pointé. Mais, plus encore que dans Crazy Stupid Love, le casting sauve le navire. Même si Mila Kunis est un peu effrayante, elle reste choupinette. Même si Justin Timberlake est un peu tête à claques, il a du talent. Et surtout, en bonus sous exploités, deux des meilleurs seconds rôles du cinéma américains contemporains viennent faire des coucous : Woody Harrelson et Richard Jenkins. A eux seuls, ils parviennent à tirer vers le haut des moments ultra embarrassants sur le papier (le pote homo extraverti et le papa qui perd la boule). Tout cela ne fait pas un bon film, loin s’en faut. Certains passages arrachent des sourires, c’est déjà ça. Il faudra néanmoins être bien luné pour supporter les quasi deux heures. Plus long encore, Crazy, Stupid, Love mettra vos nerfs à rude épreuve. Mais bon, si vous n’avez pas le choix, on compatit à votre peine.


Il Etait une Fois en Anatolie

de Nuri Bilge Ceylan

Cela débute comme un rêve. Au crépuscule, où ne transparaît plus qu’un coin de ciel rosé. Trois voitures, une route de campagne vallonnée, les faisceaux des phares. Dans les véhicules, des policiers, des coupables, un corps est recherché. Débute alors une quête tragi-comique, comme si Jacques Tati rencontrait Andréi Tarkovski au milieu d’un champ. Les deux génies défunts discutent du cinéma d’aujourd’hui. Et pourquoi pas de Quentin Tarantino ? « Et si nous faisions un film de Tarantino ? », se disent Tati et Tarkovski, « on s’adonnerait à un plaisir qu’on s’est souvent refusé, celui du dialogue ! ». La chose la plus improbable, la plus impossible de l’histoire du 7e Art. C’est le tour de force d’Il Etait une Fois en Anatolie, une œuvre qui fait honneur à son titre ambitieux, qui évoque tout autant l’univers du conte que celui de Sergio Leone.

La forme impressionne mais ne surprend pas vraiment de la part de Nuri Bilge Ceylan, dont tous les films sont des splendeurs. Les Climats et Les Trois Singes pêchaient d’ailleurs un peu par excès esthétiques par rapport au contenu (néanmoins attachant). Ici, ce qui frappe le plus c’est le scénario et en particulier la caractérisation des protagonistes. D’une finesse et d’une subtilité rares, l’écriture parvient à faire exister un nombre important de personnages avec force et couleurs. Cela faisait bien longtemps qu’on n’avait pas vu des rôles décrits avec autant d’acuité et de nuances. Par petites touches, un gag ici, une réflexion étonnamment juste là, un long silence ailleurs, un emportement plus tard. Ceylan utilise toute la palette offerte par le cinéma pour donner vie à sa farandole d’individus. Présentés par les actes ou les paroles, taciturnes ou loquaces, gens simples ou éduqués, ils échappent aux stéréotypes et se dessinent loin de tout manichéisme.

Le récit fait preuve d’une profondeur fascinant, de grandes questions sur l’humanité, sur l’amour, la mort. Mais c’est dans ses digressions qu’Il Etait une Fois en Anatolie réjouit tout autant. Quand il narre les petites mesquineries de province, les errances bureaucratiques les deux pieds dans la gadoue, minuscules lâchetés, grandes espérances, chamailleries millénaires ou aigreurs d’un instant. La richesse de l’histoire enchante. On y parle beaucoup, la majeure partie du temps avec une verve exceptionnelle et énormément d’humour. Et, même si je sais que beaucoup ne partageront pas ce sentiment, on ne voit pas passer les 2h30. Entraîné à la fois par la danse des êtres et par un suspens policier minimal mais relaté avec la délicatesse des non-dits et la beauté des interrogations laissées en suspens.

Le film réclame au spectateur de faire preuve de discernement, de se questionner, de juger ou de refuser de juger. En ce sens c’est probablement une expérience exigeante, mais son âpreté est sans cesse contrebalancée par les rires et par la magnificence des images et des sons. Ceylan est ici au sommet de son art, parvenant à rendre attachant les gros moustachus turcs dont il serait si facile et si bête de se moquer. La poésie surgit dans les herbes baignées par la lumière des phares  que le vent fait valser. Elle est aussi présente dans le sordide, quand les cris d’enfants qui s’amusent se mêlent aux sons monstrueux d’une autopsie. Vie et mort, espoir et néant, se rejoignant dans l’incertitude, la vraie mélancolie et la quintessence du cinéma.


Winnie l'Ourson

de Stephen J. Anderson et Don Hall

Encore un reboot ? Oui, mais non. C'est davantage un retour aux sources. Une relecture de quelques unes des histoires les plus connues de Winnie l'Ourson, certes, mais en y allant piocher la quintessence. C'est une merveille, un chef-d'oeuvre de dessin animé tout public, d'une intelligence et d'une drôlerie de tous les instants. En à peine une heure et dix minutes, ce Winnie l'Ourson offre tout ce qu'on peut souhaiter d'une oeuvre universelle. Il y a du rythme, des rires, des surprises et beaucoup de douceur. C'est la grande aventure en miniature, tout en y apprenant mille choses sur le langage, les autres, le monde, la vie. Zooey Deschanel chante trois chansons. L'animation est conçue à la main. Tout y est à la fois un peu désuet et intemporel. Un classique immédiat.


Hors Satan

de Bruno Dumont

Dans la profusion des super-héros qui déboulent chaque semaine sur nos écrans, en voici un pour le moins inattendu : le super exorciste Ch’ti. A mi-chemin entre John Constantine et Pharaon de Winter (de L’humanité), l’intrépide gaillard n’hésite jamais à payer de sa personne pour chasser le Malin. Le protagoniste idéal pour Bruno Dumont qui s’offre une sorte de remake bourrin du Ordet de Dreyer, mâtiné, bien sûr, de Bresson et de Bernanos (on va pas laisser moucher Mouchette). A priori, on n’est pas là pour plaisanter. Le vent souffle tout le temps comme chez Dreyer, le paysage est décharné, les mots sont rares et ridicules. On se demande d’ailleurs pourquoi Dumont n’a pas carrément supprimé toute parole, si ce n’est pour lui donner un ressort comique.

Drôle, le film l’est, volontairement ou non, comme toujours la frontière est flou. On riait aussi beaucoup devant L’humanité, malgré l’avalanche du sordide et du tragique. On rit donc aussi franchement devant Hors Satan, à cause de ses excès, mais aussi de sa vraie-fausse radicalité. Voir pour cela une scène de petit déjeuner, où il ne se passe absolument rien, de l’entrée de l’invité dans la demeure à son départ en passant par sa dégustation de café au lait. La première partie du film abattra sans pitié les spectateurs avides de pop-corn. Dommage, car la seconde moitié est nettement plus amusante, empruntant aussi bien à Nostalghia (décidément) qu’à Pialat. Reste que l’image du super-héros colle à la peau du joyeux exorciste. Quand il part vers de nouvelles aventures à la fin du film, ses bienfaits accomplis, un sidekick providentiel à ses côtés, on ne peut s’empêcher de sourire. On rêve d’un Hors Satan 2 : Pas de pitié pour les damnés, 50% demeuré, 50% illuminé, 100% Ch’ti.


Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne

de Steven Spielberg

Il semble impossible d’aborder une critique de ce premier volet des Aventures de Tintin sans passer par la case « souvenirs d’enfance ». J’aimerais pouvoir vous épargner la nostalgie gluante, mais je me dois quand même d’avouer que Tintin fut l’un des premiers livres que mes parents ont mis entre mes mains, bien avant que je n’apprenne à lire. On m’a raconté Tintin, j’en ai appris les images avant d’en savoir les mots. Puis je les ai tous lus, et relus. Ce fut la première collection de BD complète en ma possession, d’ailleurs ce fut très longtemps la seule bande dessinée dont je possédais tous les albums, même les Soviets et sa propagande adorablement naïve. J’ai aimé Tintin et je l’aime toujours, au point d’avoir acquis une partie de la littérature parallèle que le personnage a engendrée (oui, je possède le génial Tintinolatrie d’Albert Algoud). Oui, j’ai toujours regretté que les adaptations cinématographiques soient aussi calamiteuses (les longs-métrages animés très raides et les deux versions live embarrassantes). Et comme beaucoup j’ai aussi adoré la version télévisée des années 90. Tout en continuant de rêver à un vrai film de cinéma consacré à Tintin. Un film promis à Steven Spielberg depuis le début des années 80.

Aujourd’hui le rêve devient réalité grâce à la formation d’une « dream team » rarement égalée. Spielberg, bien sûr, mais aussi Peter Jackson, Steven Moffat (la résurrection grandiose de la série Doctor Who), Edgar Wright et Joe Cornish (si vous ne les connaissez pas, c’est que vous lisez ce site pour la première fois) et bien d’autres talents internationaux. Des sensibilités qui voguent de Hollywood à l’Angleterre en passant par la Belgique et la Nouvelle-Zélande. Un grand projet de cinéma mondial qui présageait le meilleur. Pas la peine de faire durer le suspens, le défi est relevé et le résultat est presque parfait.

Tous ceux qui se lamentent du verrouillage complet de l’héritage d’Hergé, qui empêche toute suite ou même variation autour de Tintin, peuvent se réjouir. Bien qu’hommage méticuleux à de multiples albums, ce Secret de la Licorne réinvente le petit reporter et lui offre une aventure quasi inédite. Une renaissance qui précipite (c’est le cas de le dire) ce personnage phare de l’imaginaire enfantin dans un nouveau siècle. C’est Tintin, pas de doute, mais un Tintin inédit. A tous ceux qui se demandent ce qu’est « un effort d’adaptation » d’une œuvre littéraire pour le 7e art, ce film est un cas d’école. Comme pouvaient l’être, d’ailleurs, les trois films tirés du Seigneur des Anneaux par Jackson. Tout est donc là, et bien davantage.

C’est Le Secret de la Licorne, avec une bonne dose de spectacle façon blockbuster fou (on pense à Indiana Jones, mais on retrouve surtout la folie mal aimée de 1941) et de classe britannique. C’est Tintin qui rencontre les élans destructeurs de Steven Spielberg et l’ironie de Hot Fuzz. Hergé qui fusionne avec La Guerre des Mondes et Scott Pilgrim. C’est aussi bien que ça en a l’air, même s’il y aura toujours des poussiéreux pour hurler qu’on leur a cassé leur nounours. Non, la place de Tintin n’est pas (seulement) dans un musée. C’est un héros du mouvement, toujours représenté en train de courir, sauter, se battre, poursuivre, se faire poursuivre, bondir d’une case à l’autre. La fameuse « ligne claire » n’est pas qu’un trait de dessin, c’est aussi un courant d’air, une expression de la vitesse.

Spielberg et ses acolytes l’ont bien compris. Trop, peut-être. Le seul défaut du film étant de ne se réserver aucune pause et d’être au final trop court. Chose rare à l’heure à actuelle et qui n’est pas du tout dans les habitudes de Steven : il manque au moins 20 minutes de métrage. Entre la grande poursuite à Bagghar et la conclusion sur les docks, une respiration eût été nécessaire. Mais c’est une broutille par rapport à la splendeur absolue de l’œuvre. D’une beauté hallucinante et inédite, ce Secret de la Licorne repousse de nouvelles frontières en matière de mise en scène. La Performance Capture et la 3D se mariant à merveilles pour ne laisser aucune limite à l’imagination des créateurs. Il en résulte des plans qui font entonner des exclamations d’émerveillement en pleine salle. Il faut voir pour cela l’attaque de la Licorne par Rackham Le Rouge et surtout l’incroyable plan séquence (6 minutes !) dans Bagghar qui est un sérieux prétendant au titre de la plus démentielle scène d’action de toute l’histoire du cinéma.

Là où on pense encore à Scott Pilgrim (ou à Speed Racer), c’est dans la réappropriation des jeux vidéo par le 7e art. Juste retour des choses et une nouvelle preuve que le cinéma a encore de beaux restes face à la déferlante vidéoludique. Il suffit de goûter à la prestation inoubliable d’Andy Serkis en Capitaine Haddock pour bien le comprendre. Décidément l’acteur de l’année, Serkis devient Haddock en deux minutes chrono. Sans surprise, il vole la vedette à Tintin et bouffe littéralement toute la deuxième partie du film. Une nomination aux Oscars en vue ? A noter que la VO, si elle transforme certains noms et expressions, est un régal d’accents savoureux. Du très grand art à tous les degrés. Seule la partition de John Williams s’avère un peu en retrait, sans pour autant tomber dans le remplissage. Elle accompagne fort bien le générique d’ouverture calqué sur celui d’Arrête-moi si tu peux.

Débordant de détails, le film enchaîne les clins d’œil à l’univers d’Hergé. Quasiment tous les plans proposent un élément issu des divers albums. Parfois ce sont Spielberg et Jackson qui jouent à titiller leurs fans. Un vrai jeu de piste particulièrement réjouissant. Les esprits chagrins pourront toujours se plaindre que le film ne respecte pas à la ligne près les histoires d’Hergé, ils n’auront rien compris à ce qui fait l’éternelle modernité de son œuvre. Le dessinateur aurait probablement adoré cette relecture, lui qui estimait que Spielberg était le plus à même de porter Tintin à l’écran. Jusqu’au bout, Hergé aura eu raison.


La Dernière Piste

de Kelly Reichardt

Ce pourrait être le dernier des Westerns. Celui qui clôt le genre en l’ayant fait revenir à son point de départ. La Dernière Piste est aussi la première, celle qu’on suit pour atteindre cet Ouest fantasmé, celui des vertes prairies, des terres pour tous, de l’or qui vous tombe sous le pied par hasard, celui de tous les possibles. Celui qui n’existe que dans votre esprit. Fable mythologique, le film de Kelly Reichardt lance une petite troupe de colons dans un voyage digne des hébreux égarés 40 ans dans le désert. Le texte biblique s’adapte à la réalité historique de ces Etats-Unis en devenir, qui semblent se chercher éternellement. Les nouveaux habitants ne comprenant rien aux signes d’un pays qui n’est pas vraiment le leur. Dans sa deuxième partie, les migrants choisissent de suivre un indien. Vers où ? Vers l’eau ? Vers l’océan ? Vers les vertes prairies ? Vers la mort ? Vers un paradis mystique ? La Dernière Piste s’apparente alors à un cousin lointain du Nicolas Roeg de The Walkabout et du Peter Weir de Pique-Nique à Hanging Rock. On y retrouve le même onirisme, le même sens du détail, la même splendeur formelle.

Tournée en format 1.33:1, l’œuvre de Reichardt est la seule à pouvoir tutoyer Terrence Malick cette année. Que ce soit sur la beauté ou sur la portée du propos, La Dernière Piste dépasse toutes les attentes. J’avais été enthousiasmé par Old Joy, mais la réalisatrice atteint ici de nouveaux sommets. Elle est plus accessible et plus ambitieuse, privilégiant toujours le réalisme, mais en le confrontant directement à l’étrangeté et aux mythes. L’important c’est le voyage et non la destination, semble-t-elle nous conter. Tous les personnages errants de La Dernière Piste ne sont peut-être que des fantômes qui hantent les territoires sauvages des Etats-Unis. Ombres maudites, mauvaises consciences, âmes en peine, autant de reflets d’une époque qu'on croyait épuisée par la représentation cinématographique. C’est le Western qu'on attendait, celui qui balaie tout romantisme, tout héroïsme, celui qui revient à la source pour faire entrer définitivement le genre au panthéon des légendes humaines.  


The Artist

de Michel Hazanavicius

C’est le grand récit romantique de 2011. C’est aussi le film le plus mignon vu depuis longtemps. Pourtant c’est ici exactement la même méthode qui a présidé aux réussites ironiques de OSS 117, le Caire nid d’espions et OSS 117, Rio ne répond plus : une imitation absolument parfaite des règles cinématographiques d’une époque et d’un genre donnés. The Artist c’est le film muet idéal, celui qui aurait eu 80 ans pour digérer la technique, pour en filtrer l’essence et pour la resservir dans un bel écrin contemporain. Oui, c’est en 1,33:1 (comme la Dernière Piste, tiens donc), en noir et blanc, avec une bande-son qu'on jurerait interprétée par un orchestre dans la salle. Oui, les interprètes grimacent et s’agitent comme au théâtre, oui, le mélodrame est surligné jusqu’à plus soif, oui, le moindre détail visuel, le moindre accessoire, décor, costume, est choisit avec un soin maniaque. Pourtant The Artist est bien une œuvre des années 2010 et le réalisateur sait judicieusement nous le rappeler. Par un tour technique ici, par un traveling là, pour une utilisation maligne du son à des moments clefs. S'il faut chercher la véritable inspiration de l'oeuvre, c'est bien sûr du côté de Chantons sous la Pluie et d'Une Etoile est née qu'il faut se tourner. Les thèmes étant très similaires, en particulier avec le classique de Stanley Donen.

La mise en scène ne sauve pas aisément un film qui ne serait qu’une coquille vide. Fort heureusement, avec son histoire on ne peut plus classique, The Artist finit par faire vibrer la corde sensible. On pourra juste lui reprocher de glisser ses instants les plus touchants en milieu de métrage et de faire durer trop longtemps le mélo. En imitant le cinéma muet, Hazanavicius en a aussi repris certains défauts. C’est donc à la force de ses interprètes (tous parfaits, de Jean Dujardin au petit chien) que le film nous charme au final. Oui, c’est une œuvre toute petite par ce qu’elle raconte (même si l’hommage au cinéma muet s’avère attendrissant) et grande par sa réussite formelle (même si elle est avant tout dans la copie appliquée). Il s'avère difficile de bouder son plaisir durant la projection. On est ému, on est impressionné, on s’ennuie un peu, on s’émerveille aussi. On se réjouit surtout qu’un film français atteigne un si haut niveau et que s’ouvre à lui, de manière tout à fait justifiée, le succès international. Non, ce n’est pas un chef-d’œuvre et ce n’est pas plus mal. Et si, grâce à The Artist, de nouvelles générations s'intéressent à Buster Keaton, Chaplin, Lang, Murnau, Borzage et tous les autres, alors crions victoire !


Melancholia

de Lars Von Trier

C’est l’antithèse de The Tree of Life. A la bienveillance et à l’amour prodigués par le film de Terrence Malick, Lars Von Trier répond par la haine et le cynisme. Haine de soi, haine des autres, jusqu’à l’anéantissement. Au lieu de mettre fin à ses jours, la Justine de Melancholia, double du réalisateur, préfère pourrir l’existence de son entourage, jusqu’à provoquer/fantasmer la fin du monde. Quitte à en finir, autant tout emporter avec soi. On la voit ainsi prier la bonne étoile de précipiter l’Apocalypse. Cette méchanceté absolue, à peine compensée par un geste dérisoire dans les dernières minutes de l’œuvre, est l’énergie qui nourrit Melancholia.

Dès le générique d’ouverture, Lars Von Trier nous ressert le jeu des citations. Ici pas de dédicace explicite à Tarkovski, mais des emprunts clairs à son œuvre. En avant pour le cheval d’Andréi Roublev, le tableau de Bruegel de Solaris, les rêves aquatiques de Stalker. Et bien sûr, les thèmes principaux de Nostalghia (rien que le titre) et du Sacrifice. Mais sans l’intelligence, sans les nuances des films du cinéaste Russe, rien que de la mesquinerie et des grosses ficelles. A l’image, donc, de ce générique apprêté, qui écrase ses références à la face du spectateur, allant même jusqu’à les surligner plus tard en exposant plus clairement certains tableaux pour que les critiques aient encore moins de boulot à faire.

Pire encore, Lars joue au « one trick pony » en bloquant son Ipod en mode repeat sur le prélude de Tristan et Yseult de Wagner. Oui, celui judicieusement employé par John Boorman dans Excalibur pour illustrer l’amour impossible entre Lancelot et Guenièvre. Ici, le réalisateur utilise la musique pour le simple impact et n’en change jamais. L’effet est comique au bout d’une heure de métrage, puis devient absolument exaspérant, au point de nous faire quasiment détester un morceau qu’on adore. C’est symptomatique d’une œuvre qui assène sa psychologie inversée. Lars veut qu’on l’aime parce qu’on le déteste. Haïssez-moi, hurle Melancholia/Justine, mais aimez-moi aussi parce que je suis si belle, si fragile, si piquante, si fascinante. Des baffes, oui !

Dans le rôle de la saloperie à pattes, Kirsten Dunst est parfaite. Petite peste gâtée et complaisante, elle ne cesse de punir ses proches, en particulier sa sœur, pauvre parcelle d’humanité que Lars humilie avec gourmandise. C’est avec autant d’appétit qu’il charge le scientifique, affreux bonhomme qui incarne à la fois la raison et l’avarice, tout autant la conscience que la lâcheté. Bien fait pour sa gueule à la science ! Non mais c’est vrai quoi, il vaut mieux croire les dépressives extra-lucides et se précipiter dans la superstition. C’est  tellement plus romantique. Ceux qui ont trouvé Malick trop mystique peuvent aller se rhabiller. Lars Von Trier ne doute pas lui, il ne questionne rien, il nous le dit : la vie sur Terre c’est le mal. Et il n’y a rien d’autre. Pourquoi ? Parce qu’il le sait pardi ! Avec le sophisme le plus ridicule qui soit, on apprend que si Justine connait le nombre exact de haricots dans un pot, elle sait aussi qu’il n’y a rien d’autre dans l’univers. Bravo.

Melancholia ne cesse d’uriner ainsi sur toute forme d’espoir, d’amour, d’humanité, de bonté. Lars caviardant évidemment le film de ses obsessions habituelles, tout y mettant la pédale douce, histoire de séduire davantage qu’avec Antichrist. Aimez-moi, je suis tellement méchant et malheureux ! Oui, et bien on ne va pas forcément voir un film pour passer une soirée au standard de S.O.S. Amitié, mon bon Lars. Alors le cinéaste remet une couche de symbolisme gras, un pont infranchissable par-ci, une mère portant son enfant par-là, des insectes, de la grêle, les 7 plaies d’Egypte, un cheval, une danse de la mort, mais pas de raton-laveur. On est déçu. Surtout que le film n’est même pas d’une beauté formelle particulièrement mémorable, on est bien loin de Malick, mais aussi de Tarkovski et de Bergman dont les tombes sont profanées à longueur de plans.

Von Trier est un génie visionnaire, il parvient même à anticiper le slogan de la pub Schweppes avec Uma Thurman, en glissant un hilarant « What did you expect ? » en plein milieu de Melancholia. Bon, ce serait mesquin de se moquer de l’œuvre sur cette coïncidence malheureuse. En même temps, on est ici face à la mesquinerie incarnée. Tout ce qu’il y a de mauvais en l’homme, ou plutôt en la femme, bien sûr, source de tous les malheurs, comme d’habitude chez le Danois. Vilaine Justine, infortunée Justine, c’est bien sûr à cause d’elle que Melancholia fait demi-tour pour nous défoncer la tronche. Bien fait, nous dit Von Trier, bien fait pour nous. Merci pour tout, Lars, on ne te mérite vraiment pas.


La trilogie Pusher

de Nicolas Winding Refn

Pusher

OVNI cinématographique, la trilogie Pusher n’a pourtant pas bénéficié d’une sortie en salles digne de sa réussite. C’est sans doute le coffret DVD qui a permis à ces œuvres de conforter leur statut culte, déjà bien vivace. Le premier Pusher, tourné en 1996 avec des moyens dérisoires et des acteurs quasi inconnus, demeure relativement classique dans son histoire et son déroulement, des bases que Refn retrouvera pour Drive. Sur l’espace d’une semaine, nous suivons le quotidien d’un petit dealer de Copenhague, son business, ses potes, ses « amours » et surtout la spirale qui va le conduire au chaos.

Avec un grand souci de réalisme, qui n’exclut pas un rythme très prenant et quelques pointes de spectaculaire (comme une poursuite portée par un rock tonitruant), le réalisateur décrit ses personnages et un contexte sordides. D’une noirceur étouffante et d’une violence sourde, Pusher vaut surtout par l’efficacité de sa narration et la performance de ses acteurs. Le film impose son style et son ambiance, il manque juste un surcroît de profondeur que les deux suites vont largement apporter.


Pusher II

Pusher II, mis en scène huit ans après le premier volet, n’en est pas à proprement parler une suite, même s’il reprend certains des protagonistes. C’est surtout un développement de l’univers des paumés danois, en particulier celui du junky pathétique Tonny, interprété par le génial Mads Mikkelsen. Sortant tout juste de prison, il va devoir faire face à toutes les responsabilités liées à la paternité. Cherchant à la fois à survivre et à assumer la cruauté de son entourage, Tonny va lui aussi être entraîné dans un crescendo de violence.

Beaucoup plus intense et touchant que le premier film, Pusher II est une œuvre formidable qui reprend le meilleur des séries américaines pour l’adapter à l’ultra-réalisme européen. Les tonalités sont celles du cinéma germaniques, les tons ocres, rouges, verts, sont omniprésents, l’univers visuel est oppressant et glauque, avec une bande son parfois saturée par du rock bruyant, à la limite de l’industriel. Les personnages, portés par des acteurs irréprochables, sont antipathiques, parfois détestables, mais surtout misérables.

La mise en scène colle au plus près à son anti-héros, imposant de longs plans séquences virtuoses ou des cadrages serrés qui nous enferment dans le désordre psychologique de Tonny. Entre Gaspar Noé et les frères Dardenne, Nicolas Winding Refn parvient à trouver une voie paradoxalement plus divertissante malgré l’horreur de ce qui est raconté. Pusher II offre ainsi une étude sociale hors du commun qui se dévore avec fascination et admiration.


Pusher III

Pusher III suit 24 heures de l’existence du caïd Milo, aperçu dans les deux premiers opus de la trilogie. Parrain vieillissant, Milo se prépare à célébrer l’anniversaire de sa fille, tout en luttant contre son addiction à l’héroïne et en tentant de maintenir sa main-mise sur la drogue à Copenhague. Version minimaliste et crasseuse du Parrain, Pusher III est le plus suffocant des trois récits. Particulièrement désespéré et méticuleux, ce portrait ressasse la décrépitude de son personnage principal sans jamais offrir la moindre bouffée d’air.

Mais le film paraît tout entier tendu vers son final, sommet terrifiant de la série, une déferlante gore qui ose montrer ce que le genre nous dissimule habituellement. Ce n’est pas tout d’éliminer les gêneurs, il faut ensuite « nettoyer ». Réaliste et quasi insoutenable, filmée presque entièrement en temps réel, la scène est incroyable et renvoie les atrocités des Saw & co au jardin d’enfants. Paroxysme de la barbarie plus ou moins retenue sur l’ensemble des trois œuvres, cette conclusion souligne l’exigence et l’originalité de Nicolas Winding Refn.

Si Pusher III semble un peu moins abouti que son prédécesseur, c’est peut-être à cause de sa noirceur si intense qu’elle finit par rendre le film presque aussi déplaisant que les caractères qui y sont présentés. Il n’empêche, la réussite est à nouveau digne de tous les éloges (funèbres).


Drive

de Nicolas Winding Refn

Nicolas Winding Refn est un grand formaliste de cinéma. Ce n’est pas nouveau. On le sait depuis la trilogie Pusher (surtout les 2e et 3e volets). Que son œuvre déborde d’idées et d’énergie comme dans Bronson ou qu’il n’ait quasiment rien à raconter comme avec Valhalla Rising, Refn en met plein les yeux et les oreilles. Drive se situe à mi-chemin entre le génie de Bronson et la neurasthénie de Valhalla. Sur les bases d’un scénario d’une banalité sidérante, le réalisateur iconise à chaque plan un héros quasi autiste, sorte de sociopathe un peu demeuré. Ryan Gosling est parfait dans le rôle de l’amibe énervée, il conduit, serre le poing, conduit, ronge son cure-dent, conduit et remplit jusqu’à la dernière image son rôle de héros au grand cœur. Le début du métrage surprend d’ailleurs par son côté gnan-gnan. Ryan promène bobonne et son fiston, sourit vaguement, joue avec le petit et débute une passion platonique avec Carey Mulligan (impeccablement décorative). Pour secouer tout cela : un casse qui tourne forcément mal, des gangsters qui veulent récupérer leur argent et… c’est tout. Vous pouvez prévoir intégralement le déroulement de Drive dès les dix premières minutes.

Là n’est pas le sujet du film, véritable exercice stylistique qui rêve de transcender tous les clichés. Refn hisse chaque scène à la seule force de son talent. C’est remarquable. Il suffit de voir comment le metteur en scène transforme la poursuite d’ouverture en chef-d’œuvre minimal. Une belle nervosité qui s’épanche sur un générique porté par une chanson néo-disco kitschissime. Comme dans Bronson, Refn joue sans cesse sur le décalage avec une bande originale d’un goût douteux. On se retrouve avec des hymnes de boîte de strip-tease de troisième zone et autres sérénades piquées dans les compilations Italians Do It Better. Ces morceaux décuplent l’impact de certains passages. Une méthode déjà bien défrichée par un certain Quentin Tarantino. La comparaison n’étant pas absurde, tant Refn se pose ici en cousin Danois du réalisateur de Kill Bill. A l’hystérie verbeuse, Drive répond par le silence et les ralentis, les cadrages millimétrés et l’économie.

Le résultat est visuellement bluffant, certaines séquences atteignant une beauté absolue, une épure sublime d’un genre. Malheureusement, Refn n’arrive pas à faire exploser toutes les limites. Drive ne raconte vraiment pas grand-chose et ses protagonistes ne sont qu’une poignée de silhouettes. On est loin du foisonnement de Bronson et on se demande si le réalisateur gagne vraiment à jouer la carte du nettoyage par le vide. On le préfère plus drôle, plus agressif, plus frondeur. En l’état, son petit dernier est avant tout un divertissement au-dessus de la concurrence grâce à sa classe. On ne peut que louer la mise en scène tout en regrettant l'absence de la petite étincelle qui nous aurait secoué, le soupçon d’originalité supplémentaire qui nous aurait fait définitivement chavirer. Pas une raison cependant pour bouder son plaisir et de ne pas se réjouir de l’existence d’un film aussi remarquable.


Green Lantern

de Martin Campbell

C’est l’histoire du verre à moitié vide ou à moitié plein. Ou dans le cas d’un film moyen de savoir s’il vaut mieux se féliciter de ses qualités ou s’indigner de ses défauts. En ces temps d’inondation continue de films de super-héros, il est bien difficile de se faire une place. On l’a vu avec les machins plus ou moins interchangeables pondus chez Marvel (à quelques X-Men près). Face à la surenchère de son principal concurrent, DC Comics se repose en ce moment sur une seule franchise au cinéma (Batman), ce qui lui convient assez bien. Superman galère pour retrouver la magie de l’adaptation de… 1978 (on remet ça l’année prochaine sous la houlette de Zack Snyder…). Les exécutifs tergiversent et ne savent plus comment gérer un panthéon superbe mais complexe à porter à l’écran dans les années 2000. Tous ces héros sont nés dans les années 40 et 50, soit bien avant les icônes pop et ados de chez Marvel. Ce sont des protagonistes adultes mis en scène dans des mondes obsolètes, souvent kitsch. Difficile alors de vendre aux mômes d’aujourd’hui les tourments de The Flash ou de Wonder Woman. Le ridicule guette. Il semble que la solution des séries animées soit la meilleure (voir les excellents petits films mettant en scène la Justice League). Seul Batman s’en sort avec les honneurs, son univers de ténèbres se prêtant mieux aux réinterprétations hi-tech et au cynisme ambiant, quitte à perdre toute fantaisie.

Pour l’œil de l’amateur éclairé, donner sa chance à Green Lantern est loin d’être une absurdité. C’est l’un des super-héros les plus passionnants du genre. Univers complexe, protagonistes attachants, thèmes matures, sans oublier une bonne dose d’amusement et d’affrontements spectaculaires. Tout est réuni pour créer une franchise extraordinaire, juste tributaire d’effets spéciaux à la pointe. En effet on voit mal comment représenter le quasi abstrait Parallax sans sombrer dans le lamentable si le visuel ne suit pas. Il y a tellement à faire avec Green Lantern qu’il n’y  pas besoin d’envisager de lui associer d’autres héros, il se suffit à lui-même pour au moins 5 ou 6 films. Et même davantage.

C’est peut-être le principal problème de cette adaptation : vouloir tout faire tenir en 2h. Face aux radins de chez Marvel, ce Green Lantern veut tout nous montrer et tout nous dire dès le premier film. Jusqu’à intégrer les présentations des trois principaux antagonistes, plus les notions de base, plus la vie d’Hal Jordan, plus des tonnes de trucs et de détails. Un défaut qui se transforme en qualité pour ce qui est de la richesse d'une œuvre devant laquelle on ne s’ennuie pas une seule seconde. Pour le néophyte cela peut être un calvaire, plongé dans le grand bain dès la première heure. De surcroît, Martin Campbell, gentil faiseur sans génie, n’arrive pas à tout faire tenir, bâclant quelque peu un final pourtant assez démentiel. Tout va trop vite.

C’est dommage et en même temps voilà enfin un film « d’origines » qui ne s’embarrasse pas de verbiages interminables et qui cisaille dans les passages obligés. On y retrouve un découpage très Comics, qui saute d’une scène à l’autre sans regarder dans le rétroviseur. On navigue ainsi entre naïveté des années 50 (la romance, le trauma) et efficacité des années 2000. Jamais trop sérieux, le film jouit aussi de quelques gags malins (l’identité secrète du héros, secrète pour personne) alors que d’autres tombent totalement à plat. De même le casting va de l’excellent au problématique ; et ce, chez un même acteur. Ryan Reynolds étant à la fois parfait et parfois paumé. Tout comme Blake Lively qui ne sait jamais si elle doit jouer la femme forte ou la très jolie potiche.

Comme dans tout bon film de super-héros (sauf Iron Man), ce sont les seconds rôles et les méchants qui assurent l’essentiel du spectacle. Ici, pas de problème, les vilains sont tellement réussis qu’on ne cesse de regretter leur peu de présence à l’écran. On rêve d’un film où Parallax serait seul en scène et où l’incarnation de la peur universelle aurait le temps de mieux imposer sa menace. De même, si Sinestro ne sombre dans le côté obscur qu’au milieu de générique de fin, c’est trop rapide. Sa relation avec Hal Jordan n’a eu le temps que d’être ébauchée, il aurait fallu au moins une bonne moitié de métrage sur leur amitié. Bref, le film est bardé de défauts.

Mais ! Grâce au génial univers de Green Lantern, plutôt bien représenté, grâce au rythme soutenu qui ne laisse pas le temps de s’attarder sur ce qui fâche, grâce à un aspect épique inespéré (merci aux effets spéciaux et à la musique de James Newton Howard), cette adaptation se hisse vers le haut du panier. Curieusement, elle a été plutôt mal accueillie pour des raisons qui conviennent tout autant, sinon bien mieux, à une bouse telle que Thor. Les voies de la critique et du public sont impénétrables, même si on se doute que le principal problème est peut-être une méconnaissance partielle (ou plutôt totale) du Comics. L’occasion de rattraper cette lacune après avoir découvert le film. Green Lantern ne vaut pas Batman, mais il n’est pas si loin derrière.


Bad Teacher

de Jake Kasdan

Pourquoi s’infliger ça ? Voilà la seule question qui mérite d’être posée devant Bad Teacher. Parce qu’on aime bien Cameron Diaz, Justin Timberlake et Jason Segel ? Soit. Parce qu’on est généralement assez réceptif aux comédies trashouilles américaines (Mes Meilleures Amies c’était pas si mal) ? Admettons. Parce qu’on veut faire plaisir à sa copine ? Certes. Parce qu’on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise, surtout quand toute la presse vous clame que c’est de la merde (remember, remember Southland Tales !) ? Bon, OK, il y a Justin dans les deux films, mais Bad Teacher ce n’est pas du Richard Kelly. C’est même plutôt la kryptonite de The Box (avec Cameron Diaz, justement, comme quoi je ne délire pas dans le vide). C’est l’antithèse de tout le cinéma que j’aime. Le rien. Le vide. Mais aussi l’horreur, la vraie. La nullité absolue de la comédie, sans gag, sans timing, sans mise en scène, avec des acteurs qui jouent comme des tanches. Une ignominie. Une erreur.

Comment, en particulier, ne pas exploiter un concept qui a fait mille fois ses preuves (les Sous-Doués, ça ne date pas d’hier) ? Cameron Diaz ne martyrisera pas ses petits élèves. Non. Le film préfère virer à la comédie romantique faussement provocatrice et vraiment conservatrice. Sous couvert d’une vulgarité lamentable et d’un politiquement incorrect pathétique, Bad Teacher respire le conventionnel, le grossier, le beauf. D’une bêtise absolue, ce machin se donne du mal pour provoquer l’hilarité mais ne déclenche même pas un sourire. Pas un seul sourire. Sur 1h30. Juste l’ennui et une profonde consternation. Bravo. C’est le nouveau numéro un de mon flop 2011. Chapeau les artistes !


Restless

de Gus Van Sant

C’est l’histoire du film trop mignon. Vous voyez le genre. Le truc vachement clean, tout propre, bien de sa personne. Avec des jeunes gens un peu bourgeois, un peu bohèmes, qui affrontent la mort en chantant. Non ce n’est pas La Guerre est Déclarée, ni les Bien-Aimés, je me respecte suffisamment pour ne pas m’infliger ça sur grand écran. Il s’agit du dernier film de Gus Van Sant, auteur génial mais ayant tendance à la complaisance. Après la reconnaissance méritée de ce qui est peut-être son meilleur film (Milk), Van Sant s’offre une récréation en forme de jolie porcelaine à poser sur le bord de la cheminée. Restless c’est aussi choupinet que totalement insignifiant. Une seule idée vaguement originale : le héros, obsédé par la mort, est hanté par un kamikaze japonais (ou il développe plutôt une schizophrénie contagieuse, mais nous préférerons l’interprétation poétique). Car le film se veut une petite ode à la vie en forme de manuel du bon goût. Jeunes et jolis comédiens furieusement tendances (le fiston Hooper et Mia Wasikowska), chansons trop classes (Elliott Smith, Pink Martini, Nico, on dirait un film de Wes Anderson), décorum limité à trois fois rien, grandes tirades sur la vie, l’amour, la mort. Le tout emballé dans une mise en scène discrète, où rien ne dépasse. C’est de la comédie romantique néo-classique où l’on roupille tranquillement, en comptant les clichés comme d’autres comptent les moutons. Contrepoison ? Attenberg.


Tucker & Dale vs Evil

de Eli Craig

Le slasher est un genre moribond. Il a été retourné dans tous les sens depuis le début des années 70. Il est passé par les chefs-d’œuvre (Massacre à la Tronçonneuse, Halloween), par les nanars (Vendredi 13 & co), par les parodies (Scream) jusqu’au point limite qu’est la mise en abyme de The Devil’s Rejects. Le vrai problème étant de savoir comment continuer à raconter des histoires d’ados débiles se faisant trucider par des tueurs sadiques et dégénérés. Hollywood ne se pose pas vraiment la question, produisant des remakes à la pelle, tous plus minables les uns que les autres (le fond étant touché par le Vendredi 13 torché par l’impayable Marcus Nispel).

Sur le papier Tucker & Dale vs Evil ne paye pas de mine. Cela sent la parodie bien grasse avec une seule idée un peu basique : inverser les rôles. Les héros sont ici deux bons ploucs, deux « rednecks » du genre de ceux qui terrorisent habituellement les braves petits enfants de l’Amérique. Au mieux on peut espérer une histoire d’amitié rustaude héritée du duo Simon Pegg / Nick Frost de Shaun of the Dead et Hot Fuzz. Impossible, d’ailleurs, de ne pas penser à Shaun of the Dead dans ce mélange entre humour burlesque, hommages sincères et scènes gores spectaculaires.

Heureusement, le film d’Eli Craig ne se contente pas de se reposer sur un point de départ rigolo. Il l’exploite à fond, jusqu’à l’absurdité totale, avant d’en faire surgir toute la saveur et la tendresse. La tendresse oui, pour un genre, pour des personnages, pour un univers qui n’a jamais volé bien haut mais qui a pourtant marqué l’histoire du cinéma. Certes, il faut connaître un peu ses classiques pour apprécier Tucker & Dale, mais ce n’est pas non plus un amusement pour quelques heureux élus. Les gags s’enchaînent et s’avèrent fréquemment inoubliables (la ruche, « We have your friend ! »). La bêtise, adorable ou dangereuse, de tous les protagonistes réjouit du début à la fin.

Le duo principal est évidemment le coeur palpitant du métrage et il ne faut pas longtemps pour les aimer d’amour. Bien vite, c’est le gros Dale qui s’affirme comme le véritable héros et sa relation avec la craquante godiche blonde ne peut que nous faire fondre. Autour d’eux les accidents stupides s’accumulent et la boucherie la plus folle découle d’un simple malentendu. Pour les amateurs de message, il y a bien là un discours sur la tolérance et le dépassement des préjugés, mais il est très accessoire. L’essentiel ? Une comédie géniale, à la fois le meilleur slasher depuis des lustres et peut-être le « feel good movie » de l’année.


Into Eternity

de Michael Madsen

Dans La Grotte des Rêves Perdus on découvre les vestiges de nos ancêtres d’il y a 35 000 ans, quelques peintures, quelques objets… Dans Into Eternity, la démarche est inverse : qu’allons-nous laisser à nos successeurs, dans 100 000 ans ? Réponse : une grosse poubelle radioactive. Dans toute son absurdité, ce documentaire vertigineux affirme qu’il ne restera peut-être de notre civilisation que des déchets. Enterrés plus précieusement que n’importe quel objet de culte, préservés avec davantage de soin que tous les chefs-d’œuvre de l’art, les déchets nucléaires pourraient survivre à des milliers de génération d’humains et de leurs successeurs.

Michael Madsen (rien à voir avec l’acteur de Tarantino) s’abandonne au délire du projet Finlandais : un tombeau pour déchets nucléaires. Les questions posées par un tel ouvrage explosent toutes les données philosophiques et historiques actuelles. Les intervenants ont beau tourner les problèmes dans tous les sens sous l’œil de la caméra, les conclusions sont évidentes dès le départ : on ne peut rien savoir, et encore moins prévoir, sur une échelle de temps qui dépasse une poignée de siècles. Dans 100 000 ans ? Une ère glaciaire nous sera passée dessus, des catastrophes, des guerres, des pénuries, des évolutions et des révolutions en tout genre. Y aura-t-il encore seulement ce qu’on appelle des humains ? Rien n’est moins sûr…

Le réalisateur se laisse happer par l’aspect mythologique du sujet. Ce feu éternel qui brûle au fond d’un labyrinthe interdit, c’est l’essence même des légendes. La forme du documentaire touche sans cesse au sublime, avec ses travelings majestueux, ses mouvements de steadycam au ralenti, ses choix musicaux impeccables (de Kraftwerk à Philip Glass). Certains trouveront cela pompeux, c’est pourtant l’héritage direct de chefs-d’œuvre tels que Baraka ou Koyaanisqatsi. Il se dégage à la fois une grande solennité et une douce ironie. On demeure subjugué par l’intensité esthétique de l’œuvre tout autant que par les visions du futur qu’elle esquisse.


Attenberg

de Athina Rachel Tsangari

C’est une comédie. Une comédie grinçante comme on en voit habituellement chez nos amis du nord de l’Europe. Les habitués du cinéma belge ou scandinave ne seront donc pas dépaysés, pour les autres le choc culturel risque d’être un peu rude. Il faut avouer que la réalisatrice ne fait rien pour rendre son film accessible. Malgré la multiplication des clins d’œil, ceux-ci ne sont guères fédérateurs. Godard, les Monty Python, Alan Vega, Daniel Johnston, autant de personnalités de la culture populaire d’avant-garde, pas forcément des chouchous du commun des mortels. Une fois posé l’élitisme guilleret d’Attenberg, la vision du film s’avère une expérience assez unique, souvent hilarante tout autant que glaçante. Vaste parodie d’un certain cinéma d’auteur complaisant, l’œuvre égrène tous les clichés : cancer, Oedipe, identité sexuelle, autisme social, dépucelage glauque, tout y passe. Mais sur le mode de la blague, de l’humour noir jamais sordide. Il faut voir l’héroïne affronter la mort imminente de son père en gesticulant sur le kitschissime Be Bop Kid de Suicide pour bien comprendre le sens très particulier du burlesque ici mis en place.

Scandant le rythme du film, on trouve aussi de petites scènes hommages au Ministère des Démarches à la Con des Monty Python. Oui, oui. On croise encore des humains en proie à des comportements animaliers impromptus, sorte de référence dégénéré et hautement comique aux grandes heures du Living Theatre des années 70. Par instant, le doute nous étreint : et si telle scène était sérieuse ? Mais immédiatement une réplique, un geste, une musique, viennent nous rappeler la nature bouffonne d’Attenberg. Un traitement aussi radicalement décalé désarçonne complètement avant de séduire. On pourra reprocher à la réalisatrice une certaine cruauté envers ses personnages, fréquemment ridiculisés. On y lira plutôt une critique virulente des tics du cinéma d’auteur nombriliste, ici bousculé au-delà du grotesque. La performance d’Ariane Labed (récompensée au Festival de Venise) mérite toutes les louanges, tant la jeune actrice se donne corps et âme dans cette expérience démente, par ailleurs d’une grande beauté formelle.


Arrietty, le petit monde des chapardeurs

de Hiromasa Yonebayashi

C’est un film parfait. Une histoire minuscule à propos d’êtres minuscules, une aventure en miniature sur quelques mètres. Arrietty est une œuvre infime où naissent des émerveillements immenses et une émotion gigantesque. Tout ici crie le nom de Miyazaki (producteur et scénariste), dans sa veine la plus épurée. Au début on pense au méconnu Kiki la petite sorcière, bien vite c’est le chef-d’œuvre Totoro qui se pose en figure tutélaire. On y retrouve la même innocence inquiète, la même douceur, le même sens du détail d’un quotidien idéalisé.

Non, ce n’est pas une révolution, ce n’est pas le grand film qui va changer l’histoire du cinéma. On pourra snober Arrietty pour n’être qu’une nouvelle entrée de qualité dans le corpus remarquable du studio Ghibli. L’erreur sera probablement aisément commise par ceux qui ne jurent que par Princesse Mononoké ou Le Château dans le Ciel, par les Miyazaki les plus épiques et spectaculaires. Ce serait oublier que les sentiments les plus forts naissent de toutes petites choses, même dans Mononoké, même dans Chihiro. Un murmure, un geste, une révélation longtemps oubliée, un non-dit qui en révèle davantage que toutes les grandes tirades théâtrales.

Arrietty n’est composé que de cela : de silences, d’essoufflements,  de ce qui pourrait être et ne sera jamais, de ce qui a été, de détails infimes et de grandes espérances. Au pire, on pourra qualifier le film de « confortable », on s’y glisse comme dans un lit douillet, on s’y prélasse comme dans l’herbe fraîchement coupée des jardins d’été. En vérité, c’est un bijou de cinéma précieux. A la beauté des images font écho des émotions encore plus admirables. Rien n’est surligné et ce qui compte le plus ce sont les descriptions visuelles, les évocations tacites. D’où l’impossibilité d’en révéler les secrets, d’en disséquer la délicatesse, on tremble d’en briser la magie avec des mots trop froids.

On quitte le film bouleversé, ému comme un gosse. On ne se lancera pas dans le jeu du « ah mais c’est moins bien que Totoro, ah mais ça ne vaut pas Ponyo, etc. ». A quoi bon ? On a rarement connu Miyazaki aussi humble, aussi fondamental. C’est une œuvre essentielle, dans tous les sens du terme. De l’infiniment petit d’un comportement ancestral à l’infiniment grand de l’espérance humaine.


Love, et autres drogues

de Edward Zwick

La comédie romantique n’est pas le genre le plus novateur du monde, mais c’est un des plus populaires. Comme dans le cinéma d’horreur, on se contente souvent de peu. Un peu de frisson, deux ou trois scènes gores, tout ça. L’équivalent avec les passages obligés du « ils s’aiment un peu, beaucoup, plus du tout, oh et puis finalement ils s’adorent ». Love et autres drogues est un fond de tiroir particulièrement lamentable, d’autant qu’il se rêve plus malin que la moyenne. Problème : il fait tout à l’envers. De la vulgarité totalement déplacée pour être dans l’air du temps (une Pyjama Party qui ferait honte aux frères Farrelly). Un sujet de société traité par-dessous la jambe (c’est au contraire une véritable pub pour l’industrie pharmaceutique). Une dose de clichés romantiques usés jusqu’à la corde (Love Story encore et toujours). Un couple de stars en vogue (faut avouer qu’ils sont tous les deux impeccables). Le pire ? Situer l’histoire en 1996 et ne jamais cesser les références grossières à l’époque pour mieux flatter un public nostalgique (« Ah ouais, délire, on écoutait ça dans les années 90 ! »).

Bref c’est d’une nullité sidérante et mis en scène par un réalisateur réputé pour sa médiocrité. Edward Zwick, qui, je vous assure, possède un vrai petit fan-club. Expliquons que l’auteur immortel de Légendes d’Automne, du Dernier Samouraï et de Blood Diamond a débuté sa carrière par le correct Glory. Pas de quoi en faire un incontournable. La preuve ici avec ce film sans personnalité aucune. Reste donc l’alchimie du duo principal, qu’on sait copains comme cochons. Le public féminin comme masculin y trouvera justement de quoi se rincer un peu l’œil. C’est déjà ça, mais c’est un minimum. Pour votre serviteur ça fera donc une étoile pour Anne Hathaway, toujours radieuse et décidément talentueuse même quand on lui demande de faire n’importe quoi (souvenez-vous de sa craquante White Queen pour Tim Burton). Passons à autre chose.


Thor

de Kenneth Branagh

Le marasme Marvel se confirme avec cette énième présentation d’un futur membre des Avengers. Le succès du sympathique Iron Man (de loin le meilleur film de cette laborieuse mise en place) a donc fait plus de mal que de bien au monde des super-héros. De Marvel, il ne faudrait finalement retenir que les univers « parallèles » que sont ceux des X-Men (surtout le second et le First Class) et des Spider-Man de Sam Raimi (surtout le second aussi). Mais dans le cas de Peter Parker, nous aurons déjà droit à une remise à zéro l’année prochaine, probablement pour pouvoir faire intervenir l’homme-araignée dans… les Avengers. Il ne reste plus qu’à espérer la naissance d’une franchise vraiment marrante et spectaculaire. Mais rien n’est moins sûr.

La preuve avec ce lamentable Thor, mis en scène par Kenneth Branagh en mode tâcheron. Du sympathique réalisateur des années 90 il ne reste que des plans inclinés gaguesques et un amour absolu pour le kitsch. Bref, Branagh a l’air de bien s’amuser avec la laideur aveuglante de l’Asgard numérique. Dans sa partie mythique, Thor est un nanar bling-bling qui vomit à la gueule du spectateur tout le fric qu’il a pu coûter. Tant d’argent dépensé pour autant d’horreur, quelque part, ça force le respect (ou donne la nausée, selon votre humeur). Caméra penchée d'un côté, puis dans l’autre, en dépit de tout bon sens cinématographique, le réalisateur se promène aussi au Nouveau-Mexique, histoire de faire exploser quelques bagnoles et d’emballer des séquences de comédie romantique pathétique.

Car si la mise en images est nulle, la direction d’acteurs est inexistante. Chris Hemsworth joue au second degré et c’est lui qui s’en sort le mieux. Les autres naviguent entre l’inepte et le transparent. Natalie Portman joue comme (presque) toujours comme une dinde, Anthony Hopkins fait son Liam Neeson (et non l’inverse), Tom Hiddleston arbore une tête de fourbe, Stellan Skarsgard paye ses impôts et la géniale Kat Dennings est sous-employée. Fiasco total. Tout le reste est à l’avenant, de la musique passe-partout dont ne se dégage aucun thème marquant en passant par une dramaturgie sans réels enjeux, à part de mener à la débâcle Marvel suivante.

Qu’on fasse donc le compte : Iron Man : 7/10, L’Incroyable Hulk : 3/10, Iron Man 2 : 3/10, Thor : 3/10, Captain America : 5/10 pour une moyenne généreuse à peine au-dessus de 4/10. Et avec ça vous voulez que je bave sur The Avengers ? Comme si les protagonistes allaient gagner en caractère en étant 12 dans le même film ? Nick Fury ? Black Widow ? Ce pauvre Hawkeye qui fait de la figuration dans Thor ? Au mieux, ce sera assez rigolo ; car, malgré tout, le casting des principaux héros est franchement réussi (Downey Jr., Evans et Hemsworth sont tous très bons). On n’est jamais à l’abri d’une agréable surprise pour ce qui est le projet super-héroïque le plus ambitieux de l’histoire du cinéma. Rappelons juste qu’en face il y aura un nouveau Batman avec Anne Hathaway en Catwoman et Tom Hardy en Bane. Je dis ça, je dis rien, hein, surtout qu’on ne peut pas m’accuser de « Nolan mania ».

Pour en finir avec Thor, il est vraiment dommage que si peu soit accompli avec la mythologie scandinave, ici traitée comme un élément de décorum anecdotique. On est plus proche de Flash Gordon que d’Excalibur. Et n’espérez pas vous rattraper avec les scènes d’action. Soit elles sont victimes du syndrome « qui a éteint la lumière ? » (le combat contre les Géants de Glace), soit elles s'avèrent d’une banalité totale (le Destroyer qui fait péter deux voitures et trois poteaux électriques). Kenneth Branagh ne s’intéresse qu’à ses décors virtuels hors de prix et à ses plans penchés où on a l’impression que les comédiens se cassent perpétuellement la figure. Des plans qui tanguent ? Comme dans Battlefield Earth ? Oui, comme dans la panouille scientologue avec John Travolta, l’un des plus fameux nanars de l’histoire du cinéma. Oui, on en est là…


Alice

de Jan Svankmajer

De Jan Svankmajer on connaît surtout les courts-métrages d’animation qui, de Tim Burton à Terry Gilliam, ont influencé plusieurs générations de cinéastes. Ce n’est qu’au bout de 24 années de pratique du petit format que le réalisateur tchèque s’est lancé dans l’aventure d’Alice, son premier et plus célèbre long-métrage. Sorti à l’origine en 1988, cette relecture du classique de Lewis Carroll en est paradoxalement l’une des plus fidèles. L’illustration n’appartient qu’à Svankmajer et à sa passion pour le surréalisme, mais le texte est en grande partie suivi avec une plaisante acuité. Certes, le chat du Cheshire manque à l’appel, mais on appréciera que, au contraire des versions Disney et Burton, il n’y a pas ici de confusion avec De l’Autre Côté du Miroir. Il ne s’agit que d’Alice au Pays des Merveilles, transformé en un huis-clos quasi horrifique.

Svankmajer choisit d’adopter la logique du rêve et de ses systèmes de références mais aussi d’absurdités. Son parti-pris le plus juste est de conter l’histoire sous la forme d’un cauchemar. C’est même la quintessence du songe angoissant et à la fois fascinant. Succession de portes à franchir, de passage où s’engouffrer, le périple d’Alice traverse autant de pièces que d’épreuves inquiétantes. Le lien est, bien sûr, le lapin blanc, ici incarné par un véritable lapin empaillé aux yeux de billes et au corps s’effritant en sciure de bois. Les autres protagonistes sont autant de squelettes d’animaux, de batraciens taxidermisés ou de peluches décousues. Le film de Svankmajer navigue entre l’émerveillement et le glauque, la monstruosité et l’imaginaire enfantin.

La technique d’animation image par image et les créatures de bric et broc contribuent à une étrangeté globale. C’est aussi grâce à cela que cette adaptation cinématographique nous semble la plus réussie de l’œuvre de Carroll. La candeur désarmante de l’interprète humaine d’Alice contribue à notre implication. Aussi « autre » que soit l’œuvre, elle correspond idéalement à notre inconscient. Elle ne surligne jamais la complexité de la pensée de Carroll, elle en offre une peinture sublime. Même si le rythme lancinant et la déliquescence de l’univers décrit pourront peut-être perturber les enfants d’aujourd’hui, on ne peut que conseiller vivement de faire découvrir ce chef-d’œuvre au plus grand nombre.


Attack the Block

de Joe Cornish

Mine de rien, la bande d’Edgar Wright est en train de prendre d’assaut le cinéma de divertissement des années 2010. Formée autour de l’excellente série Spaced, cette fine équipe ne cesse de grandir en influence et en qualité. D’abord il y eut Shaun of the Dead et Hot Fuzz, puis Scott Pilgrim pour Wright, Paul pour Frost et Pegg, à présent Attack the Block pour Joe Cornish. Et à la fin de l’année, nouvelle étape de la consécration, ils contribueront tous au Tintin de Steven Spielberg (Pegg et Frost comme comédiens et Wrigh et Cornish comme scénaristes). Leur secret ? Un mélange drôle et dynamique d’hommages au cinéma qu’ils adorent et un dynamitage de ce même cinéma. Dans Attack the Block, Cornish fait sa fête à John Carpenter, AlienS et les Goonies. Le crime est presque parfait.

Il est d’abord frappant pour l’amateur de fantastique de constater que la deuxième moitié de l’œuvre est une version réussie de La Horde. Tout ce qui manquait au film de Dahan et Rocher est ici présent, avec un budget qu’on n’imagine pas beaucoup plus élevé. De l’humour, de l’énergie, des personnages attachants… Et surtout, Attack the Block est un film fun, comme tous les autres efforts de la bande à Wright, c’est un film qui renvoie aux oubliettes le glauque des années 90 et ceux qui confondent « méchanceté » et être pris au sérieux. Pour aborder des genres aussi battus et rebattus, et aisément ridicules, que le film de zombies ou celui d’invasion E.T., il faut avoir soit un scénario en béton armé, soit une puissance de frappe hors du commun (The Descent et REC), soit beaucoup d’humour.

Ici, le réalisateur navigue entre premier et second degré à une telle vitesse qu’on finit par oublier les baisses de régime et autres passages obligés pour se laisser porter. C’est une vraie tranche de BD, en fait, avec, bien sûr, de francs élans vers le jeu vidéo. C’est surtout un festival de plans et de scènes iconiques, extrêmement jouissif. Avec l’outrance nécessaire et la désinvolture de ses anti-héros, le réalisateur amuse en permanence.

Les acteurs incarnent à la perfection une bonne bande de racailles londoniennes, tous plus gentiment crétins les uns que les autres. Ils sont plein de naturels et de charisme. La touche féminine étant assurée par la mimi Jodie Whittacker à laquelle on prédit un avenir fort rose. En contre-point, les créatures enragées bénéficient d’un design très malin (toutes noires avec juste la mâchoire phosphorescente) et de superbes effets spéciaux. En clair, le film ne cache jamais ses origines très modestes mais compense par une générosité délirante. Voir pour cela le final héroïque et minimaliste où la mise en scène transporte autant que sur 40 minutes de boum-boum à la Michael Bay.

Le fond politique ne va pas très loin et prône rédemption, tolérance et compréhension entre tous les membres de la société. C’est mignon, mais jamais angélique, personne ne se renie, mais tous apprennent à se connaître. On n’est pas dans l’irresponsabilité complaisante des productions Luc Besson, ni dans le « tous pourris » de La Horde. Après tout, on est là pour rigoler, frissonner un peu et surtout se payer une grosse tranche de divertissement. A ce niveau, Attack the Block fait carton plein.


Captain America

de Joe Johnston

C’était déjà le cœur de ma critique de The Green Hornet : y en a marre des origines de super-héros ! Y en a marre des films qui ressemblent à des bandes-annonces et qui s’achèvent plus ou moins là où ils devraient commencer. Dans le cas de Captain America, on entre dans le domaine de la frustration pure et dure. Plutôt malin et sympathique lors de sa première moitié, le film file ensuite à toute vitesse en devenant sa propre publicité, diluant tous les enjeux quitte à les expédier par la fenêtre. Avant de se terminer en négation de lui-même et en un énième teaser pour des Avengers dont on n’attend finalement plus grand-chose. Autopsie d’une occasion manquée.

Captain America fut créé comme un outil de propagande en pleine seconde Guerre Mondiale. Rapidement enterré à la fin de celle-ci, il fut ressuscité dans les années 60 sous la houlette de Marvel et par l’équipe des Avengers de l’époque. Admettons. Mais dans l’absolu et malgré l’évolution très intéressante du personnage ces dernières décennies, Captain America demeure logiquement associé à une période et à un symbole des Etats-Unis. Le film de Joe Johnston intègre ce fait avec une belle intelligence en reconstituant soigneusement les origines du personnage. Ce n’est pas forcément très neuf et on roupille un peu devant les passages obligés (acquisition des super pouvoirs, test des super pouvoirs, présentation interminable du super méchant, présentation des seconds rôles transparents, etc.). Mais c’est assez attachant, parce que Steve Rogers est un gringalet qui ne perd rien de son humanité en devenant un super soldat. Et c’est encore plus attendrissant car Johnston met en scène cette première partie comme un Indiana Jones des années 80. Pas si mal.

Le climax se situe au milieu de l’œuvre, lorsque Captain America devient un pantin de propagande pour l’armée Américaine. C’est drôle, enlevé et ironique. On rêve alors d’un super héros vraiment différent, qui lutterait à la fois contre sa nature d’icône et contre des antagonistes tous plus parodiques les uns que les autres (le coup de poing au faux Hitler répété à l’infini). Dommage, et oui, dommage, dans sa deuxième moitié, Captain America se met à courir après le cahier des charges. Scènes spectaculaires bâclées, traumatismes évincés, héroïsme primaire à tous les étages, le tout ravagé par une 3D immonde.

Oui, c’est du gâchis, surtout qu’on a le sentiment que Marvel reprend alors son bébé bien en mains, histoire de l’embourber dans la vaste tambouille des Avengers. On se demande comment le Captain, Thor, Iron Man, Black Widow, Hulk, Nick Fury et Hawkeye (sans compter les méchants cabotins que sont Loki et Red Skull) vont pouvoir exister en 2h30 maximum. Oui, ça sent le film « concept », plus bande-annonce que toutes les bandes-annonces réunies.  Captain America demeure assez divertissant, même si on oublie le film avant même le générique de fin. Reste un casting très sympathique : Chris Evan est parfait dans le rôle principal, Hugo Weaving est toujours aussi drôle dans les rôles de vilains et Hayley Atwell est vraiment très jolie. Mais ce n’est pas suffisant pour tirer le film hors du marasme des « origines » en tout genre.


La Grotte des Rêves Perdus

de Werner Herzog

C’est l’allégorie de la caverne de Platon, mais inversée. Renvoyé à sa vacuité, le philosophe qui méprisait l'art peut retourner maugréer dans son coin. La vérité est relative et finalement les ombres qui dansent sur les murs sont peut-être plus essentielles que les êtres qui les produisent. Des dessins sur des parois, figés par les millénaires, qui content la naissance de l’humanité. Des squelettes d’animaux disparus depuis des âges immémoriaux, qui ont fait corps avec la pierre, qui ont fusionné avec la Terre. Un vaste livre, un film d’avant le cinéma, un récit qui s’est transcrit pendant des dizaines de siècles, il y a de cela plus de 30 000 ans. La nature vue par l’esprit des premiers hommes, la création de l’art, les œuvres originelles, jamais décrites comme naïves ou obsolètes. Sous la caméra de Werner Herzog, les peintures rupestres de la grotte Chauvet se révèlent aussi importantes que n’importe quel chef-d’œuvre moderne. Elles le sont peut-être même davantage, vestiges d’une vision de l’univers qui nous échappe aujourd’hui.

Le didactisme des interventions, parfois incongrues, nous aide à comprendre ou à effleurer des savoirs oubliés. C'est lorsque la parole se tait, laissant place à la musique et surtout aux images, qu'on se sent le plus proche d’un passé perdu. Des instants primordiaux se sont effectivement déroulés en ce lieu, où affleure une cosmogonie panthéiste, globale, d’un mysticisme troublant. Chaque détail, chaque nouvelle découverte, chaque nouvelle image nous secoue davantage. Ces peintures viennent titiller quelque chose de profondément enfoui dans notre inconscient, comme s’il restait aussi en notre âme des vestiges de ces époques. Herzog prétend nous tendre un miroir, mais c’est peut-être de la plus antédiluvienne madeleine de Proust dont il s’agit.

L’utilisation de la 3D n’a jamais été autant justifiée. Après tout, nous n’aurons théoriquement jamais la possibilité d’entrer dans cette caverne. Ici et maintenant dans une salle de cinéma, voilà notre manière la plus « réelle » d’approcher les parois, d’en sentir chaque bosse, d’en effleurer chaque dénivelé. En dehors de la grotte, la troisième dimension reste anecdotique (des oiseaux et des insectes passent au premier plan, comme dans le Pina de Wenders). Mais une fois à l’intérieur, la texture et la densité du lieu deviennent palpables, omniprésents. Les dessins ont été conçus avec le jeu du relief et Herzog ne pouvait pas s’en passer dans sa représentation. Il en profite pour aller toujours un peu plus loin dans ses mises en abyme et ses recherches métaphysiques.

Loin d'être aussi iconoclaste et sidérant qu’Encounters at the End of the World (toujours le meilleur documentaire du réalisateur), La Grotte des Rêves Perdus est moins un portrait de scientifiques et de leur folie douce qu’une véritable quête du commencement. A rapprocher bien évidemment des plus beaux instants de The Tree of Life. Le frisson est peut-être encore plus intense chez Herzog, qui n’a nul besoin d’effets spéciaux pour nous faire revivre la nuit des temps. Une époque où l’esprit humain faisait encore un avec les animaux, avec les montagnes, avec l’univers tout entier. On finit par se demander si le vertige qui nous saisit est dû aux lunettes 3D défaillantes ou à la puissance des révélations esquissées. Par sa forme novatrice, par son intérêt culturel, par sa portée historique et surtout par l’émotion qu’il finit par procurer, La Grotte des Rêves Perdus est sans doute l’un des plus remarquables documentaires du 7e art. A voir absolument. De préférence en salles et en 3D, même si sa distribution, indigne de son importance mais tributaire des réalités commerciales qui dictent tout ce qui advient dans les cinémas, risque de rendre la tâche ardue pour beaucoup de spectateurs.


La Solitude des Nombres Premiers

de Saverio Costanzo

Cela pourrait être une comédie romantique anglo-saxonne : ils se croisent, ils se ressemblent, ils se ratent, ils sont amis, les années passent, s’aiment-ils ? Cela pourrait être une étude de mœurs complaisante à la française, avec les traumas, le poids de la famille, le passage à l’âge adulte et tout le décorum. Cela pourrait être n’importe quel film comme il en sort des dizaines chaque mois, l’un chassant l’autre dans un gros amalgame qui n’excite plus que des critiques sous l’influence de leurs ami(e)s les attaché(e)s de presse. Il n’en est rien. Si le cinéma italien est l’un des plus sinistrés du monde (voir pour cela les monstruosités qui ne passent que rarement les Alpes), lorsqu’il atteint les cimes, il est aussi l’un des meilleurs.

Nouvelle preuve avec La Solitude des Nombres Premiers, inspiré d’un best-seller paraît-il complètement trahi par l’adaptation. Tant mieux. Car, tel qu’on la découvre à l’écran, cette histoire où l’on sent à chaque scène l’influence littéraire, est avant tout un vrai film de cinéma. L’idée géniale étant d’avoir choisi de raconter les tourments des deux héros en adoptant les codes formels du giallo. Ce genre typiquement transalpin avec son tueur invisible, ses jeux de massacre sophistiqué et ses musiques kitchs (entre autre). Qu’on se réfère aux filmographies de Dario Argento, Lucio Fulci, Mario Bava ou Umberto Lenzi, quelques uns des maîtres des années 70.

La Solitude des Nombres Premiers est un drame psychologique tourné comme un film d’horreur. Un monument de poésie morbide, aussi glaçant que touchant. Saverio Costanzo n’hésite pas à sortir tout l’attirail visuel et verse dans la nécessaire démonstration de force. Il fallait ce mélange d’élégance et de vulgarité qui fait le panache des grands metteurs en scène italiens. On retrouve ici ce tangage entre sublime et pompiérisme. On est pris à la gorge et jamais lâché jusqu’au délicat dénouement.

Le mérite revient aussi aux interprètes principaux, enfants, adolescents et adultes, tous extraordinaires. Pour incarner des êtres enfermés en eux-mêmes, cela demande une grande intensité minimaliste. Tous sont sur la bonne tonalité, toujours au bord du grotesque, à l’image de la mise en scène et de l’histoire, mais toujours justes. Ce vaste numéro d’équilibriste ne sombre jamais dans la complaisance qui le guette et l’émotion qui y naît s’avère saisissante.


La Planète des Singes : les Origines

de Rupert Wyatt

Hasta la victoria siempre ! César le chimpanzé est aussi poilu que le Che, mais autrement plus sympathique. Dans cette biographie filmée qui se voudrait prophétique, mais surtout apocalyptique, on découvre les jeunes années d’un leader révolutionnaire. Orphelin, surdoué, cloitré, éveillé à l’adolescence aux tourments de son peuple, il guidera celui-ci vers la liberté. Freeeeedom !!! Tout le monde pourra se reconnaître dans la métaphore. Les indiens d’Amérique, les noirs réduits en esclavage, les peuples et les minorités opprimés en général. Mais comme presque tous les humains ont eu droit à leur(s) film(s) prônant la tolérance, Hollywood a décidé d’étendre son champ d’action et de s’adresser à des peuplades pas encore franchement concernées par les problèmes identitaires. Comme ça, le jour où les singes se révoltent, on leur montrera ce film en disant : « Cool, les mecs, on est vos potes depuis toujours, la preuve. » Malin.

On peut faire preuve d’ironie, il n’empêche que cette nouvelle genèse de La Planète des Singes fait repartir toute la franchise à zéro de manière plus pertinente que la version de Tim Burton. Plutôt que de remâcher le classique de Schaffner, autant miser sur une approche chronologique et rajeunir les thèmes. Le péril nucléaire est passé de mode (quoique…) place aux horreurs bactériologiques. Mais, si dans sa première partie (et dans ses derniers instants) le film s’écrit à hauteur d’humains, il est nettement plus passionnant lorsqu’il scrute les yeux numériques et bouleversants des singes. La seconde moitié du métrage est une vraie réussite, quasi sans parole, et parfois d’une belle portée philosophique. Ce n’est pas pour autant une œuvre théorique, car la place accordée au grand spectacle s’avère on ne peut plus plaisante.

On ne misait pas un kopek sur la résurrection d’une saga qui n’a finalement offert qu’un seul chef-d’œuvre. On tremblait même au souvenir des suites follement Z qui se sont succédées au début des années 70. De manière très tendre, ces Origines rendent malgré tout hommage aux meilleurs moments des œuvres passées. Et de manière encore plus intelligente, le film réduit les humains à des silhouettes (voire à de simples potiches, comme la pauvre Freida Pinto qui ne sert rigoureusement à rien). C’est Andy Serkis, le roi de la Performance Capture, qui se taille la part du lion. Il est le Gollum du Seigneur des Anneaux, le King Kongde Peter Jackson et très bientôt le Capitaine Haddock de Spielberg. Son interprétation de César, secondée par de remarquables effets spéciaux, est en tout point sublime. La nouvelle génération de comédiens spécialisés dans la Performance Capture risque de grandement bouleverser le 7e art. C’est peut-être la principale révélation de ce blockbuster remarquable.


Super 8

de J.J. Abrams

Deux hommages aux émerveillements cinématographiques des années 80. Deux approches similaires sur le papier et radicalement différentes au final. Attention, le meilleur n’est pas forcément celui qu’on croit. Avec Super 8, on est dans la reconstitution historique. Steven Spielberg produit, mais se pose comme grand démiurge, comme lorsqu’il reluquait avec grande attention les copies des petits Joe Dante, Robert Zemeckis ou Barry Levinson. Bref, Spielberg semble se rendre hommage à lui-même. A part pour les inénarrables effets de « lens flare » (des halos lumineux partout à l’écran) et un déraillement de train qui rappelle le crash de l’avion du pilote de Lost, impossible de savoir si c’est J.J. Abrams qui réalise ou Tartempion. Sa mise en scène, très pro, sans bavure et donc sans grande imagination, ne fait que reprendre les figures Spielbergiennes avec un amour non feint. On a même droit à la séquence de destruction massive, complètement injustifiée à part pour nous rappeler le génial 1941. Si la première partie de Super 8 n’est pas dénuée de ce charme à l’ancienne, elle n’aboutit nulle part. Prévisible, étrangement froid, le film tente bien d’esquisser les sentiments mais laisse de marbre. La conclusion vire au ratage intégral. Aucune empathie n’est créée avec la menace, qui s’est avérée bien trop monstrueuse (surtout pour un film pour mômes). Le retournement de situation attendu arrive trop tard et le final vire à la parodie. De même, certains éléments immanquables passent à la trappe (le meilleur ami du héros et rival en amour ne participe même pas à la fin du film !). Reste donc le début du métrage avec ses adorables gosses qui se prennent pour des cinéastes en herbe. L’hommage aux débuts de Spielberg, en particulier l’épique Firelight qu’il tourna en Super 8 dans son jardin, est savoureux. L’interprétation des enfants est parfaite, surtout la déjà fanée et magnétique Elle Fanning. Mais on reste malheureusement loin du cœur, la nostalgie n’étant pas ici suffisamment forte pour effacer les tares d’une œuvre très ambitieuse mais bancale. A comparer avec le dessin animé Monster House sorti il y a quelques années, avec les mêmes intentions et autrement plus de piquant et d’innocence.

Paul

de Greg Mottola

Paul prend une direction inverse. Au lieu de retourner vers le futur et de proposer une histoire de gosses à des adultes, il lance les grands dans un jeu d’enfants. Les Goonies ont 40 piges et sont devenus des geeks rêveurs. Ils connaissent leur Spielberg par cœur, ils respirent via Star Wars et Star Trek (en parlant Klingon couramment) et ils désirent plus que tout faire une rencontre du 3e type. Le film de Greg Mottola (réalisateur du très bon SuperGrave) plonge dans la parodie en déballant les citations jusqu’à l’absurde. La réussite est celle du duo comique le plus brillant du moment : Simon Pegg et Nick Frost. On les connaissait extraordinaires en trio avec Edgar Wright (Shaun of the Dead et Hot Fuzz), on les découvre très à l’aise en tant que scénaristes et interprètes principaux. Il faut avouer qu’on n’est toujours pas lassé par leur amitié indéfectible et leur tendresse pataude. En leur joignant un extra-terrestre cool (doublé par Seth Rogen), une intégriste chrétienne qui se lâche (l’épatante Kristen Wiig) et une tripotée d’antagonistes gravissimes (dont Jason Bateman et Bill Hader), on multiplie les numéros plus ou moins hilarants. Certes, tout ne fait pas mouche et ce n’est pas toujours très fin. Mais, quelque part, on s’en fout. C’est un vrai spectacle d’adulte qui rue dans les souvenirs d’enfance. Le film est une déclaration d’amour passionnée et sincère pour les univers des années 80 et en même temps il s’en amuse, avec le juste recul. Paul croule sous les références et si on ne s’est jamais intéressé aux blockbusters de l’ère Spielberg (qui adoube le projet en prêtant sa voix à une séquence amusante), on risque de passer totalement à côté du projet. Pour les autres, c’est une comédie réjouissante, qui n’évite pas les baisses de rythme, mais se rattrape sans cesse grâce à l’abatage dingue de ses interprètes. Et le final, quasi identique à celui de Super 8, est aussi beaucoup plus émouvant. Avec un éclat de rire en prime.


Mes Meilleures Amies

de Paul Feig

Judd Apatow déboule pour secouer le film de bonnes copines comme il avait blackboulé le film de potes (en particulier avec SuperGrave, sa plus grande réussite en tant que producteur). Donc, ici, peu importe le nom du réalisateur (issu de la télé), ce qui compte c’est bien le patronyme d’Apatow et celui de Kristen Wiig, qui s’est taillée un premier rôle sur mesure. La comédienne, repérée dans Paul, s’offre un quasi « One Woman Show » époustouflant. Inépuisable, carburant à on ne sait quoi (mais on veut bien la même chose), Wiig ne recule devant rien et se donne à fond pour amuser la galerie. Elle est bien entourée, il est vrai, en particulier par Rose Byrne, décidément l’actrice Hollywoodienne à suivre cette année (pour le meilleur avec X-Men First Class, comme pour le pire avec Insidious). Mais cela reste le festival Kristen Wiig, sorte de Sarah Jessica Parker en mille fois plus attachante. Dans ses grands moments, le film s’avère désopilant. Dommage qu’il n’aille pas toujours jusqu’au bout de ses bonnes mauvaises intentions et hésitent à vraiment transgresser le genre. Cela reste un « film de filles », bourré de bons sentiments et de passages obligés. Et, comme toutes les productions Apatow, Mes Meilleures Amies est beaucoup trop long. Plus de deux heures, c’est de la gourmandise, au bord de l’indigestion (source de la scène culte du film, d’ailleurs). Reste que, par fragments, l’œuvre est tour à tour délirante et assez attendrissante.


The Woman

de Lucky McKee

Il arrive parfois, malheureusement très rarement, qu’un film d’horreur se révèle à la fois vraiment atroce et vraiment intelligent. Qu’il dépasse le cadre du choc et de la provocation pour servir un propos plus élevé. Si, de surcroît, ce film repousse les limites du genre, secoue et interroge tout en créant le traumatisme, le terme de chef-d’œuvre n’est pas galvaudé. C’est le cas avec The Woman de Lucky McKee, déjà auteur de May, très célébré en ces lieux. Il faut remonter à The Descent, et surtout à The Devil’s Rejects, pour retrouver la même puissance alliée à une réelle profondeur.

Fable féministe radicale, The Woman ne s’arrête pas là et offre un vivier d’interprétations et de métaphores. En particulier vis-à-vis de toutes les belles âmes, sûres de la vérité de leurs valeurs, prêtes à les imposer à tout prix pour mieux dominer et avilir. Chez Lucky McKee, la femme est l’éternelle victime expiatoire de ces exactions, parfois complice, parfois terrifiée, parfois incapable de comprendre, mais toujours prête au final à saisir sa liberté. L’œuvre est extrêmement riche, débordante de sens et ne reculant devant rien pour enfoncer le clou de ses messages.

Les scènes insoutenables sont nombreuses, mais jamais gratuites. Il est ainsi remarquable que le réalisateur parvienne à justifier autant d’ignominies. Chaque humiliation, chaque torture, fait écho à un concept, à une source de révolte, à une injustice. Et lorsque vient le temps du châtiment, la revanche fait aussi sens. Il faut avoir le cœur bien accroché (enfin, façon de parler) et votre serviteur, biberonné à Cannibal Holocaust, a quand même eu du mal devant certaines scènes. Pourquoi ? Parce qu’ici il n’y a aucun second degré salvateur, aucune échappatoire ironique. Ici, l’horreur est d’abord psychologique avant d’être graphique. Les débordements sanglants ne sont qu’une incarnation, une mise en chair, des tourments intérieurs.

On pourra plaider que les métaphores ne sont pas toujours très subtiles, elles le sont néanmoins bien plus que dans beaucoup de mélos hollywoodiens et autres (télé)films français sociologiques. Surtout, elles sont ici présentées avec nettement plus de force et d’originalité. La femme du titre est un Christ cloué à sa croix pendant les ¾ du métrage. Son calvaire a une portée mythique impressionnante, sa souffrance transperce notre âme et secoue nos tripes. Autour d’elle des archétypes gravitent, de la victime au bourreau en passant par l’innocente.

Mais qu’on ne s’y trompe pas, malgré l’ambition de son sujet, The Woman reste un petit film artisanal, d’une grande humilité formelle. On y retrouve le goût de McKee pour le rock indépendant un peu obsolète, on y retrouve son actrice fétiche (Angela Bettis), on y retrouve avant tout sa virulence. Attention, à part si vous le prenez totalement à la rigolade (on voit mal comment), The Woman est sûr de vous hanter longtemps. Attention, encore, cette œuvre n’est absolument pas tout public. Cruel et sans concession, le film atteint dans son final une forme de poésie à mi-chemin entre le Grand-Guignol et la sauvagerie tribale cathartique. Le dernier plan est ainsi d’une beauté parfaite, avec sa vaste famille recomposée mais entièrement vouée à la Femme.

C’est un chef-d’œuvre élitiste, dans le sens où il n’est pas pour tous les yeux, ni toutes les sensibilités. La preuve, il risque d’être interdit dans certains pays, de sortir à la sauvette, ou, comme souvent, directement en DVD. On entend et lit déjà des contre-vérités sur son sujet, jusqu’à le qualifier de ratage misogyne (au même titre, alors, que La Liste de Schindler est un film antisémite, sans doute). Que la violence y soit insoutenable, c’est certain, mais est-ce qu’on a interdit les tableaux de Goya ou les ouvrages de Céline pour cela ? Parfois. C’est vrai.

The Woman n’est ni un divertissement, ni un énième film de torture prenant un prétexte à la noix pour imposer des sévices histoire de flatter les petits sadiques en herbe (Martyrs et A Serbian Film peuvent aller se cacher dans leur terrier). C’est une œuvre qui fait honneur au genre, en le dépassant sans le mépriser. Les opus horrifiques de cette trempe sont d’une rareté qui donne le vertige. Une date, à n’en pas douter.


The Tree of Life

de Terrence Malick

(3/3)

Dans la seconde partie de ma critique de The Tree of Life je m’étais attardé sur certains aspects liés à la réception du film. A présent il est temps de conclure (provisoirement, sans doute) en revenant à l’essentiel : pourquoi est-ce que j’aime autant ce film ? Triomphe de la subjectivité, cri du cœur, peu importe les autres, il n’y aura plus que The Tree of Life et moi. Une manière aussi de répondre à l’insulte la plus répandue aujourd’hui dans les avis cinématographiques, celle qui suppose qu’on aime certains films parce qu’on est un (prenez votre souffle) : mouton-intello-bobo-snobinard-parisianiste-gaucho-droitdelhommiste (on respire). Bref, interdiction d’encenser certaines œuvres, quelles qu’elles soient, et surtout d’en parler sans le quota minimum de fautes d’orthographe. D’accord, j’exagère encore, on va me répondre que c’est l’inverse, qu’on n’a pas le droit de ne pas porter aux nues ce que les intello-journaleux-parisiano-UMPS ont décrété comme étant l’Evangile. La bonne blague.  Peu de films auront été aussi conspués cette année, aussi bien par les spectateurs que par la presse, que The Tree of Life. Fin des hostilités, place à la bienveillance.

J’aime The Tree of Life. Les lecteurs et lectrices l’ont bien compris. J’ai déjà développé mon avis plus bas dans cette page, mais je n’en ai pas exprimé la quintessence. De manière simple, la plus claire possible, la plus sincère, pour essayer au mieux d’être compris.

J’aime The Tree of Life parce que sa mise en scène et sa narration me surprennent. Le même ressenti que je peux avoir face à d’autres films, tels que The Lovers, Scott Pilgrim, Oncle Boonmee ou Southland Tales. J’aime être désarçonné, ne pas prévoir ce qui va être raconté, ce qui va être montré, la manière dont cela sera accompli. J’aime voir ce que je n’ai jamais vu. A ce niveau, presque chaque minute de The Tree of Life est un festin.

J’aime The Tree of Life parce que c’est un film plein de bonté. Terrence Malick y fait face à toutes les plaies de son existence, à ses peurs, à sa propre souffrance. En partie, je partage ses tourments. Et j’admire ses réponses, ses solutions. S’il devait avoir un autre titre, ce serait peut-être Melancholia, dans le sens de « la joie d’être triste ». Rien de dépressif ici, c’est au contraire une réponse à la déprime, une sortie des ténèbres, une montée vers l’espoir. Parfois naïf, parfois sage, mais toujours en quête du meilleur, l’auteur veut partager sa vision de l’existence. Elle est positive, lumineuse, mais jamais fanatique, toujours nuancée. C’est une proposition, un pont tendu entre deux rives, un tournesol attiré par la lumière. C’est une œuvre qui fait du bien, un pansement pour l’âme.

J’aime The Tree of Life pour ses choix musicaux. Et pour la manière dont ils accompagnent les images, dont ils les commentent. Un requiem pour la création du monde, un requiem pour la résurrection. Des larmes pour la vie, des larmes pour la mort, mais aussi une extase, une illumination.  

J’aime The Tree of Life pour ses audaces, je l’ai déjà écrit un peu plus haut. Mais je reste ébahi devant la liberté de Terrence Malick, devant sa capacité à tout se permettre. Prétentieux pour certains. Mais pourquoi l’artiste n’aurait-il pas le droit de donner sa version de la fin des temps ? Pourquoi ne pourrait-il pas imaginer l’humanité naître chez un dinosaure ? Ridicule ou génial ?

J’aime The Tree of Life pour ce qu’il dit sur moi, sur ma vie, sur mes souvenirs. Je ne suis pas né dans une banlieue américaine des années 50, je suis fils unique, je ne suis pas Terrence Malick. Et pourtant ce film ne cesse de me parler et de m’évoquer des choses plus ou moins enfouies. Oui j’ai été enfant, oui j’ai un jour découvert ce que sont la mort, l’envie, la colère, le sexe, la compassion. Oui j’ai aimé et haï mes parents. Oui j’ai connu le deuil. Oui je voudrais changer le passé, j’aurais aimé savoir ce que je sais aujourd’hui. Oui, à un moment j’ai senti s’enfuir mon enfance et je l’ai regretté. Oui, je n’ai jamais vraiment su me réconcilier avec mon père. Oui je sais qu’il est difficile d’aimer, de pardonner, de comprendre. J’aime The Tree of Life pour tout ce qu’il dit, que je sois d’accord ou non.

J’aime aussi The Tree of Life pour ses acteurs, les enfants en tête. Oui, Sean Penn n’y fait rien et ce n’est pas plus mal (Malick est l’un des rares à savoir dresser cet infatigable cabotin). Mais j’adore le monolithe Brad Pitt et la céleste Jessica Chastain. Ils sont présents en tant que silhouettes, en tant que vaisseaux, en tant que notes parmi toute la symphonie. Presque accessoires et bien sûr essentiels.

J’aime The Tree of Life pour ce qui y est dit. Littéralement. Ces phrases qui résonnent parfois comme des prières et parfois comme des pensées innocentes. « Raconte-nous une histoire d’un temps dont on ne se souvenait pas encore ». Mot d’enfant improbable ? Pas forcément justement. On reproche à Malick de prêter à ses personnages des idées métaphysiques impossibles, en supposant que tous les êtres n’auraient jamais aucune capacité de réflexion au-delà du bout de leur nez. Comme si la guerre, la mort imminente, la découverte d’un nouveau monde, l’amour, ou d’autres moments-clefs de l’existence ne provoquaient pas des raisonnements, des questions, des doutes transcendants, même chez les hommes les plus « simples ». C’est aussi ne rien comprendre à la bienveillance inhérente au cinéma du réalisateur.

J’aime The Tree of Life parce que c’est un film que j’ai envie de revoir toute ma vie. Mais pas trop souvent. En laissant de longues durées entre chaque vision. Comme une photographie qu’on aurait peur de voir faner si elle était trop exposée à la lumière. Je ne veux pas m’en lasser, je ne veux pas l’épuiser, je veux l’aimer à chaque fois aussi fort et même davantage.

J’aime The Tree of Life pour m’avoir fait ressentir en un seul plan, finalement très simple, une impression de fin du monde. Un éclair au-delà des nuages. La conclusion de toute chose. Un coup au cœur. Avoir approché au plus près de l’expérience suprême, celle qui ne peut pas exister, l’expérience de sa propre mort.

J’aime The Tree of Life parce que c’est un film qui repousse mes limites, qui exige beaucoup de moi. A la première vision, j’ai cru être largué, je me suis senti décrocher aux deux tiers du métrage. Parce que c’était trop. Trop d’images, de sensations, de notions à apprécier, à vivre, à comprendre. Je me suis laissé porter et j’ai vogué jusqu’aux dernières minutes, celles qui éclairent et apaisent. A présent j’ai tout le temps pour faire de l’œuvre une partie de moi-même.

J’aime The Tree of Life parce qu’il m’inspire. Parce qu’il réclame de moi de penser différemment, d’être ouvert, d’être différent. Parce qu’il me montre des choses que je n’ai jamais vues. Parce que je ne suis pas croyant. Parce que j’y écoute une altérité pure qui parle pourtant tellement de moi.

Cela fait beaucoup de raisons pour moi d’adorer autant le dernier film de Terrence Malick. Et je ne les ai pas toutes exposées. Comme souvent j’évite sciemment d’entrer dans des considérations trop techniques ou élitistes. The Tree of Life se prête parfaitement à cette approche, tant c’est en premier lieu une œuvre de ressenti pur. Les mordus d’analyse filmique, de théologie, de montage, d’écriture de scénario, d’ontologie, de biologie, de physique… enfin, tout le monde, ou presque, pourra trouver dans ce film de quoi s’émerveiller et s’interroger. Je n’ai voulu qu’expliquer pourquoi j’aime The Tree of Life, le film qui semble chérir l’univers tout entier. Y suis-je parvenu ? Peut-être, au moins un petit peu, pas sûr. Qu’importe, un pont aura été bâti.


Jane Eyre

de Cary Fukunaga

La formule pour un film « d’art » est finalement aussi bien calibrée que celle d’un blockbuster. Avec cette nouvelle adaptation du Jane Eyre d’Emily Brontë, on voisine avec la « qualité Weinstein » que j’évoquais pour Le Discours d’un Roi. On prend un réalisateur étranger auteur d’un ou deux films remarqués (ici Cary Fukunaga, célébré pour Sin Nombre). On lui adjoint des acteurs en or (Mia Wasikowska, Michael Fassbender, Jamie Bell et l’indéboulonnable Judi Dench). On entoure ce beau monde d’une équipe technique parfaitement rodé. Et c’est parti pour une production made in BBC impeccablement emballée. C’est très beau, très bien fait et prévisible de la première à la dernière image tant, à un flashback près, le film colle au court roman.

Mais, et l’âme là-dedans ? Et le cœur ? Et le souffle ? Après tout, les sœurs Brontë ont traversé les siècles grâce à ce surcroît d’exaltation qui font de leurs ouvrages des chefs-d’œuvre toujours aussi saisissants. Ici, nous sommes dans le domaine de la copie parfaite, sans rature, sans imagination non plus. Scolaire. Si on lève un sourcil c’est lorsque Fukunaga se met à filmer quelques scènes rêveuses exactement comme Terrence Malick (après The Tree of Life, on peut s’attendre à voir fleurir une nouvelle génération de petits clones). Pour le reste, c’est superbement photographié, cadré avec un soin indéniable, c’est beau comme une crèche.

Bref, avec une mise en scène sans aspérité, il ne reste que les acteurs pour donner vie aux sentiments. Wasikowska est évidemment très bien dans le rôle principal et poursuit son joli début de carrière. Etrangement, c’est plutôt Fassbender qui déçoit, l’acteur ayant bien du mal à insuffler l’humanité et les nuances nécessaires à Rochester. Est-ce vraiment sa faute ? L’aspect figé de l’adaptation ne l’aide pas vraiment et il est aussi engoncé que le spectateur face à cette œuvre qui semble serrer les dents en permanence, de peur, sans doute, de commettre un impair. Tout le contraire de ce que réclame Jane Eyre. On tremble ainsi un peu pour la prochaine version des Hauts de Hurle-Vent (le roman qui balaie tous les autres romans), tout en gardant confiance en Andrea Arnold (Red Road, Fish Tank), cinéaste d’une autre trempe que Fukunaga et n’ayant pour l’instant jamais déçu nos espoirs.


Harry Potter et les Reliques de la Mort

(parties 1 & 2)

de David Yates

Je l’avais écrit en préambule de la critique du sixième volet, cela fait bien longtemps que les spectateurs peu ou pas intéressés par l’univers d’Harry Potter n’ont plus besoin se déplacer en salles à chaque nouveau chapitre. Les adaptations cinématographiques du sorcier à lunettes existent en tant que bonus luxueux à la lecture des livres. C’est du cadeau sur mesure pour les fans. Avec de vraies surprises et des trésors, mais aussi de longs trous noirs. Revenons un instant en arrière avant d’en finir.

  • Harry Potter à l’école des sorciers par Chris Columbus a posé les bases esthétiques, mais s’avérait pesant par sa littéralité. Presque pas d’adaptation, juste du linéaire. Attachant, néanmoins, comme le prouvait mon enthousiasme de l'époque. (6/10)
  • Harry Potter et la Chambre des Secrets encore par Columbus est l’épisode le plus faible. C’est toujours très beau, mais c’est quasiment du mot à mot pour ce qui demeure de surcroît le roman le plus dispensable. Bref, l’ennui est effroyable malgré quelques bons passages. (4/10)
  • Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban par Alfonso Cuaron est le vrai chef-d’œuvre de la série. Il faut reconnaître que Cuaron bénéficie de l’incroyable crescendo final écrit par Rowling. Les trouvailles de mise en scène sont devenues les marques de fabrique que reprendront les successeurs. L'indéniable sommet. (8/10)
  • Harry Potter et la Coupe de Feu par Mike Newell. Du meilleur livre, Newell accouche d’un épisode médiocre qui élimine presque toute la saveur du récit. Pire, il rate certains passages en or. Reste la scène du bal, charmante, mais c’est bien peu. (5/10)
  • Harry Potter et l’Ordre du Phénix par David Yates. En prenant les commandes, Yates se coltine le chapitre le plus laborieux sur papier et en tire un bon film qui tranche dans le lard et illustre au mieux les éléments indispensables (toute la conclusion dans le Ministère de la Magie, en particulier). (7/10)
  • Harry Potter et le Prince de Sang-Mêlé toujours de Yates. Le réalisateur a cette fois du mal à gérer ce roman encore assez faible et peine aussi à donner vie à la séquence la plus intense de toute la série (Harry et Dumbledore en quête de l’Horcruxe). C’est du travail bien fait, mais sans passion. (6/10)

Nous en arrivons au septième et dernier livre, scindé en deux pour les besoins de l’adaptation cinématographique. Au-delà des rentrées d’argent supplémentaires qui ont sans doute essentiellement motivé ce choix, il faut reconnaître qu’il s’avère judicieux. La première partie est dédiée au désespoir croissant des protagonistes et développe une impressionnante sensation d’angoisse et de fin du monde. On est à la limite du survival post-apocalyptique. Qu’il est bien loin le temps des enfantillages de la Chambre des Secrets, maintenant on meurt pour de vrai. C’est en constatant le chemin parcouru depuis les premiers films qu’on est d’autant plus touché par la tonalité étouffante du film. La narration, comme le visuel, tendent peu à peu à la disparition, jusqu’à une très belle scène de danse entre Harry et Hermione, désormais « seuls » au monde. Il ne leur reste presque rien, juste un petit coin de forêt invisible, un fragment d’espoir, une ambigüité entre l’amour et l’amitié, c’est tout simple, naïf et émouvant. C’est aussi le cœur d’un volet encore un peu longuet mais globalement saisissant grâce aussi à deux ou trois morceaux de bravoure (en particulier une réjouissante scène d’infiltration du Ministère de la Magie).

L’ultime chapitre débute de la plus belle des manières, en mettant en avant le personnage préféré de (presque) tout le monde : Snape. Logiquement, l’antihéros campé par Alan Rickman vole la vedette et se réserve les scènes les plus émouvantes. De la première minute de métrage jusqu’à la dernière réplique, Snape est enfin mis en avant comme la clef de voûte de toute la saga. Mené à un rythme d’enfer, cette dernière adaptation s’avère supérieure au livre, appuyant davantage là où il faut et réorganisant l’histoire pour en tirer les meilleures images. Le grand écart entre épique et intime, entre larmoiements et dignité, est exécuté avec maestria. Tout fait sens et justifie presque certaines errances qui ont précédé.

Avec ces 8 films, complémentaires de l’œuvre de Rowling, une certaine lecture nous a été donnée. Les livres n’ont pas été remplacés, ils ont été illustrés. Nul doute que l’avenir nous réservera d’autres versions et variations. Mais une génération de mômes et d’ados a sans doute trouvé là son Star Wars, son mythe fondateur. Dans 10 ans, dans 20 ans, dans 30 ans, c’est la larme à l’œil et la passion toujours intacte que des adultes reviendront auprès de ces films qui ont contribué à créer leur imaginaire. Au sein de toutes les débilités qui composent la culture populaire de notre époque, dans les vastes cloaques de la télévision et d’internet, dans les marasmes des divertissements, Harry Potter, avec ses nombreux défauts mais aussi ses innombrables qualités, a été une figure de proue des années 2000. Au fil de cette histoire, tous les sentiments, toutes les passions, semblent avoir été abordés, parfois avec des nuances inespérées. On a tous un peu grandi, un peu vieilli, avec ces gosses là. Difficile de ne pas être ému par leurs adieux.


The House of the Devil

de Ti West

L’art de l’imitation, peut être, comme son nom l’indique, un art à part entière. Quand il est accompli avec amour, il peut même donner naissance à des œuvres dégageant leur propre personnalité malgré le poids des références. Il suffit de penser à l’incroyable The Box de Richard Kelly, imitant soigneusement l’apparence des thrillers des années 70 pour mieux déployer son univers vénéneux.  Plus humble, The House of the Devil de Ti West n’en est pas moins remarquable. On a d’abord un peu peur quand débute le générique d’ouverture, décalque conforme, musique et police de caractères comprises, d’un bon vieux Carpenter du début des années 80. Double effet : nostalgie en plein dans la poire et frémissement perplexe. Va-t-on vers la parodie ? Va-t-on vers l’hommage appliqué et sans saveur ? C’est délicieux, mais on reste sur ses gardes.

On a tort. The House of the Devil est l’archétype du film artisanal d’une honnêteté sans faille. Ce qui nous est promis nous est offert, ni plus, ni moins. Un petit moment horrifique, prévisible mais façonné avec un amour du genre qui apparaît à chaque minute. Ah, on pourra rire de ce rythme anachronique, de ce suspens qui repose avant tout sur une visite en boucle des différentes pièces anodines d’une maison vide. Ah, voilà la cuisine, et puis là un bureau, oh, des toilettes ! Encore la cuisine, et là un placard. Fichtre ! Encore des toilettes... Facile de se moquer et c’est à ajouter au crédit du metteur en scène de parvenir à nous prendre dans son piège.

Il est bien aidé, il est vrai, par une actrice toute craquante (Jocelin Donahue) et par un vieux briscard du genre (Tom Noonan). Il faut sans doute avoir connu les vidéo-clubs des années 80 et les VHS charbonneuses pour apprécier la quintessence de l’hommage. Pourtant, en tant que suspens minimaliste, l’histoire garde la tête haute. Jusqu’au final, attendu, redouté, mais franchement impressionnant, avec tout ce qu’il faut de gore et de maquillage à l’ancienne. Œuvre humble, efficace, The House of the Devil en remontre à beaucoup de petits coqs du genre (le minable Insidious, au hasard). A encourager.


The Troll Hunter

de André Øvredal

Cruel hasard du calendrier, l’une des rares œuvres cinématographiques venues de Norvège est sortie dans nos salles en parallèle de l’effroyable tuerie ayant traumatisé le pays. Contrairement à certains critiques opportunistes qui n’hésitent jamais à dresser des comparaisons délirantes entre art et actualité (le 11 septembre à toutes les sauces, par exemple), nous nous contenterons du film et rien que du film. Soit une tentative de relecture mythologique sous forme de satire, bourrée de bonnes intentions mais au souffle court. Les trolls existent et trois étudiants ont rencontré un chasseur de bestioles à gros nez. La génération geek confond aujourd’hui les trolls scandinaves avec les gamins qui chahutent sur les forums du web, mais à la base, le troll n’est pas qu’un taré sans vie sociale et incontinent du clavier. Si le film parvient à nous faire croire sans trop de mal à ces erreurs de la nature venues du fond des âges, c’est ailleurs qu’il faiblit.

L’aspect "documenteur", vu et revu, s’enlise dès le départ dans une mise en place pataude. Aucun cliché du genre ne nous est épargné et surtout pas le : "tout est vrai, promis, juré, craché". L’œuvre ne cherche jamais à transcender la blague et se repose sur des protagonistes d’une transparence désolante (Cloverfield est un modèle de caractérisation en comparaison). Bref, on piétine en attendant les scènes spectaculaires. Celles-ci s’avèrent aussi sympathiques que peu nombreuses. Les trolls en eux-mêmes sont très réussis, mais leur qualité semble aussi démontrer que les auteurs n’ont pas cherché beaucoup plus loin que leur idée de départ. Les trolls existent, ils sont très bêtes et méchants. Et voilà. Le soin porté aux trucages  ne fait que souligner la vacuité de ce qui les entoure. Comme l’illustre le final dantesque (bien qu’un peu bâclé), il aurait mieux valu laisser de côté le pseudo réalisme pour s’ébattre davantage dans le féérique monstrueux. Le film préfère revenir sur le terrain de la farce, malheureusement pas très drôle et qui vire fréquemment à la private joke n’amusant que les norvégiens. Dommage, car le concept et les excellents effets spéciaux pouvaient accoucher d’une montagne plutôt que d’un gnome un peu rabougri.


Chico et Rita

de Fernando Trueba et Javier Mariscal

Un film d’animation dont on peut prévoir le déroulement de la première à la dernière scène, porté par une bande-son usée jusqu’à la corde et une technique chancelante, peut-il s’attirer un peu de tendresse ? Pourquoi pas, après tout ? Vu que Chico et Rita joue à fond la carte de la nostalgie un peu poussiéreuse, de la nonchalance et du pantouflard. On pourrait en ce sens le comparer au déchirant L’Illusionniste de Sylvain Chomet. Mais là où le réalisateur français se basait sur un scénario et l’univers de Jacques Tati (on peut trouver pire référence), Chico et Rita ne repose que sur un squelette de narration et de mise en scène. Il n’y a ni la reconstitution méticuleuse, ni la mélancolie bouleversante du film de Chomet, il n’y a plus qu’une histoire qui navigue entre mélo cousu de fil blanc et documentaire rugueux sur une époque idéalisée. Aucun des deux aspects ne se révèle passionnant et on attend en vain la séquence, ou même le plan, susceptible de nous tirer de notre torpeur. Même les nus intégraux féminins (mais jamais masculins…) ne viennent créer la surprise. Aucune aspérité, juste un travail artisanal dont on devine sans mal la sincérité et l’application. Mais si c’était suffisant pour faire du bon cinéma, on vivrait dans le meilleur des mondes possible, non ?


Rango

de Gore Verbinski

Johnny Depp c’est un peu « monsieur parfait », le gars qui a tellement de qualités qu’il met la honte à tous ses semblables par sa seule existence. Bref, même lorsqu’il s’agit de faire le pitre sous la forme d’un caméléon de dessin animé, Johnny Depp excelle. A la base, Rango est un film à sa gloire, un cadeau offert par son comparse Gore Verbinski auquel il doit le triomphe de Pirates des Caraïbes. Un petit divertissement familial sous forme de western parodique et sous l’égide de la section animation de Paramount Pictures, nettement à la traîne par rapport aux autres grands noms du genre. Sur le papier, pas de quoi se lever de bonne heure et se précipiter dans les salles. La réussite n’en est que plus remarquable, tant elle est inespérée.

Dès les premiers instants du film, Johnny Depp s’impose, juste par la voix et par le biais de ce caméléon maniaco-dépressif. La tonalité surprend aussi, franchement adulte, ne lésinant pas sur les gags surréalistes et les références éloignées de l’univers enfantin (citation du Las Vegas Parano de Gilliam à l’appui). C’est un film « trip », qui picore tout ce qu’il y a de bon chez les voisins. On est ravi de découvrir une œuvre aussi proche du niveau de Pixar, l’ambition et l’émotion en moins. Car, voilà, sur l’humour et le spectacle, sur la tonalité générale et la générosité, on est ici à la hauteur du studio de John Lasseter. Manque juste un peu de souffle et pas mal de cœur. C’est d’ailleurs lorsque Rango essaie de coller à un scénario plus linéaire et à faire preuve d’un peu de sentiments qu’il fléchit. Le dernier quart du film s’avère légèrement décevant et le vrai climax se situe lors d’une démentielle poursuite avec attaque aérienne épique.

Mais qu’importe cette conclusion qui sonne un peu faux, le métrage est dans sa majeure partie totalement réjouissant et mené à un train d'enfer. La galerie de protagonistes, tous plus tarés les uns que les autres, déverse une farandole de gags et de répliques allant du coup de génie Montypythonesque au mauvais goût le plus outrancier. Fort heureusement, tout fait (presque) mouche. L’hommage à l’univers des westerns est par ailleurs joliment exécuté (dans tous les sens du terme).  Ce n’est pas un chef-d’œuvre, mais c’est pour l’instant le film le plus drôle de 2011. Et quitte à passer pour un bourrin nostalgique des années 80, je crie : vivement Rango 2, la Mission !


The Tree of Life

de Terrence Malick

(2/3)

Depuis ma première critique, The Tree of Life a logiquement remporté la Palme d’Or du Festival de Cannes et a connu un succès relatif. Malgré tout, le rejet, parfois virulent, engendré par le film est assez hors du commun. Beaucoup d’œuvres plus difficiles d’accès sortent chaque année, chaque semaine même. Certes, The Tree of Life a attiré en salles un public peu ou pas du tout habitué à une narration et des thèmes originaux. Certes, le double marketing Europa Corp (la maison de distribution de Luc Besson) et Festival de Cannes a drainé des spectateurs qui ne savaient pas du tout à quoi s’attendre. Pourtant, comme je l’avais déjà mentionné, les œuvres précédentes de Terrence Malick, ainsi que la magnifique bande-annonce, annonçaient plus que clairement le contenu du film. Les réactions outragées et outrancières paraissent souvent motivées par des refus plus profonds, voire inconscients. Nul problème à comprendre cela, tant le propos de Malick touche certains des points les plus sensibles et tourmentés de notre esprit (enfance, culpabilité, doute, croyance, mort…). L’effet miroir, plus ou moins évident, ne peut que perturber, avant même que la forme ne nous décontenance.

Certaines « critiques » récurrentes prêtent néanmoins à interrogations et dépriment quant aux capacités d’attention, d’émerveillement et d’ouverture d’un public habitué à pouvoir zapper à toute vitesse dès que quelque chose lui déplaît, le perturbe ou le questionne. La lecture des avis spectateurs sur AlloCiné est édifiante. La moitié des auteurs des notes négatives admet, et même se vante, de ne pas avoir vu le film en entier. Beaucoup d’entre eux affirment être sortis après 20 ou 45 minutes maximum. Comment dans ce cas prétendre avoir vu Tree of Life ? Comment être capable d’émettre la moindre ébauche de jugement ou d’opinion ? Mais d’autres reproches laissent tout aussi pantois. Les termes « Chrétiens », « Catholiques », « Religieux », sont employés comme des défauts, voire des insultes. Une logique à toute épreuve qui suppose qu’il faudrait raser Notre Dame et remiser le Saint Jean Baptiste de Leonard de Vinci dans les bas-fonds du Louvre. Pire, la représentation de pensées transcendantes se voie parfois qualifiée de « New Age » ou même de « Scientologue » (on cherche encore la moindre trace de propos sectaire). Il y a de quoi en perdre bien plus que son latin.

De même, il semblerait que Microsoft, dans sa toute puissance, soit aussi l’inventeur de tous les paysages terrestres et célestes. Pas moins. Il serait désormais impossible de filmer de belles images sans verser dans le « fond d’écran Windows », l’insulte suprême pour dénoncer tout ce qui a trait à l’émerveillement face à l’univers. Mettre un Requiem sur des plans de constellations, c’est s’exposer à la vindicte de tous les cyniques, de tous les « croque-curés » empaillés, de tous les geeks rageurs.   Sans parler de ceux qui auront vu ici un remake de Jurassic Park (pour trois minutes de dinosaures sur 2h30 de métrage) ou là un avatar du Home de Yann Arthus Bertrand (dont une image, UNE image, est effectivement issue, dans un contexte totalement différent). Mais non, dans l’époque de l’immédiat, du prémâché, du facile, de l’assisté, il n’y a plus aucune place pour la moindre allégorie, pour la création du sens, pour le travail de l’imagination et de la raison. On voit un dinosaure, c’est juste un dinosaure, comme dans le film de Spielberg, là. Un dinosaure. Quoi. Pas annoncé en gros sur l’affiche. Les cerveaux disjonctent, le peu de raison éveillé répond par le rire, la moquerie, l’incompréhension. Impossible de faire le moindre effort d’interprétation. On se plaint des blockbusters où tout est clarifié, surligné, radoté jusqu’à plus soif (le fameux « syndrome Nolan »), mais on se rend compte avec The Tree of Life que ces explications abondantes sont nécessaires. Sous peine de perdre une bonne partie du public.

Et pourtant le film de Terrence Malick est on ne peut plus explicite, rarement vraiment abscons, souvent d’une évidence absolue. Les symboles les plus canoniques sont évoqués. Que l’objet de l’éveil du désir sexuel soit noyé dans la rivière (représentation maternelle) ou qu’il soit clairement fait évocation de la fin des temps avant la dernière partie du film où toutes les époques et tous les possibles se superposent, l’œuvre tend ses clefs de lecture avec générosité et une vraie bienveillance. Certes, au milieu de ce déferlement d’images, de perceptions, d’idées, de concepts, certains se font plus retords (une chaise bouge toute seule, hommage incongru au final de Stalker ?) et heureusement, tant il sera agréable de revenir encore et encore auprès d’un film qui semble en contenir des milliers.

Face à l’avalanche des avis négatifs, argumentés ou non, on se sent d’abord submergé par une grande tristesse. Pourquoi une œuvre qui nous semble si essentielle, qui est de la trempe des films qui changent l’histoire du cinéma, est-elle à ce point rejetée ? On se souvient que ce fut le cas de plus d’un chef-d’œuvre avant elle (de La Nuit du Chasseur à Brazil). Au final, on ne peut que s’abandonner aux conclusions de The Tree of Life, se laisser porter par sa bonté, éprouver la même compassion que celle qui triomphe peu à peu en son sein. Tous les instants de nos existences sont déchirés par les tourments, les regrets, les doutes, mais lorsqu’on lève le regard au-delà du précipice, nous ne sommes jamais à l’abri d’apercevoir un reflet de la Grâce. Nommez-là Dieu, Nature, Univers, Art, Vie, Amour, Mère, Père… Appelez-là comme vous le souhaitez, elle est ce qu’il y a de plus intime. Avec un film, une œuvre d’art dont je connais bien peu d’équivalents, Terrence Malick nous a offert un miroitement de cette intimité sublime. A mes yeux, rien n’est plus beau.


Insidious

de James Wan

Certains spectateurs sont hermétiques au cinéma de Terrence Malick, d’autres à celui de David Lynch. Pour votre serviteur, c’est l’œuvre de James Wan qui demeure un mystère. Après avoir fondé la médiocre franchise Saw, le bonhomme s’est fendu de deux navets (Dead Silence et Death Sentence) qui ont trouvé des adeptes. Il revient aujourd’hui avec un nouveau nanar de compétition, Insidious, à la fois son film le plus désolant, mais aussi le plus drôle. Composé dans sa plus grande partie d’un remake/plagiat minable de Poltergeist, cet effort déborde d’instants du plus haut comique. Le suspens s’ébauche dans les prémisses d’un Paranormal Activity de sinistre mémoire avant de rapidement céder aux effets les plus éculés, ici poussés au paroxysme du grotesque (« Ah mon Dieu, y a un gothique caché dans ma chambre ! »). Il faut ajouter un méchant sosie du Darth Maul de la Menace Fantôme qui se révèlera un clone arthritique de Freddy Krueger mâtiné du Jeepers Creepers, dont le réalisateur ne fait strictement rien. De séances de spiritisme ridicules en verbiage ésotérique sans intérêt, Insidious pourrait nous endormir sans mal...

Heureusement, l’humour l’emporte. Des séquences du style « Ah mon Dieu, un ptit gueux fait des claquettes dans mon salon, j’ai peur ! », en passant par l’attaque d’Helena Bonham Carter période Tim Burton, ne peuvent que nous tirer des sourires, voire de francs éclats de rire. Très content de lui, James Wan va jusqu’à citer son ineffable Dead Silence et en reprendre plus ou moins le final. Tant qu’à faire. Au point où il en est. Mais seulement après avoir versé dans l’hommage involontaire au Pedo Bear du net avec une photo de Darth Maul dansant un twist endiablé avec un gamin en pyjama. Cela ne s’invente pas.

Au milieu du marasme, les comédiens s’avèrent tous nuls, et il faut voir les pauvres Patrick Wilson et Rose Byrne lutter avec les scènes de caractérisations les plus indignes (« Tu n’es jamais là, tu fuis comme tu as toujours fui ! »). La réalisation de James Wan est toujours aussi toc, avec tremblement, flashes et autres routines dignes d’un vieux clip de Marylin Manson. Souvent proche de la série Z, le film ne mériterait pas qu’on soit aussi méchant avec lui s’il n’était pas mis en avant comme un grand moment de cinéma fantastique. Dans un genre qui a vu la création des Innocents, de La Maison du Diable ou plus récemment de Dark Water et de L’Orphelinat, difficile de prendre au sérieux ce machin sans la moindre once d’originalité et dont le dernier quart d’heure ressemble à s’y méprendre à la visite du Manoir Hanté de Disneyland. Oui, présenté ainsi, ça peut créer l’effroi…


X-Men : First Class

de Matthew Vaughn

On pourrait aller à l’essentiel et ne pas développer inutilement ce qui ne mérite pas vraiment d’être expliqué : X-Men First Class est le meilleur film (et de très loin) de la franchise X-Men au cinéma. C’est même la meilleure adaptation Marvel (à égalité avec le Spider-Man 2 de Sam Raimi). Il renvoie toute la trilogie, plus ou moins chapeautée par Bryan Singer, au rang de vaste blague. Même le second opus, qui a des qualités, paraît très fade en comparaison. Il faut dire qu’il y a enfin un vrai metteur en scène aux commandes : Matthew Vaughn. Celui de Stardust (son sommet, bien aidé par Neil Gaiman) et celui de Kick-Ass (une relecture carrément supérieure à la BD complaisante de Mark Millar). Résultat ? Vaughn saisit les X-Men à bras-le-corps, tranche au maximum dans les besoins de continuité et signe une sorte de « reboot » idéal. Dans un monde parfait, les X-Men repartiraient de là. De ce plaisant mélange entre James Bond, thriller politique 70’s, bricolage 80’s et films de super-héros des années 90. Le spectre des genres couverts par First Class est impressionnant et sans doute un peu trop ambitieux, surtout que le film a été accouché dans la douleur. Mais peu importe, le résultat à l’écran est formidable. Avec de vrais enjeux et, enfin, de vrais acteurs, Vaughn parvient à faire exister sa ribambelle de héros aux pouvoirs plus ou moins grotesques. Même Banshee et Havoc nous semblent plus familier que cette endive de Storm au bout de trois longs-métrages.

Il faut avouer que l’artillerie lourde est sortie : Michael Fassbender, James McAvoy, Kevin Bacon, Jennifer Lawrence, Rose Byrne… Clairement tous plus impliqués que la majorité des intervenants des films de Singer. Vaughn a tout compris, il fait un divertissement qui ne s’adresse pas aux ayatollahs Marvel (de toute façon, je préfère DC, au cas où vous n’auriez pas encore compris), mais qui tente de réconcilier les amateurs des œuvres de Singer et… ceux qui aiment bien les super-héros mais sans avoir beaucoup ouvert de Comics dans leur existence (et oui, ça arrive). Entre une fraîcheur de l’âge d’or des 60’s et des élans tragiques outrés comme ces sagas les affectionnent (tous les personnages sont morts au moins une fois), il y a de quoi s’amuser. Il y a même les sucreries qui prouvent que le réalisateur est là pour nous faire plaisir. Exemple ? L’intégralité du casting féminin se retrouve au moins une fois en petite tenue. Là. C’est pas du grand cinéma, ça ? Si. Et il y a même un gros thème musical héroïque qui décoiffe, un truc qui te change du « poiiiiin poooooiiiiiin » de Hans Zimmer dans Batman. Ah oui, ça fait du bien.

Bien sûr les sbires du grand méchant sont toujours quasi inexistants (mais ce n’est pas pire que les traitements infligés à Sabertooth, Toad ou Lady Deathstrike dans les épisodes Singer). Un petit effort est effectué du côté de ce gros parpaing d’Emma Frost, interprétée de manière monolithique (forcément) par une January Jones tout décolleté atomique en avant. Mais après tout, on était là pour Magneto, pour Xavier, pour Mystique aussi, hein, mazette, Jennifer Lawrence, la prochaine grande d’Hollywood, à croquer, comme d’habitude. On n’est pas déçu. Ca fonce, ça bondit dans tous les coins, avec des détails et des explosions, de l’humour et des larmes. Un rêve de blockbuster généreux. Le truc qui te fait oublier les horreurs du style Iron Man 2 ou L’Incroyable Hulk (et Wolverine, donc). Un truc à te faire aimer l’univers Marvel. Oui, c’est vraiment bien. Je vous le dis. Ca donne envie de voir la suite. Ca donne presque espoir en un film dédié au déjanté Deadpool. Mis en scène par Matthew Vaughn. Le rêve.


The Tree of Life

de Terrence Malick

(1/3)

The Tree of Life, le voir une première fois c’est laisser la graine entrer dans notre cœur. A présent le film va grandir, murir, avec les années, avec nous. Rien de ce que je vais écrire ne peut vous préparer à ce que vous allez découvrir. L’expérience cinématographique pure qui nous rappelle pourquoi nous aimons tant cet art et pourquoi il nous émerveille encore. Dans le nouvel opus de Terrence Malick, les images vraiment symboliques n’occupent qu’une toute petite partie du métrage, l’essentiel est un récit d’enfance, des plus intimes, et condensé sur l’espace d’un été. Par fragments, par petites perceptions, les sensations nous renvoient à nos propres souvenirs. Largement autobiographique, suprêmement Proustien, le film est tout aussi personnel qu’universel. De l’infiniment petit à l’infiniment grand, il semble contenir toute l’existence en une fraction de temps. Après avoir traversé les millions d’années en quelques minutes, le récit adopte le rythme de la vie elle-même. La durée s’allonge, et d’ellipses en ellipses finit par se figer, jusqu’à l’éternité. The Tree of Life demande notre abandon, il fait corps avec nous. Il fait écho à notre histoire, notre apprentissage, nos conflits, nos regrets, notre vécu.

S’il est une œuvre de cinéma à rapprocher évidemment de The Tree of Life, c’est Le Miroir d’Andréi Tarkovski, avec lequel il partage son thème principal et des plans entiers. Mais Malick, comme le réalisateur Russe, rêve d’un film total et en appelle autant à la musique qu’à la littérature, la science, la philosophie, la peinture ou même la danse. Rarement un film aura paru autant en mouvement, et tout aussi prêt à s'arrêter dans la contemplation. La caméra ne cesse de virevolter à toute vitesse, avant de monter lentement entre les branches des arbres. Tout ici est du niveau d’évocation des dernières minutes du Nouveau Monde (peut-être les plus belles du 7e art, rappelons-le). L’ambition est logiquement vaine, et le metteur en scène ne le sait que trop bien, mais l’essence est présente à chaque plan. Il est ainsi facile d’être écrasé par Th Tree of Life. Le film nous rend humble, nous renvoie à nos limites, nos peurs et nos faiblesses. Il demande le même travail d’interprétation, ardu, passionnant, théologique, que le Requiem de Mozart, que le retable de Grünewald ou que l’Ethique de Spinoza. Les réactions de rejet tombent sous le sens, comme toujours face aux chefs-d’œuvre exigeants. Mais quelle puissance immédiate ! Quelle richesse ! Mais aussi quelle douceur, pour ce qui est l’œuvre la plus apaisée de Malick, la somme de tout ce qu’il a raconté précédemment et peut-être une ouverture vers une nouvelle étape de sa carrière.

"Dieu ou la Nature", comme dans toutes les méditations précédentes de l’auteur. Le Sacré, la Foi, la Force qui encourage notre âme à s’élever. Croyance en une transcendance, une vérité inaccessible, et une bonté universelle. Des concepts à jamais inatteignables, toujours inconnus, mais que le réalisateur nous laisse apercevoir. Un cadeau inestimable. Comment reprocher à Malick d’être un « cul-bénit » lorsqu’il nous donne à ressentir les débuts et la fin de notre monde au plus proche des connaissances scientifiques actuelles ? Comment ne pas être bouleversé lorsqu’il accorde la compassion, et sans doute l’âme, à des créatures primitives, loin de tout créationnisme aveugle ? Malick évoque la religion comme Bach, De Vinci, Lucrèce ou Dreyer. Avec le sentiment absolu de la transcendance, la fascination pour le mystère, le poids du doute et l’éclat de la grâce. Le réalisateur n'affirme jamais, il ne cesse de chercher. Ainsi l’ascension est partout, le désir de paix et de pardon, aussi. Jusqu’à un final idéal, projection d’une prière bouleversante. Tout fait sens, pour le meilleur, l’impossible, le plus grand des désirs. En un éclair très concret, Terrence Malick dévoile la fin de l’univers. Pour mieux nous rassurer avec l’espoir et l’éternité.

Prétendre qu’il s’agit du plus beau film du monde est tout aussi ridicule que de s’en moquer. Malicieusement, Malick glisse même une définition de la subjectivité en plein milieu de son récit. Gratuitement ? Non, pour mieux renvoyer les opinions à leur gentille vacuité. Après tout, les œuvres de l’auteur se complètement, discutent sans cesse entre elles à travers les décennies, pour mieux former un corpus cohérent et unique. Il y a trop à dire sur ce film, en fait il y a tout à dire. C’est pourquoi j’y reviendrai après une seconde vision et quelques semaines de recul. Mais en conclusion provisoire, en triomphe de la subjectivité, je dois avouer que pour mille raisons, toutes plus personnelles les unes que les autres, Th Tree of Life m’a bouleversé et c’est sans doute tout ce qui compte vraiment, ce qui est ressenti et indicible. Le chuchotement au fond de l’âme, le verbe premier et celui qui nous mènera à la fin de toute chose.

"Guide us...to the end of time..."


Pina

de Wim Wenders

Sortons en grandes pompes les clichés de la critique cinématographique, car, pour une fois, comment évoquer la réussite de ce documentaire sans, riez donc, mentionner les fameux « corps en mouvements » ? Qu’ils soient inertes ou hystériques, les corps chez Pina Bausch expriment avec violence tous les sentiments humains. Dans ses instants les plus admirables, le film de Wim Wenders trace une route inattendue, mais logique, entre le cinéma muet et celui en 3D. Une manière de boucler, provisoirement bien sûr, une boucle qui irait des origines jusqu’à nos jours. Certes, Pina ne peut pas se juger uniquement sous l’angle cinématographique. Sa splendeur provient essentiellement du travail de Bausch et surtout de ses danseurs.

Mais il serait tout aussi faux de nier l’apport de Wenders qui signe là le plus beau film 3D de l’histoire du cinéma. Contrairement à une myriade de produits à la 3D torchée en post-production ou conçue par des réalisateurs à côté de la plaque, chaque plan de Pina s’ouvre sur la profondeur. Parfois, la performance relève un peu du gadget, à d’autres moments elle touche au sublime. Les scènes en extérieur sont en ce sens inoubliables, tant on peut percevoir chaque bruissement dans les frondaisons des arbres ou même le passage impromptu d’une abeille au premier plan. Des détails, sans doute, mais qui contribunte à cette célébration totale du mouvement, de l’espace, de l'être vivant. Wenders vise la démonstration de force, déploie un énorme travail de localisation, déroule l’attirail des mouvements d’appareil, sans jamais trahir la pensée de Pina Bausch. Et c’est, fort heureusement, elle, la star.

Elle et ses danseurs, tout autant célébrés, dans leur hétérogénéité bouleversante. Les principales œuvres sont évoquées au travers de longs extraits et nous pouvons en percevoir les détails comme jamais auparavant. Le film n’a pas pour but de remplacer les spectacles, encore moins la réalité de l’expérience. Il est une introduction, un accompagnement, une coda. L’aspect documentaire se refuse à nous apprendre quoi que ce soit sur Bausch et son travail, à part quelques bribes, une poignée de lieux communs, souvent remplacés par les silences et les regards des danseurs face caméra. Au final, les perspectives offertes par le film confirment que la 3D est loin d’être un gadget. Si son utilisation est actuellement essentiellement au service du spectaculaire, des explosions, des effets en tout genre, Wenders prouve qu’elle est tout aussi impressionnante, et surtout touchante, dans sa plus grande simplicité.


The Green Hornet

de Michel Gondry

Drame de la dictature de la culture geek, Hollywood ne sait plus comment tourner les films « d’origine ». Vous savez, ceux qui présentent et mettent en place un univers, un héros (ou plusieurs), des antagonismes et tout le tralala. Drame, oui, de la vindicte des fanboys qui interdisent à présent qu’on prenne la moindre liberté avec leurs petits mondes engoncés dans des storylines de plus en plus compliquées. Il faut que tout soit là, et de préférence de manière « crédible », d’où les interminables blah-blah et autres radotages qui permettent à un film dédié à Batman de ne présenter le personnage en costume et en action (illisible, d’ailleurs) qu’au bout d’une heure de métrage. Ce serait donc la malédiction des premiers films conçus pour créer des franchises.

A quelques exceptions près, ils existent à peine, ne prenant leur essor que dans leur dernier tiers pour une scène d’action explosive et généralement assez satisfaisante. De Transformers à Spider-Man en passant par Iron Man, les présentations ne peuvent se passer de circonvolutions plus ou moins heureuses et plus ou moins interminables. Qu’on se souvienne du premier Batman de Burton, là, tenez, par exemple. Il avait d’autres défauts, certes, et sa suite lui est aussi mille fois supérieure, mais Batman était là en moins de cinq minutes, et tout était en place en quelques instants, voire en quelques plans. Mais non, maintenant il faut du « crédible » et le torturé ne se conçoit plus sans une bonne dose de sérieux inébranlable et d’explications verbeuses. Le syndrome Nolan, pourrions-nous l’appeler.

The Green Hornet aurait pu échapper à ces travers sous couvert de son aspect franchement parodique.  Mais non, car de manière sans cesse surprenante, le film hésite entre deux tonalités sans jamais choisir. Grosse blague potache qui permettrait à Seth Rogen de lancer des pets explosifs pour faire sauter les méchants ? Non. Vrai duo dynamique pour lequel on s’attache et on tremble ? Pas davantage. Pendant plus de la moitié de l’histoire, on se doute bien d’où l’on va et surtout on se demande pourquoi on n’y va pas plus vite, tant qu’à faire. Ce n’est que dans son dernier tiers (forcément) que The Green Hornet se réveille, après une très symbolique et jouissive scène où les deux héros têtes à claques en viennent aux mains pour savoir qui est le chef, bordel, dans cette galère. C’est à la fois très drôle et enfin impliquant.

Alors le film ne nous lâche plus et confirme les quelques bons moments qui ont précédé. S’en suit un final destructeur que n’aurait pas renié Michael Bay. Faut tout faire péter dans la joie, la bonne humeur et l’inventivité régressive. Dans les dernières minutes, le trio Rogen/Chou/Diaz fonctionne enfin et promet le meilleur pour la suite… Mais pourquoi faut-il se farcir pratiquement 1h30 de métrage pour en arriver là ? Doit-on tout pardonner à une œuvre qui débute dans la nullité et finit, à la force du poignet, par se rendre aimable ? Bof. Ah, et par ailleurs c’est mis en scène par Michel Gondry, mais ça pourrait être n’importe quel teckel de l’écurie Bruckheimer que ça ne changerait pas grand-chose, à une chanson des White Stripes près.


Dream Home

de Ho-Cheung Pang

Un drame social, voyez-vous. Une femme opprimée psychologiquement par le rêve capitaliste de posséder son propre appartement, dans un beau quartier de Hong-Kong, avec vue sur la baie. Ce n’est pas un film communiste pour autant, même si l’histoire s’écrit en rouge. En rouge sang. Un drame social sur fond de pré-crise. Une plongée dans l’esprit d’une demoiselle qui vacille. Flashbacks sur flashbacks, narration qui s’éclate, pour toujours revenir au soir du crime. Des crimes. Une boucherie, un massacre. Histoire de faire baisser la valeur des appartements dudit immeuble rêvé. Malin. Même si peu finement exécuté. Charcuterie. Gore ignoble.

Un drame social inspiré d’une histoire vraie. Cela pourrait être votre affligeant film français (ou britannique) de la semaine. Mais non ! Pas parce que le trash se déverse à flot dans une fantaisie souvent hilarante par sa verve grand-guignolesque. Non, des films d’horreur « sociaux », on sait faire en France. Enfin, on essaie. En vain. Mais bon, on sait que ça existe. Si on ne voit pas de Dream Home dans notre gentil pays c’est avant tout parce que le film est beau. Le metteur en scène est un « show off », comme on les aime. Des plans tarabiscotés, des filtres partout, une haute définition à tomber à la renverse. De la première à la dernière image, Dream Home a une vraie gueule de cinéma, une vraie gueule de vrai film. Le plus formidable ? Il ne sort même pas en salles chez nous. Directement en DVD. Comme Room in Rome, comme The Fall, comme Southland Tales. Des œuvres sans doute indignes de polluer quelques salles de MK2. Le message est clair : si vous aimez le cinéma, restez chez vous !

Mais peu importe, en fait, un bon film reste un bon film, quels que soient le lieu, le support et l’occasion. Dream Home est remarquable, joliment porté par l’actrice Josie Ho et sa coupe piquée à Eleanor Friedberger. L'estomac bien accroché, il vaut mieux avoir. On y ressent les mêmes frissons dégoûtés et heureux que devant les plus ludiques exactions du genre. Avec un prime un cerveau (suintant), un cœur (perforé), des tripes (sur le parquet) et une vraie gueule de cinéma. Que demander de plus à une bonne tranche d’horreur ?


Tron Legacy

de Joseph Kosinski

Où va le cinéma ? A sa perte sûrement si on considère qu’il y a des têtes pensantes à Hollywood prêtes à investir 170 millions de dollars (et même un peu plus) dans la suite d’un nanar geek des années 80. Oui, mais en 3D, madame ! Comme pour faire honneur à une mini saga de deux films entièrement dédiés au bling-bling, ou plutôt au blip-blip, technologique. A l’époque du premier Tron, l'histoire lorgnait sur Star Wars en y rajoutant une bonne couche de cul-bénît, cela mènera quelques temps plus tard aux ratatouilles métaphysico-religieuses de Matrix. Rebond pour rebond, Tron Legacy reprend là où Matrix s’arrêtait, avec des bugs et des dieux dans la machine. En fait, non, Tron 2 se donne un certain mal pour recoller les morceaux avec le premier film, avec une coupable nostalgie pour un pauvre effort qui n’avait pour lui que son visuel étonnant et l’interprétation totalement au second degré de Jeff Bridges.

Bridges, toujours aussi grand, même si très sérieux ce coup-ci. Fini la bonhommie des années 80, l’heure n’est plus aux Han Solo et autres Indiana Jones. Harrison Ford est momifié et Jeff Bridges oscarisé. Il serre donc très fort la mâchoire, que ce soit en vrai vieux ou en virtuellement rajeuni. Que reste-t-il alors ? Le visuel, bien sûr, joliment lifté, parfois impressionnant. La 3D, quand même, avec l’un des rares films vraiment conçus pour le procédé. Et la musique, surtout, une partition démentielle des Daft Punk qui plonge le contrit Hans Zimmer dans les grésillements de HomeWork. Plans et musiques font ainsi parfois vibrer, comme sur l’incroyable générique d’ouverture avec son travelling impossible ou sur les quelques scènes d’action. Mais en quasi remake du premier opus, Tron Legacy en garde les points forts (l’arène des jeux et l'esthétique électrique en gros) mais aussi les points faibles (le blah-blah ésotérico-pouêt-pouêt qui fait marrer les fans de japanimation).

Bref, c’est bête mais sympa à regarder, à l’image d’Olivia Wilde, aussi potiche que taillée pour les posters de chambres d’adolescents transis. Malgré tout, Tron Legacy n’a pas beaucoup de mal à se hisser au-dessus de son prédécesseur. Mieux interprété, plus rythmé (enfin, tout est relatif…), plus beau, un chouia mieux écrit, le film s’avère un chouette divertissement. On n’en garde que peu de traces une fois les lumières rallumées, mis à part l’envie d’acquérir la Bande Originale, ce qui peut être accompli sans hésitation. Pas si mal, donc.


Le Discours d'un Roi

de Tom Hooper

Pendant que l’arrière-petit fils convole, on célèbre grand-papa et son courage face au handicap. Le film à Oscars suprême, évidemment. Enfin, un peu moins qu’un bon vieil Amadeus quand même, et en mille fois moins réussi, rassurez-vous. Alors quoi ? La « qualité Weinstein », pas plus, pas moins. Mais dans son accoutrement le plus présentable. Du travail bien fait. Grosses performances (Geoffrey Rush étant tout aussi méritant que Colin Firth), gros sujets (le pouvoir, la famille, l’honneur, la vie, la mort….), grosse reconstitution d’où rien ne dépasse, grosse émotion mais toute en retenue (ou presque), forcément le gros succès se déverse. Pamoison. Pour ce qui est l’archétype du bon film. Difficilement attaquable parce que calibré pour plaire.

Bref, pour démolir Le Discours d’un Roi il faudrait trucider tout un pan du cinéma. Mais ce serait aussi en nier les qualités et l’utilité. Voilà qui remplace avantageusement les cours d’histoire rébarbatifs, malgré les omissions. Voilà qui cultive les foules, divertit « intelligemment ». Que demander de plus ? Ah oui ! Du souffle ! Des risques ! Amadeus, quoi ! Mais oui, mais non. La qualité Weinstein atteint rapidement ses limites. Elle est à fond, là, elle termine essoufflée, sur les rotules, elle a tout donné. Ce serait mentir que de prétendre qu’on n’a pas passé un bon moment devant Le Discours d’un Roi. Mais, comme avec Tron Legacy, aussi tôt vu, aussi tôt oublié. Et, cette fois, on n’a même pas envie d’acheter la BO.


Sucker Punch

de Zack Snyder

C’est la Grande Evasion des Dindes. Panique au poulailler. Chicken Run, mais sans humour, sans scénario, sans personnage, sans mise en scène, sans rien. Comment rater des scènes impliquant un mécha lancé dans un univers de nazis steam punk, un dragon joliment conçu ou un évident plan séquence spectaculaire de combat contre des robots vindicatifs ? Comment se viander en choisissant pour emblèmes des nymphettes en guêpières et porte-jarretelles ? Comment louper le classique hymne au rêve et à la volonté ? Il faut sans doute le voir pour le croire, mais Zack Snyder y parvient totalement. Tout Sucker Punch confine à la nullité. Les propositions restent à l’état de possibilités ruinées par une histoire consternante, des protagonistes inexistants, une mise en scène d’une laideur indicible (et bien souvent illisible) et en particulier des choix musicaux voisinant avec le crime contre l’humanité. Déjà douteuses par le passé, les tendances musicales de Snyder se dévoilent ici dans toute leur ignominie. Les Beatles, les Stooges, Eurythmics, Jefferson Airplane, Queen et même les Pixies se font copieusement uriner dessus par des reprises purulentes qui donnent envie de vomir par les oreilles.

Composé aux deux tiers par les atermoiements des dindes dans une réalité alternative bourrée d’invraisemblances, le film réserve une poignée de scènes d’action qui finissent par ressembler à des jeux vidéo foireux, sans même l’excuse de l’interactivité primaire. Sucker Punch célèbre alors la défaite du cinéma face au nouvel art, en un aveu d’impuissance caricatural, d’une frigidité à toute épreuve. N’importe qui préférera se jeter dans les bras d’une Bayonetta pour la jouissance sexy et ébouriffante ou se tourner vers Bioshock pour plonger dans une uchronie steam punk débordant d’émotions et d’atmosphère. Les geeks seront dégoûtés de voir Snyder se torcher avec des imageries qu’ils affectionnent. Quant aux autres ils seront vite écœurés par ce worst of indigeste qui échoue là où d’autres ont si brillamment réussi (de Scott Pilgrim à Speed Racer).

Le film affiche par ailleurs une forme de sexisme de petit ado coincé. Les actrices (dont Abbie Cornish, remarquable dans Bright Star et ici insupportable) n’ayant aucun personnage à défendre, elles sont toutes uniformément insipides. Attention, c’est un festival. Blondie est brune. Amber est asiatique. Sweet Pea a mauvais caractère et a pour sœur la guillerette Rocket. Quant à « l’héroïne », Baby Doll, elle est… euh… mignonne mais déterminée, et un peu porte-poisse sur les bords. Elle danse aussi de manière incroyable mais ça, on ne le verra JAMAIS à l’écran. Puissance du non-dit ? Loin de là ! Et… Et c’est tout. Sans rire. Vraiment. Ce sont là les seuls et uniques traits distinctifs du poulailler. Il n’y a pas davantage d’implication ou de sentiments. La fin étant un modèle d’anti-climax : à rallonges, dénuée de scène mémorable, bourrée d’incohérence avec le reste du film, lourdingue au possible, elle s’achève sur un discours qui sonne comme un slogan de chaussures de sport. La honte absolue.

Parvenir à torcher une œuvre aussi nulle à partir de prémisses en or est une gageure. Glacial, creux, d’une bêtise sans cesse désespérante, Sucker Punch n’a même pas les qualités d’un nanar. Il fait rarement rire à ses dépends : dès que les gallinacées ouvrent la bouche et surtout dans leur propension à ne jamais dissimuler leur lamentable « plan » en se comportant comme les dernières stars de la télé réalité. Il faut les voir laisser écrit en gros le mot "Clef" sur un tableau noir pour s'offrir un fou-rire salvateur. Du cinéma crétin pour public de crétins ? Et bien non ! L’échec cinglant du film, aussi bien auprès des critiques qu’auprès du public, prouve qu’il y a des limites dans l’insulte faite au spectateur. A l’image de l’annulation d’un « Carré VIP » télévisuel, c’est une nouvelle à prendre avec joie.

"Cot, cotcotcot, coooot, cot cot !"

Zack Snyder confirme les inquiétudes qui perçaient déjà à propos de ses films précédents, que votre serviteur avait pourtant bien appréciés. Les apports personnels du réalisateur aux adaptations de 300 et surtout de Watchmen étaient de gros points faibles. C’est ici d’autant plus flagrant lorsqu’il possède le contrôle d’une œuvre de A à Z. Formaté pour un public entre 13 et 18 ans (maximum), Sucker Punch refuse le sang, le sexe, la réflexion, les nuances, et bien évidemment toute forme de poésie ou d’ambition. Snyder a beau citer aussi bien Brazil (à outrance), le Seigneur des Anneaux ou… euh… Burlesque (!!!), il n’est qu’un gros chiot pataud qui met ses pattes dans la peinture. Chaque scène, chaque plan, est un cas d’école de ce qu’il ne faut pas faire au cinéma. Du travail de sagouin, au-delà du lamentable.


True Grit

de Joel & Ethan Coen

Pour ressentir toute la grandeur de la dernière œuvre des frères Coen, il faut sans doute avoir une certaine tendresse pour le western. Comme il l’avait fait pour le cinéma des années 50, avec en particulier Miller’s Crossing, Le Grand Saut mais surtout avec The Barber, les Coen se penchent sur le western pour en tirer la quintessence. C’est donc une tension entre les figures attendues du genre, forcément taillées dans les images d’Epinal (dans la caricature, diront certains) et le style des frangins. On y retrouve donc leur goût pour la digression un peu absurde, leur gestion si particulière de la durée, leur passion pour le minimalisme spectaculaire qui ne fait que renforcer l’impact de chaque choc. Bref, la partition est classique, millimétrée, prévisible en somme. Sa réussite n’en a que plus de mérite.

Les Coen sont des génies, votre serviteur est le premier à le clamer. Mais leur filmographie brille aussi par son inégalité, tout ce qu’ils touchent ne se transforme pas en or, loin de là. Même si je me sens un peu seul à l’affirmer, A Serious Man était gentiment foiré ; aussi sympathique qu’il fut, Burn After Reading n’en était pas moins assez anodin. D’une certaine manière, cette carrière en Montagne Russes enlève toute forme de pression à l’entrée de la salle. On va voir un film des Coen avec bienveillance, en sachant que l’on peut être déçu, qu’on a de grandes chances de passer un bon moment et qu’au final le meilleur est toujours possible.

True Grit nous cueille dès son introduction, aux enjeux simples, au lyrisme classique et à la beauté sobre mais intense, propre aux Coen. Le film ne nous lâchera plus jusqu’à sa conclusion à laquelle on pourrait appliquer les mêmes éloges, multipliés par mille. En forme de miroir de celle du Impitoyable de Clint Eastwood, cette fin n’est que l’apothéose d’une dernière demi-heure qui cache derrière un sincère hommage aux grands anciens une multitude d’audaces et de rebondissements fort imprévus. La ballade nostalgique cède place à un baroud bouleversant, faussement élégiaque, à la fois épique et humble.

S’il sera facile de souligner les qualités évidentes de True Grit, en particulier l’interprétation démentielle du trio principal, peu oseront prétendre que les Coen offrent ici un classique instantané du genre. Pas la peine de citer les temps passés, ni même la première adaptation cinématographique de l’histoire (avec John Wayne), True Grit existe en lui-même. Avec son humour irrésistible, ses scènes inoubliables, sa splendeur formelle, ses révélations (Hailee Steinfeld étant la principale), le film échappe déjà au présent. Les Coen ont retrouvé les trésors du western, en particulier son aspect de conte contemporain, avec vaillante petite princesse, prince charmant décevant et figure paternelle en forme d’ogre. Il se dégage ainsi des archétypes, qu’ils soient formels, narratifs ou psychologiques, une humanité fragile et diablement émouvante.


127 Heures

de Danny Boyle

Comment l’esprit humain réagit-il dans les situations extrêmes ? Le sujet a souvent été traité dans le cadre des films de guerre et des films d'horreur, genres si proches. Dans 127 heures, le contexte est à la fois beaucoup moins dramatique et d’autant plus réaliste. Un enchaînement de petites conneries et voilà l’homo sapiens lambda pris au piège de la nature tout autant que de sa propre bêtise. Pas vraiment plus malin qu’un autre, ni plus intéressant, juste physiquement assez résistant, l’anti-héros de 127 heures bascule peu à peu dans l’animalité réclamée. Survivre, en son corps mais aussi en son esprit, coûte que coûte. Sur des bases de huis-clos, Danny Boyle refuse le minimalisme et s’adonne à ses jeux psychédéliques habituels.

Pas de craintes à avoir, ce ne sera pas la pyrotechnie fumeuse d’un Gaspar Noé, Boyle est avant tout un conteur. Il prend certes le contre-pied de son formidable Slumdog Millionnaire, finit la fuite, ici la privation de liberté est plus concrète. James Franco essaie bien de s’évader en suivant les divagations de son esprit, quitte à s’offrir des vignettes niaises avec l’endive Clémence Poésy. Tout le ramène à son point fixe, son rocher, son bras, les besoins immédiats, de plus en plus pressants. Le vrai méchant de 127 heures c’est le corps humain, dans sa fragilité, dans l’attention qu’il réclame, dans sa facheuse tendance à nous rappeler notre mortalité. C’est un crescendo, souvent désamorcé par le cabotinage de Franco, calqué sur le protagoniste d’origine. C’est un contre-la-montre sans véritable suspens mais qui fonctionne à l’effroi lancinant, à la douleur primitive. L’instant attendu, celui de la mutilation, fait mal, verse dans le cauchemar gore. Qu’importe alors que Boyle cède ensuite à la sentimentalité pesante, il nous a fait approcher une expérience monstre, voisine du tout aussi remarquable Touching The Void de Kevin MacDonald.


Incendies

de Denis Villeneuve

Il serait amusant d’ôter à Incendies son contexte politico-religieux pour n’en garder que l’intrigue générale. Cela permettrait de mettre en valeur son aspect de « shocker » du samedi soir. La première partie de l’œuvre est assez séduisante et culmine sur ce qui devrait être la clef de voûte de l’histoire : l’incendie tétanisant d’un bus de civils. Malgré de gros sabots, le film tient encore debout. C’est sans compter sur une seconde moitié, aussi interminable que truffée de rebondissements rocambolesques, ayant comme principale ligne directrice : « Que peut-on inventer de plus choquant ? ». Une logique de film d’horreur fun, qui, paradoxalement, rend le déroulement fort prévisible. L’ennui nous saisit bien plus certainement que les révélations glauques et les efforts lacrymaux. Incendies nous la joue mélo bourrin, mais avec prétextes nobles (la guerre c’pas bien, l’amour d’une mère c’est bô, la Palestine c’est compliqué, t’as vu).

Quand Aronofsky sort la classe hitchockienne pour emballer un thriller existentiel et poétique, on le traite de lourdaud. Quand nos amis Québécois nous parachute le Panzer bien-pensant avec des ficelles qu’on ne pardonnerait à personne, on tient le « chef-d’œuvre discret » de ce début d’année. La bonne blague. Attention, Incendies n’est pas détestable, le film ne respire aucun cynisme, il est correctement emballé, un peu au-dessus du téléfilm du base. Les grandes intentions citées plus haut sont évidemment assez inattaquables, ce qui rend l’œuvre d’autant plus embarrassante. On aurait bien aimé l’aimer, mais la quête tragique s’est transformée en coup de poing surlignant chaque idée comme le dernier des sagouins. Faut-il en passer par là pour impressionner un public gorgé de blockbusters ? Pas sûr que ce soit la meilleure des solutions…


Detective Dee

de Tsui Hark

Pour comprendre l’amour que je voue à Tsui Hark, autant vous référer à la page que je lui ai dédiée lors de la création de ce site (en 1998) et aux quelques mots accompagnant ma revisite de sa filmographie en 2011. Comme ça, à l’image du cinéma du génial hongkongais, nous allons nous passer de longues présentations et plonger dans le vif du sujet. Comme s’il avait été épuisé par la fureur créatrice de Time and Tide et Legend of Zu, les années 2000 furent rudes pour Tsui Hark. Malgré les beaux restes de Seven Swords, ses deux œuvres suivantes méritent d’être gentiment passées sous silence. Pour, peut-être, se redécouvrir un jour… Mais sonnez trompettes et faites battre tous les tambours de la ville, car Detective Dee marque le retour au sommet du meilleur réalisateur de la planète.

Apaisé, moins ambitieux, mais pas moins généreux, Hark ciselle un grand récit à l’ancienne. De l’aventure, du mystère, de l’action, de l’émotion, de la grandeur à chaque plan… C’est la revanche du divertissement total, avec son foisonnement de protagonistes, de rebondissements et de scènes folles. Comme toujours, vous verrez ici des choses inconnues ; en particulier un bref combat contre des cerfs qui entre au panthéon des idées saugrenues chères au réalisateur. Comme toujours, le film semble avoir coûté 10 fois plus que son budget annoncé (20 millions de dollars, quand même). Et au passage, avec des moyens deux fois moindres, Hark envoie une bonne pique à La Cité Interdite de Zhang Yimou, dont il offre ici la version bondissante et passionnante.

Au début, on s'émerveille du grandiose de l'univers proposé (la statue géante de Bouddha, joliment réaliste), puis on s'amuse des quelques clins d'oeil à la mode des "Experts". Bien vite on retrouve les plaisirs qu'on ne connaissait que chez Tsui Hark. La vitesse, l'inventivité, la manière de mêler magie et réalité, petite et grande histoire. Et, contrairement à Zhang Yimou, le réalisateur se plie au pouvoir Chinois mais en levant le poing. Le héros est un ancien rebelle qui ne se range que par obligation morale et non par geste politique. A l'image du cinéaste, Detective Dee préfère rester en marge, vivre dans l'ombre. Il est le plus grand des héros, mais il refuse tout honneur et toute forme de concession.

Par rapport à ses films les plus novateurs, Detective Dee semble un peu sage. Mais il décontenancera certainement le bon public en charentaises qui trouve des films comme Inception ou Inglourious Basterds « compliqués ». Et peu nous importe ces spectateurs, on le sait par avance, le nouveau film de Tsui Hark ne déplacera pas des millions d’occidentaux dans les salles. Pour moi, tout ce qui compte c’est que mon réalisateur préféré soit de retour, pour de bon, pour de vrai, avec une œuvre magnifique, une de plus à ajouter à un corpus sans égal.


Black Swan

de Darren Aronofsky

L’artiste qui se sacrifie au service de son art. La mort comme achèvement ultime, comme création absolue. Depuis The Fountain, ce thème parcours l’œuvre de Darren Aronofsky. Ici, en apparence, l’auteur s’assagit. Finies les métaphores psychédéliques, finis les catcheurs kitchs, place à la traditionnelle ballerine. On craint ainsi le remake bruyant des Chaussons Rouges (cité discrètement au détour de quelques plans). Puis on redoute le slasher bas de plafond, quelque part entre Brian De Palma (on pense à Carrie) et Dario Argento (la chambre de Natalie Portman pourrait presque sortir de Suspiria). Mais non. Après avoir évacué tous les clichés et lieux communs, Aronofsky fait table rase pour revenir à l’essentiel : l’intensité.

Dès les premières scènes, la danseuse incarnée par Natalie Portman présente des signes de faiblesse psychologique ; bien avant le milieu du métrage, chacun aura compris qu’elle est atteinte de psychose et même de schizophrénie galopante. Très intelligemment, Aronofsky ne joue pas sur le suspens autour de la folie évidente de son héroïne, mais sur la manière dont cette démence va se manifester. C’est ici le triomphe de Black Swan. Croulant sous le psychologisme théâtral et les références, le film prend son envol lors d’une dernière demi-heure hallucinante et hallucinée, véritable crescendo émotionnel et sensoriel.

En état de grâce, Natalie Portman fait oublier des années de rôles médiocres et fades pour subir la même transformation que son personnage. Elle ne joue plus le cygne noir, elle est le cygne noir. Le réalisateur n’a pas son pareil pour emmener ses œuvres au-delà du niais et du prévisible par la seule force de sa mise en scène. Toutes les facilités, toutes les évidences qui précédent sont balayées par la puissance du drame, la passion qui s’en dégage, le goût de perfection qu’il nous offre. La partition romantique de Tchaïkovski n’appelle pas à la demi-mesure, elle ne peut qu’inspirer le majestueux, l’excès, l’éclat. Ce qui donne par ailleurs l’occasion à Clint Mansell de nous offrir une nouvelle bande originale remarquable.

Comme toujours avec le corpus d’Aronofsky on pourra aisément se moquer du film. Epidermique, parfois naïf, sans le moindre recul, ni la moindre ironie, Black Swan est à l’image de The Fountain et de The Wrestler : à embrasser tout entier en tant que tragédie élégiaque et baroque. C’est sans doute ainsi, avec les images et les sons d’aujourd’hui, que le réalisateur se rapproche le plus de l’œuvre de Michael Powell. Il va jusqu’au bout de nos attentes, pousse son actrice dans ses derniers retranchements, use des effets les plus outrés. Il sait que de toute façon, on envoyant à fond dans les enceintes le final du Lac des Cygnes, il ne peut que nous bouleverser. Les dernières minutes saisissent à la gorge et émerveillent à chaque plan. L'oeuvre entière s'en trouve transcendée.

Black Swan vibre d’une sensualité dévorante. Le film est charnel, érotique, d’une beauté coupante. Il nous hante, longtemps, très longtemps après sa conclusion. Mon amour fusionnel avec The Fountain reste assumé, mais j’estime que Darren Aronofsky vient de signer son œuvre la plus accessible et sans doute la plus réussie. La concurrence de The Social Network sera rude, et Fincher, plus consensuel, devrait l’emporter. Mais Black Swan sera mon favori aux Oscars cette année. Enfin, trêve de petits pronostics et de gentils coups de cœur, cessez de me lire et préparez-vous à être dévastés par ce conte maléfique et sublime.


Winter's Bone

de Debra Granik

Quelque part entre William Faulkner et Cormac McCarthy, un récit de l'Amérique profonde jouant sur les codes de plusieurs genres. Ici, comme dans les polars mythologiques, on ne plaisante pas avec l'honneur et la famille. Ici, comme dans les westerns, on se menace, on ne dégaine pas forcément, mais la violence est partout, dans le regard et dans les actes. Ici, comme dans les films d'épouvante, les monstres hantent des taudis tordus, et on apprend à vivre avec l'innommable au quotidien.

Au début on craint le nouveau calvaire de réalisme social. Ça sent le Rosetta à plein nez, avec une touche de The Wrestler. On se trompe. L'enquête, la tension, les gueules... On pourrait être chez les Coen, ou alors chez le Sam Raimi d'Un Plan Simple. On se trompe encore. Winter's Bone ne se laisse pas facilement catégorisé. Les surprises sont nombreuses. A l'image de cette apparition de Sheryl Lee, méconnaissable, ou de ces petites touches d'humour distancié et inattendu. Bien sûr, c'est avant tout un film d'acteurs. Tous sont fantastiques et la petite Jennifer Lawrence, en route pour les Oscars, confirme qu'elle est une actrice sur laquelle il faudra compter dans les décennies à venir. N'oubliez ni son nom, ni son visage. Mais avant même les performances, il y a le suspens, une angoisse ininterrompue et que la fin de l'œuvre laisse en suspend. Si Winter's Bone joue la partition de l'étude sociologique monstrueuse, il est avant tout un vrai thriller, un crescendo qui saisit à la gorge et qui culmine sur une scène d'horreur pure qui fera date. C'est L'Obscurité du Dehors, un voyage au bout de la nuit et une expérience cinématographique rare.


Room in Rome

de Julio Medem

Le cinéma érotique est un genre sinistré et le plus souvent sinistre. Quand on songe qu'une immondice du niveau d'Emmanuelle de Just Jaeckin est encore considérée comme un « classique », on réalise sans mal la désolation qui règne dans ces terres à mi-chemin entre le cinéma « traditionnel » et la pornographie. Au milieu des océans de néant, parcourus par des téléfilms pathétiques et des pensums grotesques, surnagent quelques réussites, de L'Empire des Sens à Caligula en passant par certains Russ Meyer. Le reste n'est qu'exploitation sans âme, sans scénario, sans acteur, sans la moindre goutte de sensualité.

Déjà auteur des très cultes Les Amants du Cercle Polaire et Lucia y el Sexo, Julio Medem impressionne avec ce magnifique Room in Rome. L'essence de l'oeuvre est simple : filmer avec passion deux corps féminins sublimes pendant un peu moins de deux heures. La caméra ne quittera jamais physiquement la chambre de l'hôtel et tout se déroulera durant la nuit la plus courte de l'année. Rien de vraiment original dans les prémisses : les corps se déshabillent tout autant que les âmes. Au fil des minutes se joue une romance entre deux femmes, entre révélations à tiroir et larmes.

Dans un autre contexte, dans un autre genre, l'ensemble flirterait avec le ridicule. De la musique décalée à la guimauve naïve, il y aurait de quoi sourire. Mais il s'agit d'un opus érotique dont le principal objectif, jamais dissimulé, est de titiller les fantasmes. Deux déesses à la beauté irréelle, mises en scène dans un contexte impossible, cheminant sur la voie d'une histoire d'amour idéalisée. C'est une chimère, un conte pour esthètes, une douceur pour doux rêveur. Elena Anaya et Natasha Yarovenko sont nues, pendant presque tout le métrage, avec un naturel idyllique qui déplace le regard, du lubrique vers la contemplation artistique.

De voyeur priapique, le spectateur évolue lui aussi vers l'attachement, vers une émotion sincère. Ému par l'érotisme délicat, ému par deux personnages de plus en plus touchants. Le tour de force est remarquable. On était venu pour se rincer l'œil, on finit attendri. Il faut dire que la mise en scène de Medem et les performances des deux actrices y sont pour beaucoup. Peu nous importe alors la niaiserie omniprésente dont on se gausserait ailleurs, peu importe le kitsch ironique, peu importe la pub grossière pour le Bing de Microsoft, peu importe l'utilisation abusive de la chanson Loving Strangers de Russian Red. Room in Rome est un film érotique, avant tout. Mais un film érotique avec une histoire, des acteurs, un réalisateur, une âme. Et qui n'oublie jamais d'être avant tout charnel, incarné. Pour le genre, un chef-d'œuvre, pour le spectateur troublé, un instant hors du temps et inoubliable.

 
 
 
 
 
 
 
 
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