Ghost in the Shell 2 - Innocence

de Mamoru Oshii

7 ans.

7 longues années.

L'attente fut longue.

On ne croyait plus à la possibilité d'une suite...

        Chef-d'oeuvre véritablement révolutionnaire du cinéma de science-fiction des années 90, voire du cinéma tout court, Ghost In The Shell demeurait l'un des plus grands traumatismes cinématographiques de votre serviteur.

        Inutile donc de vous évoquer le frisson qui m'a parcouru lorsque la musique de Kenji Kawaï se mit à monter lentement, lors du générique d'ouverture d'Innocence.

        Un générique d'ouverture en forme de variation sur celui, inoubliable, de Ghost In The Shell premier du nom. La naissance d'une androïde, désormais décrite en images de synthèse. Avec le thème musical bouleversant, métamorphosé, écrasant, qui fait battre le coeur à toute vitesse. En quelques minutes, Innocence a déjà recréé la fascination de son prédécesseur.

        L'oeuvre d'Oshii étant en perpétuelle progression, on ne pourra pas parler, en évoquant Ghost In The Shell 2 d'aboutissement. De variations, d'améliorations, d'approfondissements, oui, sans hésiter. Des améliorations esthétiques, tout d'abord, les plus immédiatement évidentes, le film pouvant sérieusement prétendre au titre de plus beau dessin animé de l'histoire du cinéma. Mais surtout des améliorations thématiques. Comme toujours, derrière une enquête policière très complexe, mais jamais gratuitement compliquée, s'exprime des thèmes philosophiques, scientifiques, sociologiques, historiques, métaphysiques d'une rare pertinence. Après presque une décennie, la réflexion d'Oshii s'est affinée, nuancée. Elle prend en compte les dernières évolutions techniques, les scénarios les plus pointus en matière de futur de l'humanité. Le résultat donne le vertige.

        Le sujet central n'est plus seulement le remplacement de l'humanité, mais directement la remise en question de celle-ci. Les critères essentiels de la vie et les particularités de l'espèce humaine, clairement définies dans le premier Ghost In The Shell, sont ici chamboulés. Lors d'une littéralement hallucinante séquence dans une "maison de poupées", Oshii met à l'épreuve aussi bien les théories cartésiennes que kantiennes. La perception se fourvoie, la mémoire vacille, l'espace et le temps ne sont plus les données stables de notre entendement. L'imperfection inhérente à l'esprit humain, si bien mise en "lumières" par Kant, devient la cause essentielle de l'imperfection du monde en général.

        Que reste-t-il à l'humanité si on lui supprime les bases de son identité ? Les êtres ne sont plus que des poupées. Des poupées qui se rêvent dotées d'un "Ghost". Ou qui en cauchemardent... La résolution de l'enquête, qui pourrait sembler banale de prime abord, est brutalement remise en question par quelques lignes de dialogue. Les androïdes, Batou et la désormais omnisciente Motoko, ont déjà remplacé l'humanité, en atteignant un degré de conscience, voire de sagesse, qui dépasse nos préoccupations si élémentaires.

        Et pourtant. Pourtant dans leurs esprits connectés au réseau universel. Dans leurs réflexions gorgées de citations glanées au fil du net. Dans leur perfection physique finalement contraignante. Les androïdes errent dans une solitude tragique. Soudain, au détour d'une scène entre Batou et l'indispensable Gabriel (le basset d'Oshii), au détour du regard vide de la Motoko réincarnée, le metteur en scène murmure une émotion discrète, presque muette tant elle se veut invisible. Mais si évidente, si intuitive, qu'elle n'a pas besoin de grandes effusions lacrymales pour nous serrer le coeur. Ces êtres, vivants, définitivement vivants, ont besoin d'amour. Maladroitement, technologiquement, dans une humanité par-delà l'humanité, les créatures du futur aiment et s'aiment. Et au sein d'une oeuvre aussi ardue, parfois très hermétique, qui nous écrase souvent sous sa perfection esthétique et intellectuelle, ces souffles de délicatesse, et parfois d'humour, n'en sont que plus forts, plus inattendus, plus marquants.

        Il faudra sans doute revenir, encore et encore, sur tout ce qui est dit et surtout sous-entendu dans Innocence. Comme Ghost In The Shell, cette suite séduit tout d'abord par son apparence, par son pouvoir d'envoûtement, par la puissance qui se dégage de son univers, de ses personnages, de ses réflexions. Le film nous charme pour mieux s'inscrire dans notre mémoire, se rappeler régulièrement à nous et nous rappeler vers lui. Comme une prophétie, un conte du futur, une nouvelle référence dans le domaine de la science-fiction. Une oeuvre d'art totale, aussi délicieuse à contempler pour elle-même, qu'à repenser pour soi. Un pas pour le cinéma, un pas pour la pensée, un pas pour l'esprit du spectateur. Un monument de progrès qui semble se résumer dans le titre de sa chanson de conclusion : Follow Me...


Les Indestructibles

de Brad Bird

        On le savait depuis les chefs-d'oeuvre d'Alan Moore, il n'est pas facile d'être un super-héros. En tant que purs idéaux humains, en tant que rêves de perfection incarnés, comment survivre au cynisme et aux désillusions ? C'est peut-être le thème central des incroyables Incredibles, dernier bijou des studios Pixar (les messieurs qui n'ont jamais raté un seul film). Tous les pouvoirs du monde ne peuvent empêcher les erreurs, les renoncements, les petites lâchetés de tous les jours. Avec beaucoup de finesse, Brad Bird parvient à évoquer des thèmes d'une maturité étonnante, que l'on ne trouve habituellement même pas dans les films pour adultes. Doublée d'une surprenante violence graphique, cette volonté de parler à toutes les générations, fait des Indestructibles le plus universel des dessins animés de Pixar.

        Car ce sont des faiblesses des super-héros que naissent les enjeux du film. Encore plus que dans le récent Spider-Man 2, les drames se nouent au plus près des choix et des réactions des protagonistes. C'est en rejetant un nerd qui l'idolâtre que Mr. Incredible va donner naissance à sa future Némésis, le très méchant et forcément très théâtral Syndrome. C'est en niant leur identité que les super-héros deviendront des ombres parmi les ombres, soumis aux petites défaites de tous les jours. L'oeuvre excelle aussi bien dans sa première partie, peu spectaculaire mais bourrée de comique de situations souvent irrésistible que dans sa seconde moitié, crescendo dantesque dans le grandiose et le destructeur. Et comme toujours chez Pixar, les performances techniques s'effacent au profit du plaisir immédiat du spectateur, ravi de s'extasier devant un film aussi positif, aussi exaltant, qui appelle dès les premières secondes du générique aussi bien les applaudissements qu'une suite, oui, vite, vite, vite, une suite !

       Porté par une bande-son jazzy, dynamique, cool et définitivement héroïque, le film enchaîne les références à tout un pan de culture populaire (de James Bond à Tex Avery en passant par les serials). Et le metteur en scène du Géant de Fer n'oublie jamais les petites touches d'émotion, inévitables mais d'une agréable finesse. On pourra, certes, reprocher au film quelques petites baisses de rythme, résultant en de petites longueurs, et regretter l'absence de bêtisier dans le générique final (néanmoins superbe). Mais ces remarques n'ont que peu d'importance face à une oeuvre que l'on rêve déjà de revoir.

        Chez Pixar, on sait fort bien que pour toucher le spectateur, lui parler, il faut d'abord le séduire. Et c'est pour cela que jamais Les Indestructibles ne se font lourdement moralisateurs ou gratuitement caricaturaux. Plaisir avant tout et surtout, c'est le mot d'ordre de la première à la dernière image. Et ainsi il devient possible de faire passer des idées et des scènes qui auraient, en d'autres mains, semblé déplacées voire choquantes. Ce film, qui paraît pourtant tellement évident est un assemblage si complexe que l'on préfère ne pas trop le décortiquer de peur d'en abîmer l'alchimie.


Eternal Sunshine of the Spotless Mind

de Michel Gondry

        Imaginez. Imaginez que vous êtes amoureux. Imaginez que vous êtes fou amoureux. Qu'une relation toute nouvelle enchante vos jours et illumine vos nuits. Et que là, soudain, vous vous retrouviez, en solitaire, devant un film qui vous parle de toutes les douleurs, de toutes les craintes liées à la fin d'une relation amoureuse. Paradoxale expérience, s'il en est... Même s'il évoque aussi de petits et grands instants de bonheur, Eternal Sunshine of the Spotless Mind est avant tout un film de ruptures, de séparations. Et de souvenirs. Un mélodrame particulièrement efficace, même si malheureusement souvent plombé par un énième script faussement malin de Charlie Kaufman (Being John Malkovich c'était déjà de sa faute). Pourtant, par la grâce de l'excellente mise en scène de Gondry et le talent décidément toujours aussi surprenant de Jim Carrey et de Kate Winslet, il est très difficile de ne pas se laisser toucher par cette histoire déchirante.

        Fin d'une relation, chacun essaie littéralement d'effacer l'autre de sa mémoire. Oui mais... Veut-on vraiment perdre ses souvenirs ? Les bons, comme les mauvais ? Et la vie ne se construit-elle pas sur les expériences ? Bien sûr, répondront sans surprise Carrey et Winslet au terme de leurs errances spirituelles. Eternal Sunshine of the Spotless Mind ne nous apprend donc rien que nous ne sachions déjà, mais le fait avec de beaux élans d'originalité et parfois une délicatesse désarmante. Mais comme je le disais plus haut, le scénario cherche souvent à trop en faire et sombre dans le démonstratif, voire le didactisme digne de cours de psychologie peu enthousiasmants. C'est seulement lorsque Gondry cesse de vouloir maîtriser son sujet et donne libre cours à la mélancolie de Jim Carrey et à la folie de Kate Winslet que Eternal Sunshine nous serre le coeur. Mais je vous aurais prévenu, si vous êtes un peu fleur bleue (et qui ne l'est pas ? Vous ? Pas moi !), vous risquez de vous laisser prendre au piège et d'y verser quelques larmes...


Les Fautes d'Orthographe

de Jean-Jacques Zilbermann

        Quand la fiction télévisée du mercredi soir s'invite sur grand écran, elle n'abandonne pourtant pas les oripeaux de la petite lucarne. Car, paradoxalement, les Fautes d'Orthographe se veut une évocation de l'esprit soixante-huitard, mais n'offre que de prévisibles leçons. Tout en souffrant d'un manque d'intensité, voire d'ambition, qui dessert grandement la portée de la métaphore. Oui, on imagine bien qu'il y a matière à métaphore dans cette description d'un pensionnat à la veille des événements de mai 68. Sinon, peu nous importerait les gentilles misères subies par ces ados finalement si ordinaires. Mais on a beau chercher, le message demeure obscur. Pamphlet communiste d'un autre temps ? Rêverie nostalgique glauque ? Hop hop hop rébellion contre toutes les formes d'autorité ? Oedipes mal résolus ? Volonté de nous parler de l'enfance en général (et ce n'est pas Zéro de Conduite, ni Zazie dans le Métro, pour ne pas changer de page dans le Dictionnaire des films) ? Et quitte à mélanger un peu de tout pourquoi ne pas lier avec un chouia de dissertation sur l'intolérance (un incompréhensible problème d'antisémitisme, qui semble être le coeur du film, mais qui ne s'explique jamais) ? Bref, le film est très loin de laisser un souvenir impérissable et se confond vite dans notre esprit avec les bribes de mille et un téléfilms ressassant les mêmes thèmes et les mêmes personnages.


Le Village

de M. Night Shyamalan

        A force de vouloir surprendre le spectateur, le génial Night Shyamalan allait bien finir par pousser le bouchon trop loin. C'est le cas avec Le Village. Vendu comme un film Fantastique terrifiant, cette histoire malheureusement prévisible dès la bande-annonce, ne cesse de décevoir les plus légitimes attentes. Très rapidement on comprend qu'il n'y aura rien de surnaturel. Alors on se dit que cela va quand même faire peur. Que nenni. Le suspens étant constamment désamorcé. On se rabat sur l'histoire d'amour, que l'on croit naïvement être le coeur du récit. Erreur à nouveau. Et dans sa dernière partie, The Village devient un portrait très paradoxal d'une communauté qui se voudrait métaphore et critique des États-unis actuels. Mais le discours de Shyamalan est si ambigu, refusant de choisir une voie distincte et reportant ultimement la faute sur "l'innocent" dans une belle tentative de politiquement incorrect, que son oeuvre ne dit rien, ne nous apprend rien, nous laisse sur notre faim après des enchaînements de twists s'élançant dans un crescendo grotesque. On est loin de la mélancolie douce d'Incassable ou de la Foi transcendante de Signes. The Village est tiède, à la fois trop retenu et trop démonstratif, à peine sauvé du ridicule par la mise en scène comme toujours d'une classe phénoménale. Mais tant de talent au service de si peu, c'est pour le moins désolant. Pendant quelques très brefs instants, on réalise ce qu'aurait pu être le Village. Avec une toute autre histoire, carrément Fantastique, une bonne trouille comme on les adore. Et une vraie prise de position, plutôt qu'un banquet à tous les râteliers... On aime trop Shyamalan pour lui jeter si brutalement la pierre, mais quelle déception !


Mensonges et trahisons (et plus si affinités)

de Laurent Tirard

        Mensonges et Trahisons se présente comme une comédie de moeurs des plus réussies. En grande partie grâce à l'interprétation d'Edouard Baer, qui certes, fait du "Edouard Baer" assez fréquemment au sein de l'intrigue, mais s'offre aussi quelques belles nuances de jeu qui rendent son personnage d'écrivain immature très attachant. Le film réussit à ne pas sombrer dans un cynisme trop complaisant, sans doute la plus grande des tares du cinéma français actuel. Entre percée d'humour acerbe et quelques scènes proches du burlesque particulièrement hilarantes (dont un mémorable sanglier...), Laurent Tirard affine son récit, détourne les caricatures et énonce quelques vérités toujours bonnes à rappeler aux mâles citadins, naviguant dans les eaux troubles qui séparent la fin de l'adolescence de la paternité assumée. Certes, Mensonges et Trahisons n'est pas sans défaut, mais son moralisme latent est transcendé par la fragilité charmeuse de Baer. Et surtout, oui, surtout, comme dans les meilleurs Allen, les travers existentiels sont métamorphosés par un final des plus positifs.


Ong-Bak

de Prachya Pinkaew

        Oui. Ce film est donc la "mandale dans la gueule de 2004". Certes. Vraiment ? A la vue de ce consternant "monument" pour nous les hommes, les vrais, on a le droit de rester plus que perplexe. De temps à autres, Tony Jaa, l'acteur "phénoménal" de Ong Bak distribue quelques coups de tatanes bien sentis et effectue quelques cascades aussi spectaculaires que stupides et totalement gratuites, adjectifs qui s'appliquent d'ailleurs à l'ensemble du film en général... Scénario prétexte, personnages grotesques, mise en scène pathétique (les meilleurs moments sont répétés sous différents angles, comme dans votre jeu vidéo de baston favori). Et c'est long. Oh. Très long. Si long. Ça n'en finit pas. Ça dure, ça dure. Ça discute, ça papote. Et soudain, ça s'agite. Ça se marave un peu la figure. Puis ça se poursuit. Et ça saute. Et ça gigote. Et ça se crie dessus. Et ça valdingue. Et hop, et zou, et youplala ! Faut avouer que c'est assez drôle. Quand ça "youplala" ! Mais ça ne fait pas un film. A peine une bonne séquence de Video Gags. A noter qu'il existe une version de Ong Bak "remontée" par les soins de la boîte de production de Luc Besson. Un chef-d'oeuvre encore plus intense, sans doute.


Un Long Dimanche de Fiançailles

de Jean-Pierre Jeunet

        Cela aurait pu se passer un dimanche. Un dimanche au bord de l'eau. Quelque part entre 1900 et 1920. Un peu avant la tourmente. Un peu après. Mais finalement on ne saura jamais. Si c'était un lundi. Ou un vendredi. On apprendra juste que la guerre c'est une connerie et que qui trop embrasse mal étreint. Oh, on aimerait adorer le dernier film de Jean-Pierre Jeunet. L'adorer comme on a pu se pâmer devant ses oeuvres précédentes, en particulier celles qu'il co-signa avec Marc Caro, dont l'absence commence à devenir de plus en regrettable. Car il manque à ce Long Dimanche, les fêlures et les féeries, les inquiétantes étrangetés et les émotions simples qui offraient à la Cité des Enfants Perdus le titre de chef-d'oeuvre. Certes, Jeunet n'a rien perdu de sa maestria visuelle, de son talent pour enchaîner les histoires, les vignettes, les personnages, quitte à en faire trop, à perdre le spectateur sans lui laisser le temps de s'attacher aux divers récits qui s'effleurent sans jamais vraiment se rejoindre, à part lors de nombreuses et trop invraisemblables coïncidences. Le potentiel, immense, du film tient tout entier dans sa première heure, voire dans sa première demi-heure, très impressionnante. Puis, après la quasi apogée du métrage que forme l'histoire du couple Jodie Foster/Jean-Pierre Darroussin, l'intérêt s'effrite peu à peu. Lentement, très lentement. Au fil d'un énième final interminable (mais décidément c'est la grande tendance de cette fin d'année !).

        Mathilde erre, Mathilde attend, mais sans que jamais l'émotion ne nous saisisse à la gorge, comme elle avait pu le faire avec les descriptions crues des souffrances des poilus en tout début de métrage. Jeunet enchaîne les "cameos", essaie de caser tous ses acteurs fétiches (ne serait-ce que de manière subliminale), répète les mêmes scènes, les mêmes plans, les mêmes gags (parfois maladroits, parfois hilarants, mais finalement moins bienvenus que dans le plus léger Amélie Poulain) et le même putain de carabistouille de filtre jaune. Surtout Jeunet essaie de préserver son âme dans ce qui semble parfois être un quasi remake du Patient Anglais, fortement influencé par le Soldat Ryan, voire par Titanic. Un Long Dimanche de Fiançailles, produit par Warner Bros, est taillé pour séduire le public américain. Avec juste ce qu'il faut de pittoresque français et largement suffisamment de spectacle et de mélodrame pas trop compliqué, pour s'attirer les bonnes grâces. Et puis un peu de malaise pour donner un vernis "d'auteur" (un peu de sexe, pas mal de gore, Mathilde a un pied-bot, ce genre de choses...). C'est au niveau du fond que le film faillit, car au niveau de la forme, il faut l'avouer, monsieur Jeunet : rien à dire.

        Bien sûr, le réalisme douloureux des scènes de combats touche droit au coeur (bien plus que l'histoire d'amour). Bien sûr cela fait plaisir de voir des acteurs fantastiques tels que Dominique Pinon, Albert Dupontel, Jean-Claude Dreyfuss ou Jodie Foster. Mais ils ne font souvent que passer. Et tout reste en suspend. Comme si au sein de cette Grande Guerre, Jeunet ne parvenait pas à tranchée. A trouver le ton juste entre deux mouvements de caméra trop parfaits, trop aériens, trop beaux. Quand le générique commence, on se refuse à baisser les bras. Un peu comme Mathilde, on aimerait ne pas voir mourir l'espoir. On aimerait croire que le film est un chef-d'oeuvre. Et que l'on est bouleversé. Mais ce n'est pas le cas. On rêvait de la fresque délicate, on rêvait d'horreurs et de merveilles, on rêvait d'émotion pure. Ce long, si long, dimanche de fiançailles, porté par tant d'ambitions, tant de moyens, tant d'acteurs, de lyrisme, de belles images, n'en demeure pas moins une grande déception.


2046

de Wong Kar Waï

        La métaphore n'est finalement pas très subtile. On ne peut pas échapper au passé. Et pour symboliser ce constat d'une grande mélancolie, Wong Kar Waï refait, ressasse, paraphrase, commente, poursuit, son chef-d'oeuvre (après Chungking Express, quand même), le séminal In The Mood For Love. Le réalisateur flirte d'ailleurs souvent avec le remake, reproduisant son précédent film parfois au plan près. 2046 n'est donc qu'une variation d'une beauté formelle souvent sublime, autour des thèmes déjà présents dans In The Mood For Love. Tony Leung reprend son rôle de journaliste charmeur, mais incapable d'aimer après la perte de Maggie Cheung (qui apparaît effectivement de manière subliminale à la fin du métrage). Il essaie vainement de recréer la puissance de son amour impossible, quasi à l'identique avec une joueuse professionnelle (Gong Li, méconnaissable et "travestie" en Maggie Cheung), une prostituée lunatique (Zhang Ziyi, charnelle) et même avec la fille aînée de son propriétaire (Faye Wong, que l'on ne présente plus sur The Web's Worst Page). En parallèle, Leung exorcise et sublime ses expériences sentimentales au travers de romans (2046, puis 2047). De cette idée intéressante, il ne reste finalement que le fantôme. On comprend que Wong Kar Waï a bien tourné des scènes futuristes avec Gong Li et Zhang Ziyi, mais il n'en demeure que des plans fugitifs. Seul le personnage de Faye Wong aura droit à son histoire en 2046, en tant qu'androïde aux "émotions différées", lors des scènes les plus touchantes du film.

        Contrairement à ce qui a pu être dit et écrit ici et là, 2046 n'est pas un fouillis incompréhensible. Tout est cohérent, à part peut-être la propension du personnage principal à se punir. Non, le plus gros reproche que l'on pourrait faire à l'oeuvre, c'est sa froideur, son étonnant manque d'émotion. Toutes les plus belles et talentueuses actrices asiatiques pleurent dans 2046 et pourtant le spectateur reste de marbre. Finalement plus absorbé par sa quasi exaspération face à l'énième ralenti porté par le même morceau de violon langoureux. Wong Kar Waï radote. Il radote ses figures de style, ses obsessions désormais entrées dans l'imagerie collective et surtout publicitaire (des tonnes de gros plans sur des chevilles féminines, répétés jusqu'à l'overdose).

        Bien sûr, Wong Kar Waï a du talent, son film est d'une beauté parfois magique. Mais aussi d'un ennui lancinant. Comme si, à l'image de son héros, le réalisateur ne parvenait pas à achever ses histoires. Ne laissant à la fin que des regrets. Et des gestes figés, des déclarations laissées en suspend. On ne s'échappe pas du train 2046, ni de la chambre 2046, ni du film 2046, qui pourrait être monté en boucle sans que cela paraisse une seule seconde incohérent. La déception vient du refus de Wong Kar Waï de choisir entre pure expérimentation et véritable récit. Le film passant de l'un à l'autre, ne cessant de chercher et de se perdre, quitte à laisser le spectateur sortir de son ambiance si sophistiquée. Et alors nous nous retrouvons dans une salle de cinéma, face à un objet filmique lisse, froid, parfait. Un objet qui se rêverait inaccessible et rêveur qui s'effondre doucement dans ses propres méandres sans parvenir à recréer cette quintessence de l'amour qu'incarnaient si idéalement Chungking Express et In The Mood For Love.


SteamBoy

de Katsuhiro Otomo

        De Otomo, le créateur d'Akira (manga et anime) on espère forcément monts et merveilles. On est donc d'autant plus déçu par SteamBoy, qui, s'il est un délice des sens, ne fascine pas l'esprit comme le chef-d'oeuvre fondateur du réalisateur. Là où les abymes existentiels, politiques, métaphysiques d'Akira ne cessaient de nous hanter pendant, et surtout après la vision du film, SteamBoy ne propose qu'une intéressante, mais finalement très classique, dissertation sur le pouvoir de la technologie et la place de l'humanité face aux portes ouvertes par la science pour le meilleur et surtout pour le pire. Judicieusement, Otomo ne cède presque pas au manichéisme, refusant de dessiner les contours de vrais "méchants" pour mieux humaniser ses protagonistes. Paradoxalement, ces tentatives de raffinement psychologique finissent par rendre ces personnages plutôt froids et très distants du spectateur qui finit par se désintéresser de leur sort, de leurs motivations. Le SteamBoy en particulier est totalement sacrifié lors de l'interminable final, certes explosif, mais, sans doute logiquement, laborieux (décidément, c'est à la mode en ce moment les films qui n'en finissent pas). Bref, SteamBoy est extrêmement beau (pour qui aime les rouages et autres petits cadrans pittoresques), mais aussi très creux.

Mais c'est vraiment très beau.

Mais très creux.

        Il n'empêche que SteamBoy tient ses promesses en tant que divertissement de qualité. Doté de quelques séquences d'action impressionnantes mais bizarrement plutôt figées et parfois achevées au moment où l'on pensait qu'elles allaient enfin prendre leur envol. Ne vous fiez donc pas à l'affiche française, le SteamBoy ne joue que très brièvement les enfants des airs. Le film appelant à toute force une suite qui n'interviendra sans doute jamais, remplacée par des conclusions dans le générique de fin (avec quelques paradoxes temporels assez surprenants).

        Et sinon on admire la richesse des détails. Des décors ciselés, des rouages à foison (ce sont les vrais héros de l'histoire), des reflets, des ombres, une insertion parfaite de la 3D, bref, plastiquement c'est irréprochable. Et devant une telle somme de travail, on est presque gêné d'émettre de pourtant fort légitimes réserves quant à l'intérêt final de l'oeuvre.


OldBoy

de Park Chan-Wook

        Donc. Voilà. Ca devait être la mandale dans la gueule de l'année. La claque. On ne devait pas s'en relever. On nous l'avait promis, juré, craché, depuis le festival de Cannes. C'est à Old Boy que Tarantino voulait donner SA Palme d'Or. Même Tsui Hark, Dieu le Père, donc, avait adoré. Bref, on ne pouvait pas s'empêcher de nourrir les plus grands espoirs, d'imaginer un monument novateur où une forme surprenante était mise au service d'une histoire passionnante voire bouleversante. Avouons-le tout de suite, même si la chute n'est pas si terrible que cela, on se prend quand même rudement bien les pieds dans le tapis à la vision de Old Boy. Après un début de métrage assez laborieux, un milieu grandiose, c'est un interminable final, enchevêtrement de révélations lourdaudes censées choquer le bourgeois bohême venu s'offrir de grands frissons exotiques ("ah ces asiatiques quels bandes de détraqués !") qui parachève la déception.

        Oui, Old Boy est une déception. Car si la mise en scène de Park est souvent très impressionnante, si l'interprétation est phénoménale, si certaines scènes, prises à part de l'ensemble du film, sont géniales (essentiellement un incroyable combat à 1 contre 20, en plan séquence et travelling latéral), en son entier Old Boy est particulièrement bancal. Et très antipathique. Certes, on se doutait bien que l'on ne venait pas là pour un grand moment de franche rigolade. Mais plus l'histoire se déroule, plus on se désintéresse de cet étalage complaisant d'atrocités physiques et surtout psychologiques. Toujours plus méchant, toujours plus affreux, Old Boy voudrait nous prouver sa maestria lors d'une coda qui cherche l'apaisement dans l'acceptation bienheureuse d'une situation pour le moins glauquissime. Pour un peu on se croirait chez Gaspar Noé. Vous dire si on nage dans la légèreté... Heureusement le film est parfois très divertissant, maniant l'humour noir avec classe. Et on se laisse parfois emporté par le brio formel de la chose.

        Mais, pour le moins, on attendait plus. Old Boy n'est ni révolutionnaire dans sa forme, ni dans son déroulement, ni dans son intensité (ou alors, ces dernières années, il faut avoir raté des oeuvres telles que Time and Tide, Irréversible ou 21 Grams). Le suspens proposé n'est prenant que pendant une petite moitié du métrage, puis se dilue peu à peu, perdant tout son potentiel avant même ses multiples résolutions. On ressort donc de la salle vaguement frustré, plutôt mal à l'aise, mais déjà prêt à oublier l'essentiel du film.


Hellboy

de Guillermo Del Toro

        Peut-on aimer un film pour de très mauvaises raisons ? Oui, sans doute. Encore faut-il définir ce que sont de bonnes et de mauvaises raisons. Dans le cas de Hellboy il est souvent bien difficile de savoir si l'on rit et si l'on s'amuse avec ou contre le film. Quoiqu'il en soit, Hellboy est pour l'instant l'oeuvre la plus drôle de 2004. Mais sans doute, à la manière d'un Pacte des Loups ou d'un Flash Gordon. Bref, largement involontairement. Cette immense série Z qui accumule tous les clichés possibles et imaginables est hilarante et offre de nouvelles images inoubliables de kitsch cinématographique.

        Oui. Parce que c'est vraiment n'importe quoi. On pourrait tout citer. De l'ouverture quasiment pompée sur les Aventuriers de l'Arche Perdue, au final romantico-rigolo. Les méchants, à eux seuls, assurent les 3/4 des fous rires de Hellboy (prière de prendre sa respiration à l'entrée de la salle, ça risque de vous bloquer le plexus). Déjà, ces vilaines personnes sont essentiellement des nazis (ach, gross humour !), dont une blonde sadique prénommée Ilsa (et qui a donc sévi dans 5487997 films avant celui-ci). Un grandiose mort-vivant au design pas possible (sans costume) et à l'allure encore plus pas possible (avec costume), qui fait tic-tac (voire tac-tic quand il est remonté à l'envers), et qui prend des pauses à la moindre occasion. Alors, Kroenen (oui, c'est facile, un nazi qui s'appelle Kroenen, tout de suite ça fait Fête de la Bière à Munich, ach, die gross poilade !), il fait "vrrrrrrrrrr" avec ses épées, et puis "hop ! hop ! hop !" en découpant tout le monde sans bavure. Trop puissant. On lui demanderait presque de venir nous découper la dinde de Thanksgiving, si on fêtait Thanksgiving, mais on serait près à céder à la tradition, juste pour avoir un méchant nazi à ressort à notre table. N'empêche que le Kroenen il fait tic-tac, ce qui est toujours pratique pour constater que le film traîne quand même parfois un peu en longueurs et aussi pour faire cuire les oeufs durs.

        Les nazis sont accompagnés par un "Hound of the Resurrection" (Enchanté ! Moi c'est Harry, Harry Stote). Sur le papier, ça a l'air rudement bien, oui, alors ! A l'écran c'est un tas de slime juste bon à être balancé d'un bout à l'autre du décor (ou à balancer le Hellboy, qu'importe). Très moche, très Men In Black dans l'esprit, et dont le potentiel se fait désamorcer avant même son apparition à l'écran grâce, ou plutôt à cause, des vannes du Hellboy. Enfin, le big boss de cette team de rêve, c'est Rasputin (et on arrête de se marrer dans le fond, là ! Ce n'est pas du Boney M ! Ils veulent provoquer l'Apocalypse sur Terre ces gens ! Alors un peu de sérieux !). Oui, Rasputin, le moine fou. Ici aussi charismatique qu'un champ d'endives au mois de novembre.

        En face, il y a les gentils, pour nous protéger (pourtant on ne leur a rien demandé, les héros sont fatigants...). Des X-Men du pauvre, jusque dans le trio amoureux façon Wolverine/Jane Grey/Cyclope. Il y a donc le Hellboy, que l'on ne peut jamais prendre au sérieux, et ce, dès son apparition bébé, qui est un grand moment de ridicule (le coup de l'amadouer avec des barres de chocolat, mais on a vu ça combien de millions de fois avant ?). Bref. Le Hellboy, 60 ans plus tard, est un ado boudeur, cynique, jaloux, maladroit, bourrin, mais qui adore les chats (et rien que pour cela, on l'aime bien). Ron Perlman, avouons-le, est parfait dans le rôle. Il n'empêche, difficile de trembler pour un personnage aussi peu nuancé. De surcroît, on comprend très rapidemment que Hellboy est un remake inavoué de Blade 1 & 2. Mêmes séquences, même progression dramatique, mêmes décors, mêmes protagonistes, mêmes enjeux (le gentil qui vient du côté du Mal et qui est la clef pour réveiller la malédiction, c'est exactement Blade 1 & 2), etc... Bref, on connaît absolument tous les rebondissements de l'histoire avant même le générique de début. Rien ne nous sera épargné. Même la mort du mentor (mais ça va parce qu'il avait le cancer alors finalement ça abrège ses souffrances, vous dire le bon esprit qui règne dans le bidule). Là, dans le genre scie, on ne peut pas faire pire ("Obi-wan !!! Nooooon !!!"). Le mentor, donc, un professeur Nimbus relativement digne, grâce au talent de John Hurt qui a toujours la classe même quand on lui demande de faire des trucs idiots. Sinon il y a aussi La Créature du Lac Noir, plutôt réussie. Une "firestarter" coincée et transparente. Et un petit jeunot (sans Caro, cherchez pas, faut détendre la chronique) du FBI, référent du spectateur, tellement absent du métrage qu'il pourraît très bien ne pas être là. Le jeunot et le spectateur, sans doute. Nous voilà donc à nouveau devant un excellent film pour aller au cinéma pour y faire tout autre chose.

        J'entends déjà d'ici les hauts cris des fans ! Oui, Hellboy respire la sincérité et tout le tralala. Mais là, contrairement à Spider-Man 2, cette sincérité est mise en images avec une absence de classe particulièrement frappante. Voilà. Ca cogne, c'est bourrin, les scènes d'action sont bêtement spectaculaires. C'est souvent très divertissant. Mais c'est aussi parfaitement vain, incroyablement creux et plus proche de la stupidité que de la naïveté touchante du film de Sam Raimi. Et niveau mise en scène ce n'est même pas la peine de comparer. Del Toro se contentant de recycler les effets chocs de Blade 2. Et il démissionne totalement lors de la conclusion en Russie, pathétiquement expédiée (les combats contre Kroenen et Rasputin sont désolants). Et malgré quelques instants fort spectaculaires (toujours dans le métro, encore dans le métro, ou dans les égouts, toujours dans les égouts) le film se traîne, avance au ralenti, se perd dans des digressions tellement caricaturales que l'on est presque gêné pour Del Toro (le boss du FBI n'aime pas les méthodes du Hellboy, tout ça, niveau Bad Boys 2, quoi, voyez le genre...).

        Le film pourrait se rattraper avec un peu de mystère, un peu d'effroi, un peu de magie. Rien de tout cela. Résurrections en pagaille, démons de l'Enfer qui veulent régner sur Terre, motivations totalement floues des méchants (déclencher l'Apocalypse, c'est vrai que ça occupe au moins un dimanche après-midi de novembre, ça change de Michel Drucker). Le Hellboy est juste un vilain garçon capricieux. Et l'ensemble est un tel bazar thématique qui brasse tout et n'importe quoi sans imagination que l'on se désintéresse très rapidement de savoir qui fait quoi, quand et où. Quand on repense comment, avec trois fois rien, Spielberg nous fichait une trouille de tous les diables avec son arche d'alliance, on se dit que 20 ans plus tard, on a perdu quelque chose en route. Heureusement, certes, il y a encore des Harry Potter pour préserver cet esprit-là. Et pourtant Hellboy aurait pu être un bon film, bien moins Z, si Del Toro avait pris un peu soin de ses personnages et un peu plus garde à ne pas resservir pour la xième fois les mêmes clichés les plus éculés. La morale du film étant, attention, accrochez-vous : "Qu'est-ce qui fait d'un homme un homme ? Les choix qu'il fait !". Oui, c'est Matrix. Ou peu s'en faut. Vous dire la débâcle. On atterrit chez Neo et ses amis. Hellboy est donc une vaste et savoureuse tranche de poilade, pour peu que l'on goûte à ce plaisir fort particulier de la série Z à haut budget.

Nouvel avis 10 ans plus tard : A la lumière de la réussite du second opus, il faut avouer que j'avais été particulièrement sévère et condescendant avec le premier Hellboy. En le revoyant, j'y retrouve des défauts, surtout dans l'écriture, que je trouve toujours aussi regrettable, surtout en comparaison avec le superbe travail dessiné de Mignola. Le film me semble aussi nettement moins ridicule, bien qu'un peu maladroit. Bref, pas de quoi hurler au nanar.


Et l'Homme créa la Femme

de Frank Oz

Un jour, dans un autre monde, dans une autre vie, Frank Oz a participé à la création de The Dark Crystal.

Un jour, dans un autre monde, dans une autre vie, Nicole Kidman a porté sa croix dans Dogville.

Un jour, dans un autre monde, dans une autre vie, Glenn Close a incarné la perfidie en costume dans les Liaisons Dangereuses.

Un jour, dans un autre monde, dans une autre vie, Christopher Walken nous a fait pleurer comme des gamins dans The Deer Hunter.

Un jour, dans un autre monde, dans une autre vie, Matthew Broderick ... euh... n'a rien fait de particulier, mais c'est pour le principe.

        Tout cela, chers amis, chères amies, il va falloir l'oublier. Le remiser quelque part, loin, là, encore plus loin, ici. Tout cela il va falloir le ranger soigneusement dans votre mémoire à long terme, ça pourrait vous resservir, mais pas durant l'heure et demi de Et l'Homme Créa la Femme.

        Déjà, on aurait du se méfier. Si on avait été capable d'un quelconque sens critique avant d'entrer dans la salle, ce qui était loin d'être le cas. En même temps, on savait très bien à quoi s'attendre. The Stepford Wives est un roman d'Ira Levin. A la base, il y a très longtemps. Ira Levin, pas un rigolo le monsieur. Son plus grand best-seller étant Rosemary's Baby, qui, malgré quelques pointes d'humour noir, accentuées dans la géniale adaptation cinématographique de Polanski, n'est pas le livre le plus désopilant à la droite de Zazie dans le Métro. Si de surcroît je vous précise que Les Femmes de Steford s'acquiert dans la collection SF argentée de J'ai Lu, vous aurez compris le fin mot de l'histoire. On n'est pas là pour plaisanter, bon sang, fichtre ! Et ce n'est pas fini, parce que The Stepford Wives a déjà été porté au cinéma. En 1975, par Bryan Forbes, avec la toute belle Katherine Ross (inoubliable dans The Graduate). En pleine explosion féministe, l'oeuvre respectait le sérieux du roman, et offrait un thriller étrange relativement angoissant et plutôt très intelligent.

Avouons-le tout de suite, le remake de Frank Oz n'a aucun rapport avec le film de Forbes et le roman de Levin. Ou si peu.

        La traduction française annonce d'ailleurs tout de suite la couleur en tentant une étonnante confusion avec le Et Dieu Créa la Femme de Roger Vadim. On se demande d'ailleurs ce qui se passe dans la tête des distributeurs français. D'une part parce que ce titre, obscur pour celui qui ne connaît pas The Stepford Wives, révèle quasiment explicitement la clef du suspens (de toute façon bazardée avant même la moitié du métrage). Et laisse perplexe quant à la comparaison entre Brigitte Bardot et Nicole Kidman (à ce niveau ce n'est plus de l'antithèse, c'est de l'antinomie, si vous me passez l'expression, et de toute façon vous me la passez, même si vous n'y entravez que pouic).

Bref. C'est n'importe quoi avant même que la lumière s'éteigne et que l'aventure essaie de commencer.

        Cela commence d'ailleurs plutôt bien, à partir du moment où l'on a compris que nous allions assister à un grand numéro d'acteurs en roue libre, tous branchés (à part Broderick, étonnamment en retrait) sur la touche "hystérie collective".

Oui.

Donc.

Voilà. On l'a dit. On ne peut plus revenir en arrière.

Et l'Homme Créa la Femme c'est une heure et trente minutes de : Nicole Kidman, Glenn Close, Bette Midler, Jon Lovitz et Christopher Walken (entre autres) hystériques.

Ce qui laisse rêveur.

Mais qui est sans doute encore en deça de la réalité.

        Deux choix s'offrent alors à vous : soit la crispation qui risque de vous provoquer des désordres dans le transit intestinal. Soit jouer le jeu et trouver cela plutôt très con et plutôt très bon. Si vous êtes fans du livre et/ou du film d'origine, que vous ne supportez pas le cabotinage et l'humour d'une lourdeur toute spéciale pour les gourmets de la chose, vous allez enfin apprendre ce qu'est l'Enfer sur Terre et peut-être vous découvrir de sérieux penchants pour le masochisme (si vous restez jusqu'au bout, générique de fin inclus).

        Il y a d'autres choix, en fait, mais nous les développerons quand tout le monde sera parti, ou alors seulement installés au fond en haut à droite (ma droite, donc votre gauche).

        Bref. Sans honte et sans reproche (enfin...), il faut l'affirmer : Et l'Homme Créa la Femme est souvent drôle. Un humour direct, très bête, qui ne tient souvent qu'à des effets tellement éculés que c'en est indécent. Des gens qui tombent, des gens qui crient, des gens qui roulent des yeux et qui agitent leurs bras dans tous les sens, des gros mots, des clichés qui feraient honte à Mel Brooks, la totale ! Et c'est drôle. 

        Quand le final, pas très brillant, survient, on a déjà presque tout oublié de ce qui s'est passé avant. Notre esprit (entre autres) est déjà ailleurs. Et l'Homme Créa la Femme s'impose donc comme le film idéal pour aller au cinéma et penser (minimum) à autre chose. Et c'est sans doute là l'essentiel !


Rain

de Christine Jeffs

        Depuis que Peter Jackson est devenu le Roi du Monde, on a un peu tendance à oublier que le cinéma néo-zélandais ne se limite pas qu'à Brain Dead et au Seigneur des Anneaux. Et qu'il s'est toujours plus ou moins inscrit dans la grande tradition des chroniques bizarres, souvent oniriques, qui composent une grande part du cinéma australien (the country next door). Comme si Peter Weir avait durablement marqué plusieurs générations de courageux étudiants en cinéma. L'ombre de Weir plane donc sur l'ensemble de Rain. Situer l'action en 1972 ne fait que renforcer la filiation avec les chefs-d'oeuvre étranges de Peter Weir (La Dernière Vague, les Voitures qui ont Mangé Paris, Pique-Nique à Hanging Rock). 

        Mais Christine Jeffs parvient à s'affranchir de cette imposante référence en se plongeant dans une chronique familiale délétère, qui réussit bien souvent à capter l'ambiance décadente d'un été où le temps de l'innocence vit ses derniers instants. La petite histoire d'une mère et d'une fille rejoint la grande histoire des illusions perdues des 60's. Le final du film, âpre, cruel, d'un moralisme douloureux, indissociable d'une perte de virginité en forme de sommet onirique du film, est un réveil d'une dureté inattendue mais finalement logique. 

        Car le film hésite toujours à juger ses personnages, avec raison, mais la menace d'un effondrement de cette famille sur le fil du rasoir semble hanter l'oeuvre de la première à la dernière image (malgré un monologue final, en forme d'auto-suggestion, qui tente d'insuffler une brise d'espoir). Christine Jeffs hésite entre un style très direct, quasi documentaire, avec des éclairages naturels parfois magnifiques et des effets très appuyés (ralentis et musiques que l'on croirait sortis de chez... Peter Weir...). A noter que le rôle de la mère mélancolique est tenue par Sarah Peirse, inoubliable et déjà tragique Norma de Heavenly Creatures. Un beau film, parfois très touchant, qui parvient peu à peu à fasciner, voire à envoûter, avant de nous décontenancer par sa cruelle conclusion.


Spider-Man 2

de Sam Raimi

        C'est pourtant une histoire simple. Il l'aime, elle l'aime, ils s'aiment. Mais entre eux il y a de grands pouvoirs et donc de grandes responsabilités. Cela pourraît être le résumé de Bérénice, mais c'est celui de Spider-Man. Premier du nom. Second opus. Et sans doute de même pour le troisième, le quatrième et ainsi de suite jusqu'à ce que mort s'en suive.

        Peter Parker est un garçon comme les autres. Il aime les virées en mobylette, draguer les messieurs plus âgés dans les ascenseurs, manger du gâteau au chocolat et prendre le métro à l'heure de pointe. Peter Parker est comme vous, comme moi, enfin presque. Vu qu'il a des yeux bleus qui éclipsent ceux de Mary Jane, qui erre, l'air très tourmentée, entre deux scènes où la tension sexuelle est au bord d'exploser de l'écran et inonder la salle. Bref, comme vous l'avez sans doute lu partout et nulle part, Spider-Man 2 est un joli conte de la frustration sexuelle, du déchaînement hormonal, de l'auto-castration, voire de l'impuissance à lancer sa toile sur les murs des immeubles. Bref, Peter Parker voudrait bien, mais il peut point. Déplaçant sa sexualité contrariée vers une cause mineure mais qui occupe l'esprit : sauver son prochain. 

        Cela pourraît être exaspérant, cela devrait être exaspérant. Entre les lèvres de Mary Jane et la vieille dame qui va se faire renverser pas un bus, à sa place, on n'hésiterait pas. Surtout que M.J. n'en peut plus, M.J. est tellement dévorée par sa libido galopante qu'elle est prête à épouser un astronaute, c'est vous dire si elle a, forcément, je sais, c'est pas fin, mais c'est ainsi, c'est dire si elle a envie de s'envoyer en l'air. Sans doute pour revivre les sensations d'être ainsi emportée dans les bras de Spider-Man. Mais l'Araignée, l'Araignée est un être bien singulier. Qui préfère prendre sa retraite plutôt que de satisfaire toutes les groupies qui lui courrent après.

        Alors M.J. se fait enlever, parce qu'elle aime se faire attacher dans des endroits humides. Et cette fois, le méchant a vraiment de la classe. C'est le très physique Dr. Octopus, qui vient la chatouiller de ses sympathiques bras mécaniques. Renversée par les perspectives offertes par de telles percées de la technologie, M.J. ne dit pas non. Mais elle ne dit pas oui pour autant, car le Doc Oc, aussi joueur soit-il est lui aussi totalement dépassé par ses pulsions. Il veut détruire tout New York dans une manifestation très prétentieuse, mais qui n'en ferait pas autant ?, de sa toute puissance.

        Et c'est seulement ainsi, s'apercevant soudain qu'il y a un autre étalon dans la ville, que Peter Parker va réconcilier ses devoirs et ses désirs. Des combats extrêmement impressionnants s'en suivent. Un peu partout, de préférence. Dans une banque, sur la façade de cette même banque, au sommet d'une horloge, sur et dans le métro aérien et enfin dans l'inévitable antre du méchant qui n'en est pas vraiment un. Pour sûr, on ne regrette pas d'être venu. En bonus, Sam Raimi s'offre au moins une scène d'horreur pure lors du "réveil" du Doc Oc. Hommages à Evil Dead à l'appui, la séquence est d'une rare violence pour un blockbuster résolument grand public.

        Des scènes d'une grande brutalité, d'une intensité spectaculaire, voisinent donc avec un mélodrame d'une naïveté qui touche à l'attendrissant. Comme si Sam Raimi voulait retrouver une parcelle de l'innocence de l'âge d'or d'Hollywood. A une époque où l'on pouvait encore exprimer les sentiments les plus évidents sans jouer la carte du cynisme ou de l'humour omniprésent. Même si le film est parfois outré dans son sentimentalisme, il est aussi très attachant, car jamais pris en défaut de sincérité. On pardonnera ainsi des envolées patriotiques redondantes pour ne retenir que les plans superbes où Raimi atteint une certaine épure du film de super-héros.

        Certes, Spider-Man est loin d'être le héros le plus passionnant, le plus tourmenté, le plus enrichissant du monde des Comics. Nous ne sommes ici ni chez le Sandman, ni chez la Swamp Thing. Mais le monde a sans doute besoin de caractères simples, exemplaires, immédiatement rassurants et familiers. Peter Parker est le super-héros next door. Le livreur de pizza, l'étudiant toujours en retard, l'adorable maladroit qui semble ne pas avoir d'autre choix que de toujours tout rater. Plus facile de s'identifier à lui qu'au Sandman, sans doute. Au moins pour la majorité des spectateurs. D'où le succès évident, mérité, plaisant, de Spider-Man. Un certain idéal du divertissement pour tout public, qui parvient à satisfaire (enfin !) à peu près tout le monde en même temps. Et que l'on trouve cela consensuel ou non, on ne peut nier la nécessité de telles oeuvres et le plaisir que l'on peut y trouver.


L'Armée des Morts

de Zack Snyder

        Un remake. Encore un ! Un remake d'un immense classique du cinéma Fantastique, Zombie (Dawn of the Dead), pilier central de la trilogie des Morts-Vivants de George Romero. Quasi unanimement considéré comme un chef-d'oeuvre, alliant action, critique sociale, gore, suspens et grande maîtrise cinématographique, Dawn of the Dead semblait intouchable. Peut-être encore plus que Massacre à la Tronçonneuse (que les multiples suites avaient déjà fait vaciller sur son trône). Malgré tout, le remake du film de Tobe Hooper s'avérait déjà bien médiocre. La réussite exceptionnelle de l'Armée des Morts n'en est que plus inattendue. Et réjouissante.

        Avec une grande sagesse, Snyder choisit de s'éloigner le plus possible de l'original de Romero. A deux ou trois clins d'oeil près (deux répliques cultissimes et un acteur, essentiellement), Dawn of the Dead 2004 n'entretient que peu de points communs avec Dawn of the Dead 1979. Certes, le centre commercial est bien là, mais il est utilisé de manière extrêmement différente. Au passage, les petites critiques sociales, assez datées 70's, passent presque toutes à la trappe. Pour le meilleur, il faut bien l'avouer. Snyder préfèrant se concentrer sur l'action et surtout sur les personnages.

        Dès l'ouverture on sait que l'on va assister à un film d'horreur à visage humain. Un visage qui a les traits de la géniale Sarah Polley, ici, une fois encore, belle comme le jour. Un début de métrage tétanisant, qui enchaîne sur un générique d'une efficacité idéale. En 10 minutes Snyder a déjà enterré le pourtant très estimable 28 Jours Plus Tard de Danny Boyle. Visiblement, Snyder a plus d'ambition et d'idées que Boyle et il va nous le faire savoir. L'Armée des Morts se révèle ainsi bien souvent imprévisible, même lorsque l'on connaît Zombie par coeur. Comme je l'ai déjà mentionné, tout est différent ou presque. Si quelques nouveautés sonnent faux (que vient foutre ce chien là ?), les choix sont enthousiasmants dans leur grande majorité. Entre autres on pourra citer un attachant sniper isolé sur un toit en face du centre commercial, un accouchement pour le moins effroyable, une descente dans un parking souterrain qui fait écho au Jour des Morts-Vivants, une grandiose évasion en bus diantrement customisés. Et des tonnes de gunfights judicieusement filmés, des effets gores à la pelle (presque autant que dans l'original, ce qui n'est pas peu dire) et quelques scènes très touchantes. 

        Des scènes touchantes, humaines, qui mettent en valeur d'excellents personanges, nettement plus nombreux que dans Zombie. Outre Sarah Polley qui vole la vedette à tout le monde à la moindre occasion, on admirera le charisme de Ving Rhames, la détresse de Mekhi Phifer, la mélancolie de Jake Weber et la bad guy attitude (mais au grand coeur) de l'excellent Michael Kelly. Certes, certains personnages ne font que de la figuration, ou peu s'en faut, mais ils font aussi de l'excellente chair à zombie quand l'action reprend ses droits. Snyder filme ses protagonistes avec beaucoup de justesse, ce qui est une surprise inestimable au sein d'un film aussi cruel.

        Car il ne faut pas l'oublier, l'Armée des Morts est un film dur, brutal, souvent éprouvant, dont la conclusion, et son fragile espoir, s'envolent déjà en fumée dans le générique de fin. Le suspens est solide, la tension ne se relâche jamais (l'humour n'ayant qu'une place extrêmement réduite au sein de l'histoire), les situations sont souvent très plombantes. Bref, c'est un divertissement formidable, mais il faut aimer les films d'horreur sans concession, où chaque instant, chaque plan, chaque son, est une menace potentielle.

        Bref, l'Armée des Morts, non seulement nous apporte ce que nous étions venus chercher (frissons, gore et bonnes grosses scènes d'action), mais nous offre aussi bien plus (mise en scène intéressante, excellentes idées, émotion, Sarah Polley...). Une réussite mémorable et surtout un grand film.


Shrek 2

de Andrew Adamson, Kelly Asbury & Conrad Vernon

        Si en son temps, le premier Shrek avait déçu dans sa tentative de contrecarrer l'hégémonie des studios Pixar dans le domaine de l'animation 3D pour tous les publics, cette suite redresse brillamment la barre en proposant une déferlante quasi non stop de gags souvent hilarants et de références irrésistibles. Et je fais vraiment des phrases trop longues. Bref, Shrek 2 est un divertissement délicieux, extrêmement drôle, doublé (littéralement) d'un casting vocal magnifique (des guests tels que Antonio Banderas, John Cleese et la fabulissime Jennifer Saunders). Et un personnage félin avec de grands yeux tout adorables qu'on aurait presque envie de l'emmener chez soi. Personnage félin auquel les auteurs réservent les meilleurs répliques (un "Not mine ! Not mine !" anthologique et peut-être le plus savoureux gag du film). Certes, l'histoire d'amour un peu guimauve est sans doute trop présente, mais le film est incroyablement dynamique, n'ennuie jamais et donne le sourire sans faillir (c'est pour la rime). Très bonne surprise, très bon moment, en clair : le bonheur.


Harry Potter et le Prisonnier d'Azkaban

de Alfonso Cuaron

        Voici sans doute le film que Tim Burton n'a pas mis en scène cette année. Le film que Tim Burton n'aurait pas pu mettre en scène de toute façon. Car formellement, Burton n'a jamais possédé l'audace de Cuaron, il faut bien le reconnaître. Les qualités de monsieur Tim sont ailleurs. La virtuosité de Cuaron est plutôt à rapprocher de celle d'un Peter Jackson. Car ce nouvel opus des adaptations cinématographiques d'Harry Potter, visuellement à tomber à la renverse, possède de nombreux points communs avec une fameuse trilogie récente (non, pas celle de Nokia et Ray-Ban). Au moins pour ce qui est de l'audace de ses plans et de ses mouvements de caméra qui ne cessent de s'envoler lors de séquences impossibles à concevoir sans CGI. Et ce ne sont pas du tout des plans "d'ensemble" qui figeaient tant les deux premiers films dans une sorte d'illustration scolaire et dénuée de magie. Cuaron bouleverse les données des oeuvres de Chris Columbus, transforme radicalement les décors, l'univers, l'ambiance. Pour le meilleur, bien évidemment.

        De la magie, il y en a beaucoup plus dans la première demi-heure du Prisonnier d'Azkaban que dans l'Ecole des Sorciers et la Chambre des Secrets réunis. Cuaron, il faut bien l'avouer, se sent pousser des ailes grâce à l'ami Harry. Il est en cela fort bien secondé par l’œuvre de JK Rowling, tant le Prisonnier d'Azkaban est le premier chef-d’œuvre des aventures littéraires des gamins apprentis sorciers. Le final du livre, peut-être le meilleur passage de toute la série, est extrêmement propice à un délire narratif et visuel souvent très impressionnant. Sans faire trop de révélations, pour ceux qui n'ont pas lu le livre (ça existe, je vous assure), Cuaron a osé un loup-garou formidable, novateur, terrifiant, totalement inattendu dans une production grand public. Il a aussi osé conserver tous les aspects les plus agressifs et ambigus du roman. Le griffon n'est pas une gentille peluche, c'est un animal sauvage puissant et superbe, qui parvient à être attachant sans que jamais Cuaron sombre dans l'anthropomorphisme. Buckbeak devient ainsi le plus beau personnage virtuel depuis Gollum.

        Là où Cuaron fait peut-être le plus de concessions c'est au niveau des acteurs. Notamment lorsqu'il laisse une Emma Thompson en roue libre transformer le professeur Trelawney en hystérique à la dérive. Mais David Thewlis en Lupin (l'un de mes personnages préférés de la série) s'en sort fort bien, et parvient à être très touchant. Alan Rickman en Snape est toujours le sosie de Trent Reznor et je l'adore (Snape est mon personnage favori). Gary Oldman en Sirius Black ne fait pour l'instant que passer. Et surtout, le trio star a fait d'énormes progrès. Daniel Radcliffe, sans doute bien aidé par Cuaron et par l'histoire, atteint une intensité surprenante. Rupert Grint est très drôle. Et Emma Watson, adorable et exaspérante, crève l'écran en volant quasiment toutes les scènes où elle apparaît. D'ailleurs, pour parler des gags, Le Prisonnier d'Azkaban n'est pas seulement un film beaucoup plus sombre que les trucs de Columbus, il est aussi beaucoup plus comique. Essentiellement grâce à de nombreuses répliques très rythmées et qui tombent le plus souvent pile au bon moment. Et en parlant de rythme, on peut préciser que le film semble durer deux fois moins longtemps que l'interminable Chambre des Secrets.

        Pour se faire, Cuaron coupe bien sûr beaucoup de détails du livre. Mais l'essentiel est bien là. Comme le cours de protection contre les Dark Arts, superbe moment de mise en scène, d'humour mais aussi d'effroi. Et bien sûr il y a toute la demie-heure finale, immense course contre la montre (littéralement) qui, comme dans le roman, ne s'accorde pas la moindre pause. On pensera encore à Peter Jackson et aux folles 45 minutes finales de Fantômes contre Fantômes (jamais égalées, d'ailleurs). Le plus gros défaut du film, s'il faut en chercher un, c'est de ne pas être toujours très fidèle à l'image que l'on se fait d'Harry Potter, de ses personnages, de son univers. Mais voilà bien quelque chose de très subjectif. Et j'envie ceux qui n'ont pas lu les livres et qui vont découvrir tout cela pour la première fois. 

        J'aimerais aussi avoir 10 ans à nouveau et pouvoir clamer que le Prisonnier d'Azkaban est le meilleur film du monde. Tant nous voilà face à une graine de film culte pour les générations futures. Dans 15 ans, plein de jeunes adultes ne cesseront de se raconter leur traumatisme face aux Dementhors ou au loup-garou. Harry Potter et le Prisonnier d'Azkaban est un chef-d’œuvre de mise en scène mais avant tout et surtout un pur chef-d’œuvre du divertissement grand public, enfin une alternative à l'hégémonie des studios Pixar en ce domaine. Le prochain Harry Potter ne sera plus mis en scène par Cuaron, mais pas Mike Newell et l'on ne peut pour l'instant pas vraiment savoir ce que cela va donner. Quoiqu'il en soit, ce Prisonnier-là est une nouvelle réussite surprenante à l'actif de cette année 2004, décidément exceptionnelle.


Jeepers Creepers 2

de Victor Salva

           Même s'il m'avait déçu à la première vision, essentiellement par le gâchis de son monstre magnifique, Jeepers Creepers s'est rapidement imposé comme une référence du cinéma Fantastique de ces dernières années. Son influence ne cesse de s'étendre sur le renouveau du film d'horreur "sérieux", et de Wrong Turn au remake de Massacre à la Tronçonneuse, l'ambiance glauque "à la Salva" fait école. Même si les films de cette nouvelle vague sont dans l'ensemble plutôt moyens, on est déjà bien au-dessus de la période catastrophique qui suivit le succès de Scream. Jeepers Creepers a fait du bien au Fantastique que l'on aime sur The Web's Worst Page. Et de surcroît, le film se bonifie au fil des visions. On était donc en droit d'attendre beaucoup de la suite des méfaits du Creeper, même si dans ce genre de séries, on est surtout habitué à voir la qualité décliner au fil des séquelles.  

        Avouons-le tout de suite, Jeepers Creepers 2 ne déroge pas à la règle. Mais le film surprend quand même car il est loin d'être aussi raté qu'on aurait pu le craindre. Au contraire, il est tout à fait réussi. Et même s'il n'atteint pas le niveau de suspens crade du premier opus, il réserve de nombreux moments réjouissants et parvient à convaincre au final. Même si le Creeper commence à faire de l'humour noir de temps en temps (essentiellement lors d'une "sélection" il faut bien l'avouer assez poilante), Jeepers Creepers demeure une œuvre sérieuse, gore et cruelle. Même si le film est relativement moins sombre et "hard" que le premier, Salva dissémine quelques atrocités bien choisies, en particulier lors de l'ouverture du métrage. 

        Car c'est le jeune fils de ce bon vieux Ray "Leland Palmer" Wise qui est la première victime du film. Ray Wise, qui vole le film dès qu'il apparaît à l'écran, est formidable en Capitaine Achab redneck. Sans lui et sa vengeance grandiose à base de harpons faits maison, le film virerait dans le slasher d'adolescents plus traditionnel. C'est un peu ce qui arrive lorsque l'action s'attarde sur les tensions dans le groupe de chairs à Creeper qui se terre dans un bus accidenté. Heureusement, Salva ne manque pas d'idées pour relancer le suspens et dès que le Creeper entre en scène, on ne s'ennuie pas une seule seconde. On pourra bien sûr critiquer à l'envie certaines grosses ficelles scénaristiques totalement injustifiables (les rêves d'une des héroïnes, en particulier) et des invraisemblances tant que l'on en veut (le Creeper avec toute sa puissance pourrait massacrer tout le monde en quelques instants au lieu de faire traîner les choses tant et plus). Et Salva s'offre une nouvelle séance de "pause pipi" collective, la signature de la série sans doute...

        Mais le film, à prendre pour ce qu'il est, une bonne série B Fantastique, ne cherche pas à aller plus loin que ces petites intentions de base. Et c'est sa plus grande force. Comme je le disais, on regrette essentiellement que le Creeper ne soit pas plus développé, tant le personnage offre des tonnes de possibilités fascinantes. Mais bon, ce sera peut-être pour une prochaine fois. Et l'on passe un excellent moment devant Jeepers Creepers 2 et on se surprend à se laisser prendre au piège du suspens et à se réjouir des scènes spectaculaires parfois fort bien trouvées. Et la conclusion, offerte à Ray Wise, bien entendu, est un pur moment de "films de monstres" tel qu'on les adore. Bref, du très bon divertissement Fantastique.


Kiki, la petite sorcière

de Hayao Miyazaki

        Certaines personnes, de mauvaise fréquentation sans doute, vous affirmeront que Kiki's Delivery Service est "un Miyazaki mineur". Ce qui est doublement faux. D'une part parce qu'il n'y a pas de Miyazaki "mineur" et d'autre part parce que Kiki est un pur chef-d'oeuvre. Car, au-delà du spectacle tout public drôle et spectaculaire, comme toujours chez le génie japonais, on évoque des thèmes qui concernent aussi bien les adultes que les enfants, du moins qui parlent aussi aux uns et aux autres. Dans Kiki, en particulier, on évoque le passage de l'enfance vers "l'âge adulte" en traçant un parallèle avec les doutes existentiels qui nous assaillent au quotidien. Kiki voit donc la magie de l'enfance la quitter pour la confronter au courage et à la détermination que réclame l'existence responsable d'un adulte. Adieu l'insouciance et le chat qui parle (sublime Jiji !) et voici venir le travail, les responsabilités, les déceptions, l'échec, le doute, la dépression... Dans sa seconde moitié, Kiki's Delivery Service devient un étonnant récit de la déprime d'une petite fille qui cherche à retrouver le goût de vivre, d'oeuvrer et la "magie" de son enfance. Et c'est justement auprès d'une peintre, forcément proche de la nature (nous sommes chez Miyazaki !), que Kiki va se créer de nouveaux pouvoirs magiques. La magie de l'âge adulte. Ce que l'on retrouvera bien sûr, de façon encore plus magnifique, dans le chef-d'oeuvre Le Voyage de Chihiro

        Pour soutenir ce récit initiatique, il y a bien sûr des scènes immédiatement ravissantes. Que ce soit de grands moments de tendresse comme seul Miyazaki sait les mettre en scène (il en a fait tout un film, Mon Voisin Totoro), avec la boulangère et la vieille dame. Des scènes comiques délicieuses (essentiellement dans la première moitié du film, avec Jiji, hilarant en peluche terrifiée). Et des scènes spectaculaires, tel que le final avec le dirigeable (avec une utilisation tétanisante des silences au coeur de l'action). Bref, comme toujours, tout cela est bien trop court et la fin arrive bien trop vite. Même si comme avec Totoro, le générique de fin offre une vision de la suite de l'histoire, laissant le conte inachevé et l'imagination poursuivre son chemin. 

        Bien sûr, on ne peut répéter que les louanges habituelles. Que le moindre petit détail bouleverse sans que l'on sache forcément bien pourquoi. Que l'on se sent heureux, comme jamais, à chaque seconde du film. Mais surtout, le message réconfortant nous transcende. Un message particulièrement adulte, qui, étrangement, semble avoir échappé à beaucoup de spectateurs (peut-être n'ont-ils jamais connu la déprime, mais cela m'étonnerait...). Et si Kiki semble le "brouillon" de Chihiro, dans la veine la plus introspective et psychologique de Miyazaki, il n'en demeure pas moins indispensable. Le rituel voudrait que je conclue en affirmant que Kiki est le plus beau film que l'on ait vu au cinéma depuis Le Château dans le Ciel. C'est presque vrai (car entretemps il y a quand même eu Dolls et Gerry). Et de toute façon c'est un chef-d'oeuvre et je me demande bien pourquoi je vous le répète encore et toujours...


Blueberry, l'expérience secrète

de Jan Kounen

        Très mal accueilli par la presse et le public, Blueberry est un film pour le moins désarmant. Une oeuvre en déséquilibre perpétuel qui navigue entre clichés grotesques et coups de génie expérimentaux parfaitement réjouissants. N'étant pas très fan de son Dobermann, je n'attendais rien de la nouvelle oeuvre de Jan Kounen, à part, peut-être, un grand moment de poilade, à la manière du Pacte des Loups de Christophe Gans. J'ai donc été très surpris de me retrouver face à une oeuvre très sensible, très sensuelle, qui sait cultiver de la première à la dernière image un souffle de mystère fascinant. Kounen a réussi à retranscrire une "force" spirituelle qui dépasse l'entendement. Si la dernière partie, l'apothéose du film, toute en images de synthèse, est trop courte pour immerger totalement dans les visions du héros, elle enivre bel et bien. Ce qui aurait pu être un sommet de laideur kitsch est pour le moins étonnant et d'une grande efficacité. Mais ce qui séduit le plus dans Blueberry, c'est quand la "force mystique" est présente sans être montrée. Elle rôde à la manière des pouvoirs effrayants de Twin Peaks. C'est une caméra aérienne, des cuts désarçonnants, des bruitages qui semblent aspirer littéralement l'image et les protagonistes. Bref, le film tout entier respire, vibre, grouille d'une vie invisible qui finit par s'incarner lors du final. En ce sens Blueberry est une réussite franchement géniale. 

        Malheureusement, même si l'ensemble reste très expérimental, il fallait bien que Kounen emballe son "trip" dans une histoire pour tous. Et là, ce n'est pas vraiment ça. D'une part parce que les acteurs ne sont pas très bons (Vincent Cassell est toujours catastrophique, Michael Madsen (sublime dans Kill Bill) fait de la figuration, Juliette Lewis passe, etc...) et que les situations qui "meublent" les 2h10 de métrage sont loin d'être toutes palpitantes. Elles sombrent parfois dans un ridicule embarrassant. Mais étrangement, ces défauts très rédhibitoires, que je suis le premier à dénoncer ici ou chez d'autres, sont éclipsés par la puissance évocatrice de l'invisible que Kounen rend peu à peu visible. A mi-chemin entre un film d'épouvante conceptuel et un énième hommage à Kubrick, Blueberry trouve son plein accomplissement quand il se refuse d'expliquer et laisse simplement parler le son et l'image. Maladroit mais courageux, le film de Jan Kounen a au moins pour lui son originalité. Originalité qui lui a valu les moqueries de la majorité. Mais c'est de la graine de film culte, là, et pas en tant que nanar. Car il est difficile de remiser au fond d'un placard poussiéreux une oeuvre aussi étrange, qui ne prête que rarement à sourire de ses erreurs. Comme le Hulk de Ang Lee l'année passée, voilà un film grandement incompris qui sera à redécouvrir dans quelques années. 


Kill Bill volume 2

de Quentin Tarantino

        Je pourrais, non, plutôt, je devrais allonger dès la première phrase de cette chronique tous mes superlatifs habituels. Je devrais même faire l'effort d'en citer de nouveaux. Spécialement. Pour l'occasion. Car, après tout, ce ne sera pas tous les jours que je pourrais vous parler de Kill Bill. Même si j'aimerais bien. Vous en parler tous les jours. Au moins jusqu'à ce que la passion s'estompe un peu. Un tout petit peu. Ce qui prendra du temps. Longtemps, pour être exact. Et tant de précautions avant d'entrer dans le vif du sujet est facilement explicable. Du Kill Bill, premier volet, gigantesque divertissement gore et orgasmique, Quentin Tarantino est passé, avec le second volet, au 7e Ciel du 7e art. Kill Bill volume 1 n'était qu'un prologue de luxe qui ne laissait qu'à peine entrevoir le sommet qu'est Kill Bill en son entier. Tout ce qui pouvait manquer au premier volume est présent dans le second, au-delà de toutes mes attentes. Les deux heures les plus jouissives, magistrales, passionnantes, touchantes que le cinéma de divertissement américain live ait pu offrir depuis des années et des années. Oui. Depuis des années et des années. Et s'il faut évoquer les défauts de Kill Bill (1+2), expédions-les dès le premier paragraphe. Du moins, expédions-le. Kill Bill n'a qu'un seul défaut, fort frustrant au demeurant, celui d'être trop court...

        Que vous dire de plus ? Je commence à peine et j'en perds déjà mon latin, mon grec et tout le saint-frusquin. Le refrain habituel à propos des oeuvres que j'adore par-dessus tout ? Oui, là, pourquoi pas ? Ca paraît de circonstance. Donc, Kill Bill vol. 2, vous le verrez, tous et toutes, mais si, mais si. Vous aimerez, vous n'aimerez pas. On en dira du bien, on en dira du mal. On louera les innombrables références et emprunts du cinéma de Tarantino, on les conspuera, réalisateur pompeux et pompeur ou génial recycleur respectueux ? Kill Bill sera récupéré, cité par tout le monde, etc... etc... Et de tout cela, je m'en fous. Je m'en cogne. Gravement. Plus ou moins, en fait, il va sans dire. Mais franchement, face à tout le plaisir absolu que m'a procuré et que me procure encore ce film qui ne m'a pas quitté une minute depuis que je l'ai vu (et ce n'est pas rien comme délire obsessionnel), je ne veux pas entendre parler de raison. Il n'y a pas à être raisonnable devant Kill Bill, il suffit de se laisser porter, du début à la fin. En bondissant quand même d'enthousiasme à presque toutes les images, presque toutes les répliques, presque toutes les musiques.

        Si Kill Bill volume 2 se présente comme une vaste scène d'anthologie non stop, un fabuleux best of du cinéma de genres, on pourrait quand même ne pas cesser de disserter et de louer chaque séquence individuellement. [SPOILERS/REVELATIONS] Du générique d'ouverture façon 50's jusqu'au face à face final, essentiellement psychologique, d'une intensité folle et très bref dans son déroulement physique (comme tous les grands duels "à l'ancienne"). Si je commence à tout vous raconter, je ne vais plus m'arrêter, nous y sommes pour la nuit entière. Et de toute façon si vous lisez ces lignes, vous avez déjà tout vu. Au moins une fois. Au moins. Et vous devez tout voir ! Pour le croire. Car, oui, The Bride est enterrée vivante, lors d'une des plus belles et terrifiantes scènes claustrophobiques de l'histoire du cinéma. Oui, on apprend ce qui est vraiment arrivé à El Paso, dans un écrin de noir et blanc qui magnifie la première apparition de Bill. Oui, The Bride affronte Elle Driver dans un combat aussi drôle que destructeur, dont l'issue ironique demeure incertaine. Et, The Bride, toujours elle, forcément elle, mettra en pratique l'initiation folle qu'elle a reçu d'un génial maître de Kung Fu. Et la révélation finale du volume 1 joue bien sûr un rôle clef dans la conclusion de l'histoire. [END SPOILERS]

        Mais en vous racontant tout cela, je ne fais que paraphraser les images. Et je ne sais plus quoi ajouter pour vous convaincre que ce film est LE film. Le tout-en-un, monsieur, madame, mademoiselle ! L'œuvre idéale pour expérimenter la jouissance cinématographique dans toute son ampleur. Car Tarantino triomphe. Il triomphe de tous les pièges qu'il dresse sur son propre chemin. En particulier lors d'un mémorable chapitre qui emprunte l'esthétique des classiques HK, zooms, cantonais et sosie du Samo Hung de Zu à l'appui. Ce qui provoque un rire complique au début, devient totalement attendrissant au fil de la séquence. Touchants aussi, de façon encore plus surprenante, sont les deux anti-héros masculins. Michael Madsen n'est pas loin d'être phénoménal, dans ce qui est sans doute sa meilleure composition, en tueur loser fatigué et cool. Et, bien sûr, David Carradine est impérial, incarnant un Bill séduisant, effrayant, dangereux, drôle, bourré de classe et finalement émouvant. Le méchant parfait, sans doute, voisin du Henri Fonda de Il Etait Une Fois dans l'Ouest. Face à eux, Uma Thurman immense, et Darryl Hannah, hilarante, ne faiblissent pas. Uma/The Bride est confrontée à des souffrances toujours aussi atroces, mais ne se départ jamais de son charisme. Et Darryl Hannah, dans son rôle le plus impressionnant depuis... Blade Runner, en fait des tonnes en super-méchante que l'on adore haïr.

        Alors ? Mise en scène qui n'a jamais été aussi virtuose, musiques forcément sciemment choisies et utilisées, répliques cultes à foison, mais tout cela en mille fois moins roublard qu'auparavant. En plus maîtrisé, au sein d'une maturité qui n'a pourtant rien perdu de la joie de s'amuser avec le cinéma que l'on aime, que l'on adore, celui que l'on respire, qui fait battre notre cœur. En rendant hommage à tout le monde en même temps, Tarantino transcende ses imposants modèles, vise à l'impact immédiat, au plaisir instantané, avec une générosité sans faille. Pour peu que l'on s'abandonne (mais comment résister sans faire preuve d'un cynisme dégoulinant ?), tout ce que l'on peut chercher dans un divertissement est présent ici. Du rire, de l'action, du suspens, de la classe et même des larmes. Trop ? Non ! Pas assez ! On en voudrait plus ! On veut le volume 3 ! Annoncé pour... dans 15 ans... Mais peu importe, avec Kill Bill vol. 2, Tarantino signe son chef-d'œuvre. Avec Kill Bill 1+2, Tarantino marque le 7e art en son entier. Bien plus, d'après moi, qu'avec Pulp Fiction et même Jackie Brown, qui ne tiennent pas deux rounds face au rythme et à la richesse des aventures de The Bride.

        Et après, peu importe, donc. Vous aimez. Vous n'aimez pas. Tant mieux. Tant pis. Peu de place pour la demi-mesure. Il faudra attendre que l'incendie se calme. S'éteigne, peut-être. Mais cela arrivera-t-il un jour ? Pour le moment, l'affiche sublime "The Bride is back for the final cut" a remplacé celle de Big Fish sur mes murs. La messe est dite, Gringo !


Gerry

de Gus Van Sant

        Après être passé complètement à côté du sublime Elephant, je ne peux que venir au plus vite chanter les louanges de ce film magnifique qu'est Gerry. Tourné avant Elephant, Gus Vant Sant y applique déjà les principes esthétiques et narratifs qui lui ont valu tant d'acclamations. Le metteur en scène parvient à une telle maîtrise de l'alliance temps/espace/émotion que l'on reste sans voix. Gerry est une oeuvre quasi tarkovskienne qui sait que savoir écouter le silence et savoir donner le temps à un plan de trouver son plein accomplissement, sont des données essentielles du langage cinématographique. La perfection plastique de Gerry ne cesse de surprendre. Chaque plan étonne, émerveille, et finalement bouleverse. La plus anodine des excursions prend soudainement des allures métaphysiques, baignée dans une lumière divine et encadrée par des décors naturels mais Fantastiques (au sens propre du terme). Chaque ligne de dialogue devient ainsi essentielle. Contre un cinéma du blah-blah prétentieux et abscons, Van Sant préfère une épure d'une clarté troublante.

Gerry est une oeuvre mystérieuse et pourtant elle semble évidente et l'on "comprend" tout, à défaut de tout saisir dès la première vision. Le metteur en scène avoue que la durée de ses plans doit permettre au spectateur de créer son propre sens, ses propres interprétations au sein du film, en opposition à la mise en scène actuelle, qui accumule des images, souvent fortes, mais au détriment du spectateur qui n'est plus que passif. Discours que l'on ne pourra jamais assez féliciter. Gerry parvient ainsi à être, non seulement un chef-d'œuvre plastique incroyable (ce film est d'une pure beauté, les plans-séquences défient et enchantent la perception) mais c'est aussi un bouillonnement de sens et d'émotions, une oeuvre intelligente tout en étant directement sensible, sensuelle même, comme Elephant. J'avoue que j'en ai douté, mais Gus Van Sant le confirme, rétrospectivement, avec Gerry, il est l'un des rares metteurs en scène actuels à proposer une vision neuve et passionnante du cinéma.


La Passion du Christ

de Mel Gibson

        Comment renouveler la manière de raconter la plus célèbre des histoires du monde occidental ? Ou du moins, comment redonner à sa mise en images une nouvelle jeunesse ? Et surtout, comment gérer le Nouveau Testament, texte oh combien symbolique, à une époque où le cynisme et l'explicite règnent ? Mel Gibson est parti d'un constat : les Etats-Unis ne connaissent que la violence et ont besoin de croire. A partir de ces faits, il a présenté la Passion comme l'histoire la plus violente possible, un martyre interminable, dont on ne peut triompher qu'en ayant une foi aveugle en Dieu. Oeuvre fanatique, donc ? Cela se pourrait. Oeuvre possiblement dangereuse si placée dans les mauvaises mains, en tout cas. Et le succès phénoménal du film aux USA (plus de 300 millions de dollars de recette à l'heure où j'écris ces lignes) ne cesse d'inquiéter. Car si le message du Christ est clair : amour, compassion, souffrir sans résister, l'oeuvre de Gibson le noie dans une débauche gore parfois insoutenable (la scène de flagellation est d'une complaisance qui ne surprend pas vraiment de la part du réalisateur du déjà très complaisant Braveheart) et des effets hollywoodiens regrettables. Si l'histoire possède une force évidente, si la reconstitution visuelle est crédible, si les images en elle-même ont de l'impact, Gibson détruit tout par des maladresses impardonnables. Tout d'abord une musique "Gladiator" quasi omniprésente et insupportable (la fin en devient presque ridicule). Ensuite des ralentis à foison qui ne servent souvent à rien, si ce n'est à nier le parti-pris ultra-réaliste du film. Une dramatisation excessive de la moindre situation, jusqu'à la caricature. Et l'insertion (très maladroite) de flashbacks larmoyants indignes d'un tel sujet (même les scènes les plus intouchables, comme le Dernier Repas ou le lavage des pieds, sont gâchées). 

        Si la description très "physique" de la Passion est un choix intéressant et si l'on ne peut pas nier la puissance des scènes de torture (le film n'est paraît-il interdit qu'aux moins de 12 ans, ce qui est aberrant) et de l'interprétation exceptionnelle du toujours génial Jim Caviezel (d'ailleurs tous les acteurs sont bons, voire excellents), ce retour à une vie du Christ "crédible", "réaliste", oublie au passage toute la dimension symbolique de la Bible. Et la mise en scène, terriblement hollywoodienne (et donc très efficace et aguicheuse pour le grand public), ne fait que "banaliser" une histoire sacrée. Bien sûr, tout est présent pour conquérir les jeunes générations, tous ces vilains ados athées, qui découvriront en Jesus un super-héros de la Foi (en ce sens le plan final est une fin hollywoodienne typique ; logiquement, me direz-vous, car la Résurrection est une constante des héros hollywoodiens (d'Aragorn à John McClane en passant par Neo, on ne compte plus les héros que l'on croyait morts mais qui finalement ne le sont pas)). Et Gibson, malgré toute sa bonne volonté (le film est en "vraie" VO sous-titrée) ne parvient pas à révolutionner la mise en scène de la Passion. Là où il aurait fallu un Tarkovski, Gibson fait du Ridley Scott période La Chute du Faucon Noir. A l'heure actuelle, on rêverait plutôt de voir ce que des gens comme Gus Van Sant ou Paul Verhoeven pourrait accomplir avec un tel sujet.

        Difficile pourtant de jeter la première pierre à ce film, tant Gibson déborde de sincérité et en grande partie de courage et de foi. De surcroît, les accusations d'antisémitisme sont très discutables. Gibson colle au récit de la Bible (trop, sans doute), et à plusieurs reprises il montre bien que ceux qui condamnent Jesus sont des fanatiques ou des arrivistes. Ce qui n'est pas le cas de tous les juifs du film (Jesus est juif, doit-on le rappeler ?). Judas expie son crime dans la mort et l'homme qui aide Jesus à porter la Croix est tout d'abord insulté de "sale juif" par un romain. Non, pour moi, c'est ailleurs que The Passion est fort critiquable. Gibson surligne trop, sa démarche "démonstrative" finit par se retourner contre lui. Certes, on souffre avec le Christ, on compatit littéralement avec sa représentation à l'écran, The Passion est bien un calvaire. Mais ce n'est au final qu'un film "choc" et pas l'œuvre de réflexions, d'amour et de Foi qu'il aurait du être. Lorsqu'on choisit un tel sujet et lorsqu'on ambitionne de montrer aux gens des images qui veulent renouveler la représentation que l'on se fait de ces scènes si connues (et c'est ce qui risque malheureusement d'arriver), on ne peut pas se permettre les maladresses de The Passion. Vous irez à peu près tous voir le film de toute façon, mais vous feriez bien de revoir Andrei Roublev après...

Rétrospectivement et quelques mois plus tard je trouve ce film vulgaire, laid et extrêmement déplaisant. Point.


May

de Lucky McKee

        Un film drôle et émouvant, qui nous parle de coutures, de blessures, de poupées. Un film gore et intelligent, où l'on rend hommage à quelques grands classiques du cinéma d'épouvante. Un film de "freaks", de "weirdos", de gens pas ordinaires, où le mythe de Frankenstein tient le devant de la scène. Un film faussement goth, mais vraiment désenchanté. Un chef-d'œuvre humble, adolescent, violent et sincère. Et bien, non, ce n'est pas le nouveau Tim Burton. Mais ça aurait pu. Il y a longtemps. Quand May aurait été la petite amie idéale de Jack Skelington ou même d'Edward. Cette May qui est leur voisine, leur "girl next door" d'un univers qui nous a manqué, tellement manqué. May est donc l'antithèse de Big Fish, le contre-poison (le contre-poisson ?), le cri du cœur déchirant des gens bizarres, qui n'ont pas d'amis, et qui aiment s'en fabriquer avec quelques bouts découpés ici et là. 

        Sur une bande son joyeusement rock (plein de Breeders et de Kelley Deal 6000, ça nous change des Pixies), Lucky McKee mène son film dans la plus pure tradition du genre : "psychopathe sympathique et associal". May est une fille légèrement différente, un peu traumatisée, un peu névrosée, presque comme vous et moi (comment ça, surtout comme moi ?). Elle a bien du mal à interagir avec le monde qui l'entoure, elle a bien du mal à se faire des amis, à trouver un petit ami, à gérer le regard de la mère maniaque qui la suit au travers de l'intouchable poupée. Rien de bien original, rien de bien nouveau. May passera donc par l'espoir et la désillusion avant de perdre pieds dans un dénouement extrêmement gore, très intense et follement émouvant.

        Pour évoquer May, on vous parlera de Carrie, de Créatures Célestes, peut-être même du très beau Kissed de Lynne Stopkewich (les deux films sont très proches) et de Frankenhooker (mais si, mais si !), mais le film est aussi unique que chaque "freak" est unique. Et si, au début, on se dit que l'on a déjà vu tout cela 100 fois, c'est à la force de la mise en scène, à la force de la personnalité de May et surtout à la puissance de la performance admirable de Angela Bettis ("veuillez noter ici une déclaration d'amour passionné à la demoiselle"), que le film sort du lot, fait sa place, non pas au soleil, bien sûr, mais au cœur des ténèbres. Bien sûr, pour aimer May, il faut être sensible à ce genre de contes, cruels, gores, sans doute sordides, mais terriblement métaphoriques, si empreints de nos désillusions quotidiennes, de nos souvenirs si gris, de nos soirées un peu noires, un peu pathétiques, un peu ridicules, un peu drôles. Et lorsque le film aurait pu virer au drame psychologique pédant, Lucky McKee ajoute de l'humour noir bienvenu, résiste à la tentation de faire de la mise en scène clipesque et préfère les plans qui durent, les silences, les pauses. C'est sans doute pour cela que l'on se sent si à l'aise avec May, si bien dans ce film pourtant horrible (rassurez-vous, je ne prône pas le découpage de petits camarades). On s'amuse même de l'accumulation de symboles sexuels gros comme le Titanic, qui incarnent idéalement la frustration de la jeune femme.

        Humour noir et coutures, et oui, ça pourrait vraiment être du Tim Burton. Un Tim Burton plus "réaliste", plus méchant aussi. Un Tim Burton de série B, finalement, tel que je l'aurais rêvé. Un Tim Burton sans barbecue du dimanche. Mais en même temps, tant mieux, place aux jeunes ! Place à May, personnage étrangement proche, dans son comportement et dans son apparence, de l'inégalable Selina Kyle de Batman Returns. Là où Selina se cousait une nouvelle peau, une nouvelle vie, May se coud un ami, un espoir. Alors, oui, c'est effroyable, et les meurtres font vraiment mal, même si tout cela reste heureusement très ludique. Mais c'est le désespoir de May, face au monde qui lui échappe définitivement, face à elle même, qu'elle ne peut voir que par les yeux d'autrui, autrui qui n'est pas là, autrui qui la fuit. C'est ce désespoir qui fait bien plus mal que tout le sang répandu dans le film.

        Après, bien sûr, c'est totalement subjectif. Car dans May il y a presque tout le cinéma (Fantastique ou non) que j'aime. Le cinéma que j'adore dans Heavenly Creatures, dans Edward Aux Mains d'Argent, dans Phantom of the Paradise, dans Fire Walk With Me. Cette réalité décalée, étrange, un peu horrible, qui sublime les souffrances du quotidien, les démons du passé, les errances futures. Et puis c'est une série B magnifique, une série B d'auteur, mais pas prétentieuse, qui ne cherche pas à dire plus que nécessaire, qui n'essaie pas de se faire plus intelligente qu'elle n'est. Elle n'en a pas besoin, May, de se faire passer pour ce qu'elle n'est pas. Ce qu'elle est me suffit. Elle est sublime. Alors, je ne peux pas renier le pays d'où je viens, le pays des Willard et des Candyman, ces "petits" films de genre, qui sont en fait immenses. May est donc, pour l'instant, mon film favori de 2004.

        May, par le charisme de son anti-héroïne, par son humour si noir, est un film qui rend heureux. May, par son désespoir omniprésent, par sa conclusion faussement apaisée, est une oeuvre qui fait terriblement mal. Un film désespéré, beau comme une larme de sang.


Thirteen

de Catherine Hardwicke

        A priori, je suis de moins en moins concerné par les problèmes des adolescents à problèmes. A vrai dire, je n'ai plus très envie de revenir vers un passé pas si lointain, finalement très banal, car nous sommes à peu près tous et toutes passés par là. L'adolescence et tous ses merveilleux instants de bonheurs, tels qu'ils sont parfaitement représentés dans le magnifique film de Catherine Hardwicke. Révolte pour s'extirper douloureusement de l'enfance, compétition et cruauté de la vie sociale et familiale, expériences extrêmes, sexe, drogue et auto-mutilation, solitude et paranoïa... Thirteen nous propose une accumulation de "clichés" sur l'adolescence. Mais il faudrait rappeler encore une fois au cynique que ces clichés-là, nous sommes nombreux à les avoir vécus, à les vivre et nombreux encore sont les ados qui passeront par la plupart de ces tourments. 

        Thirteen débute sur un ton léger et petit à petit le chaos s'installe pour mener vers l'inévitable catastrophe. Le suspens essentiel d'un tel drame familial serait de savoir si la mère et la fille vont parvenir à se retrouver avant que les dommages deviennent à jamais irréparables. Les actrices n'ont aucun mal à être crédibles. En particulier l'anti-héroïne ado idéale Tracy (Evan Rachel Wood), à mi-chemin entre l'adorable Sabrina la Sorcière et la "girl next door" que nous avons tous connus au collège. Mais c'est Holly Hunter, quasiment méconnaissable, qui une nouvelle fois se donne entièrement dans son rôle de mère perdue, incroyablement émouvante, et qui donne l'occasion à l'actrice de nous offrir l'une de ses plus impressionnantes performances. La mise en scène n'hésite pas à avoir recours à des effets issus du vidéo-clip, mais dans le contexte de l'histoire, ils sont tout à fait à propos et nous avons là l'exemple d'une réalisation très démonstrative mais qui sert idéalement le propos du film. Bref, si l'on est un peu rebuté au début par une histoire qui s'annonce terriblement prévisible, on est rapidement conquis par la force de l'ensemble. On pensera souvent très fortement aux Heavenly Creatures de Peter Jackson, et sans atteindre le niveau du chef-d'œuvre total du Néo-Zélandais, Thirteen en évoque souvent l'émotion tétanisante. Catherine Hardwicke ose d'ailleurs un plan final rappelant clairement le film de Jackson. Mais avant cet ultime séquence, la réalisatrice aura conclut son oeuvre sur un faux plan-séquence d'une beauté étonnante et d'une grâce touchante. Cette conclusion, délicate, juste, marque notre esprit et impose Thirteen comme l'un des très bons films de ces derniers mois.


Lost in Translation

de Sofia Coppola

        On aimerait adorer un film comme celui-ci. Sans retenue aucune. On aimerait l'adorer car il déborde de choses que l'on adore. Bill Murray, bien sûr, imbattable lorsqu'il s'agit d'interpréter les clowns tristes, les cyniques au grand cœur, les aigris beaux parleurs. Dans son propre rôle (ou peu s'en faut), il fait son show et vole le film. Il n'y a plus que lui et ses numéros plus ou moins irrésistibles. Certes, on l'a connu plus inspiré, en particulier dans le Un Jour Sans Fin de Harold Ramis, qui demeure sa plus grande prestation, mais on ne peut qu'éprouver une affection sans limite pour cet acteur qui incarne le désabusement avec juste ce qu'il faut de classe et de pathétique. On rit, on sourit, il nous gagne à sa cause, doucement mais sûrement. Mais, sans doute, on était déjà conquis à l'avance. 

        Autour de lui, Sofia Coppola essaie de construire un film. Et bien souvent on se dit que tout n'est que prétexte pour les improvisations de l'acteur vedette. Le Japon n'est plus qu'une succession de clichés assez embarrassants. On a parfois l'impression de se retrouver dans des scènes "touristiques" un peu clippées, comme on en voyait dans les blockbusters hollywoodiens des années 80. On est dans le décoratif, la carte postale, la blague de touriste. L'histoire d'amour ébauchée est tout ce qu'il y a de plus classique (on ne demandait pas In The Mood For Love, certes, mais quand même). Scarlet Johansson se promène gentiment et exhibe ses charmes pour mieux éveiller le quinquagénaire futur qui sommeille en nous. Sur la BO, l'ami Kevin Shields fait ce qu'il sait faire de mieux (Loveless en boucles, forcément). C'est joliment emballé, sans trop d'effets grossiers, c'est assez sobre, c'est assez retenu. Et c'est surtout très léger. Très frivole. Vampirisé par la désinvolture de Bill Murray qui ne cesse, semble-t-il, de surprendre à la fois mademoiselle Johansson et mademoiselle Coppola. Elles essaient, l'une devant, l'autre derrière la caméra, de canaliser la bête, mais elle leur échappe. Bill Murray est l'essence du cool. Il a beau nous faire croire qu'il est en pleine crise, en plein doute, ce n'est vraiment qu'à la toute fin que l'on sent souffler une brise romantique lointaine. Lost In Translation s'achève déjà. Un moment agréable, plein de jolies scènes amusantes, mais qui ne parvient jamais à s'envoler et à nous emporter au-delà des clichés des comédies romantiques les plus balisées. Mais il y a Bill Murray qui imite Dean Martin et Roger Moore, et c'est déjà beaucoup.


Massacre à la Tronçonneuse

de Marcus Nispel

        Pour aborder le plus objectivement possible un tel remake, il faudrait parvenir à oublier l'inoubliable. En effet, le Massacre à la Tronçonneuse originel de Tobe Hooper, fait partie de ces expériences cinématographiques qui marquent, qui forgent, qui se gravent à jamais dans nos sensibilités de fans de films bizarres, fantastiques, "autres". Comme un Maniac ou un Cannibal Hollocaust, The Texas Chainsaw Massacre ne se regarde pas d'un oeil endormi et avec une condescendance cynique. Mélange fauché mais génial entre hystérie glauque, satire, comédie burlesque, thriller cruel et folie à tous les étages, le film de Hooper est unique. Aussi drôle qu'atroce, aussi jouissive qu'insoutenable, on ne pouvait décemment pas imaginer la "relecture" d'une telle oeuvre. Surtout avec un Michael Bay aux commandes. Au final, il ne fait que produire, mais il reste néanmoins des traces de son influence hollywoodienne. Le remake de Marcus Nispel n'échappe donc pas à tous les travers des slashers pour teenagers, bien au contraire. Les protagonistes ont encore moins d'épaisseur que ceux de l'original (qui n'était pourtant que de la chair à boucherie, la première en son genre), les effets lourdauds de mise en scène abondent et le film s'égare à maintes reprises lors de digressions très discutables. Bref, cela se traîne bien souvent, notamment lors d'une première demie-heure arthritique en diable. Cela se voudrait malsain, bien immonde, ce n'est que chiant. Et ce n'est pas en faisant passer son objectif de caméra à travers un crâne fraîchement explosé que l'on va tirer le spectateur de l'ennui. Et même si un peu plus loin Nispel va réveiller quelque peu les troupes, en abandonnant une poignée de bonnes scènes à un Leatherface en forme même si mille fois moins impressionnants que l'original et à un Lee Ermey plus cabotin que jamais (en comparaison, il était d'une sobriété absolue dans Willard, c'est vous dire), le film ne parvient pas à convaincre, fort loin de là. 

        Le public masculin va par ailleurs vous expliquer tout le bien qu'il pense de la gironde Jessica Biel (filmée sous toutes les coutures et très gentiment sadisée par un metteur en scène qui ne se lâche jamais vraiment). Mais si le remake apporte donc essentiellement une poitrine abondante sous un t-shirt très primesautier et un fessier prometteur dans une paire de jeans trop serrés, on perd bien évidemment le regard fou de Marilyn Burns, ainsi que ses cris interminables, qui rendaient le final du chef-d'œuvre de Hooper aussi phénoménal, entre gags et horreur ultime. Même si, sagement, Nispel n'a pas "relu" le repas anthologique, il n'a pas du tout trouvé de remplaçant à ce climax inégalé. Il n'a en fait pas trouvé de climax du tout. A part une scène de crochet particulièrement cruelle, il ne se passe finalement pas grand chose d'horrible dans Massacre à la Tronçonneuse version 2003. Surtout en comparaison, par exemple, du Haute Tension français, peu avare en scènes grand-guignolesques particulièrement beurk. Bref, il n'y a plus ni folie, ni oppression, ni dégoût dans ce remake, il n'y a plus que Jessica Biel, qui se démène avec conviction, c'est déjà ça. Et puis voilà. On s'amène tout doucement jusqu'au plan final, plutôt réussi (c'est même carrément l'affiche du film), mais franchement ça ne fait pas lourd. On peut apprécier ce remake pour une très bonne raison : il est bien moins pire que tout ce que l'on craignait. Mais bon, ce n'est pas avec de tels arguments qu'on va s'envoyer dans la lune, non plus.


House of the Dead

de Uwe Boll

        Précédée d'une réputation de nanar incroyable, cette énième adaptation de jeu vidéo est, disons-le tout de suite, plutôt une excellente surprise. Car les outrances que la plupart des spectateurs ont jugé comme des failles abyssales, sont d'après moi de vrais petits bonheurs idiots qui font tout le charme des séries B/Z telles qu'on les adore. A la base, il faut l'avouer, le jeu vidéo, dans son déroulement, dans son histoire, est proche du zéro absolu. C'est un bidule où l'on tire avec un pistolet en plastique sur les monstres qui apparaissent à l'écran. Vous voyez le genre. Mais, j'ai une affection toute particulière pour House of the Dead, tant sa version Arcade, ainsi que sa version Dreamcast, sont associées à d'excellents souvenirs. On se marre bien devant les House of the Dead, croyez-moi ! Et on se marre bien devant le film de Uwe Boll. Mais pour cela il faut arriver à survivre aux 30 premières minutes, incroyablement poussives, à peine sauvées par le cabotinage réjouissant de Jurgen Prochnow et du mythique Clint Howard (le frangin dingo de Ron), ainsi que par les premières donzelles dénudées (il y en aura beaucoup, rassurez-vous). Au bout de presque 45 minutes, House of the Dead commence enfin. Le groupe des gentils se forme. Il est totalement pittoresque, surprenant. Les héros sont disjonctés et surtout ils ont tous des âmes de bourrins. Dans le feu de l'action, et de façon évidemment totalement incroyable, la moindre bimbo va se révéler être une Lara Croft survoltée. 

        Et c'est à partir de la 50e minute, et pendant 10 excellentes minutes, que House of the Dead et surtout Uwe Boll, vont péter les plombs. Un gunfight grandiose se déroule devant la "Maison des Morts". Des munitions autant qu'on en veut, des zombies par dizaines surgissant de partout, une poignée de héros déterminés, mais un peu crétins quand même sinon ça serait moins marrant. Et un metteur en scène totalement percuté de la cafetière qui transforme le climax de son film en terrain de jeu à la limite de l'expérimental (la caméra fait n'importe quoi, le montage est illogique, tout explose dans tous les sens, des images subliminales du jeu vidéo interviennent dans l'action, etc...). C'est jouissif, vous ne pouvez même pas imaginer à quel point. Et puis c'est gore. Très très gore. Bien gore comme les bons vieux zombies italiens. Bref, c'est le grand panard bis. Et à peu près tout le plaisir que l'on prend devant House of the Dead est concentré dans ce petit quart d'heure, qui à lui seul vaut le déplacement (si on sait apprécier ce genre de spectacles, il va sans dire). Les amateurs de ce genre de sucreries, adoreront sans doute aussi Ona Grauer, l'héroïne très bien pourvue au niveau du décolleté. Si bien pourvue, d'ailleurs, que le metteur en scène, pas dupe du fait que tous les mâles de la salle ont les yeux fixés à cet endroit précis du corps de mademoiselle Grauer, se permet même un ultime gag, d'un humour noir hilarant, lors du combat final. 

        Bourré de défauts réjouissants, House of the Dead est donc très loin d'être la purge infâme que l'on vous annonce un peu partout. Bien sûr, si on est très allergique au petit ouvrage gore qui délire à la moindre occasion, si on reste de marbre devant un Re-Animator ou un Evil Dead 2, il vaut mieux passer son chemin. Sans atteindre la cheville de ses intouchables références de la comédie saignante, House of the Dead réserve son lot de séquences marrantes comme tout et se permet des écarts au bon goût que seuls les frigides de la zéderie bouderont en arborant une moue de dégoût. Ah, les pleutres ! Après Destination Finale 2, l'année dernière, ils vont à nouveau passer à côté d'un grand moment de cinéma débile. House of the Dead, élu antidépresseur de la demie-saison !


Kill Bill volume 1

de Quentin Tarantino

        Oui, je sais, je sais, ce premier volume de Kill Bill est sorti en 2003. Mais je suis tellement en désaccord avec le procédé révoltant de Miramax, qui a scindé assez artificiellement le film en deux "volumes" pour essayer d'en tirer un plus grand profit, que tout Kill Bill va se retrouver en 2004 sur The Web's Worst Page. N'ayant pas la patience d'attendre la sortie du volume 2 pour tout chroniquer d'un seul bloc, je vais exposer déjà quelques petites remarques sur cette première partie. Déjà, essentiellement, et avant tout, "Ce n'est qu'un au revoir, mes frères" était la sonnerie de mon portable depuis plus de trois ans ! Je ne vais pas aller clamer que Tarantino m'a piqué mon concept, mais me voilà désormais obligé de changer de sonnerie. Si c'est pas malheureux. En plus j'ai vraiment cru que c'était mon portable qui sonnait pendant le film (ce qui aurait été criminel, surtout aussi fort). Il fallait le préciser, c'est fait, voilà qui est mieux. Ensuite, tout aussi essentiellement, y a X-Or qui joue dans Kill Bill ! Crâne rasé et définitivement aigri, mais on ne peut que le reconnaître. Ah quel putain de bon film, alors !

        Car, cela est vrai, Kill Bill, première partie, est un énorme moment de jouissance. Et je pèse mes mots. Tarantino prend son pied et le spectateur aussi par la même occasion. Pour cela, rien ne nous sera épargné. Grosse musique entraînante, gros effets de mise en scène dans ta gueule, grosse implication émotionnelle, grosses surprises esthétiques (un magnifique passage animé, en particulier), grosses performances d'acteurs (Uma Thurman, incroyable), gros gore qui tâche (le meilleur du film ou peu s'en faut), combats bourrins à la pelle (le meilleur du film, sans doute). Et un minimum de dialogue, et de la part de Tarantino c'est une excellente surprise. Pas qu'on aime pas ses dialogues, mais en général, une fois qu'on les connaît, ils finissent par plomber le film. Donc, bref, enfin, voilà, ce qui fait plaisir dans Kill Bill c'est qu'on ne s'emmerde pas une seule seconde. 

        Bien sûr il y a de l'humour et quelques répliques à reprendre en chœur. Mais si peu, tellement peu. Le film surprend par sa dureté et son sérieux. Et c'est ce sérieux, ce refus de céder totalement à la parodie (ce serait tellement facile), qui fait de Kill Bill une telle réussite. On pourra rester hermétique à ce vaste fourre-tout qui accumule les références jusqu'à donner le tournis (ce n'est plus un film, c'est une encyclopédie de la série B), mais si on est un tant soit peu ouvert, ce sera le panard absolu. Il faut dire que l'on n'a pas trop le temps de faire la fine bouche, tant tout s'enchaîne à plein régime. Pour culminer (provisoirement) sur un massacre final anthologique et absolument, je dis bien, absolument, génial. Ca tranche, ça gicle, ça bondit dans tous les coins, c'est un tel bonheur qu'on en aurait presque la larme à l'œil. Et puis là, c'est pas du Z débile à la manière d'un Matrix, non, c'est du vrai cinéma, avec une vraie mise en scène, de vrais acteurs, une vraie bonne musique, et puis du cœur, plein de cœur (et du sang partout aussi, ça va avec). Oh, je ne suis pas le premier à le dire, mais c'est la vérité : tout le cinéma que l'on aime est dans Kill Bill.

        Alors, oui, il ne faut pas venir chercher ici de grandes interrogations existentielles, mais est-ce que l'on demande cela à Tarantino ? Non, on demandait un putain de divertissement gore et marrant. Et bien, non seulement, Kill Bill répond largement à nos attentes initiales, mais en plus, zut alors, en plus il nous apporte de l'émotion et de l'invention. Si, si, de l'invention, dans un film qui ne fonctionne que par "emprunts", il y a de l'invention qui surgit de tout cela. Bien plus encore que dans les précédentes oeuvres de Tarantino, Kill Bill fait naître des merveilles à partir de choses que l'on connaît plus ou moins par cœur. Non seulement cette moitié de Kill Bill est déjà le meilleur film de Tarantino, mais en plus, c'est un chef-d'œuvre. Un chef-d'œuvre dans son genre. Dans la série B. La série B sans prétention, sauf celle de tout se permettre. De se permettre de se prendre au sérieux, de se permettre de faire exploser l'hémoglobine dans tous les coins, de se permettre de nous toucher avec les pires caricatures, bref de faire n'importe quoi, juste pour se faire plaisir, juste pour nous faire plaisir. Le résultat fait bondir sur son siège de bonheur simple et idiot. On ne s'était pas autant amusé devant un film "live" depuis combien de temps déjà ? Un certain temps, voire un temps certain...

 

 
 
 
 
 
 
 
 
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