Vampire Hunter D : Bloodlust

de Yoshiaki Kawajiri

        Lorsque Kawajiri s'attaque à une relecture/remake des aventures du Vampire Hunter D, on était en droit d'attendre monts et merveilles. Donc, venir affirmer que le résultat dépasse même les plus grandes exigences pourra paraître un peu abusif à tous ceux qui sont déjà tombés sous le charme d'un Ninja Scroll ou d'une Cité Interdite. Pourtant en tout point, ce Bloodlust améliore les précédentes réussites de Kawajiri. Si le style graphique est immédiatement reconnaissable, ainsi que la violence omniprésente (mais avec un frein certain sur le sexe, ce qui n'est pas plus mal), le visuel de Vampire Hunter D tient parfois du jamais vu à l'écran. C'est beau, mazette, fichtre, palsambleu ! C'est beau à s'en décrocher la mâchoire (ça tombe bien, c'est une histoire de vampires). Certains décors sont hallucinants de détails. Certains plans sont d'une puissance effroyable. Alors, certes, depuis Ninja Scroll, on connaît bien ce style là, et on retrouvera beaucoup de points communs aux deux films. Mais qu'importe ! Car dans Vampire Hunter D, ce qui est passionnant, c'est l'appropriation et la relecture de figures mythiques occidentales. Bref, Vampire Hunter D mélange gaillardement le western et le film gothique, emprunte à la Hammer comme aux mythologies grecques et romaines, transcende un bestiaire de monstres bien connus et ne cesse de surprendre et de ravir l'amateur de Fantastique.

        Car, s'il est déjà un chef-d'œuvre plastique, Vampire Hunter D Bloodlust s'offre aussi un scénario taillé dans le marbre. A la fois extrêmement classique, mais d'une efficacité qui ne laisse la place à aucun temps mort pendant 1h40. On est immédiatement happé par l'action et l'on s'attache à tous les personnages, bons ou méchants, mais peut-on vraiment savoir, tant le manichéisme n'est pas vraiment de mise dans cette histoire. Les séquences formidables s'enchaînent sur un rythme soutenu mais pas éreintant. Après un combat éprouvant, on trouvera toujours le temps pour une pause intimiste. La grande force des meilleures oeuvres de Kawajiri, c'est de trouver l'équilibre cristallin entre scènes spectaculaires extrêmement violentes (graphiquement et émotionnellement) et scènes calmes, posées, parfois follement poétiques, qui nous laissent apprécier au mieux les personnages et surtout l'univers fascinant qui les entoure.

        Vampire Hunter D Bloodlust parvient ainsi à nous faire découvrir des images impossibles à concevoir dans un film "live". Des instants, comme le final dans le château de Carmilla, touchent au sublime. Et après cette dernière partie qui ne cesse de couper le souffle, le film s'achève sur une coda attendue mais terriblement touchante. Glisser ainsi une émotion aussi juste, aussi simple, aussi délicate, en conclusion d'une terrible oeuvre de fureur barbare, c'est le détail qui transporte Vampire Hunter D au rang des chefs-d'œuvre du Fantastique. Et qui permet au film de prétendre au titre du meilleur film de vampires "contemporains", du moins à le disputer très sérieusement au Near Dark de Kathryn Bigelow et au Vampires de John Carpenter. Si vous voulez mon humble avis, moi le fan absolu de Near Dark, je trouve ce Vampire Hunter D en tout point supérieur au déjà immense coup de poing de la belle Kathryn. C'est vous dire, oui, c'est vous dire s'il m'a plu ce film. Alors, vous n'allez pas réfléchir plus longtemps, vous allez l'acheter, pour Noël, là, par exemple, en plus des Deux Tours, il y aura toujours une petite place au pied du sapin. Mais peut-être l'avez déjà chez vous, ce Vampire Hunter, après tout. Mais on ne sait jamais !

En résumé : Vampire Hunter D Bloodlust, aussi bien par son visuel que par son scénario d'une intensité tétanisante, s'impose comme l'un des plus grands films Fantastique de notre époque. Une claque monstrueuse, du niveau d'un Ninja Scroll, si ce n'est encore plus magistrale. Inutile d'en dire plus, inutile surtout d'entrer dans les détails de l'histoire, il n'y a pas besoin d'aimer les vampires, ni les anime, ni le Fantastique, ni la violence, non, il suffit d'aimer les légendes et le cinéma pour chérir Vampire Hunter D comme un joyau sans égal.


Les Deux Tours - version longue

de Peter Jackson

On remarque parfois avec amertume que l'histoire se répète, souvent pour le pire, il faut bien l'avouer. Dans le cas de la version longue des Deux Tours, comme l'année précédente avec celle de la Communauté de l'Anneau, l'histoire bégaie. Mais, fait exceptionnel, c'est bien ici pour le meilleur. Et un excellent film, très légèrement décevant en salles, devient, par la grâce du DVD, un pur chef-d'œuvre. Un nouveau tiers de chef-d'œuvre absolu, comme je l'avais annoncé, avec une justesse qui me surprend moi-même, dès la première vision de la Communauté de l'Anneau. Car, avec sous les yeux les deux tiers de la version intégrale du futur Seigneur des Anneaux (qui sera donc achevé pour de bon en novembre 2004), les choses se précisent, et je peux déjà m'avancer un peu plus sur la qualité finale de l'œuvre. Alors, croyez-moi, j'ai suffisamment chipoté sur les quelques points problématiques de ces films, mais là, ça suffit. Après les 3h45 (qui m'ont semblé vraiment ne durer qu'une heure) des Deux Tours, je peux déjà vous dire que nous avons là sous les yeux le meilleur films à caractère "spectaculaire" depuis... ah... Batman Returns (au moins !). Une oeuvre d'une ampleur qui ne peut se retrouver que dans des super-productions démesurées à la Cecil B. DeMille, à la David Lean ou à la Griffith. Et on se rend ainsi compte combien le cinéma n'offrait plus de tels spectacles, car même la première trilogie Star Wars est bien loin d'atteindre le grandiose de ce Seigneur des Anneaux. A tous les niveaux.

        Déjà, visuellement, Les Deux Tours, surtout en DVD avec des couleurs et des détails plus vifs que ceux découverts en salles, est un sommet, un choc esthétique, un émerveillement de chaque seconde. Et puis cette musique ! Bon sang cette musique. Certes il y a quelques thèmes un peu pompiers. Mais la partition est d'une telle richesse, d'une telle ampleur émotionnelle, que l'on ne cesse de se demander où Howard Shore est allé chercher tout cela. Le thème de l'Anneau est absolument sublime, non, zut, enfin, je radote, mais quand même ! Sans évoquer, à nouveau, la conclusion du métrage avec la bouleversante Gollum's Song. L'histoire, par ailleurs, avec ses résonances moyenâgeuses flirte avec le niveau d'un Excalibur ou d'un 13e Guerrier, on est au cœur du mythe, tout est gravé dans le marbre. Enfin, les qualités du film sont innombrables et je voulais surtout évoquer ici brièvement les bienfaits étonnants de la version longue.

        Toutes les scènes ajoutées améliorent le film. Et la plupart d'entre elles le rendent même infiniment meilleur. Pour exemple un long flash back sur les rapport entre Boromir et Faramir qui rend d'autant plus compréhensible l'attitude de ce dernier dans la suite du métrage. Autre exemple ? L'enterrement du fils de Theodred, où soudainement Eowyn (Miranda Otto merveilleuse à mourir sur place) se met à chanter avec une âpreté qui rend parfaitement justice à la souffrance qu'endure son personnage. Encore des exemples ? De nombreuses nouvelles scènes avec Treebeard, durant lesquelles celui-ci déclame des poèmes et où il conduit Merry et Pippin dans sa demeure (tout cela rendant le film plus fidèle à l'œuvre de Tolkien). Encore ? Gollum a droit à plusieurs nouvelles scènes clefs, principalement une où il fait comprendre à Frodo qu'il connaît fort bien les tourments que fait subir l'anneau à celui qui le porte. Est-ce tout ? Loin de là ! Eomer, Eowyn, Faramir (encore !) obtiennent tous des scènes supplémentaires qui leur permettent d'exister d'autant plus à l'écran. Mieux ? Mieux ! D'autres scènes se déroulant à Rivendel chez les elfes, visuellement les plus raffinées du film (mais comment ce diable de Peter Jacskon a-t-il fait ?) sont ajoutées. Je ne ferais jamais assez l'éloge de ces quelques séquences qui parviennent à nous faire croire que Hugo Weaving est un elfe de 3000 ans et qui offrent à Liv Tyler une beauté inhumaine. Et ce n'est pas fini ! Car justement, toute la fin du film a été retouchée. Chaque histoire connaît désormais une conclusion (provisoire) plus longue et nettement plus intéressante (les adieux de Frodo et Sam à Faramir, par exemple, paraissent rétrospectivement indispensables à l'équilibre du métrage). Bref, une nouvelle fois, cette version longue qui m'a paru beaucoup plus courte que la version courte (ah ! ah !), renvoie le film vu en salles aux oubliettes et devient immédiatement la seule, l'unique, la vraie version des Deux Tours.

        Alors que dire d'autre ? Bien sûr, dans le cas d'une telle oeuvre, pleine d'emphase, d'excès, de délires baroques, de bruits, de fureur, de sentiments exacerbés et de visions grandioses voire grandiloquentes, il n'y a pas 36 solutions. Soit on entre dans l'univers et l'on ne peut plus jamais le quitter. Soit on y reste hermétique, ce que je peux vraiment tout à fait comprendre, et là, ce n'est pas vraiment la peine d'insister. On n'y trouvera que matière à se moquer ou à s'ennuyer jusqu'à plus soif. C'est un peu tout ou rien et la demie-mesure, face à tant de démesure, n'a pas vraiment sa place. Il pourra bien sûr y avoir des degrés dans l'appréciation du film. On n'est pas obligé d'être fanatique et d'acheter les discutables statuettes. Comme on peut tout simplement être indifférent. Mais, la moindre des choses est de voir ces oeuvres. Et surtout de les voir en version longue, même lorsque, et surtout lorsque, l'on a moyennement accroché aux versions salles. Enfin, pour moi, "l'effet version intégrale" est toujours si puissant, si exaltant, que je ne peux que très vivement encourager l'acquisition de ce très bel objet (4 DVD, deux pour le film, deux pour les bonus (incroyables eux aussi, même s'il ne faut pas en abuser car ils peuvent briser la magie du film, personnellement, je n'en regarde que quelques bribes, et j'attendrais sans doute quelques années pour m'y plonger vraiment)). L'image est d'une qualité affolante et le son fera trembler les murs même avec une installation dérisoire (une simple télévision suffit). 

        Bref, j'essaie d'argumenter, mais en fait les seuls mots qui me viennent à l'esprit vont plutôt dans le sens d'un : Les Deux Tours c'est LE spectacle total, tel qu'on le rêve. C'est énorme, épique, violent, tragique, émouvant. On pleure, on rit, on s'enthousiasme, on s'émerveille, on peut le passer en boucles et on y découvre de nouvelles choses à chaque vision. On s'exalte totalement et on se souvient soudain pourquoi on aime le cinéma à ce point. Zut alors, ce n'est pas souvent que l'on ressent cela. La dernière fois ? Peut-être avec la Communauté de l'Anneau version longue... ou avec... Fantômes Contre Fantômes... de Peter Jackson. Ce type me dépasse et je l'admire, presque malgré moi. Mais comment fait-il tout cela ?

        Bien, si le Retour du Roi est au minimum aussi bon que ces Deux Tours et que cette Communauté, il n'y aura pas de soucis à se faire, ces films (enfin, ce film) ne nous quitteront plus. Leur richesse est digne de l'œuvre de Tolkien et la force des images de Jackson apporte même de nouveaux sens absents ou à peine effleurés par le livre. Sans le remplacer, bien sûr ! Sans surtout chercher à le remplacer. Mais juste à l'interpréter. Au mieux, avec intelligence, avec courage. Et c'est bien là la force de ces films. Leur courage face à une telle histoire hors normes. C'était impossible à retranscrire à l'écran et pourtant on frissonne quand les Ents marchent sur l'Isengard au son de chœurs angéliques, et pourtant on saute sur son siège au moment du choc entre les cavaliers de Rohan et les Wargs, on est touché par la camaraderie entre l'Homme, l'Elfe et le Nain, on s'émeut devant les larmes d'Arwen condamnée à survivre à celui qu'elle aime, on décèle même une humanité troublante, voire affolante, dans les yeux virtuels du formidable Gollum. Et on adorerait un film qui ne posséderait qu'un seul des innombrables plans sublimes des Deux Tours. Alors, on ne sait plus quoi dire, on ne sait plus quoi faire, ce Seigneur des Anneaux est autre, hors concours, ailleurs, avec ses défauts qui font sourire et ses instants qui font battre le cœur plus vite, avec sa féerie et sa violence étouffante. Ce Seigneur des Anneaux est tel qu'on l'avait rêvé et c'est sans doute cela la plus grande des surprises.

En résumé : La version longue des Deux Tours, comme pour la Communauté de l'Anneau, et sans doute comme pour le Retour du Roi, est LA version définitive, la seule, l'unique (comme l'Anneau). Dire qu'elle est indispensable à toute DVDthèque est un remarquable euphémisme. Tout, de l'emballage aux suppléments, en passant par l'image et le son, est d'une qualité digne du film, c'est à dire hors normes, incroyable. Un véritable trésor, une oeuvre d'art. Oh et puis que puis-je ajouter ? Vous pouvez très bien ne pas apprécier, hein, après tout ! C'est juste, que, bon, j'aime tellement ce(s) film(s), que je ne pouvais pas ne pas le clamer une nouvelle fois bien fort....


Le Miroir

de Andréi Tarkovski

        Le cinéma d'Andréi Tarkovski n'est finalement composé que de symboles et de métaphores. Il trouve une inspiration dans un fait historique (l'Enfance d'Ivan, Andréi Roublev), dans un roman (Solaris, Stalker), dans un voyage (Nostalghia) dans son existence même (Le Miroir), souvent dans ses rêves, et profite de ces ébauches de narrations pour évoquer ses questionnements métaphysiques en images et en paroles, plus rares mais d'une aussi grandes importances. Le sens passe aussi souvent par la musique, lui qui considérait Bach comme le plus grand artiste de l'histoire de l'humanité). Le cinéma de Tarkovski est ainsi le plus exigeant qui soit, tant chaque scène, chaque son, chaque mouvement, chaque silence est porteur de significations.

        L'univers de Tarkovski est l'un des plus hermétiques du cinéma. Et même de tous les arts. Comme le dit Antoine De Baecque, dans son très bel ouvrage consacré au cinéaste, Tarkovski ne cherche pas à se faire comprendre du public, il ne donne aucune clef, il va jusqu'au bout de sa vision et peu importe si lui seul comprend ses oeuvres. Mais le secret des films de Tarkovski, c'est l'auteur lui-même qui le livre. Il voulait un cinéma qui retourne vers le sensible, par-delà la raison, un cinéma de croyance, un cinéma de foi, un cinéma théologique plus que rationnel. Il affirmait aussi que les enfants étaient les plus aptes à comprendre ses œuvres et c'est sans doute vrai.

        Son chef-d'œuvre plastique, Le Miroir, n'est qu'un enchaînement de fragments de souvenirs, où les logiques de la mémoire et du rêve se répondent et s'unissent. Le Miroir est ainsi à la fois le film le plus juste sur le souvenir, mais aussi sur l'enfance. Et c'est l'une des très rares œuvres d'art à recréer le langage de l'esprit (comme chez Faulkner ou Joyce en littérature). On pourrait simplement s'arrêter aux qualités esthétiques du Miroir et le considérer, comme beaucoup de ses spectateurs, comme le plus beau film de l'histoire du cinéma. Mais ce serait faire affront à l'œuvre. Le Miroir ne se laisse pas emprisonner dans de vains superlatifs et dans de scolaires explications. Le Miroir, dans sa complexité, dans sa richesse, essaie de nous prouver que "vivre c'est se souvenir". On réalise soudain à quel point ce film est une oeuvre sensible, délicate, qui masque son cœur derrière un propos abscons, des plans-séquences cristallins, mais au final, c'est l'émotion qui submerge. Lorsque l'on comprend enfin que, plus encore que Nostalghia ou que le Sacrifice, le Miroir n'est pas seulement l'autobiographie du cinéaste mais surtout son testament.

        Le Miroir est alors un film de symboles et de sensations. Chaque image pouvant en entraîner une autre, sans lien logique apparent. Le seul lien est celui de l'affectif, le lien de l'esprit au bord de la mort, de l'esprit qui cherche et se souvient. On y retrouve aussi (et j'allais dire : évidemment) l'omniprésence de l'eau, liée à la mère (omniprésent contrebalançant l'absence du père) et à la culpabilité. C'est cette même eau qui lie les hommes à une spiritualité plus élevée en les faisant revenir à la terre comme dans Andréi Roublev, Nostalghia, Stalker ou le Sacrifice. Chez Tarkovski retourner à la boue c'est le retour au sens, par-delà la raison, le retour au monde, l'acceptation du divin comme on le trouverait chez St Augustin ou chez St Thomas. L'être humain se sacrifie en son entier pour pouvoir trouver Dieu (au prix de sa raison ou de sa vie même). Sans doute la plus puissante et la plus belle représentation du Sacré et de la Foi au cinéma. Ce n'est pas en quelques mots que je peux expliquer cela, surtout si on ne connaît pas ces films, qui sont des expériences métaphysiques mais surtout religieuses au sens le plus noble du terme.

        Ce qui frappe aussi chez Tarkovski c'est "l'imperfection" de son œuvre. Il y a toujours des moments de rupture, des rochers acérés au sein de scènes si fluides et parfaitement construites, il y a toujours l'imperfection humaine qui surgit des images et des paroles. Et c'est en cela que ses œuvres parviennent à être les plus belles de l'histoire du cinéma. C'est car elles savent être laides, antipathiques, sur le fil du rasoir, elles savent créer le malaise pour mieux nous amener plus près de leurs messages. Ce sont des films qui doutent, qui flirtent avec le surréalisme (Tarkovski estimait beaucoup Buñuel), sans jamais pourtant se perdre. Tous les films de Tarkovski "stalkent". 

        Son œuvre entière pourrait se résumer dans le plan final du Miroir, avec la montée des chœurs brutalement coupée par le cri de l'enfant, le dernier retour auprès du souvenir idéalisé de la mère, la caméra s'enfonçant dans les ténèbres de la forêt et de la mort. Ou plus simplement, tout Tarkovski se trouverait dans les derniers mots du Sacrifice, ce "Pourquoi, papa ?", qui laisse en suspend une oeuvre riche en certitudes, riche en convictions, mais qui n'a jamais cessé de chercher, qui n'a jamais cessé de trouver pour mieux chercher à nouveau. Ces films ont une âme, et c'est sans doute ce qui fait aujourd'hui d'Andréi Tarkovski mon cinéaste favori. Et que l'on soit croyant ou athée, philosophe ou le dernier des cancres, si l'on parvient à effleurer la Grâce d'un film comme le Miroir, on approche alors du Sacré, et Dieu semble une évidence, car la Foi de Tarkovski est immense, juste et bouleversante.


Charlie's Angels

de McG

        Au moment de la sortie de Charlie's Angels, le monde était clairement scindé en deux catégories (enfin, trois, si l'on compte ceux qui n'ont pas vu le film à l'époque, moi, par exemple). Ceux qui avaient honte d'aimer le film et ceux qui clamaient haut et fort que la bombe signée McG était le divertissement idéal. Mais en clair, tous ceux qui ont vu ce premier Charlie's Angels l'ont aimé. Si, si. Ne pas aimer ce film est impossible. Je vous assure. Prenez exemple sur moi, là, qui vient de rattraper le temps perdu. Je déteste Cameron Diaz et pourtant je la trouve géniale, sexy, drôle et même adorable dans Charlie's Angels. Je déteste les groupes qui figurent sur la BO du film et pourtant je saute de joie sur mon siège quand surviennent les Prodigy et Blink 182. Je déteste les bimbos qui brillent sous le soleil de Californie et pourtant ce film dessine un sourire permanent sur mon visage. Je déteste les mises en images gratuitement clipesques et pourtant Charlie's Angels m'épate d'un bout à l'autre. Bref, il y a beaucoup de raisons qui pourraient me pousser à conchier ce divertissement ultra-léger et ultra-kitsch. Et bien, non, j'adore ce film. Je l'adore. Voilà. Charlie's Angels ventile tout sens critique et nous conquiert, sans que nous puissions une seule seconde lui résister. 

        Pourquoi ? Comment ? Quelle est la recette du miracle ? Et bien, cela paraît simple dit ainsi, mais c'est très compliqué. La formule magique c'est la bonne humeur, le fun, la légèreté, la simplicité. Parvenir à donner l'impression que tout est improvisé, que l'ensemble du film chemine entre la séquence d'action décomplexée et le bêtisier. Un film qui donne l'impression que tout le monde s'amuse sur le tournage, les acteurs, le réalisateur, l'équipe technique toute entière et forcément le public avec eux. La grande réussite de Charlie's Angels, c'est de devenir immédiatement ami avec le spectateur. Mais on ne devient pas ami avec nous aussi facilement que cela. Surtout avec les aspects, a priori horribles, que j'ai évoqué plus haut. Déjà, il faut nous apprivoiser avec des choses que l'on adore quoi qu'il arrive. Des séquences d'action hyper rythmée, bien fichues, compréhensibles, impressionnantes sans être abrutissantes. Bon point, ça. Des gags drôles, parfois triviaux, souvent idiots, toujours bienvenus. Bon point aussi. Bill Murray à son aise, en pleine forme, discutant avec un oiseau ou faisant un combat de sumos avec Tim "Frank'n'Further" Curry. Là, déjà, ça sent le chef-d'œuvre, non ? Le fantastique Crispin Glover en tueur mystérieux, effrayant, raffiné et quasi invulnérable. On se pâme. Des plans sexy à la pelle, mais jamais vraiment vulgaires. On frôle l'orgasme. Trois actrices principales dans leurs meilleurs rôles pour le grand écran. On n'ose y croire. Et le tout emballé dans une ambiance décontractée et parfois étonnamment touchante. Et voilà, ainsi Blink 182 paraît bien moins hideux.

        Charlie's Angels n'est pas, contrairement à la norme, un film ennuyeux entrecoupé par quelques morceaux de bravoures, c'est un immense morceau de bravoure entrecoupé de minuscules séquences un peu plus faibles. Mais les grands moments sont vraiment épatants. L'ouverture du film, bien sûr. Le combat entre les anges et Crispin Glover dans la ruelle, une pure merveille qui à elle seule justifie la possession de Charlie's Angels chez soi. L'infiltration de l'entreprise informatique, avec Lucy Liu en dominatrice en latex et Cameron Diaz en catsuit blanc (non, non, ce ne sont pas un récit de mes fantasmes personnels, c'est bien dans le film). Toutes les scène où Lucy Liu sourit. Toutes les scènes où Cameron Diaz danse (et toutes les scènes où elle tombe, se cogne, dit une vulgarité énorme...). Toutes les scènes où Drew Barrymore fait la moue. Tout le final dans le manoir au bord de l'océan (un petit miracle de rythme et de mise en scène, comme quoi, tout arrive). De plus, le film respecte la série TV (pas si fameuse que cela, mais tellement culte), notamment en donnant une vraie présence au personnage toujours invisible de Charlie. Bref, un petit miracle.

    En résumé : On peut difficilement associer les termes "chef-d'œuvre" et "Charlie's Angels", car finalement ce serait classer le film de McG dans un univers auquel il n'appartient pas. Non, Charlie's Angels fait partie de cette catégorie précieuse et rare des films parfaitement divertissants et sympathiques. Les films que l'on revoit toujours sans avoir à faire le moindre effort et que l'on va même se passer lorsqu'un coup de déprime surgit. Il s'en va ainsi rejoindre dans mon panthéon personnel Roger Rabbit, Piège de Cristal, et même, et oui, toutes proportions gardées quand même, Princess Bride. Voilà un investissement que vous n'êtes pas près de regretter. Indispensable.


Time and Tide

de Tsui Hark

        Voilà ! Voilà pourquoi Tsui Hark est le meilleur metteur en scène de la planète ! A part Spielberg, on voit mal qui peut lui disputer ce titre à l'heure actuelle. Pourquoi ? Mais parce que les films de Hark ne sont pas seulement extraordinaires dans leur forme, ils sont aussi palpitants dans ce qu'ils racontent. Dans Time and Tide, les libertés que prend Hark avec la narration "classique" ne sont pas moins révolutionnaires que ses expérimentations visuelles. Et chez Tsui Hark, les énormes scènes d'action ne signifient pas que le reste du métrage est inintéressant. On est ici à des années-lumières du vide scénaristique des Matrix (vide qui essaie de se cacher derrière une philosophie de bazar). Non, les scènes d'expositions et de transitions sont aussi passionnantes que les phases d'action. Les séquences intimistes sont très touchantes (très bons acteurs à l'appui) et Hark se permet de loucher vers la Nouvelle Vague sans pour autant virer dans le prétentieux et oublier qu'il est là pour nous offrir un polar qui décoiffe. Et niveau polar/action qui décoiffe, Time and Tide est tout simplement le meilleur film du genre depuis Une Journée En Enfer.

        Incroyable du générique d'ouverture jusqu'à sa très belle conclusion, le film ne cesse de surprendre, de laisser bouche bée. Dans Matrix, par exemple, on est impressionné par deux ou trois plans, dans Time and Tide ce sont des dizaines de plans qui clouent le spectateur sur place. Tsui Hark ose tout et même plus. Il filme l'intérieur d'un pistolet (chargé ou non), il ose tous les angles de prise de vue, il entre dans les atomes d'une porte de réfrigérateur, il syncope son montage, il enchevêtre les langages, les flash backs, les actions. Mais malgré les audaces narratives et visuelles, on comprend toujours parfaitement de quoi il en retourne (les bons et les méchants, l'honneur et la rédemption, la mort et la naissance). Non seulement Tsui Hark fait du cinoche jouissif mais en plus il fait du grand cinéma intelligent (cf toute sa filmographie). Aussi à l'aise dans la description des sentiments que dans les "gun fights", ce génie est sans aucun doute le cinéaste le plus complet de notre époque. Un type qui possède dans sa filmographie des oeuvres aussi diverses et sublimes que L'Enfer des Armes, Zu, Il Etait Une Fois En Chine, The Lovers, The Blade et ce Time and Tide, n'usurpe pas du tout le titre de meilleur metteur en scène de son temps.

        Pour en revenir au film dont nous parlons ici, et bien, tout le monde l'a dit au moment de sa sortie en salles en France (malheureusement trop discrète) : c'est une bombe. A le revoir en DVD, on se dit : c'est incroyable ! Car aucun autre film actuel à grand spectacle (à part... Legend of Zu) n'arrive à la cheville de Time and Tide. Ni Matrix (1 et 2), ni Minority Report (même si Spielberg a fait très fort il n'a pas tenu toutes ses promesses), ni les autres, là, tous les autres. Il suffit de se repasser en boucles la déjà culte scène de l'immeuble (qui débute à pile une heure de métrage). C'est de la folie. Une chorégraphie d'une beauté et d'une intensité uniques. Un peu comme si West Side Story fusionnait avec The Killer. Déjà John Woo se posait en virtuose du "Gun Fight", mais là, Hark le renvoie loin derrière (ce qui est finalement bien normal vu ce que Woo doit à Hark). Les plans où la caméra saute d'étage en étag,e littéralement en chute libre, à la poursuite des protagonistes, défient toujours nos sens. On se retrouve comme des gamins qui vont au cinéma pour la première fois. Certes, j'ai vu beaucoup, beaucoup, beaucoup de films dans ma vie. Et bien souvent je "comprend" la mise en scène, je peux prévoir les choix d'un metteur en scène, la forme des films me surprend de moins en moins. Mais dans Time and Tide, et bien je suis dépassé. Je me dis : "Jamais je n'aurais pensé à ça ! Mais comment fait-il ! Oh la vache !" . Et c'est un sentiment inestimable.

        Bref, inutile de m'étendre sur le plaisir que l'on prend à la vision de Time and Tide (et d'à peu près tous les films de Tsui Hark et Dieu sait que sa filmographie commence à être immense). Je ne cesse de le répéter, mais aucun film occidental n'atteint ce niveau de spectacle pur, d'émotions, de surprises, d'intensité, de plaisir. Time and Tide est l'idée même du cinéma jouissif. Et en même temps la synthèse de tout ce que l'on peut faire avec une caméra. Petit chef-d'oeuvre ? Oui, si on considère que le film d'action avec des flingues est un genre mineur du cinéma. Ce que je suis loin de penser. Donc, Time and Tide est un GRAND chef-d'oeuvre.

En résumé : le DVD est honorable, même si on rêverait d'une édition collector chez HK Vidéo. Ce ne sera certainement pas pour un futur proche, donc, tant pis. On doit de toute façon posséder Time and Tide dans sa dvdthèque. Pourquoi ? Mais parce que dès que la déprime guette, il suffit de mettre le disque dans le lecteur et en quelques minutes, on est ailleurs. Dans le monde hors normes, inimaginable, affolant, ludique et touchant de l'immense monsieur Hark.

 
 
 
 
 
 
 
 
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