(texte de 1998) Bien, installons-nous confortablement et mettons en route la belle cassette HK de The Blade. Observons ce film comme si c'était la première fois et surtout avec l'œil d'un critique professionnel, avec le délire obsessionnel d'un étudiant en maîtrise de cinéma. Essayons d'être objectif. Cela sera bien sûr impossible, car dès les premières images du film on ne peut que craquer, fondre en larmes devant tant de beauté. Mais bon, aller, aller, essayons de ne regarder que le strict niveau de la mise en scène. Et que peut-on en conclure après un peu plus de 100 minutes de métrage ? Et bien que c'est incroyable, évidemment, que les Peter Jackson et autres Terry Gilliam ont du soucis à se faire. Et oui, la mise en scène de Tsui Hark est phénoménale, non, elle est bien plus fabuleuse que cela. Pourquoi ? Parce qu'elle d'une complexité effroyable, que le travail de montage et de post-production est tétanisant. Et surtout qu'à aucun moment la mise en scène ne prend le dessus sur l'histoire qui est racontée. Et c'est en cela que Tsui Hark est un génie absolu qui ne bataille qu'avec une petite poignée d'autres au titre de plus grand metteur en scène de ce siècle.

Car les films de Tsui Hark sont avant tout des histoires merveilleuses, magiques, bouleversantes, souvent très drôles, toujours exemplaires, fréquemment tragiques et évidemment d'une beauté qui dépassent les mots. Avec une maîtrise que les américains peuvent lui envier, avec une intelligence d'écriture que les européens peuvent toujours continuer à chercher, avec une perfection digne des plus grands artistes, Tsui Hark a créé une œuvre cohérente, extrêmement riche, parfois inégale mais tellement foisonnante que les défauts sont noyés dans un déferlement d'images extraordinaires et de personnages fabuleux. Oui, je peux en faire trop en exposant mon admiration pour Hark, mais tant qu'il ne sera pas reconnu à sa juste valeur (et il y a encore du travail), tant que The Lovers ne sera présenté à sa place méritée de meilleur film du monde, tant que l'on ne considérera pas Green Snake comme l'acme du 7e Art, tant que les gens refuseront de reconnaître que des films comme Zu ou Once Upon A Time In China sont de très loin les plus fabuleux que l'on puisse voir au cinéma, et bien tant que Tsui Hark ne sera pas cité en exemple aux côtés de Kubrick et de Laughton, je continuerais à déverser des flots de superlatifs dans tous les sens, je persisterais dans ma destinée de Dr Wong de l'hagiographie du cinéma asiatique, alignant les métaphores enthousiastes à la vitesse des enchaînements de Jet Li.


Dossier : retour sur sa filmographie en 2011


The Butterfly Murders (1979)

We're Going To Eat You (Histoire de Cannibales) (1980)


Don't Play With Fire (L'Enfer des armes) (1980)

Si la barbarie de Histoire de Cannibales était modérée par l'humour et l'excès, L'Enfer des Armes n'offre lui aucune porte de sortie. Censuré à Hong-Kong mais miraculeusement retrouvée par HK vidéo, la première version du film insiste sur l'anarchisme de ses héros et renforce l'absence de manichéisme de l'histoire. Mais la version finale n'en demeure pas moins effroyablement sombre et cruelle, réservant quelques scènes particulièrement éprouvantes et un pessimisme à toute épreuve. 15 ans avant The Blade, Hark avait déjà osé dynamiter les codes du cinéma HK et délivrait ainsi son film le plus "réaliste". L'Enfer des Armes est un tournant dans la carrière du metteur en scène qui allait aussitôt après rejoindre la voie de la comédie et du pur spectacle. Si le cynisme de l'histoire et une mise en scène finalement assez sobre, font de l'Enfer des Armes un film moins impressionnant que les chefs-d'oeuvre suivants de Hark, l'oeuvre demeure un véritable choc d'une noirceur inhabituelle.


All The Wrong Clues (1981)


Zu : Warriors From The Magic Moutain (1983)

Si avec ce film Tsui Hark semble abandonner la folie furieuse d'Histoire de Cannibales et de l'Enfer des Armes, ce n'est vraiment qu'en apparence. Zu est un monument de délires visuels, un manga live bien souvent abstrait de part son déluge d'images incroyables montées à un rythme inhumain. 94 minutes qui impressionnent mille fois plus qu'un blockbuster hollywoodien de 2h30. Monstre cinématographique révolutionnaire, Zu ne ressemble à rien de connu dans notre univers. Symbiose entre kung fu délirant, effets visuels surréalistes, décors formidables, humour potache et autres explosions de féerie décalée, Zu est un fabuleux livre d'images, un fastueux résumé des merveilles des légendes asiatiques. Démons, vieux sages, disciples délurés, guerriers, amazones... Ils font tous partie de cette merveille absolue qui laisse le spectateur épuisé, tétanisé, dépassé mais au 7e ciel.


Aces Go Places III (1984)

Shangai Blues (1984)

Working Class (1985)

Peking Opera Blues (1986)

Laser Man (1986)

I Love Maria (1988) (co-réalisateur, acteur, scénariste, producteur)

A Better Tomorrow III (1989)

The Master (1989)

Swordsman (1990)

Once Upon A Time In China (1991)        

The Banquet (1991)


Once Upon A Time In China II (1992)

Après avoir planté le décor et le Mythe avec le premier film, Tsui Hark fait exploser les dernières limites avec cette suite phénoménale qui reste à ce jour le meilleur segment de la saga. Jet Li est extraordinaire, encore plus que d'habitude sans doute. Le film est parfait, un grand Best Of de la magie du cinéma HK. C'est drôle, intelligent, politique, impressionnant, aérien, violent, émouvant, sublime... Deux heures emplies à ras-bord de grand spectacle et de féerie, le point limite du cinéma d'action à la fois divertissant, touchant et thématiquement très riche. De l'entertainment total mais avec un vrai scénario, de vrais morceaux de réflexions dedans, un film qui écrase toute la production hollywoodienne sans même le faire exprès. Chef-d'oeuvre évidemment.


Chess King (1992) (co-réalisateur)

Twin Dragons (1992) (co-réalisateur)

Once Upon A Time In China III (1993)


Green Snake (1994)

Au panthéon de mes films favoris et donc de ceux qui m'ont le plus impressionné, Green Snake est très haut. Très très haut même, cotôyant The Lovers (du même Tsui Hark). Objectivement, je vous l'assure, Green Snake doit être le plus beau film du monde, chaque plan est un pur bijou esthétique. L'histoire de ces deux serpents essayant de s'intégrer dans le monde des humains est à la fois drôle, érotique, philosophique, et bouleversante. La même perfection qui habite The Lovers, traverse Green Snake. Avec en prime les effets spéciaux les plus poétiques qui soient. Encore, et toujours, un chef-d'oeuvre, un des meilleurs films de l'histoire du cinéma, etc... Ce n'est même pas de la routine, car quand on pense avoir tout vu du génie de Tsui Hark, on découvre de nouvelles merveilles.


        Once Upon A Time In China V (1994)


The Lovers (1994)

C'est mon film favori de Tsui Hark, c'est mon film favori tout court. C'est le meilleur film de Tsui Hark, c'est le meilleur film de l'histoire du cinéma, d'ailleurs, aussi. Je lui ai consacré une page très vaine, car aucun mot, aucun superlatif ne peut décrire The Lovers. C'est parfois bien difficile de ne pas savoir quoi dire pour faire comprendre qu'une œuvre est tellement sublime qu'elle en devient vitale. Donc c'est bien simple : il faut voir The Lovers.

Avec The Lovers de Tsui Hark, on touche à quelque chose d'unique et de primordial au cœur d'un spectateur. Chaque cinéphile possède un film particulier qu'il place consciemment ou inconsciemment au-dessus des autres. Un film plus culte que ses films cultes, une œuvre dont la simple évocation provoque de profonds souvenirs. Chaque cinéphile a un film qui pour lui représente le 7e Art, un film qui lui évite toute forme de déprime lorsqu'il se dit : "demain est un autre jour et je pourrais revoir une nouvelle fois ce film, LE film". Un film que l'on garde bien souvent le plus possible pour soi, un film dont on parle peu, un film que l'on a bien du mal à présenter, à raconter. Un film expérience, un film univers, un film qui change la vie et dont l'on sait pertinemment que, peu importe le temps qui passe et qui fait changer les goûts d'un instant, on aimera toujours. Un film qui vous accompagnera jusqu'à la mort. Et bien pour moi, ce film c'est The Lovers. Et comme je le disais plus haut j'aurais bien du mal à en parler. Quelques notes de la musique, quelques images, quelques souvenirs, c'est cela qui demeure de manière indélébile après une unique vision de cette œuvre qui ne se compare à aucune autre. Et le revoir est une expérience extraordinaire, toujours différente, toujours aussi forte.

Pour moi The Lovers est le plus beau film du monde, le plus émouvant aussi, le plus parfait, le plus puissant. Car il touche à ces fameux sentiments dont l'on dit bien souvent qu'ils sont inexprimables. Tsui Hark en adaptant la légende des Amants Papillons, en reprenant la musique d'un fabuleux opéra, en faisant preuve de la plus pure innocence et de la plus grande délicatesse sans pour autant sombrer dans l'académisme. En mettant en scène un film indémodable car hors du temps, Tsui Hark a non seulement signé le chef-d'oeuvre de ses chefs-d'euvre mais a aussi porté le 7e Art a son apogée. Alors, bien sûr, je pourrais relater plus ou moins bien combien les acteurs sont fabuleux (et combien Charlie Young est la belle femme du monde), combien la photographie est unique, combien la musique est mirifique, combien le film est drôle et tragique tout à la fois, combien il est parfait donc. Mais finalement cela ne reviendrait qu'à sortir des banalités et cela serait, de toute façon, très réducteur. Car The Lovers parle de choses indicibles (paradoxe... paradoxe...) et qu'il en devient par là même une expérience indicible. Une œuvre trésor, la perle d'une vie d'amoureux du cinéma.


A Chinese Feast (1995)


Love In A Time Of Twilight (1995)

On a dit de ce film qu'il était une simple exploitation du succès phénoménal de The Lovers, comme on a dit que Fire Walk With Me n'était qu'une exploitation de Twin Peaks... De l'exploitation de ce style, j'en redemande ! Dans La Nuit des Temps est un pur chef-d'oeuvre de la comédie dramatique fantastique romantique (dans le même style on pensera à The Ghost And Mrs Muir (l'autre grand rôle de Gene Tierney) ou aux œuvres d'Harold Ramis (Un Jour Sans Fin, Multiplicity)). Des comédies intelligentes, romantiques sans être totalement mièvres, bourrées de spectacles et de talent(s). Dans le cas du Tsui Hark, c'est bien simple, on retrouve le couple de The Lovers (le plus beau de l'histoire du cinéma, donc, rien que cela) dans des situations pas si éloignées des quiproquos du film précédent. Ils se croisent, se recroisent, au sein d'une histoire Fantastique originale, entre cartoon et classicisme, dynamitée par un scénario de dingue (Retour Vers le Futur à côté c'est du pipeau). Les effets spéciaux sont épastrouillants, la mise en scène comme d'habitude (géniale, sublime, etc...), c'est incroyablement drôle, ludique, touchant... on ne s'ennuie pas une fraction de seconde, Charlie Young est la plus belle actrice de la planète et, comme pour venger les Amants Papillons, Tsui Hark offre une fin délicatement optimiste... Un film parfait, même plus-que-parfait, ce qui n'est vraiment pas facile à conjuguer...


Tri-Star (1996)


The Blade (1996)

Peut-être le film le plus dur, le plus sombre de l'oeuvre de Hark (quoique l'Enfer des Armes...). The Blade est un gigantesque résumé du génie de Tsui Hark. Personnages tragiques, situations marquantes, mise en scène de folie pure, combats hallucinants, émotion pure à tout instant, rythme endiablé, richesse inépuisable, images magnifiques, ambitions philosophiques, mythiques et romantiques parfaitement maîtrisées. Bref c'est une nouvelle fois totalement parfait. C'est l'ultime film de sabres, c'est en quelque sorte le Impitoyable du genre. C'est encore une adaptation d'une histoire très populaire en Chine, et de nouveau Hark transcende les données de base pour en tirer une œuvre crépusculaire, traumatisante et pourtant tout simplement magique.


Once Upon A Time In China And America (1997) (co-réalisateur)

Ce film n'est pas vraiment de la main de Tsui Hark, mais de celle de Samo Hung. Tsui Hark est néanmoins producteur et monteur, ce qui n'est pas rien et c'est pourquoi le film porte indéniablement la marque du grand Tsui, comme il porte la main du gros Samo en particulier dans le bordel thématique final. Le 6e épisode de la saga de Wong Fei-Hung (le plus exemplaire des héros asiatiques) est un retour aux sources, grâce à la présence de Hark, mais surtout grâce à Jet Li qui reprend enfin son rôle légendaire. Si le film n'a pas la portée politique et la maestria époustouflante des 3 premiers films de la série, il n'en demeure pas moins une pure merveille. C'est en quelque sorte le western ultime. Si les américains avaient enterré le genre avec le Unforgiven de Eastwood, si Sergio Leone avait dynamité le genre en l'implantant en Italie, Hark et Hung lui offre un ultime tour d'honneur en lui appliquant les cadres des films d'action HK. C'est tout simplement fabuleux, tous les clichés du western sont présents (TOUS !) mais avec la magie des histoires et de la mise en scène HK, on ne s'ennuie pas une seule seconde, c'est extrêmement beau, c'est ludique à l'extrême, c'est grandiose.


Double Team (1997)

        Bon... Il y a une malédiction pour les cinéastes HK qui s'expatrient. Entre John Woo qui navigue entre le grotesque (Broken Arrow) et l'auto-parodie gnan gnan (Volte-Face) et Ronny Yu qui assure le minimum syndical (Bride Of Chucky), ce n'est pas très brillant tout cela. Le système américain n'est pas fait pour les artistes de Hong-Kong. Même les acteurs ne sont pas mieux lieu logés (Yun Fat de marbre, Li sous-exploité dans un nanar, etc...). Double Team n'est pas si nul que cela, il y a encore un génie du cadrage et du montage derrière cette série B sans éclat. Oui, c'est l'un des meilleurs Van Damme, mais cela n'a rien de très glorieux. Oui, donc, il y a bien de gros nanars dans la filmographie de Tsui Hark (un homme qui a quand même réussi à tourner 27 films et quelques en 20 ans, dont une très large majorité de très grandes réussites). Alors bon, on peut pardonner ses deux impairs ricains.


Knock Off (Piège à Hong-Kong) (1998)

Une grosse comédie potache très lourde qui si elle avait été tournée à Hong-Kong n'aurait pas été si mal reçue par les fans de Hark. Bon c'est clair, il ne reste pas grand chose du génie de The Lovers et de The Blade à l'écran. Mais... Mais... Je préfère ce film à Matrix, par exemple. Ce qui prouve que je ne dois pas être très objectif et que ce n'est pas la peine que je m'étende plus sur le cas des deux films hollywoodiens de Hark. La bonne nouvelle c'est que depuis le grand Tsui est retourné chez lui et qu'il va donc se venger avec panache de ses deux affronts américains.


Time and Tide (2000)

Avant Legend Of Zu, Tsui Hark est revenu au business avec ce polar "limite" qui est l'une de ses œuvres les plus palpitantes. Dans la forme, bien sûr, par son incessante inventivité visuelle et son rythme incroyable (la déjà légendaire séquence du HLM vaut à elle seule tous les McTiernan (OK, là j'abuse, mais quand même)). Mais aussi dans le fond, car en contant une histoire que l'on a déjà vu mille fois (en gros c'est toujours le système Syndicat du Crime/The Killer/A Toute Epreuve), Tsui Hark ne s'embarrasse plus des détails et joue la carte de l'ellipse. On connaît le scénar par cœur ? Alors on va trancher dans le vif pour ne garder que l'action et les pauses humanistes indispensables aux sensations et aux sentiments du spectateur. Finalement Legend Of Zu est une radicalisation de cette démarche. Plus besoin de traîner les pieds dans des scènes d'exposition ou d'explication, le spectateur comprend très bien ce qui se passe sans ; car finalement toutes les histoires ont déjà été contées. Ce qui est essentiel dans le cinéma c'est l'impact immédiat, la vie plus grande que la vie et les instants fugitifs (un regard, une ébauche de parole, une maladresse) qui émeuvent par leur spontanéité. Tsui Hark peut alors tout se permettre, les chorégraphies impossibles comme les "niaiseries" les plus niaises, la raison étant dépassée, il ne reste que les sentiments. Alors on y croit dur comme fer. Avec Legend Of Zu et Time and Tide c'est bien le grand Tsui qui aura eu la peau du cynisme. Car il est allé plus vite que lui, le tuant avant même qu'il n'agisse. Si c'est génial ? C'est bouleversant ! Parce que c'est frais, décomplexé, magique, que tout le cinéma est là.


The Legend of Zu (2001)

Dans notre petit monde occidental il ne nous en faut pas beaucoup pour être impressionné. Regardez, ne lisez-vous pas ici ou là, n'entendez-vous pas ici ou là, que Star Wars est la plus grande saga de l'histoire du cinéma, que Le Seigneur des Anneaux par Peter Jackson est le plus beau film du monde, que le grand spectacle se nomme Spielberg, que le cinoche qui dégage c'est Michael Bay, Joel Silver & co et même que Matrix est un super film ? Sans ôter les qualités indéniables de certaines œuvres (enfin... pas Matrix quand même), on en connaît un, loin de notre univers, qui se poile doucement. Cet homme (euh... ce super-héros, pardon), vient d'une autre galaxie et ce n'est pas Capitaine Flam, il travaille 25 heures par jour, possède facilement 20 chefs-d'œuvre absolus dans sa filmographie (non ce n'est donc pas Kubrick), peut enchaîner 3 merveilles en un an (non ce n'est vraiment pas Kubrick) et il est l'heureux papa du plus grand film de tous les temps de l'histoire du cinéma de partout de l'univers entier pour toujours (The Lovers, si vous n'aviez pas suivi). Son nom n'est pas Personne, mais c'est bien Tsui Hark. L'homme qui filme plus vite que son ombre tout en produisant-dirigeant cinq projets parallèles en même temps. C'est objectivement le réalisateur le plus doué de notre époque et subjectivement le vrai géant actuel du 7e art.

On s'est beaucoup gaussé de son escapade aux USA (deux vandammeries très très drôles et pas si indignes que cela), le King Tsui n'était pas content. Il avait failli. Et un Dieu, et même un demi-Dieu, ne faillit jamais. Il s'était laissé tenté par les sirènes de l'occident. Et il avait refusé (inconsciemment sur Double Team et parfaitement consciemment sur Piège à Hong-Kong) de se laisser happer par l'uniformisation du "style HK" qui nous a donné des films aussi mignons que totalement vains (voire franchement nases) tels que Volte Face, Tigre et Dragon ou The One. La revanche de King Tsui (monsieur est susceptible comme tous les génies (et mesquin aussi, forcément)), allait être terrible. Et elle le fut au-delà de toutes les espérances. L'autre bonne nouvelle, c'est qu'elle n'est pas finie.

Tsui Hark revient à HK en claquant la porte derrière lui. Il rumine un peu. Et quand on lui annonce que Lucas reprend du sévices (service, pardon) et que Peter Jackson prépare LA saga que le cinéma occidental attend depuis toujours, il déploie ses ailes titanesques, fait retentir son rire démoniaque (en particulier à la vision de la Menace Fantoche), enfile sa vieille paire de lunettes noires et prépare la fessée déculottée que le cinéma mérite. Les rumeurs sont alors aberrantes : Zu 2, Black Mask 2, The Blade 2, etc... Tout est vrai. Des suites, certes, mais finalement Star Wars et le Seigneur des Anneaux c'est encore moins original. Et ce n'est pas que ça va faire mal, non, ça va être pire. L'Apocalypse maintenant, tout de suite, sans plus attendre. Enfin, si, il faut attendre, car l'occident ne veut pas d'une telle humiliation. Car Legend Of Zu écrase tout. Legend Of Zu de monsieur Hark, couplé au Avalon de monsieur Oshii, et tout s'effondre, tout s'écroule, plus rien n'existe, les tops de nerds sont chamboulés, personne ne veut comprendre, personne ne peut résister, tout est trop, et monsieur Tsui, oui, sans complexe, comme ça, en claquant des doigts (ou presque) vient de signer le film le plus "trop" de l'histoire du cinéma. Et pan. Et toc. Et zou ! (hum...) Et hop ! Etonnant, non ? Et bien non. C'est du Tsui Hark. Alors, forcément...

On va me dire que je suis bien brutal et conquérant dans ma présentation de Legend Of Zu, c'est vrai, mais ce film est une telle baffe. En son temps, le premier Zu était une réponse à Star Wars et il demeure un spectacle hallucinant, trop rapide, trop spectaculaire, trop fou, trop inhabituel, divertissant et épuisant. Le nouveau Zu, finalement c'est la même chose, mais en beaucoup plus. Beaucoup beaucoup plus. Time and Tide c'était la balle dans la tête pour bien rappeler au monde qui est le Patron. Legend Of Zu c'est le monument terrifiant qui sera plagié à qui mieux-mieux dans 10 ans. Les frères Wachowski sont encore en train d'essayer de comprendre et d'imiter les menus du DVD de Legend Of Zu, et c'est pas gagné.

Et donc ? Et bien Legend Of Zu c'est une fresque épique d'environ neuf heures, condensées en 1h40. Ca donne une certaine idée de la chose. Et visuellement ? Du sublime absolu qui explose dans tous les coins et qui va plus vite que la lumière. Malheureusement, CGI obligent, le tout baigne souvent dans un gris-bleu un peu tristounet. Mais parfois ce sont les roses et les oranges qui miroitent et là on en pleure de bonheur. Le casting est parfait, en particulier la toute belle Cecilia Cheung et une Zhang Ziyi quasi figurante, à laquelle Hark offre cependant un bref combat de sabre qui vaut à lui seul tous ceux de Tigre et Dragon. Sammo Hung en "maître gros sourcils" est tout aussi génial que Cecilia Cheung en Enigma et que Ekin Cheng en King Sky. La musique, très épique, colle parfaitement aux images, elle est "trop".

Mais un simple avis à l'emporte-pièce comme le mien est bien minuscule face à Legend Of Zu. Aux côtés de The Blade et de Green Snake, ce film prend logiquement sa place. Et après Time and Tide, il nous rassure définitivement sur la pêche de Tsui Hark. Il est toujours le meilleur, le plus fort, le plus dingue, le plus génial. Et ce n'est pas près de changer. On s'incline ! Et plus bas que cela ! Et vite ! Hop ! Hop ! J'en vois un là-bas qui n'a pas mis genou à terre ! Sûr qu'après avoir vu quatre fois d'affilées Legend Of Zu, il n'aura même plus la force de se relever. On pourrait parler de miracle en évoquant ce film, mais il n'en est rien, ce n'est pas un miracle, bon sang, c'est un film. Mais quel foutredieu de diantre de mazette de film !


Black Mask 2 (2002)


 

Seven Swords (2005)

De chaque nouveau film de Tsui Hark on réclame qu'il vienne révolutionner le cinéma, qu'il secoue nos habitudes en bouleversant les règles et en proposant du jamais vu, du jamais ressenti. Alors, bien sûr, lorsque l'on s'aperçoit que Seven Swords est une oeuvre qui capitalise avant tout sur les acquis du génial metteur en scène, on se sent quelque peu déçu. Difficile, certes, de ne pas s'extasier devant la maestria visuelle habituelle, jamais prise en défaut, ici nettement plus accessible que dans le totalement expérimental Legend of Zu. Abusant moins des ralentis que par le passé et mettant la pédale douce sur le montage brutal, Tsui Hark fait de Seven Swords son oeuvre la plus grand public depuis presque une décennie. Nous sommes alors en présence d'un film de sabres des plus classiques, avec ses gentils tourmentés mais si admirables et ses méchants toujours plus sadiques et pervers. On ne le cachera pas, Seven Swords, comme son titre l'indique, est une nouvelle version des Sept Samouraïs, avec quelques variantes bienvenues ; et clairement la possibilité d'une saga plus vaste, ce film ressemblant à une introduction tant il ne fait que survoler les origines et motivations des différents héros. De surcroît, Seven Swords était censé durer au moins 3h30 et c'est donc avec une version amputée d'une heure, si ce n'est davantage, que nous devons reconstituer certains mystères pour le moins abscons. Mais Tsui Hark nous a habitués à aller à l'essentiel et c'est ce qu'il fait en majeure partie, même si l'on sera très étonné de le voir s'éterniser sur quelques scènes largement superflues (comme la libération larmoyante d'un cheval dont on se moque éperdument).

Si ni le scénario (classique mais si efficace), ni la mise en scène ne sont décevants, il n'en est pas de même pour la musique, pourtant signée par le très doué Kenji Kawaï, qui est une affreuse et redondante mélasse épique qui surligne le moindre événement, la moindre image, jusqu'à provoquer l'exaspération voire le fou rire. On regrettera sans doute aussi quelques dialogues naïfs et une conclusion pas vraiment à la hauteur des ambitions de l'oeuvre. Car si les combats sont parmi les plus incroyables que l'on ait pu admirer sur un écran, les enjeux ne sont pas toujours très passionnants, ni très logiques et le film fonctionne plus en un enchaînement de séquences plus ou moins intenses qu'en un tout homogène. Heureusement, les moments grandioses sont légions et sont parfois tétanisants, que ce soient les chorégraphies des combats ou la construction de certains plans, on est fréquemment sous le charme de l'aventure et des personnages.


Triangle (co-réalisateur) (2007)

Missing (2008)

All about women (2008)


Detective Dee : le Mystère de la Flamme Fantôme (2010)

Apaisé, moins ambitieux, mais pas moins généreux, Hark ciselle un grand récit à l’ancienne. De l’aventure, du mystère, de l’action, de l’émotion, de la grandeur à chaque plan… C’est la revanche du divertissement total, avec son foisonnement de protagonistes, de rebondissements et de scènes folles. Comme toujours, vous verrez ici des choses inconnues ; en particulier un bref combat contre des cerfs qui entre au panthéon des idées saugrenues chères au réalisateur. Comme toujours, le film semble avoir coûté 10 fois plus que son budget annoncé (20 millions de dollars, quand même). Et au passage, avec des moyens deux fois moindres, Hark envoie une bonne pique à La Cité Interdite de Zhang Yimou, dont il offre ici la version bondissante et passionnante.

Au début, on s'émerveille du grandiose de l'univers proposé (la statue géante de Bouddha, joliment réaliste), puis on s'amuse des quelques clins d'oeil à la mode des "Experts". Bien vite on retrouve les plaisirs qu'on ne connaissait que chez Tsui Hark. La vitesse, l'inventivité, la manière de mêler magie et réalité, petite et grande histoire. Et, contrairement à Zhang Yimou, le réalisateur se plie au pouvoir Chinois mais en levant le poing. Le héros est un ancien rebelle qui ne se range que par obligation morale et non par geste politique. A l'image du cinéaste, Detective Dee préfère rester en marge, vivre dans l'ombre. Il est le plus grand des héros, mais il refuse tout honneur et toute forme de concession.

Par rapport à ses films les plus novateurs, Detective Dee semble un peu sage. Mais il décontenancera certainement le bon public en charentaises qui trouve des films comme Inception ou Inglourious Basterds « compliqués ». Et peu nous importe ces spectateurs, on le sait par avance, le nouveau film de Tsui Hark ne déplacera pas des millions d’occidentaux dans les salles. Pour moi, tout ce qui compte c’est que mon réalisateur préféré soit de retour, pour de bon, pour de vrai, avec une œuvre magnifique, une de plus à ajouter à un corpus sans égal.  


Dragon Gate, la Légende des Sabres Volants (2011)


Young Detective Dee : Rise of the Sea Dragon (2013)

Depuis plus de quinze ans (bientôt seize), je chante régulièrement les louanges de Tsui Hark. C'est aussi grâce à lui que ce site existe, car c'est en partie par amour pour sa vision du cinéma que j'ai eu envie d'accomplir un travail de défricheur, de critique, d'intermédiaire. L'intense bonheur, la joie, la tristesse, l'amusement que m'apportent ses œuvres ne peuvent pas demeurer un plaisir égoïste. Il faut que je le clame auprès du plus grand nombre. Si vous êtes des lecteurs habitués de ces lieux, nul besoin de ressasser, sinon, je ne peux que vous orienter ici et , ainsi que vers la chronique du premier Detective Dee.

Cette suite, se déroulant avant les événements du film précédent, n'est pas à proprement parler une préquelle. C'est une aventure indépendante entretenant peu de rapports avec ce qui suivra. En clair, pas besoin d'avoir vu Le Mystère de la Flamme Fantôme pour apprécier Rise of the Sea Dragon. L'inspiration est toujours aussi vaste, allant de références occidentales (Sherlock Holmes, Jules Verne, les grands classiques) à d'autres purement chinoises. L'essentiel pour Tsui Hark étant de composer un film d'aventure à l'ancienne, plein de rebondissements, de monstres et de merveilles.

Les chipoteurs incultes iront se plaindre des effets spéciaux un peu raides, c'est oublier que c'est l'apanage de tous les films de Tsui Hark, même, et je dirai surtout, dans ses plus grands chefs-d’œuvre. Green Snake et Dans la Nuit des Temps sont des monuments et peu importe que les serpents soient en caoutchouc et les maquillages bricolés. Tergiverser sur des effets spéciaux c'est aussi oublier que même les plus parfaits au moment de la sortie de l’œuvre finissent pas vieillir, bien ou mal. C'est évidemment la qualité globale du film qui fait pencher la balance au final. Les mêmes travers se verront qualifiés de poétiques, atmosphériques, évocateurs, attendrissants, dans un certain contexte ou de franchement ridicules et rédhibitoires dans un autre. Tout dépend de ce qui est montré et raconté.

Dans Young Detective Dee, la générosité absolue du metteur en scène s'exprime pendant plus de deux heures. Ce n'est qu'une succession de scènes plus ou moins hallucinées et, je le soulignais déjà pour le premier opus, comme dans chaque Tsui Hark (ou peu s'en faut), vous verrez ici quelque chose que vous n'avez jamais vu ailleurs et que vous ne reverrez sans doute jamais. C'est aussi pour cela, et encore plus que d'habitude, que je ne déflorerez en rien le spectacle et ses surprises. Quelles que soient vos attentes, elles devraient être comblées, surtout que, comme d'habitude, le réalisateur ne peut s'empêcher de jouer les trublions face au pouvoir, et son côté anarchiste, mis sous surveillance depuis la rétrocession de Hong-Kong, trouve encore des moyens d'envoyer des piques plus ou moins burlesques.

Des combats chorégraphiés jusqu'à l'absurde mais jamais pompeux ou poseurs, des poursuites dantesques, des scènes d'action outrancières, de la magie, de l'intrigue, de l'enquête, de l'humour. Je ne vais pas insister, vous l'avez compris, c'est du divertissement parfait, celui qui donne un sentiment de satisfaction intense et durable. Une distraction qui va au-delà de l'effet montagnes russes et fête foraine, si tendance à l'heure actuelle. Parce que l'univers décrit et les personnages dépeints ont un petit quelque chose en plus, parce que la folie de Tsui Hark est aussi maîtrisée avec un soin maniaque. C'est un des aspects les plus attachants de son œuvre, donner l'impression du chaos, de l'improvisation, du bricolage, de la spontanéité, tout en fignolant chaque plan, chaque séquence. Un technicien à nul autre pareil, un auteur qui ne cherche jamais à imposer son ego à l'écran tout en demeurant unique. Bref, Tsui Hark, chères lectrices, chers lecteurs, Tsui Hark.

 
 
 
 
 
 
 
 
Soutenez l'indépendance de
 
The Web's Worst Page :