Sufjan Stevens - The Age of Adz

Difficile d'évoquer un disque qui prendra probablement des mois à être apprivoisé. Ayant vraisemblablement perdu les pédales au fil d'une crise existentielle et créative qui le secoue depuis le succès interplanétaire de Illinoise, Sufjan Stevens joue la carte de l'instabilité totale. En résulte un album proprement bordélique, pour le meilleur (la chanson titre, sublime) et pour le pire (l'épuisant morceau final, 25 minutes qui auraient du n'en faire que 10 au maximum). En roue libre, Stevens essaie tout et n'importe quoi en ajoutant une bonne dose d'électronique à ses cocktails habituels. Bourrées de litanies, montées en boucles tortueuses (le terrifiant Now that I'm older), les chansons semblent ne devoir s'arrêter qu'après la mort par épuisement (l'écrasant I want to be well et ses "I'm not fucking around" en forme de générique de dessin animé survitaminé). Le résultat n'est pas sans rappeler quelques unes des plus belles pages des Fiery Furnaces, mais avec la grandiloquence propre à Stevens. Amateur de pop rassurante, passez votre chemin. Le petit chanteur chrétien met en musique un remake effroyable de Metropolis et offre un opus passionnant au sein d'une année 2010 musicalement de plus en plus hallucinée et hallucinante.


Rose Elinor Dougall - Without Why

Le temps de deux saisons, les Pipettes incarnèrent l’avenir de la musique pop au sens le plus bubblegum du terme. En adaptant les gimmicks sacrés des Shangri-Las et des Ronettes aux années 2000, le trio féminin offraient quelques moments simplement jouissifs et gracieux. Mais en 2008 c’est le drame, les deux membres originels Rose et Becki quittent le navire ne laissant que la dernière arrivée, Gwen, comme rescapée. Les « Pipettes » persistent avec de nouvelles participantes (dont la soeur de Gwen) mais sombrent dans le néant avec un deuxième album vaguement disco et franchement oubliable.

Mais trois Pipettes de perdues, une Rose d'éclose ! La jolie brune de 24 ans délivre son premier album solo avec Without Why. C’est une petite pièce d’orfévrerie à l’anglaise, avec autant d’instruments classiques (clavecin, piano, violon & co) que de vestiges rock (quelques élans rythmiques discrets). Avec sa voix puissante, qui flirte parfois avec les intonations de Sophie Ellis Bextor (Find me out), Rose porte en grande partie la réussite du disque ; mais, logiquement, rien de tout cela ne serait possible sans l’indéniable qualité des compositions.

Trêve de bavardages, écoutez la cavalcade d’ouverture de Start/Stop/Synchro ou l’invitation de Come away with me. C’est à la fois simple et sophistiqué, de fausses miniatures gorgées d’effets. Une concession aux guitares façon Sundays par-ci (Carry on) ou un vestige des Pipettes par-là (Fallen Over), on croit au tour de magie. Cependant Without Why ne tient pas toutes ses promesses sur la durée et semble se perdre un peu dans sa seconde moitié (l’intrigant mais vite lassant Watching, par exemple). On n'est pas passé loin du coup d'essai en forme de chef-d'oeuvre et c’est la miraculeuse chanson finale, May Holiday, qui semble justifier à elle seule la carrière solo de Rose Dougall. En quatre petites minutes, le morceau atteint une beauté rare qui donne du baume au cœur en toute circonstance. « My hand was in yours », répète-t-elle comme dans une rêverie extatique. Rien que pour cet éclat, on espérera beaucoup, trop sans doute, de Rose et de ses futurs trésors.


Salem - King Night

La dernière sensation electro-gothique se nomme Salem et semble faire découvrir à une nouvelle génération des atmosphères qui nous ramènent aisément 20 ans (voire 30 ans) en arrière. On ressort les futals en cuir, les lanières et le maquillage, ça va guincher dans les caves. Sinon ? Rien de nouveau sous le soleil (ou sous le sommeil), on dirait un vieux Ministry, période Land of Rape and Honey. Avec quelques petites concessions aux temps modernes, bien sûr, en particulier quand le chanteur se prend pour un rappeur qui fait peur. Mais à peu de choses près, on nous le vendrait comme le nouvel effort de Laibach qu’on n’y verrait que du feu. C’est donc plutôt pas mal, et par moments très rigolo. Sur la durée de l’album, les grosses infrabasses et les saturations cassent un peu la tête, mais c’est bien le propre du genre.


Belle and Sebastian - Write about love

N’écoutez pas les aigris qui n’ont de toute façon jamais rien compris au groupe : si le nouvel album de Belle and Sebastian se démarque sans doute fort peu de leur production antérieure, il n’en demeure pas moins magnifique. En s’ouvrant sur un vrai petit chef-d’œuvre, I didn’t see it coming, Write about love nous replonge instantanément dans l’univers chéri. Il y a des centaines d’imitateurs du groupe de Stuart Murdoch, tous plus niais et ennuyeux (pour rester poli) les uns que les autres. Mais seuls les originaux peuvent encore nous séduire avec des choses primesautières telles que I want the world to stop ou I can see your future. La véritable évolution est la grande présence accordée au chant féminin, essentiellement le fait de Sarah Martin. Et si le duo avec Norah Jones est cosy mais un peu anodin ; la présence de Carey Mulligan sur la délicieuse chanson titre se révèle charmante (à l'image de l'actrice). L’ensemble de Write about love respire d’une énergie et d’une fraîcheur qui n’appartiennent qu’à Belle and Sebastian. D’où la note très élevée mais amplement méritée car vous n’entendrez que peu de musique aussi bienheureuse cette année.


Robyn - Body Talk Pt. 2

Au cinéma, l’épisode central d’une trilogie est fréquemment le meilleur (du Parrain à Star Wars en passant par Alien (hein ? Resurrection ? c'est quoi, ça, Resurrection ?)). En inaugurant une série de trois mini albums dispersés sur l’ensemble de 2010, Robyn invente la trilogie musicale en temps minimum. Ambition louable mais difficile à tenir car elle suppose une constance d’écriture donnée à peu d’élu(e)s. La première partie de la saga Body Talk laissait entrevoir une réussite totale. La seconde livraison calme un peu les ardeurs. Moins variée et plus axée vers les dancefloors, la musique est toujours remarquable mais moins attachante. Toutefois, à l’image de In My Eyes et de la version électronique de Hang With Me, Robyn persiste à offrir la variété dansante la plus fréquentable du moment. Certes, si on n’est pas amateur du genre, l’écoute en sera un peu délicate.


How To Dress Well - Love Remains

J’ai la mémoire qui flanche, j'me souviens plus très bien… C’est un peu le concept de How to dress well. Tom Krell aime le R’n’B du début des années 90, il en compose des équivalents respectueux et pour le moins crédibles… sauf que… Sauf qu’il les noie dans le tumulte d’une production chancelante faite d’échos et de réverbérations. A tel point que les chansons ne ressemblent plus qu’à un brouillard cotonneux, un flou de l’esprit, un fantôme de souvenir. On jurerait parfois entendre Michael Jackson murmurant depuis l’au-delà.  Sur la durée d’un album, l’idée géniale s’épuise, mais l’atmosphère est tellement unique qu'on y revient sans cesse. Une démarche à rapprocher de celle de Sleigh Bells, qui cherchent aussi à triturer les formats classiques pour les propulser vers un ailleurs inédit.


Black Mountain - Wilderness Heart

Merveilleuse constance d’un des derniers grands groupes de rock à l’ancienne. Black Mountain délivre encore un disque carré, efficace, qui groove avec entrain. Grosses guitares, grosse basse, grosse rythmique et le duo de voix, masculine et féminine, pour mieux séduire l’amateur transi. De Old Fangs à Let Spirits Ride (on dirait un extrait perdu de la BO du jeu Full Throttle) en passant par Wilderness Heart, il y a de quoi s’offrir un somptueux voyage mental dans les grands espaces américains. Il manque juste un hymne épique en conclusion, comme sur les deux albums précédents (Faulty Times et Bright Lights). L’épopée s’acheve sur deux chansons plus apaisées, très réussies, mais demandant une implication plus poussée de l’auditeur. Une bonne chose sans doute et une possible ouverture vers de nouveaux territoires pas moins enthousiasmants.


Antony and the Johnsons - Swanlights

Il y en a aura toujours pour accuser Antony Hegarty de se reposer sur ses lauriers depuis son avènement avec l’indétronable I am a bird now. Que ces rabats-joie passent donc leur chemin, car, doucement, sûrement, Antony et ses Johnsons avancent, cherchent et trouvent. Certes, il ne faut pas s’attendre à une révolution des canons musicaux qui prévalent dans leur univers. On n’achète pas Swanlights pour écouter du hard rock, que je sache ? On veut la voix d’Antony, bien en avant ou en fantôme hululant, cernée par des arrangements de bon goût.

Dès les deux premiers morceaux de ce nouvel opus, on est en territoire connu. De nouveaux instruments débarquent, mais ce ne sont que violons et violoncelles (Ghost) ou hautbois et autres flutiaux (I’m in love). Malgré quelques expérimentations joliment bizarres, comme sur la chanson titre, rien ne vient perturber les habitudes de l’auditeur. En même temps, le petit monde d’Antony est troublant en lui-même. Si on passera sous silence le duo avec Bjork, petit gadget pour nostalgiques, on saluera la splendeur de l’ensemble de l’album, parfaitement incarnée dans la conclusion élégiaque de Christina’s Farm.


Grinderman - Grinderman 2

La différence entre les gentils faiseurs du rock et les artistes majeurs n’est finalement pas si compliquer à effectuer. L’exemple du jour est un joli cas d’école. L’australien Nick Cave a 52 ans, il fait de la musique depuis les années 70 et ses premières œuvres dignes d’intérêt datent du tout début des années 80 avec The Birthday Party. Ses premiers sommets quasi intouchables ? Dès le milieu de la même décennie (Tender Pray, Your Funeral… My Trial). Peu à peu institutionnalisé, Nick Cave et son groupe les Bad Seeds se sont posés en apparence, mais toujours en restant un peu marginaux, un peu iconoclastes (le fameux Murder Ballads en 1996) ; parfois ronronnant gentiment, creusant la veine poétique, mais en ne baissant jamais le degré d’exigence. En 2007, le premier album (moustachu) sous le nom de Grinderman (la même équipe en fait) donnait le sentiment d’une récréation de haute volée, comme une soupape permettant d’évacuer le trop plein liée à une image de plus en plus guindée. La parenthèse ne manquait pas de chien, mais sonnait inachevée. Pour Nick Cave, Grinderman n’avait rien du projet éphémère, au contraire, il s’agit de son fer de lance contre la routine et la vieillesse.

Sur la pochette de Grinderman 2, un loup urine avec satisfaction sur le sol d’une salle de bain chic. Parfaite image pour illustrer la musique qui surgit de cet album délicieusement animal. Explicitement sexuel, directement trash, parfois joyeusement graveleux, Grinderman 2 ne fait pas dans la dentelle et retrouve en chemin l’essence du rock telle qu’on la fantasme. Une bonne leçon pour tous les jeunots qui estiment que faire le maximum de bruit ou verser dans le sérieux inébranlable est la seule solution. Alors que rien n’est plus érotique, « dangereux » et intense que ce vieux dégueulasse de Nick Cave ressassant « Yeah, we sucked her dry » sur la chanson qui ouvre le disque. Spécialiste de la litanie et du crescendo qui prend à la gorge (The Mercy Seat étant son grand chef-d’œuvre), Cave joue la déferlante et lâche le rouleau-compresseur blues sur la pente du rock’n’roll. Jamais vieux con, le chanteur passe du monstre cannibale au loup de Tex Avery en l’espace d’une mesure.

Drôle, menaçante, pornographique, référentielle mais d’une modernité improbable, la musique de Grinderman 2 n’a rien d’anachronique. Certains auditeurs ressentiront peut-être un malaise liée aux aspects les plus explicites, voir glauques, mais ce serait passer à côté de l’ironie omniprésente et de ce qui fait la quintessence de la séduction masculine débridée et irrésistible. L’air de rien, mine de rien, sans le faire exprès, Nick Cave embarque son disque sauvage vers le concept global. Un best of rock qui n’oublierait ni les pauses qui s’évanouissent dans les abimes (What I Know), ni les pièces-montées épiques (When My Baby Comes). Mais le vrai trait de génie, celui qui achève l’amateur et lui fait tomber la mâchoire jusqu’aux enfers, c’est la perle pop Palaces of Montezuma, sorte de faux tube tout public, parfaitement inattendu, violement incongru et donc immense.  

Obsessionnel et obsédant (difficile de chasser le single Heathen Child de sa tête), Grinderman 2 est bien le coup de boutoir souhaité par Nick Cave. On en attendait beaucoup de bonnes choses, mais certainement pas un tel niveau d’écriture et surtout d’interprétation. Ca sent le stupre mais avant tout l’envie, la rage, le défoulement qui ferait rougir le Iggy Pop de Raw Power. A plus de 50 berges, Cave défouraille des trucs comme Evil ou Worm Tamer. Comme ça, sous les apparences du gag et des bons mots triviaux. Humiliation globale de la concurrence, pour l’amusement. Le loup pisse sur la moquette, le vieux rocker s’exhibe, se fout littéralement à poil. Le plus beau des paradoxes ? Grinderman 2 est un disque qui respire la classe absolue.


Fever Ray à l'Olympia de Paris

9 septembre 2010

Vivre un concert de Fever Ray c’est accepter de se plonger dans un cauchemar qui se transforme peu à peu en rêve… ou l’inverse…

Il ne faut pas désespérer du public, ni des jeunes et des moins jeunes non plus d’ailleurs. Face à l’abondance des demandes, le concert parisien du projet solo de Karin Dreijer Andersson s’est déplacé de La Cigale vers l’Olympia. C’est donc dans la salle où se pressent d’habitude Frank Dubosc et Olivia Ruiz que l’electro pop nocturne de la suédoise est venu s’épanouir. Et le concert d’afficher complet, dans une abondance d’âges, de cultures, de nationalités et de looks qui fait chaud au cœur.

Soyons poli avec une première partie, dont le nom s’est déjà perdu dans les méandres de la mémoire. On sent juste que la petite chanteuse, à la voix à mi-chemin entre Siouxsie et une quelconque représentante du métal symphonique, essaie de faire de son mieux. C’est bien. On est content pour elle.

Une pause. La musique d’attente se tait. Les lumières s’éteignent peu à peu. Et la brume monte. Comme je le décrivais dans ma critique de l’album, la musique de Fever Ray est extrêmement évocatrice. Avant tout portée sur l’ambiance, elle fait naître des paysages mentaux plus ou moins détaillés, mais toujours fascinants. Mais surtout, elle possède la texture du songe. Une sorte de brouillard de la pensée et des perceptions. Fort logiquement, idéalement, la mise en scène repose sur cette idée.

La brume envahit l’Olympia. Les fumigènes crachent leurs volutes en soufflant comme des dragons somnolents. La scène disparaît. La fosse s’évanouit. On réalise que cela ne s’arrêtera pas tant que toute la salle ne sera pas plongée dans le flou. Peu à peu même les hauteurs du balcon se noient dans les nuages gris. On ne verra jamais vraiment Fever Ray, tout ne sera que silhouettes et lumières perçantes ou tamisées. Et, comme toujours, on ne verra jamais Karin Andersson, digne héritière des Residents ou du KLF et qui sait au mieux être là en se dissimulant. Elle est l’antithèse de Lady Gaga, se maquillant et se déguisant, non pour devenir le centre de l’attention, mais pour détourner les codes de la célébrité. Karin Andersson est omniprésente, mais jamais vraiment parmi nous, à l’image de sa voix, toujours différente.

Du brouillard montent les notes d’introduction de If I Had A Heart, frisson parmi les fans. Deux lasers verts pointent leurs traits avant de peu à peu créer un voile sur le plafond de l’Olympia dans un effet tridimensionnel troublant. Ce jeu avec les fumigènes et les lasers sera souvent reproduit au fil du concert, avec des nuances et des effets faussement simples. Sur scène, ce sont des abat-jours kitsch qui serviront le plus souvent d’accompagnement. L’ensemble, parfois souligné par des spots plus vifs, clignote et se meut au rythme des morceaux. Chez Fever Ray, la lumière scande la musique au moins autant que les instruments.

Ce design visuel, très technique, implique une chorégraphie précise et ne laisse pas vraiment de place à l’improvisation dans la structure des chansons. Tout est calculé, millimétré. Le spectacle peut sembler un peu figé, extrêmement écrit et minuté, le résultat n’en est pas moins digne des plus grandes expériences « live » que l’on puisse imaginer. Car la musique de Fever Ray gagne ici en puissance, en volume. La troisième dimension, décidément la grande tendance de notre époque, se joue ici aussi bien dans les lumières, dans les sons que dans l’ambiance. On entre littéralement dans la musique de Karin Andersson, intimement lié avec elle dans la brume et les impacts sonores qui vibrent dans tout le corps.

L’intégralité de ce que Fever Ray a enregistré sera interprétée. Les 10 morceaux de l’album ainsi que les trois reprises disponibles en vinyles et sur le net. Les relectures de Nick Cave (Stranger Than Kindness) et de Peter Gabriel (Mercy Street) sont d’ailleurs des sommets du concert. La scansion, mi sonar, mi ping-pong, de Mercy Street résonne longtemps dans les oreilles. Quant à Stranger Than Kindness c’est un exemple frappant de réappropriation réussie.

Même les chansons les moins « intéressantes » (du moins à mes oreilles) de l’album sont redécouvertes. De Triangle Walks à Dry and Dusty, toutes gagnent en puissance. Le concert parvient à me faire tomber amoureux de Now is the Only Time I Know à côté de laquelle j’étais pour l’instant un peu passé. Les merveilles persistent et signent, même si mon morceau favori, Keep The Streets Empty For Me semble avoir atteint sa perfection sur disque et se contente de demeurer génial sans être transcendé. Ce n’est pas le cas de I’m Not Done, qui se pare de teintes infernales, et se propulse en sommet intense de l’événement. On regrettera pour le coup que la version ne dure pas 2 ou 3 minutes de plus. Léger et unique reproche d’ailleurs, tant on quitte généralement à regret ces atmosphères hypnotiques.

Si l’ouverture sur If I Had a Heart s’imposait, la conclusion avec Coconut est toute aussi incontournable. Chef-d’œuvre de Fever Ray, le morceau synthétise ce style indéfinissable, où ce qui pourrait sembler ridicule ou de mauvais goût ailleurs touche ici au sublime. Tout y est à la fois simple et étendu en mille et une petites perceptions.

« Open atmosphere Take me anywhere Take me there. »

Fever Ray prend le meilleur dans tous les genres, de la litanie minimal de l’électronique aux effets de la transe, de l’immédiateté de la pop aux dents acérées du rock en passant par les horizons de la musique world. Ce foisonnement rend lyrique et frissonnant. Et son expérience en concert rappelle qu’en l’espace de quelques disques, Karin Andersson, seule ou avec son frangin pour The Knife, est devenue l’une des créatrices d’univers les plus remarquables de notre temps. Chacune de ses œuvres nous entraîne dans d’autres mondes où d’autres règles engendrent d’autres folies. Nous sommes ailleurs, hors du temps, hors de nous-mêmes, dans les terres du rêve.

« Whispering… Morning keep the streets empty for me… »


Sonic Youth - The Eternal

Sonic Youth, le groupe de rock que tout le monde connaît (de nom), que tout le monde respecte, qui sort des disques régulièrement depuis 30 ans et que (presque) personne n’écoute. Depuis l’instant fondateur de Daydream Nation, l’album qui a changé l’histoire du rock, au même titre que le premier Velvet Underground, le modèle avoué, peu d’auditeurs ont vraiment suivi les aventures de Thurston Moore et Kim Gordon. A tort, bien sûr, même si de notre côté on ne prend vraiment des nouvelles que tous les cinq ans. Alors, en 2010, si on réécoutait Sonic Youth ?

Ce sera probablement l’une des meilleures initiatives artistiques nostalgiques de l’année, au même titre que de se pencher sur Oversteps d’Autechre. Les papys font-ils de la résistance ? Mieux que ça ! Si on ne leur demande pas de renouveler drastiquement le son qu’on a toujours aimé, ils apportent la solution idéale à toutes les déceptions liées aux idoles arthritiques : écrire de bonnes chansons. Et on avouera avec joie qu’au moins la moitié de The Eternal atteint les meilleurs moments des grands chefs-d’œuvre du groupe (Sister, Evol, Daydream, Goo, Washing Machine…). Les cinq premiers morceaux sont à ce titre remarquables, en particulier l’enchaînement d’ouverture, avec le bref et nerveux Sacred Trickster et le tout aussi tendu mais joliment ample Anti-Orgasm qui se présente comme un best of en 6 minutes chrono.

Plus ou moins évidentes, plus ou moins acrocheuses, les compositions naviguent entre la ballade crade et magnifique (Antenna) et les rocks aux parfums immémoriaux (Poison Arrow), le tout lié par une atmosphère inimitable qui agit comme une madeleine de Proust particulièrement savoureuse. The Eternal a le bon goût de s’achever au même niveau que son entame. Une descente annoncée par le classique Walking Blue et qui culmine sur les presque 10 minutes de Massage The History. Avec sa guitare acoustique en contre-point des indispensables circonvolutions électriques, le morceau soutient le chant murmuré, brisé, quasi évaporé de Kim Gordon. The Eternal se conclut sur cette note à la fois fragile et abrasive, rappelant à quel point Sonic Youth a transformé nos critères esthétiques : en étant toujours à la limite de l’inécoutable et souvent en prise directe avec le sublime. Les années passent et, avec discrétion et passion, les New Yorkais offrent une musique qui n’a rien perdu de sa richesse. Emouvant.


The Arcade Fire - The Suburbs

Etre un artiste générationnel demande d’être pris au sérieux. Lorsqu’on a débuté aussi haut et aussi fort que The Arcade Fire avec leur monumental Funeral, la pression est immense. Tout le monde vous prend pour les nouveaux U2, alors que, finalement Win Butler et sa bande se rêvent en Bruce Springsteen. D’où ce troisième album, The Suburbs, sous la haute influence du « Boss » et que d’aucuns ont déjà comparé à The River. Car il s’agit aussi d’un disque fleuve, sans tube évident, plutôt exigeant et probablement mineur. En quête d’un certain minimalisme, au sein de la profusion, le groupe crée de belles chansons auxquelles il ne manque qu’une pointe d’intensité, une touche de souffle, le petit quelque chose qui les rendrait immédiatement inoubliables.

C’est donc sur la durée, au fil des écoutes, que The Suburbs taille sa route. Loin des inventions de Funeral, Arcade Fire trouve son chemin sur les sentiers plus classiques. Mais le bouillonnement est toujours là et on sent que l’album est toujours proche de l’explosion. Le cœur du disque, avec Half Light II, Suburban War et Month of May, n’a pas à rougir face aux grands moments de Funeral et de Neon Bible. Il faudra cependant attendre l’avant-dernier morceau pour être récompensé. Avec Sprawl II (Mountains Beyond Mountains), le groupe signe une vraie perle, inspirée par… Heart of Glass de Blondie. Surprenant, accrocheur, touchant, cet instant de grâce décuple notre frustration en prouvant que The Arcade Fire est capable de petits miracles à tout moment. En même temps, ce n’est pas si facile d’écrire de bonnes chansons, comme le prouve la quasi totalité de la production rock.  Dans sa boulimie et ses éclats, The Suburbs se dessine comme l’œuvre de transition idéale. A la croisée des chemins, le groupe ne fait qu’exacerber nos exigences. Difficile donc d’imaginer ce que sera la suite, mais on l’attendra avec toujours plus d’impatience.


Robyn - Body Talk Pt. 1

Parmi toutes les mini divas venues du froid, Robyn possède un  statut à part, jouissant d’un vrai culte auprès de fans transis et de la presse musicale. Il faut dire qu’après avoir obtenu ses premiers succès à la fin des années 90, Robyn revient de loin. Fort de quelques chansons formidables (With every heartbeat, Be mine, Konichawa bitches), son album de 2005 marquait une résurrection qui fit l’effet d’une lame de fond. Sur l’espace de cinq ans, la suédoise repassait de l’anonymat à la reconnaissance internationale. A tel point que ses ambitions se sont décuplées et que la miss annonce pas moins de trois nouveaux disques en 2010.

Le premier d’entre eux, le bien nommé Body Talk Pt. 1, s’affiche avec seulement 8 chansons et moins de 30 minutes de musique. Mais, dans le cas présent, en étaler moins c’est aussi en offrir davantage. Les chansons présentes sur ce bref album s’affirment comme les meilleurs de Robyn. Avec sa voix de gamine, la chanteuse accomplit de nouveau le grand écart entre icone électro, rappeuse vindicative, pop star sucrée et androïde romantique. Le résultat, kitch et craquant, n’appartient qu’à elle.

Excellent exemple avec Fembot, sorte de hip-hop dance, irrésistible tout autant que  baroque. Dancing on my own, tube de discothèque, renvoie Lady Gaga à sa banalité et nous rappelle que la musique de variété peut être remarquable lorsqu’on prend la peine de la créer avec soin. Si Robyn ressasse toujours les mêmes thèmes (la fille éternellement seule, libre d’esprit et de son corps, qui pleurniche ou revendique), elle les affine, les améliore, leur découvre de nouvelles tonalités. Impossible de ne pas penser à la jolie version acoustique de Be mine en découvrant Hang with me.

La course n’est pas ici à une originalité idéalisée, il suffit d’un gros refrain (Dance Hall Queen), d’un gimmick dingue (Don’t fucking tell me what to do), d’un hymne titubant (Cry when you get older), d’une berceuse suédoise (Jag vet en dejig rosa) ou d’un rythme insidieux (None of dem). Non, ce n’est pas si évident, sinon les radios ne seraient pas envahies par des flots de pseudo hits interchangeables. L’évidence des chansons de Robyn n’est pas le moindre de ses tours de force. Festive et mélancolique, électrique et artisanale, la musique de Body Talk Pt. 1 est peut-être le rayon de soleil supplémentaire (et indispensable) de l’été 2010.  


The New Pornographers - Together

L’existence des « supergroupes » ne tient généralement qu’à un fil. Formées par des artistes ayant des carrières solo florissantes et reconnues, ces coalitions sont souvent vouées à l’éphémère, à la déception et surtout à des interventions sporadiques. Réunir des personnalités débordées dans le but de leur faire écrire et enregistrer des chansons dans le même studio tient de la gageure. On est donc toujours surpris et ravi de voir les New Pornographers persister et signer. Together est leur cinquième album en dix ans, ce qui donne une moyenne impressionnante, sachant que les activités solo de ses membres n’ont pas faiblies pour autant.

Durant cette décennie, Dan Bejar a aussi offert cinq album (et quelques Ep), A.C. Newman n’en a délivré que deux mais de haute tenue (The Slow Wonder et Get Guilty) et je ne mentionne qu’à peine Neko Case, cinq album itou, toujours plus réussis et populaires. Les autres membres du supergroupe ont aussi leurs propres activités, certes moins médiatiques. Le revers de la médaille est que, si The New Pornographers parviennent à exister en studio, en concert vous pouvez toujours rêver pour les voir tous réunis. Entre la phobie de Dan Bejar pour l’exercice et l’agenda débordant de Neko Case, il ne faut pas s’inquiéter de l’absence de deux des principales têtes d’affiche ; même si, notons-le, Kathryn Calder parvient de manière surprenante à jouer les doublures de Neko.

Bref, et la musique ? Together se veut l’album de la réunion, celui qui réconcilierait les tendances les plus énergiques des deux premiers disques du groupe et l’aspect pièce-montée de Challengers. Drôle d’idée en fait, vu que ce travail avait déjà été accompli sur leur meilleure œuvre : Twin Cinema. Pas de grands changements à l’horizon, donc, dès les premières mesures de Moves, on reconnaît ce son devenu inimitable. Si les surprises ne sont pas de mises, tout repose sur les gimmicks, les harmonies dantesques et la hardiesse des compositions.

A ce niveau, Together ne déçoit pas. Les chansons prennent leur temps pour dévoiler leurs charmes, mais le disque est nettement plus accessible que le mésestimé Challengers. Le single Your Hands (Together) est irrésistible et fait sans mal jeu égal avec From Blow Speakers ou Use It. Mais cette joyeuse efficacité tourne parfois un peu à la routine. Les moments de bravoure attendus, que ce soient les contributions de Dan Bejar ou les performances vocales de Neko Case, sont superbement déroulées, toujours plaisantes, mais nous laissent un peu sur notre faim.

Néanmoins Crash Years ou We End Up Together font vibrer comme au premier jour. Mais comment ne pas réclamer d’un supergroupe qu’il nous abreuve de superdisques ? Together c’est un peu notre Justice League en roue libre, se reposant sur ses superpouvoirs. On fait « whouaaaa », parce que c’est toujours impressionnant quand Neko Case fait s’effondrer les immeubles avec sa voix clamant que « It’s feeling Byzantine ». On a l’habitude, aussi. Réaction d’auditeur gâté, sans doute, trop familier des prodiges.


Sleigh Bells - Treats

Hum... De la "noise pop". Bref, des chansons adorables qui font du bruit. Des trucs légers légers légers chaussés de chaussures plombées pour lancer le pogo dans nos oreilles. Après tout, c'était aussi le programme des Pixies, et des Ramones, par exemple, dans le genre rock. Sleigh Bells en seraient les héritiers indirects et indignes parmi les plus ravissants. Le meilleur exemple ? La chanson qui donne son titre à leur premier album. Bien calée à la fin du (court) disque, elle aligne les grosses guitares et une rythmique apocalyptique héritée des heures farouches du digital hardcore d'Alec Empire. Diantre ! Atari Teenage Riot not dead ? Oui, il y a de ça ! Mais sans le discours politique boutonneux et le boucan vraiment méchant. Chez Sleigh Bells on cogne monstrueusement, mais c'est pour mieux souligner le côté mignon. Comme si Xiu Xiu, dans ses moments les plus hargneux, faisait des bisoux aux Brunettes. On ne ricane pas, c'est vraiment bien.

Certes, pour les esgourdes fragiles, qui ont plus l'habitude de ronronner auprès de Belle and Sebastian (au hasard), c'est du terrorisme sonore. Peu importera la jolie voix, très passe-partout, de la chanteuse Alexis Krauss, certains ne retiendront que l'emballage virulent. Pourtant c'est du R'n'B taillé pour MTV sur Kids. Comme du Lady Gaga avec le potentiomètre à 11. C'est réjouissant car cela pousse vers son plein accomplissement une évolution qui patine doucement depuis le début des années 2000. On reprend là où les Prodigy auraient du continuer après Fat of the Land (dont le mauvais goût délirant brimait les percées). On n'est guère surpris d'apprendre que le duo est protégé par M.I.A., autre spécialiste de la guérilla des beats.

On peut danser sur les chansons de Sleigh Bells, on peut comater aussi, on peut s'y fracasser mais on ne s'y indiffère jamais. Bravement inégal, ce premier album a la politesse de ne pas s'éterniser. Avant de lasser, le groupe tire sa révérence, en ne laissant que les meilleurs souvenirs. Il s'agit d'une nouvelle pierre, humble et essentielle, à l'édifice de la pop contemporaine. Toujours plus haut, toujours plus fort.


LCD Soundsystem - This is Happening

« Il n’y a que les imbéciles, etc… », refrain fameux, à chantonner sur l’air de La Marseillaise gainsbourienne. Il est toujours agréable d’avoir une relation tumultueuse avec un artiste. Parlez-moi de Tim Burton, parlez-moi de David Lynch, fi de la politique des auteurs ! On a le droit d’adorer ou de détester leurs œuvres, au coup par coup. Personne n’est infaillible, ni eux, ni nous. Et de surcroît, on a le droit, oui, le devoir, presque, de changer d’avis. Parlez-moi à présent de Radiohead ou des White Stripes, de ces groupes que l’on peut adorer ou haïr, d’une année sur l’autre, d’un disque au suivant. Parlons à présent de LCD Soundsystem, ersatz de New Order à l’occasion, roi de l’efficacité des dancefloors à écouter chez soi, parfois. Avec This is happening, difficile de faire la fine bouche, cette fois c'est de la bonne.

LCD Soundsystem c’est la chose d’un seul homme, James Murphy, démiurge synthétique et punk, dont les prétentions s’évertuent à lier toute la pop, des années 70 aux années 2000 ; dans l’espoir, louable, charmant, de créer la musique du futur. Résultat : une œuvre toujours à la limite de se faire bouffer par ses emprunts. Qu’on repense à l’ouverture du précédent album, Sound of Silver, sniffant la ligne de Kraftwerk avec tellement de gourmandise qu’elle en devenait embarrassante. A mes oreilles, LCD Soundsystem souffrait avant tout d’un problème d’équilibre, à tous les niveaux, que ce soit sur la durée des morceaux ou dans leur construction globale. Les bonnes idées s’éternisant puis s’effondrant.

Mise en scène différente sur This is happening. Les chansons sont toujours amples, mais elles contiennent davantage. Elles sont plus solides, mieux charpentés. Les influences ont beau être toujours envahissantes (il fallait oser emmener White Light/White Heat du Velvet Underground sur la piste de danse avec Drunk Girls), elles sont soutenues par de vraies bonnes chansons. Des trucs qui restent gravés dans la tête, qui nous parlent tout de suite. This is happening est un album de plaisir immédiat.

James Murphy est un imitateur, mais de haute volée. Qu’il joue les David Byrne sur Pow Pow, le meilleur décalque des Talking Heads période Remains in Light, ou les David Bowie un peu partout ailleurs. Il en résulte une musique d’érudit, jamais élitiste ni prétentieuse, qui charme autant le connaisseur que le néophyte.

Attention, tout n’est pas (encore) parfait. Un peu avant la conclusion, Somebody’s Calling Me avec ses faux airs d’Iggy Pop en plein Nightclubbing, tire méchamment en longueur. Heureusement Home ressort la carte David Byrne et achève This is happening sur une note fort positive. Aller, cette fois vous pouvez croire la « hype », LCD Soundsystem nous offre une petite perle.


Crystal Castles - Crystal Castles

Avec son imitation triviale et bordélique de The Knife, le premier album des Crystal Castles réservait son lot de bons moments. Mais l’affaire tourne en rond dès le deuxième opus, où la formule devient trop visible. Soit de morceaux bêtement agressifs pour les oreilles, avec des larsens et des hurlements, pour faire « arty » partout ; et des trucs néo disco bien mignons, souvent plutôt anodins, gaillardement banals. En clair le duo n’a pas compris ce qui fait la force de The Knife : ne pas séparer l’étrange de l’ordinaire, mais plutôt de chercher à les mêler pour en tirer le meilleur. Inoffensive et plus proche de Human League, une chanson telle que Celestica ne sera jamais le nouveau Pass This On. La chanteuse, Alice Glass, peut hurler comme une furie, et déformer sa voix dans tous les sens, on ne sort jamais d’un déjà entendu vite lassant. Tout n’est pas inintéressant, loin de là. Le groupe cherche, un peu, et trouve, parfois. Mais l’impression générale est de connaître tout cela par cœur, en mieux. On leur demande pas forcément de s’engager dans les territoires délirants et austères de Tomorrow, in a year. La course n’est pas à l’originalité à tout prix. Encore faut-il compenser par de bonnes chansons, ce qui n’est pas le cas ici. Très rapidement les ambiances deviennent répétitives, les morceaux se ressemblent, et on décroche. Hop, un petit coup de We Share Our Mother’s Health pour décrasser tout ça.


MGMT - Congratulations

Ah le syndrome du deuxième album. Celui qu’on écrit pour prouver qu’on n’est pas qu’une machine à tubes ou juste un « one hit wonder ». Celui sur lequel on se lâche, on empile les ambitions, les instruments et tout ce qui passe à portée de mains. Celui sur lequel on veut prouver qu’on est un Artiste, avec la majuscule, permettez, il vous en prie. C’est bien sûr le cas des petits rigolos de MGMT, propulsés superstars par la grâce d’un premier album sympathique et juvénile. On sentait qu’ils en avaient sous le coude, les coquins, mais pas au point d’oser la pièce-montée de 12 minutes dès l’opus suivant. Bref, ça sent la catastrophe industrielle classique.

Ce qui est fou, donc, c’est que sur le papier tout est réuni pour le gros parpaing : morceaux trop longs, production gargantuesque qui accumule les pistes sonores comme un mille-feuille, des thèmes « plus adultes », des travers de « concept-album » gluant, des tonnes de références plus ou moins explicites… Mais, à l’instar d’autres excellents exemples, tel que le très méconnu In it for the money de Supergrass, ce second opus plie mais ne rompt pas ! Le secret ? La jeunesse, l’insouciance, cette faculté à l’émerveillement, ce petit trait de génie pop qui transforme les meringues en perles. Avec Congratulations, MGMT rejoint les aventures de Islands et des New Pornographers, de ceux qui savent en faire trop sans jamais perdre de vue l’objectif premier : (se) faire plaisir.

Et le duo l’annonce en ouverture, presque comme une provocation : It’s Working. Pour sûr que cela fonctionne, et du feu de Dieu de surcroît. Dès les premières écoutes, Congratulations révèle un songwritting d’un niveau inattendu. Une poignée de tubes, à la fois complexes et jouissifs, forment l’ossature du disque : Song for Dan Treacy, Flash Delirium, I Found a Whistle et surtout Brian Eno. Oui, MGMT ose la chanson hommage, le truc de fans un peu grossiers. Mais il faut entendre l’énergie communicative du morceau pour tout leur pardonner. C’est à reprendre en chœur, en hymne, même quand on ne sait qu’à peine qui est Eno (la honte !).

Le point qui fâche, ce sont les 12 minutes de Siberian Breaks, une errance composée de 3 ou 4 superbes chansons liées par des ponts musicaux généralement trop longs. Bref, malgré des moments magnifiques, rien ne justifie vraiment cette durée et cette construction. Raccourci ici ou là, peut-être même moitié moins long, on tenait une petite bombe. Mais ce regret n’est qu’une broutille face à la réussite de Congratulations. Un album qui déborde d’idées, de cadeaux en tous genres, de mélodies imparables, mais aussi d’exigence. Si MGMT tient ses promesses, affine l’ensemble, creuse le bon filon, les années à venir seront radieuses, et pour eux, et pour nous.


Black Francis - Nonstoperotik

Mince, un nouvel album de Charles Thompson. On devrait avoir l’habitude. Après tout, les Pixies sont séparés (une reformation ? quelle reformation ?) depuis presque 20 (vingt !) ans. Et ce n’est jamais que le douzième (12e !) album solo de leur leader. Frank Black, pardon, Black Francis, a de nouveau enregistré un disque de heavy country hard rock en une poignée de jours, en enfermant Eric Drew Feldman, Dave Philips & co dans un studio rustique. Mais avec une thématique ! Le sexe ! L’érotisme ! Le libertinage ! Ohlala ! Caliente ! Non, en fait, pas du tout, vous vous en doutez peut-être. Tout ici n’est que métaphores bizarres et chemins de traverse, voire romantisme intimiste. Ce n’est définitivement pas le disque pour emballer sur la piste de danse.

Ce qui surprend dès le premier morceau, Lake of Sin, c’est le son, énorme. Loin de l’ascétisme bien roots des albums avec les Catholics, Nonstoperotik (quel titre gag) flirte souvent avec une sophistication assez rare dans la discographie de Black. Il faut remonter à Teenager of the Year pour retrouver autant de fastes, même si SVEN FNGRS annonçait cette évolution. Ce sont en fait les ballades qui profitent le plus de ces élans spectoriens. Rabbits en est un excellent exemple, avec ses bizarreries joliment mises en valeur. Les rocks sont plus classiques, parfois bien gras (Corrina), globalement efficaces ; le plus brutal est un bonus (Rocket USA), le plus spectaculaire est Six Legged Man et le plus attachant conclut l’album (le lumineux Cinema Star).

Ainsi Nonstoperotick se présente comme l’œuvre la plus accessible de Black Francis depuis Dog in the Sand. Il faut aussi avouer que le bonhomme n’avait pas été aussi attachant depuis au moins Honeycomb (en 2005), si ce n’est Black Letter Days (en 2001). Voilà un disque qui va à l’essentiel, suffisamment varié et séduisant pour ne pas ronronner dans la routine. Cela fait longtemps qu’on ne demande plus à Charles Thompson d’être révolutionnaire, et la moindre de ses petites originalités nous ravit.


The Knife avec Mt. Sims et Planningtorock

Tomorrow, in a year

Après l’opéra rock, voici l’opéra électronique. Ce n’est pas vraiment une nouveauté, mais Tomorrow, in a year est le plus bel étendard du genre. Ceux qui trouvaient déjà les atmosphères de Silent Shout un peu trop bizarres ou dérangeantes feraient mieux de s’éloigner. Avec cette œuvre conceptuelle, The Knife largue définitivement les amarres et vogue dans les hautes mers de la musique expérimentale la plus ardue. Ecoutez donc les 6 minutes de Variation of birds et vous comprendrez sans avoir besoin d’en passer par l’introduction composée de 4 minutes de plic-ploc à la manière d’un robinet mal fermé. Par-dessus les nuages synthétiques, parfois vient se poser le chant d’une soprano, qui nous conte la théorie de l’évolution selon Darwin. Bref, vous l’aurez compris, ce n’est pas Metal Machine Music de Lou Reed, mais ce n’est pas le disque le plus accessible à ranger dans votre discothèque. Si vous souhaitez le passer en fond sonore ou tout simplement ne pas vous enfourner les 92 minutes d’une traite, laissez tomber. Encore plus que Joanna Newsom (qui flirte avec Ace of Base en comparaison), il s’agit là d’une œuvre ambitieuse qui ne se découpe pas en tranches.

Reprenons l’exemple de Variation of birds. Si vous parvenez à dépasser la moitié du morceau, vous découvrirez un univers sonore unique, renversant d’invention et même de beauté. Mais ses délices se méritent, la majorité des auditeurs sera perdue dans le brouillard bien avant d’atteindre le sublime Annie’s box ou de goûter au "tube" sauvage, Colouring of pigeons. Karin et Olof Dreijer poussent l’ironie jusqu’à caler la seule véritable chanson, The Height of Summer, à la toute fin du disque. On jurerait une chute de leur Deep Cuts, et ce n’est pas une provocation, mais une manière de démontrer qu’ils peuvent vraiment tout faire et que l’expérimentation n’est qu’une étape, qu’ils ont toujours sous le coude un sens de l’efficacité pop hors du commun. Ah les galopins, ils fanfaronnent, comme les Fiery Furnaces. Agaçants et géniaux. Comment ne pas les adorer ? Même si, il faut le rappeler, ils se sont fait ici aider par Mt. Sims (DJ Berlinois) et Planningtorock (artiste touche à tout de la scène Berlinoise itou).

Tous les abandonnés en cours de route qui liront les avis souvent enthousiastes sur Tomorrow, in a year, auront de quoi rester dubitatifs. On vous répétera : une fois entré, il s’agit d’une musique unique, d’une expérience transcendante. C’est vrai, mais ne vous ne vous laissez pas intimider, ce grand œuvre n’est logiquement pas pour tout le monde. Votre serviteur en premier aura eu bien du mal à pénétrer les arcanes de cette cathédrale dont le seul défaut est aussi le plus terrible. Difficile d’accès, Tomorrow, in a year, réclame un investissement que nous ne pouvons pas toujours lui offrir. Mais la récompense est à la hauteur du défi à relever. C’est un disque univers, un choc esthétique, imparfait mais fulgurant, long à apprivoiser, toujours intrigant, et qui peut vous chavirer comme jamais. Aller, on (re)plonge et on en reparle à la fin de l’année.


Autechre - Oversteps

Ecouter Autechre en 2010 c’est effectuer un retour vers le futur. On se rappelle, il y a presque 15 ans, avoir eu le sentiment qu’on découvrait avec eux (et quelques autres poulains du label Warp) l’avenir de la musique. Plonger dans les 71 minutes d’Oversteps est à la fois un plaisir de nostalgique et un enchantement. L’electronica est passée de mode et les beats déstructurés d’Aphex Twin ont pris leur retraite en fond sonore de Britney Spears et de Beyoncé. L’époque n’est plus que rarement à l’élaboration d’ambiances minimalistes et exigeantes. Il faudra chercher du côté des poussées les plus expérimentales de The Knife (Tomorrow, in a year) ou des Fuck Buttons. Et encore, ce n’est plus la même chose. Pourtant, avec ce qui est peut-être leur disque le plus accessible, Autechre fouille encore, creuse toujours. Le duo n’a jamais dévié d’une voie qu’il ne cesse d’affiner, comme les derniers des Mohicans d’un genre. Ils vont même jusqu’à rappeler les heures de gloire de certains collègues (Plaid sur pt2ph8). A la fois best of, état des lieux et ouverture vers l’avenir, Oversteps émerveille. Doté d’un son impressionnant (dont il existe un mixage DTS 5.1, chaudement recommandé), l’album se déploie avec générosité. Bien sûr, l’oreille peu habituée pourra trouver tout cela encore un peu élitiste. Pourtant Autechre ne s’était jamais rendu aussi abordable. Comme si le duo avait enfin trouvé une voie pour que ses bruitages et autres édifices fragiles nous parlent plus directement. Moins froide, leur musique semble plus familière, sans rien avoir perdu de sa créativité. Leur meilleur album ? Peut-être bien…


Lady Gaga - The Fame Monster

Lady Gaga, comme beaucoup de concepts médiatiques, ne résiste pas longtemps à l’analyse. Que se passerait-il si on propulsait la Madonna des années 80 en 2010 ? Pas besoin de chercher plus loin, les designers, producteurs et autres coaches qui s’occupent de Stefani Germanotta ne se posent pas beaucoup plus de questions. L’essentiel de la célébrité de la miss revient à une variation du site web « stuff on my cat ». « Stuff on my Gaga ». Un objet du quotidien ? Un gâteau ? Un animal rigolo ? Collons-le sur Stefani et lançons-la, plus ou moins déchirée, dans les soirées mondaines. Résultat garanti, car il n’y a plus aucune limite. En soi, ce post-post-post-modernisme a de quoi exciter les foules. Du situationnisme digéré par la société du spectacle, comme une dernière poignée de terre jetée à la gueule putréfiée de Guy Debord. Mais soyons fous, allons voir ce qui se cache sous la robe de zombie et la jupe en bave de homard.

The Fame Monster c’est la version rallongée de The Fame, le premier album de Lady Gaga. C’est celle à privilégier, et de loin, car le second disque marque l’étrange percée de la donzelle sur les terres d’une pop un tant soit peu intéressante, si ce n’est originale. L’exemple frappant est le spectaculaire Bad Romance, le premier chef-d’œuvre de variétés internationales des années 2010. 5 minutes pyrotechniques, ciselées à l’extrême. Une pièce-montée de gimmicks et d’efficacité. Sur ce single, Lady Gaga fait illusion, il y a du talent derrière le monstre des pages people. Malheureusement, rien de ce qui suit n’est du même tonneau, malgré les corrects Dance in the dark et Teeth. C’est plutôt le règne du remplissage anodin (Telephone, Monster) ou carrément hideux (Alejandro, So happy I could die). Et encore on ne parle là que du disque « bonus ».

Sur le premier album, c’est carrément l’atroce qui domine (Just dance, Lovegame, I like it rough), du sous-Beyoncé, du Britney Spears pouêt-pouêt (enfin, encore plus pouêt-pouêt). Même les « tubes » ne volent pas bien haut. Paparazzi repose sur une musique correcte, mais le chant de Stefani tire l’ensemble vers le tout venant. Quant à Poker Face, il ressemble à une répétition un peu bancale de Bad Romance. Difficile alors de juger si la créature est conçue pour durer ou juste pour assurer un bon coup commercial et de se tirer avec la caisse une fois la mode passée. A la croisée des chemins, Lady Gaga risque d’être lâchée par son équipe technique et il ne restera plus qu’un squelette de chanteuse, poussant ainsi jusqu’à l’absurde la mise à nue d’une arnaque de haut vol.


Goldfrapp - Head First

C’est le printemps ! C’est un peu ce que nous annonce le duo de Goldfrapp avec Head First, l’album d’electro pop régressive le plus décomplexé depuis le dernier Kylie Minogue. Dans un grand numéro d’imitation de Deborah Harry, Alison Goldfrapp pousse Abba, Blondie et forcément Giorgio Moroder dans un shaker. Elle secoue bien fort et verse sans faire attention si cela déborde. Le résultat est joyeux et clinquant. L’effet « boule disco » est impeccable. Au début de l’album, Rocket et Believer donnent même l’illusion qu’on tient là le grand disque nostalgique qu’on attendait. Mais il manque la petite étincelle qui fait, par exemple, tout le charme de Roisin Murphy. Head First se bâtit ainsi en decrescendo et s’épuise trop vite. Le souffle puissant, mais court, Alison se donne pourtant beaucoup de mal pour faire briller le décorum. Parfois elle en fait trop, comme sur l’érotisme forcé de Hunt. Heureusement, le dernier morceau est une réussite. Voicething et ses douces cascades vocales donnent une idée de ce que Goldfrapp aurait pu nous offrir en peaufinant un peu plus son œuvre. Dommage, donc, mais Head First propose un joli brin de soleil et quelques instants de musique candide.


Titus Andronicus - The Monitor

Lors des premières minutes de l’écoute de The Monitor, on a un peu de mal à y croire. Le groupe Titus Andronicus est en train de pondre un remake appliqué du American Idiot de Green Day (avec la guerre de Sécession au lieu de la guerre en Irak). Ce qui, en soit, est une drôle d’idée. Suffisamment saugrenue pour éveiller un peu l’attention. Du moins, pendant quelques instants, car la laideur apocalyptique de l’ensemble (un gros rock punk épique pété à la bière) a rapidement raison de notre patience. Pour donner de l’ampleur, le groupe ne lésine pas sur les breaks et les changements d’ambiance au sein des chansons. Il fait même appel à tout un attirail d’instruments rigolos (banjos, cornemuses et tout le tralala). De l’ambition, il y en a, du cœur à l’ouvrage aussi.

A priori, cela a tout pour nous plaire. Ca pourrait être The Clash ou les rares bourrinages de Neutral Milk Hotel. Mais non, cela nous fait davantage penser à Meat Loaf (sans le chant et l’humour) ou The Hold Steady (en plus indigeste). Sur la durée d’un morceau pas trop long, The Monitor peut faire illusion. Mais s’enfiler l’ouverture de A more perfect union (7 minutes), le milieu de Four score and seven (8 minutes) ou la conclusion de The Battle of Hampton Roads (14 minutes !) demande un estomac blindé. C’est gras, gras, gras, jusqu’à l’écœurement. Trop ambitieux pour sa constitution fragile, l'oeuvre a les yeux plus gros que le ventre et mouline rapidemment dans le vide. Une sorte de "grin-grin" quotidien, avec des guitares cirrhosées et une voix crachouillante. Mais c’est aussi un excellent album pour avoir l’impression de se retrouver dans un concert, à 3g d’alcool dans le sang, en train de pogoter dans le vomis, en se prenant dans la gueule la transpiration de gros hardos titubants. Une sorte de bain de jouvence, dont on pourra se passer sans regret. Mais il y aura toujours des amateurs de ce genre de plaisirs...


These New Puritans - Hidden

Peut-on reprocher à un groupe son ambition ? Certes non. Le plus souvent il se prendra les pieds dans le tapis de ses prétentions et il n’aura même pas besoin que le critique acerbe le pousse. Mais quand des défricheurs réussissent leurs paris, on ne peut qu’applaudir. C’est le cas avec le second album des britanniques de These New Puritans qui mixent les meilleures influences pour offrir une œuvre étonnante. Grâce à des rythmiques conquérantes et des arrangements puissants (en particulier dans l’usage des instruments à cordes et à vent), les chansons du groupe dégagent une aura peu commune. Il faut entendre les cognements fracassants d'Attack Music ou le mitraillage de Drum courts pour bien le comprendre. De ces pulsions et battements naissent des grooves passant du martial au dégingandé. On y entend les échos aussi bien du Portishead de Third que de M.I.A., mais à d'autres moments c'est le fantôme de Talk Talk (période Spirit of Eden) qui survole les ambiances. Mais ces inspirations, bien lourdes à porter, ne sont jamais omniprésentes, ni gênantes.

Car Hidden est un disque qui déborde : d’idées, d’instruments, de pièges. Il y a un côté gargantuesque, un peu imposant, malgré la volonté de ne pas trop céder à la folie des grandeurs. Les morceaux restent dans des durées raisonnables et on échappe au label du "chef-d’œuvre définitif". Loin d'être un bloc de de granit, noir et inaltérable, l'album se réserve des escapades, en particulier les instrumentaux Time Xone (majestueux) et 5 (aérien et ludique). Heureusement bancal, un peu épuisant, Hidden se construit au fil des écoutes. On y revient souvent, toujours impressionné par ses aspects les plus spectaculaires et peu à peu séduit par son débordement. Non, on ne peut décidément par reprocher à un groupe d’avoir autant d’ambition et de vouloir en découdre avec le monde entier (We want war, clament-t-ils). Tremble, vieux rock, l’Angleterre n’a pas dit son dernier mot !


The Brunettes - Paper Dolls

Dès les premières mesures de In Colours, la chanson d’ouverture de Paper Dolls, on comprend que le duo de The Brunettes est revenu à une musique plus simple et plus kitsch que sur le merveilleux Structures & Cosmetics. On ne se trompe pas, ce nouvel album est dans la veine de Mars loves Venus, sorti en 2004. Bref, c’est du léger, très léger, un côté bubble pop pleinement assumé. Les chansons sont ainsi moins sophistiquées et créatives que les sommets de leur opus précédent. Un petit clavier Casio ici (Red Rollerskates) ou carrément une Game Boy (The Crime Machine), la musique de Paper Dolls fait souvent dans l’enfantillage, au même titre que les paroles et les mélodies. La limite entre le mignon et le niais est de plus en plus ténue.

Une musique aussi innocente, où ne pointe que parfois une mélancolie tranquille, pourra exaspérer. Son charme est pourtant toujours aussi contagieux. The Brunettes œuvre dans le craquant, la coquetterie peaufinée. Il manque juste à Paper Dolls un bel emballage cadeau à l’image des grands espaces rêveurs qui enrobaient Structures & Cosmetics. Ici, les chansons semblent un peu à l’étroit entre deux bips électroniques et trois blings synthétiques. La preuve, dès que The Brunettes reprend la route des étoiles cela donne If I, la perle glissée à la fin de l’album. Elle vient nous rappeler la beauté que peuvent parfois revêtir les mélodies candides du duo.


Shining - Blackjazz

On s’en doutait depuis les débuts, mais Shining avait tout pour franchir la maigre barrière qui partageait son jazz-rock expérimental du métal pur et dur. Déjà sur Grindstone, les guitares se faisaient plus présentes et les rythmiques plus lourdes. Le nouvel album se nomme Blackjazz et un titre pareil fait légitimement peur (du Black métal avec des saxos ?). Pourtant c’est bien la proposition que nous réserve le groupe, déversant des torrents de fusions bruyantes. En clair, c’est nettement moins abordable que les précédents opus, difficile de faire abstraction des hurlements saturés et des riffs graisseux. Bref, si on n’a pas d’affinités avec le métal le plus bourrin, on peut passer son chemin sans crainte. Pour les autres, il s’agit d’un des albums les plus inventifs du genre, même si on ne peut que regretter son aspect hautement (et volontairement) répétitif. La grâce, présente dans les pires assauts sonores des Fuck Buttons, est absente. Il ne reste qu’une énergie épuisante et une méchanceté affolante. A noter, une reprise rigoureusement inécoutable d’un morceau de King Crimson, ce qui est pluôt amusant. Blackjazz est le disque idéal pour faire fuir les indésirables qui s’incrustent sous votre toit lors de soirées déplaisantes.


Neko Case - Middle Cyclone

Résumer Neko Case à sa voix, c’est un peu la réduire à un phénomène de foire. Oui, son timbre, sa puissance, sont uniques en leur genre. Il y a dans cet organe une maturité rare, une féminité exacerbée qui surprend au milieu des gamines et des gueulardes. Neko Case chante juste, fort, avec générosité, mais sans jamais donner l’impression d’en faire trop. L’américaine n’est ni une diva, ni une bimbo, ce n’est pas non plus une torturée, elle vit de grands espaces et de country. Sa folk, c’est celle de Neil Young, mais passée dans les filtres des productions les plus léchées. Pour plus de louanges à ce sujet, se référer à ma critique de Fox Confessor brings the flood, son précédent opus.

Middle Cyclone est à la fois son disque le plus accessible et le plus réussi. Grand public, sans doute, mais porté par une collection de chansons parmi les plus accrocheuses et ciselées de ces dernières années. Le thème principal demeure la nature. C’est le grand album de la reconquête de l’animalité (People got a lotta nerve, I’m an Animal) et de la vengeance du monde sauvage (This Tornado loves you). En reprenant les Sparks, Neko Case signe même l’hymne écolo des années 2010 (Don’t turn your back on Mother Earth), mais en évitant tout le côté moralisateur ou niais.

Car, par ailleurs, la chanteuse carbure au féminisme (The next time you say forever) et aux romances tristes (Vengeance is sleeping). Quand elle allie douceur et mélancolie, cela donne des instants frôlant le sublime (Middle Cyclone) ou percutant l’extase (The Pharaohs). Le sommet de l’album est une longue litanie en mode mineur, Prison Girls. On y retrouve à la fois la dureté (dans le rythme et la menace) et la délicatesse. Jusqu’à une ligne qui fait vibrer le spectre de Johnny Cash : « I love your long shadows and your gunpowder eyes ».

Non sans humour, Neko Case conclut son disque par 30 minutes de bruitages animaliers titrés en français Marais la nuit. Comme pour mieux faire passer la prestance de ce qui a précédé, en particulier la perfection de la dernière chanson, Red Tide, qui, en moins de 3 minutes, résume l’œuvre, tout simplement. Neko Case ne révolutionne rien et n’a pas d’autre prétention que de faire de la bonne musique. Avec tout le talent et la vindicte dont elle est capable, comme le prouve à merveille la pochette, aussi drôle que parfaitement choisie. Dans ses ambitions, humbles mais très affirmées, Middle Cyclone atteint une sorte d’idéal.

Accessoirement, il s’agit de mon disque de l’année 2009.


Joanna Newsom - Have one on me

Gloire au vinyle ! Rendons hommage au format musical suprême. Dans un échange d’excellents procédés, Have one on me, le monument de Joanna Newsom, ne se conçoit qu’en 33 tours, tout en redonnant ses lettres de noblesse aux microsillons. Car si Have one on me se présente comme un triple album, c’est selon les anciens critères. Chaque disque ne dépasse pas les 45 minutes et s’appréhende face par face. C’est, logiquement, la meilleure manière d’aborder plus de deux heures de musique d’une densité rare. Have one on me se picore et se dévore. Quasiment morceau par morceau, qui ne dure presque jamais en dessous de 6 minutes, souvent plus proche des 10.

Coup de tonnerre à l’ère d’iTunes. Joanna Newsom déploie des chansons dont la richesse des arrangements ne peut pas s’écouter sur un iPod. Elle déclame des textes complexes, auxquels on ne comprend parfois pas grand-chose… même en lisant les paroles. Sa musique attire l’oreille par des promesses charmantes, mais demande de la patience, du temps, de l’attention, de l’exigence. Des qualités inattendues, des audaces surgies des âges anciens. Ceux, farouches, de Bob Dylan ou de Leonard Cohen, de Patti Smith ou de Janis Joplin.

Le format pop ? Joanna, ça, elle ne connaît pas. Son tube ? C’est Have one on me, la chanson. 11 minutes de harpe, de cordes et de ruptures, avec des paroles bourrées de séductions anciennes et d'ivresses obsolètes. Si on ne comprend pas bien comment son « There’s a big black spider hanging over my door, can’t go anywhere, anymore » nous accroche davantage que tous les rouleaux compresseurs de Britney Spears, on a le sentiment, profond, indubitable, qu’une beauté unique découle de cette musique. La verve de Joanna, sa sacrée harpe, ses litanies épuisantes, possèdent une grâce qui n’appartient qu’à elle.

Qu’à elle ? C’est vrai que dès la chanson d’ouverture, Easy, on ne peut que penser à Kate Bush. C’est la même voix, la même obsession pour les univers anachroniques, pour la classe qui se moque des modes et des conventions. Comme Kate, Joanna fait son truc, à elle, qui l’aime la suive, peu importe. Elitiste ? Probablement. Et beaucoup s’ennuieront copieusement à l’écoute d’Have one on me. A tel point que l’engouement critique qui accompagne la donzelle paraît presque louche. Ribbon Bows, ce sont 6 minutes d'instruments à corde et de voix aigüe, celle de Kate Bush sur The Kick Inside. On me répondra que Wuthering Heights avait été un tube planétaire en son temps. Oui, mais Wuthering Heights ne durait pas 6 minutes… à la harpe…

Mais pour tous ceux qui s’ennuient avec la musique actuelle, qui ont l’impression d’entendre toujours les mêmes bêtises, que leur bonheur arrive ! Au-delà du folk et en marge de tous les courants, loin des étiquettes, quelque part entre le classique et les comptines campagnardes, par-delà le rock et le gospel. Ailleurs. Entre le Moyen-Âge et la Révolution Industrielle. En 2010. Voilà ce que propose Joanna Newsom. Des instants qui laisse bouche-bée, gentiment coi. Et gloire à la demoiselle d’avoir su détourner le piège de l’album parpaing, de la pièce-montée trop ambitieuse et donc forcément inégale. Have one on me ne s’écoute pas d’une seule traite, Have one on me s’apprivoise par fragments, ce n’est pas un disque de boulimique. Et sa grande intelligence est de ne jamais reposer sur le remplissage et de pouvoir s’appréhender face par face avec le même émerveillement. Et non, on ne pouvait pas faire la même chose avec le Sandinista de The Clash (allez vous enfiler, toute seule, la face 2 du troisième disque) ou avec le White Album des Beatles (je blasphème si je veux, mais la face Revolution 9, hein, excusez du peu…).

Joanna Newsom fait de la musique, et non un produit facile à écouter, facile à zapper, facile à jeter. Ce n’est pas du téléchargeable, du bidouillable à l’envie. Have one on me, comme Ys, son précédent opus, impose dès la première écoute sa splendeur, mais s’apprend, avec le temps, avec bonté, avec générosité. On n’idéalisera pas ici l’Artiste avec un grand A, mais on y trouvera une personnalité comme on les adore. Un peu mode, un peu tendance, loin d’être coupée du monde, mais délivrant une œuvre qui n’appartient qu’à elle. Et à nous, heureux auditeurs, trop contents d’être ainsi choyés par une harpiste à la voix d’elfe.


Spoon - Transference

L’ouverture du nouvel album de Spoon surprend. En effet, le groupe nous avait habitués à des introductions au groove imparable, des petites perles qui étaient bien souvent les sommets de l’album. Qu’on se souvienne de The Beast and Dragon, Adored sur Gimme Fiction et de son quasi remake Don’t Make Me a Target sur Ga Ga Ga Ga. L’entrée en matière de Transference est beaucoup plus simple, moins accrocheuse, mais elle porte ainsi bien son nom : Before Destruction. Car dès le second morceau, Is Love Forever ?, Spoon se réveille et déroule un petit rock entraînant à défaut d’être palpitant.

La rythmique conquérante, qui a toujours été le point fort du groupe, est de retour sur The Mystery Zone. Moins insouciante, moins aventureuse, plus posée, la musique de Spoon semble avoir gagné en maturité sur Transference. On est ainsi moins transporté, moins surpris, les musiciens se reposent sur leurs recettes éprouvées. Difficile de nier que cela n’est pas encore diablement efficace, comme sur Written in Reverse ou I Saw the Light. Un peu répétitif, comme tous les albums de Spoon, Transference demande plusieurs écoutes avant de s’immiscer pleinement dans nos esgourdes. Certes, il s’agit d’une œuvre mineure pour un groupe qui, s’il stagne gentiment, n’a rien perdu de son caractère grisant.  


Vampire Weekend - Contra

Après un premier album aussi insignifiant que sympathique, Vampire Weekend revient avec globalement le même disque. Dès la première chanson de Contra, on a l’étrange impression d’entendre Animal Collective remixé par le Hans Zimmer du Roi Lion. Une excellente partition pour un nouveau Disney en terres Africaines ? Tout à fait. White Sky, par exemple, c’est Hakuna Matata en accéléré. L’effet comique est indéniable et assez irrésistible. Bref, à l’image de leur premier album, Contra risque de faire fureur dans les boums, de la maternelle jusqu’au lycée. Holiday ? Mais c’est la chenille qui redémarre !

Soyons sérieux un instant (même si c’est difficile), comme il s’agit d’un remake de leur premier opus, on retrouve les mêmes influences, des Talking Heads aux pires égarements du Sandinista de The Clash. Avec son côté mignon, Contra évoque même les prémisses du mouvement « twee ». Mais il n’y a ni l’énergie et l’humour des Television Personalities, ni l’inventivité de Belle and Sebastian. Et si on choisissait des comparaisons plus actuelles, nous n’avons ici ni la créativité festive des Fiery Furnaces, ni le lyrisme ludique de Jens Lekman.

Tout n’est pas à jeter, bien entendu, Contra est un bon petit coffre à singles rigolos. Un truc comme Giving up the gun, ça vaut bien Taylor Swift... Mais quand Vampire Weekend vient s’attaquer aux Fiery Furnaces sur leur propre terrain avec le limite plagiaire et déjà arthritique Diplomat’s son, on perd quelque peu patience. Allez les mômes, fini la récrée, on va vous remettre Le Roi Lion 2, ça va vous calmer.


Annie - Don't Stop

C’était l’Arlésienne de 2009. Le retour d’Anne Lilia Berge Strand, plus connue sous le diminutif d’Annie, s’envisageait comme une extase. Depuis 2005, et son premier album Anniemal, la Norvégienne était devenue notre idéal pop. Une poignée de chanson parfaite (Heartbeat, Me Plus One, Greatest Hit, Come Together) et cela nous suffisait à être fou amoureux de la miss. Peu importait que l’album soit très inégal, les réussites effaçaient les creux et les bosses.

Don’t stop fut achevé dans la douleur, au fil d’un parcours chaotique que je ne vais pas vous détailler ici. Retardé, repoussé, piraté, retouché, l’album s’était perdu dans les limbes. En attendant, Annie livrait deux singles (I Know UR Girlfriend Hates Me et Anthonio), sympathiques mais mineurs. Ils sont absents de Don’t stop, c’est sans gravité, car dès le morceau d’ouverture, l’attente est mille fois récompensée.

Hey Annie reprend les choses là où Anniemal les avait laissées. Toujours égocentrique, toujours conquérante, avec sa voix de gamine libertine, Annie se met en scène. La star c’est elle, et on ne parlera que d’elle. « Do you want more ? Do you want more ? », mais vous ne la méritez pas, c’est son mot d’ordre, sa litanie. Elle est la plus belle, la plus cool, la plus séduisante, la plus douée, ce n’est pas moi qui le dit, c’est Annie. Elle le répète, le martèle. En soi, cette approche originale, qu’on ne connaissait que dans le rap, est étonnante, elle pourra exaspérer. Mais Annie a les armes pour faire passer son évangile.

Lesquelles ? Toujours les mêmes : des mélodies incroyables, des refrains immenses, une voix délicieuse. Sur Hey Annie, il y a tout : la demoiselle n’a jamais aussi bien chanté, la musique est un mélange entre des sonorités 80’s, 90’s et des années 2000, la progression est irrésistible. A cheval sur de multiples époques, Annie essaie toutes les pistes. Parfois cela fait totalement mouche comme sur Songs remind me of you, parfois c’est un coup dans l’eau (comme sur l’assez vilain The Breakfast Song ou l’anecdotique I Don’t Like Your Band).

Les sommets de Don’t Stop dépassent ceux d’Anniemal. C’est flagrant sur des perles telles que Bad Times (un bolide), Marie Cherie (craquant), When the Night (Heartbeat en descente) et Heaven and Hell (euphorisant au possible). Une moitié d’album géniale, pour une moitié flirtant entre le très bon et le plantage. C’est au moins trois fois plus que chez Lady Gaga ou que chez Lily Allen. Nouvelle victoire par KO pour la petite princesse scandinave !

 

 
 
 
 
 
 
 
 
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