Emika - Emika

Je ne suis jamais aussi enthousiaste que lorsque j’ai le sentiment d’écouter une nouvelle étape dans l’histoire de la pop. Alors que la musique marketing, celle qui est imposée aux auditeurs et téléspectateurs, vomit encore les années 80 ou même l’eurodance de sinistre mémoire, Emika est déjà ailleurs. Elevée au dubstep, marquée par les percées électroniques, voisine de James Blake, aimant autant faire peur que faire danser, sa musique est sur la corde raide entre le grand public et l’élitisme. Dès le morceau d’ouverture, 3 Hours, tout est en place. Le son de l’année, l’infrabasse, attaque par les tripes. La voix d’Emika, on ne peut plus charmante, scande un refrain ambigu (« Hit me if it helps you ease the pain, hit me anyway… »). La mélodie est simple, accrocheuse, mais tourmentée. La suite de l’album se bâtit sur ces propositions. Allant du cauchemardesque sublime (The Long Goodbye, FM Attention), au Beyoncé gothique (Professional Loving) qui s’épanche en une coda électrocutée de plus de 4 minutes (Be My Guest). Entre les deux, des tubes pour un monde meilleur (Double Edge, Drop The Other). Et en conclusion, la révélation : deux minutes de piano épurées, comme le générique de fin apaisé d’un film d’épouvante intense. Emika vient d’une formation classique, elle a bifurqué vers les terres électriques au dernier moment. Aujourd’hui c’est un DJ des ténèbres, le chaînon manquant entre les chansons taillées pour les tops et les expériences de The Knife et de James Blake.

Oui, c’est un album qui pourra désarçonner les habitués au confort des machins préfabriqués. Oui, cette musique s’écoute fort, avec les infrabasses qui secouent l’estomac. Et oui, on est au bord du gouffre MTVNRJM6, tout en flirtant avec ce qui fait fuir tous vos amis aux oreilles délicates, ceux qui s'évadent dans la nuit en hurlant devant Limit To Your Love revisité par le petit James. A proprement parler ce n’est pas une révolution, mais bien une évolution fort naturelle. La vraie musique pop des années 2010, au même titre que celle de The Go! Team dont elle incarne le côté obscur. Avec une âme, un coeur, la petite étincelle qui rappelle qu’on n’est pas dans l’ouvrage calculé par quelques exécutifs et ensuite exhibé par la première bimbo venue, prête à toutes les humiliations pour devenir une star. Emika n’a pas besoin de ça. Ce que la demoiselle souhaite, elle le dit elle-même, c’est avant tout raconter des histoires, avec des mots qui coupent et une musique qui panse. Et qui pense. La pop intelligente, comme on parlait de « techno intelligente » dans les années 90. Un poison délicieux, un petit chef-d’œuvre.


Kate Bush - 50 Words for Snow

Ceci n’est pas un disque de Noël. Pourtant c’est peut-être le bel album dédié à l’hiver. Comme Aerial était estival, 50 Words for Snow plonge dans tous les aspects du monde endormi sous un manteau blanc. L’œuvre s’ouvre sur le parcourt d’un flocon de neige, Snowflake, un duo entre Kate Bush et son fils. Elle se clôt avec une ballade dépouillée, Among Angels. Entre les deux, la musique la plus pure, la plus ardue et la plus hypnotique de la sublime discographie de l’anglaise. Le morceau le plus bref monte à 7 minutes, le plus long culmine au double. 50 Words for Snow n’est pas facile d’accès et ne s’apprécie pas pleinement si on le laisse couler en musique d’ambiance (bien qu’il soit tout aussi excellent pour cet usage).

Pour en ressentir les nuances, il faut s’abandonner au plaisir d’écouter. Comme pour mieux rappeler que sans elle il n’y aurait probablement pas de Joanna Newsom, Kate Bush donne des leçons à l’elfe harpiste. Piano et voix, un écho de batterie, une touche de synthétiseurs parfois, quelques invités, pas plus. Les arrangements se fondent sans mal dans la lignée d’Aerial. Ecouter les deux albums à la suite est révélateur. Deux vraies différences : le thème et l’ampleur des compositions. Davantage de silences, des atmosphères plus enveloppantes, des constructions qui prennent leur temps. Ainsi qu’une quête mystique du Yéti et, ailleurs, une histoire d’amour intemporelle avec… Elton John (en duo d’une sobriété et d’une émotion inespérées).

Deux morceaux subjuguent dès la première écoute. Misty et sa passion improbable et totalement au premier degré avec un bonhomme de neige, d’où surgit un final déchirant. Ainsi que la chanson qui donne son titre à l’album, où sont effectivement énumérés 50 noms donnés à la neige, dans presque toutes les langues de la planète. Difficile à décrire sans que cela paraisse ridicule, l’expérience fait partie des plus grandes réussites conceptuelles de Kate Bush, qui n’en est certes pas à son coup d’essai. Si on écoute le disque d’une oreille distraite, tout semblera flotter dans un horizon brumeux et léthargique. Le même problème que si on ne prend pas la peine de vraiment regarder un film comme The Tree of Life.

Mais, même si on reste à la surface l’œuvre, il semble difficile d’en nier l’intense beauté, faussement simple. Une beauté issue de la maîtrise d’une artiste qui n’a plus rien à prouver et qui ne semble créer que pour le plaisir pur. Pour les nombreux amoureux de Kate, c’est le bonheur. C’est approprié, on y boit du petit lait. Sa musique, si évocatrice, est ici à son plein épanouissement. Dans sa douceur soyeuse, dans son émotion retenue, cet album est aussi audacieux et exigeant que les instants les plus aventureux de The Dreaming et de la deuxième face de Hounds of Love. C’est surtout la bande son rêvée des matins frileux, des soirs crépitants, des reflets de la lumière sur la neige, des flocons qui tourbillonnent et de ces hivers qu’on préfère traverser avec joie plutôt qu’avec tristesse.


St. Vincent - Strange Mercy

L’inventivité infinie d’Annie Clarke était déjà frappante dans ses deux premiers opus, l’aigre-doux Marry Me et le tortueux Actors, mais avec Strange Mercy elle atteint un nouveau niveau. Le plus beau ? Cela ne semble qu’une étape d’une odyssée toujours plus passionnante. Ce nouvel album est à la fois le plus expérimental de l’artiste mais aussi le plus immédiat, celui qui dès la première écoute vous scotche au fond de votre fauteuil. Ce n’est pas un disque facile, ne vous méprenez pas. Il ne se donne pas aux impatients ou aux amateurs de divertissements inconséquents. La musique et les émotions transmises sont âpres, parfois déplaisantes.

De la dissection sonore à vif de Surgeon en passant par le tourbillonnement final de Neutered Fruit ou la torpeur acide de Champagne Year, Strange Mercy a tout du songe inquiétant, parfois cauchemardesque. Annie Clarke fracture les rythmes, décompose les mélodies et use de toute une palette électrique dont la guitare demeure le principal instrument. Tout est possible chez St. Vincent, même le plus inattendu, comme la pop en plastique de Cruel ou l’éboulement dance d’Hysterical Strenght, deux tubes improbables d’un monde parfait encore plus improbable.

On croise une ballade élégiaque sur les états d’âme d’une Cheerleader qui culmine sur « I’ve seen America with no clothes on » et « I don’t wanna be a dirt eater no more ». On glisse d’un abyme à l’autre, d’un enlacement à un coup de poignard. Sur Champagne Year la roue tourne à nouveau "I'll make a living telling people what they want to hear. It's not a perfect plan. But it's the one we got..." Strange Mercy ne fait pas de prisonniers tout en créant de nouveaux chemins de traverse. Lier la créativité la plus torturée aux atours les plus séduisants, c'est tout le charme inquiétant d’Annie Clarke, l’une des figures incontournables de la musique de notre époque.


Widowspeak - Widowspeak

Bon, on a trouvé les héritiers de Belly. On est bien content, ça nous rappelle des souvenirs. Ca se veut dreampop, voyez-vous. Plutôt dans la descendance de Mazzy Star. C’est étrange, on pense davantage à Kim Deal qui passerait au ralenti des faces B des Breeders. C’est mignon mais aussi un peu indigent. On est dans le domaine de la tapisserie sonore pour nostalgique des 90’s. La petite guitare surf, la voix nonchalante, la production cotonneuse, on a l'habitude. C’est du travail bien fait, attention ! Il y a 15 ans, on en connaît qui aurait qualifié le disque de chef-d’œuvre lynchien. Ou quelque chose dans le genre. Vraiment, ce n’est pas désagréable, vous pouvez mettre ça sans risque en bande son de vos soirées entre amis de bon goût, vous allez voir, ça passe inaperçu, mais sympathiquement. Ce qui manque par rapport à d’autres machines temporelles que je célèbre ailleurs ? Une touche de personnalité, une pointe d’audace, des chansons plus percutantes et plus impertinentes, beaucoup de petits trucs en fait. Pas impossible que ce soit présent sur un hypothétique deuxième album.


tUnE-yArDs - W h o K i l l

Faisons fi des conventions ! Déstructurons les chansons ! Déboulonnons les harmonies ! Fractionnons les rythmes ! Reconquête ! Avec sa voix unique Merrill Garbus mène la révolte. Le lien ici c’est le rythme. Son truc à Merrill, ce sont les percussions, les lignes de basse, le groove qui surgit partout. En fragments ou en vagues immenses, tout n’est que questions de cadences et de rebonds. En soit, W h o K i l l est à la fois un disque très facile d’écoute (très funky, plein de surprises) et difficile d’accès (ça part dans tous les sens). Il faut aimer l’audace, sans doute, mais tant d’originalité s’avère une liqueur pour les oreilles fatiguées. La musique de tUnE-yArDs cherche et trouve souvent des sentiers qu’on jurerait inexplorés. Plus important, Merrill Garbus n’oublie jamais l’essentiel : avant tout composer de vraies chansons, de bonnes chansons. Ensuite elle peut les agiter dans tous les sens, les faire danser au rythme qu’elle souhaite, les rendre quasi méconnaissables. Peu importe les expériences ainsi tentées, la musique en sort toujours grandie.


Hooray for Earth - True Loves

C’est toujours plaisant d’écouter un album qui donne directement l’impression d’être un « best of », un recueil de tubes qui ne laisse quasiment jamais le temps de souffler. Hooray for Earth est un groupe qui désire tout donner, tout de suite. Le revival de la pop synthétique n’est plus très neuf, les petits clones de Depeche Mode et de Trevor Horn se massent sur les pistes de danse. Il y a ceux qui innovent (The Knife, toujours loin devant), ceux qui s’appliquent (Cut Copy) et ceux qui surfent sur la vague sans imagination (n’importe quelle pub pour fournisseur de téléphonie mobile). Hooray for Earth est davantage à ranger du côté de Cut Copy, avec une tonalité plus rock qui rassurera les chantres des guitares.

Rien de révolutionnaire ici, mais un vrai plaisir dans l’interprétation et un talent évident pour les refrains accrocheurs. True Loves est un disque festif qui n’hésite pas à faire reluire les heures les plus épiques et kitsch des années 80. Une preuve parmi toutes les chansons de l’album ? Bring Us Closer Together, sorte d’hymne pour les stades à reprendre en chœur en tendant les bras vers le ciel. C’est rigolo, très efficace, tout en ne tombant jamais dans le mauvais goût ou les facilités. Une sorte de tour de force. Cela pourra paraître un peu trop léger à certaines oreilles, mais, idéalement, toutes les chansons de True Loves devraient se retrouver en tête des tops 50 de la planète. Evidemment, là, je rêve…


Girls - Father, Son, Holy Ghost

C’est une comparaison que vous n’allez pas lire partout, mais le nouvel album du duo de Girls me fait penser à un disque de… Grandaddy. Non, rien d’absurde, en fait, cela tombe sous le sens. Ecoutez donc les premières minutes de Just a Song, le sommet lyrique de Father, Son, Holy Ghost"It feels like it’s gone, gone away. It seems like nobody is happy now…" Le chant, la musique, les paroles, tout ici rappelle The Sopthware Slump. C’est à cet instant que la ressemblance avec Grandaddy est la plus troublante, mais elle parcourt tout le disque. Entre les longues ballades lyriques aux textes tout simples et touchants, les gros riffs de guitares sur les hommages au hard-rock des 70’s et les petites chansons pop ultra accrocheuses. Tout est là. Seule différence de taille : l’exécution. Girls est nettement plus clinquant, moins rustique. Le charme est différent, ce n’est pas celui des grosses barbes et des chemises de bucherons de Grandaddy, le plus fragile des groupes de bourrins.

La musique de Girls est très appliquée, parfois un peu maniérée, toujours dans l’exagération. Dès la première écoute Father, Son, Holy Ghost apparaît comme monumental. Si l’entame avec Honey Bunny est d’une légèreté absolue, elle ne retrouvera de véritable écho que bien plus tard avec le tout aussi primesautier Magic. La plus belle incongruité demeure Die, sorte de parodie de Deep Purple ultra efficace. L’essentiel de l’album se compose de grandes épopées élégiaques. Trois cœurs : Vomit, Just a Song et Forgiveness. Trois monuments jouant sur la temporalité, les répétitions et la construction savante. Le final de Vomit et ses chœurs gospel, la litanie de Just a Song, et le solo de guitare cathartique de Forgiveness sont autant d’instants bouleversants.

Comme il est dit fort justement dans la critique du site Pitchfork, c’est un album dont toutes les chansons semblent immédiatement familières et qui demande en même temps un long investissement pour révéler ses secrets. Entre naïveté et préciosité, entre puissance et fragilité, Father, Son, Holy Ghost est peut-être un peu trop sûr de son génie, il n’en demeure pas moins très attachant et d’une beauté transcendante.


Austra - Feel it Break

Nous vivons vraiment une époque formidable. Enfin, je dis « nous », mais cela s’adresse à ceux qui, comme moi, estiment que Siouxsie et Kate Bush sont ce qui est arrivé de mieux au début des années 1980. Et oui, car aujourd’hui, toute une génération de gamines ne jure que par les expériences inoubliables de ces deux déesses de la musique populaire. Qu’on en juge, en l’espace d’un ou deux ans, des albums aussi mémorables que ceux de Fever Ray, Joanna Newsom, Bat For Lashes, Zola Jesus, Glasser ou bien encore Austra viennent piocher de manière plus ou moins évidente dans ce grand héritage.

Austra, justement, un trio Canadien, composé de Katie Stelmanis, Maya Postepski et Damian Wolf. Encore un groupe qui veut nous faire de l’electro pop à l’ancienne, me direz-vous ? Oui, mais non. Le secret ? Katie Stelmanis, justement, la chanteuse et claviériste, venue d’une formation classique stricte et qui ne dévia de la ligne philharmonique qu’au dernier instant. Une sensibilité en parenté évidente avec Kate Bush ou avec Joanna Newsom. Mais le cœur de Katie appartient à la Sioux. Au point d’en délivrer un décalque troublant, encore plus fidèle que celui de Zola Jesus. C’est la chanson The Beat and The Pulse, dont le refrain donne son titre à l’album. La voix de Stelmanis pourra être confondue avec celle de Siouxsie, la musique est proche des Creatures période Anima Animus. Une telle application fait d’abord vibrer la fibre nostalgique, avant de dévoiler la qualité remarquable des compositions.

Le meilleur exemple étant l’époustouflant single Lose It, l’un des sérieux concurrents au titre de chanson de l’année. Ecoutez la simplicité apparente de l’entame, écoutez l’arrivée inattendue des vocalises, écoutez la douceur des variations en contre-point de la martialité du rythme, écoutez toutes les nuances qui se jouent des codes tout en bâtissant un vrai « hit », le genre de chanson si évidente qu’on a l’impression de la connaître depuis toujours.

Austra picore dans tous les genres, donne à danser, comme à écouter paisiblement. Le disque passe du cristal au charbon en un souffle, ce n’est ni gothique, ni disco, mi-punk, mi-ange. Ce n’est pas parfait, surtout durant la seconde moitié, un peu épuisée, mais c’est irrésistible, diablement attachant. Le potentiel dévoilé laisse rêveur. Vite Katie, reviens vocaliser au creux de nos tympans !


Julianna Barwick - The Magic Place

Il ne sert à rien de vous décrire la musique de Julianna Barwick. Peut-être devrais-je me contenter de vous dire : écoutez ce disque. Mais il en faut davantage pour donner envie, pour convaincre, pour accompagner. Des textures sonores essentiellement créées par la voix de la chanteuse, peu ou pas de rythmes, une place réduite pour les autres instruments, à peine quelques parures synthétiques. Pour qui a vécu les années 90 électroniques, une seule comparaison vient à l’esprit : le chef-d’œuvre d’Aphex Twin, les Selected Ambient Works vol. 2. Il s’agit du même travail d’atmosphère, aussi sophistiqué que minimal. La douceur onirique flirte partout avec le sublime.

Pas de demi-mesure, dès les premières minutes, l’auditeur s’ennuie ou s’extasie. L’expérience est voisine de Terrence Malick nous contant la naissance du monde. Les perceptions sont minuscules mais l’aventure est immense, les ruisseaux de sons donnent vie à des océans de grâce. Créer de tels univers avec si peu n’est pas seulement admirable, c’est aussi une leçon d’humilité. Qu’il me soit permis d’aimer avec autant de passion les déferlements complexes des Fiery Furnaces ou de Tune-Yards que l’élégance des séquences de Julianna Barwick. Mais sans niaiserie, attention, car l’infinie beauté n’exclut pas ici les nuances inquiètes, les crescendos plus ténébreux. Rarement œuvre n’aura aussi bien portée son nom : The Magic Place. Finalement, il n’y avait pas besoin d’en dire plus…


Marissa Nadler - Marissa Nadler

Difficile de ne pas adorer Marissa Nadler, tout chez elle pousse à la tendresse. Depuis 2004, la jeune chanteuse compose, presque en autarcie, une œuvre aussi discrète que parfaite. Album après album, ses talents d’auteur s’affinent, chanson après chanson, son univers s’épanouit. Une voix, une guitare, à peine davantage, dans la plus pure tradition folk. Elle est l’enfant perdue de Nick Drake et de Leonard Cohen (dont elle a repris Famous Blue Raincoat). Difficile de faire la différence dans des champs aussi cultivés ? Oui, si on ne possède pas un véritable talent, celui de créer des petits îlots de rêves et de cauchemars, avec trois fois rien.

Marissa Nadler possède ce talent, à foison. Il suffit d’écouter son opus le plus aboutit, Songs III : Bird on the Water pour tomber en extase. Mais on célébrera tout autant ce nouvel album au parcours exemplaire. Abandonnée par sa précédente maison de disques, Marissa a demandé à ses fans de l’aider à financer son nouveau travail, édité sur son label tout neuf (Box of Cedar). De l’auto-production absolue, idéalement indépendante. Dans ces conditions délicates, la chanteuse donne naissance à un recueil joliment ouvragé, le plus accueillant et accessible de sa carrière.

La musique étend son spectre vers d’autres instruments, d’autres atmosphères, elle respire davantage et perd un peu en intensité et en émotion tout en demeurant remarquable. Pousser la notation à 9/10 est sans doute exagéré, c’est avant tout pour vous encourager à découvrir une artiste exceptionnelle, qui, à l’instar de Scout Niblett, mériterait d’être connue et aimée de tous. Dans un autre monde. Dans une autre époque...


Bon Iver - Bon Iver

La nostalgie pour les années 80 n’a pas que du bon. Si Dan Bejar se prend pour Bryan Ferry et Brian Eno sur le dernier album de Destroyer, Justin Vernon de Bon Iver s’imagine la réincarnation de Peter Gabriel. Ne jetons pas la pierre à ce bon Peter, sa carrière a eu des hauts très estimables, sa citation dans cette critique n’est là que pour évoquer l’espèce d’incrédulité qui saisit l’auditeur une fois arrivé à la pièce montée qui conclut l’album : Beth/Rest. Synthétiseurs gluant et saxophone mielleux copulent pour composer une chute de la bande originale de 9 Semaines ½. Il est toujours tendance de célébrer une monstruosité kitsch sous prétexte d’avant-garde, je dois être le premier à la faire. Mais là, c’est intenable, surtout après avoir nagé dans le gentil marasme, pas forcément désagréable, qui compose l’essentiel de l’album. La voix de Vernon possède toujours beaucoup d’âme, certaines chansons ne sont pas dégueulasses, mais tout semble figé dans une nostalgie pour les discutables déviances des années 80. Au pire, on se croirait dans un téléfilm érotique où il ne manquerait que Sylvia Kristel et un bellâtre moustachu. Oui, ça fait un peu peur…


Fleet Foxes - Helplessness Blues

Le premier album des Fleet Foxes imposait l’involontaire arrogance des œuvres trop polies pour être honnêtes. Ces harmonies héritées des Beach Boys qui venaient nous hurler leur beauté au milieu d’une production cathédrale écrasante. C’était un peu étouffant. Plus discret, plus tortueux, le deuxième long format du groupe fait la part belle à leur leader, Robin Pecknold. Plus introspectif, creusant le son désormais familier pour le distiller et le disséquer, Helplessness Blues ressemble d’autant plus à Brian Wilson invitant le fantôme de Nick Drake pour un dîner sur le porche d’Oncle Boonmee. Oui, c’est légèrement ambitieux. Surtout que l’impression d’entendre une chorale de montagnards perdus dans la forêt n’est jamais très loin.

Mais voilà. Une guitare qui surgit de Pink Moon, une voix tremblante et un écho haut comme les Alpes : explosion dans les cieux. Mes aïeux. C’est Sim Sala Bim, le grand spectre folk. Avec enchaînement sur le grandiose Battery Kinzie qu’on jurerait déchu de l’album de Lykke Li. Mais ici l’inquiétude est bien réelle, la mort rode. Jusqu’à perforer la musique sur The Argument, voisin des circonvolutions de Talk Talk. Parfois la voix se fait minuscule, compensant les écarts les plus grandiloquents. C’est Blue Spotted Tail, miniature au coin du feu. Heureusement que la dernière chanson, Grown Ocean promet la résurrection. Les chœurs reviennent discrètement, le rythme respire, le chant s’épanouit peu à peu. On ressent ici une catharsis émouvante. Très grand disque.


Katy B - On a Mission

Je le disais dans un récent Edwood VS la musique, mais il suffit de fermer les yeux et d’écouter les premières mesures de Lights On pour se retrouver dans un club londonien. C’est magique. Le même effet que sur certains morceaux de Moloko/Roisin Murphy. C’est quand sa musique cède à la pure nostalgie, quelque part au tout début du millénaire, que Katy B est la plus touchante. Pourtant la demoiselle n’avait probablement même pas 10 ans quand ces sonorités triomphaient sur les dancefloors. Qu’importe, n’est-ce pas ? Il n’y a pas besoin d’avoir eu 20 ans en 1977 pour écrire de bonnes chansons punks, que diable ! Que la réussite de On a Mission ne soit que partielle n’éclipse pas ses multiples qualités.

Qu’on y pense. A 21 ans, Katy B a déjà casé trois singles dans le top 10 britannique et son premier album s’est installé à la deuxième position des charts. Pas rien. Impressionnant, même. Il faut avouer que les sommets, les singles justement, sont à tomber à la renverse. Le premier d’entre eux, Katy on a mission pose les bases d’un son aussi âpre que sucré. Lights On et sa contribution inattendue par la toujours bienvenue Miss Dynamite, est une vraie madeleine de Proust. Quant à Broken Record, il confirme l’un des points forts de la donzelle : la diction. Oui, oui. Le phrasé, la manière de prononcer les mots, d’insister sur telle ou telle syllabe, de jouer de son accent. Flagrant sur le refrain de Katy on a mission (sa manière de faire durer le « too sooooooon ») ou avec son cocasse « beautiful stranger how do you dooo » sur Perfect Stranger… Mais le meilleur réside dans le final de Broken Record et cette façon de rythmer l’expression : « like a broken re-coooo-rrrd ». Comment créer un gimmick avec trois fois rien.

Malheureusement on n’échappe pas aux remplissages, certains plus embarrassants que d’autres. Surtout quand Katy se prend pour Rihanna & co (Go Away, Easy Please Me). Dommage, mais compréhensible et loin d’être aussi infâme que la bouillasse de Jessie J. Il se dégage de l’album une sorte de fraîcheur passéiste ; et, sur la foi de quelques chansons fantastiques, des promesses aguicheuses pour l’avenir.


Lykke Li - Wounded Rhymes

Ne le cachons pas, on avait découvert la vachement tendance Lykke Li par l’intermédiaire du plus beau plan de Twilight 2. Une sorte d’illustration idéale du blues adolescent, prostré dans sa chambre, comme si le monde ne tournait plus qu’autour des petites peines de cœur et de notre ego sacralisé. Avec sa voix de gamine, son mignon minois et ses chansons théâtrales, Lykke Li s’affirme comme la nouvelle figure de proue des souffrances qui se parent d’humour pour mieux s’épancher. La preuve ? Le sommet indiscutable de ce nouvel album, une chanson à se damner sur place : Sadness is a Blessing. Rien que le titre. Ouverture de folie : « My wounded rhymes make silent cries tonight ». Plus loin sur le refrain : « Sadness is my boyfriend, oh, sadness I’m your girl ». Le tout emballé dans une orchestration grandiose, avec plein d’échos et de grosses percussions sentencieuses. Oser une chanson pareille c’est, soit de l’inconscience pure, soit savoir exactement où l’on va. Dans cet équilibre entre ironie et cri du cœur, Lykke Li est triomphante.

Ailleurs sur l’album, la chanteuse ose la ballade toute triste et nettement plus classique, avec I Know Places. Mais c’est sans compter sur une coda instrumentale et planante, gentiment kitsch, qui transforme la complainte attendue en pièce atmosphérique. Juste après, le vindicatif Jerome fait étinceler les instincts tribaux, pas si éloignés de ceux de Bat For Lashes. Mais Lykke Li n’est jamais aussi joyeuse que quand elle est triste, dernière preuve avec l’épuisante conclusion, Silent My Song. Grandiose, larmoyant, drôle. Et pour la peine, revenons au début avec une profession de foi : Youth knows no pain. Voilà. C’est dit. Tout cela c’était pour rire. Pour de faux. On a joué à être ado, être triste, être fou, être heureux, être amoureux et à croire que Twilight c’est la vraie vie. Tout faux. Oui. Mais qu’est-ce que c’était bien.


Destroyer - Kaputt

Ceux qui refusent de voir dans les New Pornographers le seul et unique super-groupe de notre temps, sous prétexte que les radios à la con et les robinets à clip ne diffusent pas en boucle les clips de AC Newman, Neko Case et Dan Bejar (Destroyer) en sont pour leurs frais. En 2009, Newman sortait Get Guilty (moins bien que The Slow Wonder, son précédent opus, mais de peu), en 2010, Neko Case dévastait tout avec Middle Cyclone et en 2011, Dan Bejar offre l’album le plus accessible de Destroyer. Que vous faut-il de plus ?

La beauté infinie de Kaputt est d’être un disque d’ambiance. Un album inquiétant et cool, une sorte de bande-son pour une version optimiste de Blade Runner, un truc jazzy et électronique qui sonnerait comme le disque perdu de Roxy Music période Avalon. Bejar se prend pour Brian Eno et Bryan Ferry réunis. Il y a donc des abîmes et des chœurs féminins, des limousines et des textes mystérieux, la pluie sur la ville et des basses funky. Hypnotique, la musique de Kaputt se construit en litanies à la grâce aquatique. Rêveuses et éperdues, elles voguent parfois au hasard, avant de s’évanouir dans le sublime Bay of Pigs, rescapé d’un précédent disque de Bejar. Les androïdes prennent-ils de la cocaïne électrique ? Probablement. Puissent-ils continuer longtemps.


PJ Harvey - Let England Shake

Il y a des artistes qui font partie de notre quotidien depuis tellement longtemps et avec une telle constance qu’on finit malheureusement par les noyer dans le décor. Bel exemple avec Polly Jean Harvey, qui, dès ses débuts avec Dry, n’a jamais délivré de mauvais disques. Certains un peu moins intéressants ou pertinents (Is This Desire ?, Songs from the City) mais jamais vraiment regrettables. Une « routine qualitative » trompeuse, quand on a eu du génie une fois, on peut aisément retomber dans la grandeur. La preuve avec Let England Shake, probablement son meilleur disque depuis To Bring You My Love et le coup de tonnerre de ce début d’année.

Si son vieux comparse Nick Cave, ruait dans le rock en rut avec Grinderman 2, PJ Harvey préfère sa voie fétiche : l’attaque insidieuse, la séduction malsaine. Toutes les chansons de Let England Shake, sans exception, sont accrocheuses, de vrais petits tubes en puissance. Mais des hits vicieux, dès que l’on se penche un instant sur les paroles, la vérité nous saute à la gorge. Polly Jean a offert un disque politico-gore, un pamphlet pop choc. De la première Guerre Mondiale aux bourbiers actuels, c’est l’éternel théâtre de l’horreur qui se déploie, traçant un siècle d’absurdité et de barbaques ; avec l’efficacité musicale d’un auteur qui n’a plus rien à prouver. De The Glorious Land à In The Dark Places en passant par The Words That Maketh Murder, l’ensemble du disque est placé sous le signe de la plus belle des confections rock.

Let England Shake ne vient pas du nulle part, ce n’est pas le « retour inespéré ». C’est le descendant naturel du splendide et mal aimé White Chalk. Mais en plus accessible, en plus maîtrisé, troquant l’onirisme spectral pour une immédiateté charmeuse. Aussi sordide que soient les thèmes abordés, ils s’immiscent dans nos cerveaux dès la première écoute. Ensuite, il devient impossible d’échapper au disque. Il revient, en boucle, dévoilant toujours davantage sa richesse et sa puissance. Sur l’enchaînement de All and Everyone et On Battleship Hill, la clef de voûte de l’album, on entend aussi bien l’héritière de Patti Smith et de Kate Bush que la mère torturée de Joanna Newsom. Polly Jean reprend sa couronne, nous rappelle qu’elle n’a jamais été et ne sera jamais une artiste mineure. Ce sont des retrouvailles au sommet, dans les larmes, le sang et un humour omniprésent. Œuvre unique, plaisante et effroyable, Let England Shake fait déjà date.


The Go! Team - Rolling Blackouts

The Go! Team. Le simple fait d’écrire le nom du groupe provoque la montée d’adrénaline.  Au fil des années, leur premier opus, Thunder, Lighting and Strike s’est imposé, non seulement comme l’un des plus grands disques de la décennie 2000, mais aussi comme le plus puissant antidépresseur musical du monde connu. Il ne se passe pas encore un mois, que dis-je un mois ! Il ne se passe pas une semaine sans que je ne me sente physiquement obligé d’envoyer à fond l’album au matin, ou même carrément sur le lieu de travail, en boucle, de préférence. Leur effort suivant, Proof of Youth était un faux remake. Car il faut rappeler que l’une des qualités premières de Thunder est d’être aux trois quarts instrumental. Même lorsque les MCs débarquent, elles sont noyées dans le mix, instruments parmi les autres. Proof of Youth jouait la carte de vraies chansons, parfois pour le meilleur (Doing It Right, Fake ID) et plutôt pour le pire, du moins, le moyen.

La même inquiétude saisit au début de Rolling Blackouts avec l'ouragan T.O.R.N.A.D.O. Retour de Thunder, avec le format chanté de Proof of Youth. Nouvelle déception ? Non. Car cette fois les morceaux sont à la hauteur. Et les spectres de Thunder sont davantage présents. Ne le cachons pas, The Go! Team c’est toujours la même chose. Une recette délivrée avec une énergie renouvelée, mais sans grande surprise. La seule puissance du groupe étant sa capacité à faire exploser la pop la plus incroyable. Du « Wall of Sound » de Phil Spector en passant par la soul de Sly, le hip-hop des Beastie Boys, les collages des années 90… Tout est là. Superposé. En avalanche. Mais pour le coup, la musique seule ne se suffit plus. Les instrumentaux sont des relectures à la note près de ceux de Thunder (Bust-Out Brigade, Super Triangle), ils sont aussi beaucoup plus courts, conçus comme de simples interludes.

Rolling Blackouts marque le triomphe des chansons. Ninja, Kaori et Chi (oui, on dirait une team de manga) sont les véritables stars. Le point d’orgue est l’hallucinant Buy Nothing Day, qu’il sera d’hors et déjà difficile de détrôner au titre de single de l’année (sauf si PJ Harvey édite The Glorious Land sous ce format). Tout l’album est ainsi touché par la baguette de la bonne fée de la pop. Secretary Song et ses « echo echo echo », Apollo Throwdown et sa construction en grand 8, Ready to Go Steady la chanson perdue des Shangri-Las, Voice Yr Choice pour envoyer paître les prétentions de Gorillaz. Le morceau Rolling Blackouts va jusqu’à flirter avec une évidence « noise », quelque part entre Slowdive et les bonnes heures d’Asobi Seksu. Les réjouissance s’achèvent sur le festif Back Like 8 Track, comme une soirée qui ne voudrait et ne devrait jamais s'achever.

Au fil de cette chronique, je ne cessais de me répéter cette conclusion bien proprette : « S’il s’agissait d’un premier album, Rolling Blackouts mériterait une note très élevée, au moins un bon 9/10, mais voilà, c’est un remake, une resucée, de haute tenue, mais déjà connue. » Cela sonnait bien, mais finalement sous couvert d’objectivité, c’était malhonnête. Thunder, Lightning and Strike sera toujours unique. C’est aussi devenu l’un des mes disques favoris, essentiels, vitaux. Il est à 5 étoiles et sans doute un peu au-dessus. Qu’importe. Ici on ne critique pas à l’objectivité, ni à la demi-mesure. Rolling Blackouts, logiquement du même tonneau, pas vraiment un clone, suffisamment différent, est le petit frère adorable de l’aîné prestigieux. Et qui suis-je pour dire que je préfère un fils à l’autre ? Ce n’est pas un album qu’on écoutera qu’une saison, pour suivre la mode, ou parce qu’on finira forcément par s’en lasser. L’année prochaine, aux premiers jours de soleil, il sera de retour. Aux soirs d’été aussi. Et pour donner la vie qui manquera aux premiers matins glacés d’automne. Il sera là aussi. Mon devoir est donc logique : écoutez Rolling Blackouts, bon sang !


Adele - 21

Il y a forcément quelque chose d’un peu honteux à avouer trouver des qualités aux disques d’Adele. Après tout ce n’est qu’un clone d’Amy Winehouse parmi plein d’autres (Duffy, Florence et ses machines, etc.). Bon, envoyez donc la grosse voix à l’attaque et noyez-nous dans la soul britannique. Dès la chanson d’ouverture de 21, Rolling in the Deep, on est scotché par la puissance d’Adele. C’est Amy mais en version grandiose, dans l’écrin putassier d’une superproduction sonore qui ne fait pas de prisonnier. On est ici dans le domaine du blockbuster musical. Rumour has it, avec son rythme qui cogne, son break de piano vindicatif, secoue le corps momifié d’Elton John. Au tournant suivant, la ballade lyrique nous guette, c’est Turning Tables et rien ne pourrait différencier ce morceau de tout ce qui sort chaque semaine sur iTunes et qu’on nous clame comme étant la révélation de l’année. Mais voilà, Adele a quelque chose en plus. Sa voix, sans doute, le petit truc qu'on y perçoit par intermitence, l’âme dans la soul formatée pour les radios. Une parcelle de différence, c’est peu, mais on ne peut pas toujours passer le dernier Autechre lorsqu’on reçoit des gens normaux chez soi…


Jessie J - Who You Are

L’entame de l’album de Jessie J est l’équivalent d’une bonne douche froide en plein mois de février. De la donzelle on ne connaissait que le démentiel Do It Like a Dude, sorte de parodie de R’n’B couillu, diaboliquement accrocheur. C’était oublier que Jessie J compose pour Christina Aguilera, Alicia Keys et Miley Cyrus. Bref. Le tube était une anomalie. Une manière de racoler un public différent pour l’entraîner dans des ruelles visqueuses et lui violer l'ouïe sans ménagement. L’écoute de Who You Are devient rapidement intolérable. Abracadabra ? Une face B de Katy Perry. Casualty of Love ? Un truc refusé par Beyoncé. Rainbow ? Quelqu’un s’amuse avec le cadavre de Rihanna et c’est mal.

Et paf, collé en plein milieu, Do It Like a Dude, le machin improbable, celui qui en remontre à Lady Gaga et baffe Shakira. Comme secoué, le niveau du disque est un petit peu moins immonde dans la seconde partie. Malgré tout on a droit à l’effroyable ballade épique de conclusion (Who You Are), qui donne l’impression de subir le dernier Katy Perry sans en avoir la compensation nichons. Je ne vais pas vous le cacher plus longtemps, c’est affreux, et cela faisait longtemps que je n’avais pas écouté un truc aussi minable. L’amusement de la découverte du clip de Do It Like a Dude a fait long feu. Poubelle, allumette dans la poubelle, et on lève la patte sur les cendres.


James Blake - James Blake

Des silences grands comme des abymes... Puis des sautes de pistes, comme au temps des cassettes audio.... Des saturations suivies d’instants purs comme du cristal... Une voix angélique mais discrète... Avant tout : la sensation d’écouter une musique vraiment nouvelle, aux possibilités créatrices infinies. La question qu’on se pose alors inévitablement face à l’impressionnant premier album de James Blake est de savoir s’il dépasse le statut de « tour de force technique ». Les chansons parviennent-elles à exister derrière la production de ce petit génie britannique ?

Oui, bien sûr, mille fois oui. On y reconnaît les fantômes de nombreux genres : r’n’b, pop, gospel, jazz, folk, litanies électroniques… Les cordes de l’arc de James Blake sont encore plus diverses que celles de son collègue de How To Dress Well. James Blake use d’un faux minimalisme qui limite tous les effets à des apparitions grandioses. Avec le moins on peut faire le plus, c’est sans doute l’un de ses adages. Il suffit d’écouter le « tube » Limit To Your Love qui, après une introduction piano/voix classique et belle, fait débouler une ligne d’infrabasse presque douloureuse et qui mettra à mal plus d’une installation sonore.  

Ecrire sur Blake devrait se concevoir avec des points de suspension… A l’image de sa musique… Et de ses textes, petits poèmes solitaires, cris du cœur simples ou détours romantiques. Mais le vrai plaisir est de plonger dans le maelstrom, de céder aux délices sensoriels. C’est le sentiment d’assister à la (re)création de tout un univers. L'auteur fait table rase et reconstruit, son par son, note par note, piste par piste. De la poussière à la cathédrale, en quelques minutes (I Never Learnt To Share) en attendant de traverser les océans ondulants d’espaces inconnus (To Care, I Mind). L’atterrissage s’effectue avec Measurements, probablement l’idée que Blake se fait de la pièce-montée épique, où les gouffres sont à l’image des sommets : sans limite. Certains cherchent toute leur vie sans le trouver, mais James Blake lui habite déjà dans son petit au-delà. Lui rendre visite risque de vous métamorphoser.

 
 
 
 
 
 
 
 
Soutenez l'indépendance de
 
The Web's Worst Page :