Première vision

       Je sors juste de ma première séance de Sleepy Hollow. Si vous ne voulez pas de "critique" purement autobiographique, passez votre chemin. Car ce qui suit, et c'est tant mieux, cela pourrait s'appeler "Tim et moi, chapitre 9". Je vais parler de Sleepy Hollow, à la première personne. Donc, voilà, j'en sors juste, première vision, une heure est passée, impossible d'avoir un avis clair sur le film, bien évidemment. Dans un mois, après maintes visions, je sortirais déjà un peu plus du brouillard et c'est seulement dans un an, avec la sortie vidéo du film, que je pourrais me permettre de le chroniquer de la même façon que les autres Burton dont je parle sur ce site. Burton filme comme Machiavel écrit, en faux-semblants. Le cinéma de Burton, pour parodier une réplique célèbre de Twin Peaks "n'est pas ce qu'il semble être". Pee Wee n'était pas une comédie marketing, c'était un burlesque poétique à l'ancienne. Beetlejuice n'était pas une comédie fantastique, c'était un exorcisme très personnel par le rire. Batman n'était pas un blockbuster, c'était l'ébauche d'une tragédie post-moderne (si si !). Edward n'était pas un mélo pour ados, c'était un conte ambitieux et lyrique sur fond de modernité bancale. Batman Returns n'était toujours pas un blockbuster, c'était une tragédie romantique grotesque et flamboyante. The Nightmare n'était pas un film pour enfant, c'était le cri d'amour d'un poète à son imaginaire (auquel il doit tout). Ed Wood n'était pas une biographie filmée, c'était un fantasme de cinéphage dédié à son Art. Mars Attacks ! n'était pas une comédie de science-fiction... en fait, si, Mars Attacks ! était avant tout un grand film parodique et cruel... Mais bon, on a bien compris la démonstration, donc...

        Une longue introduction pour expliquer que Sleepy Hollow n'est pas un film d'horreur gothique. C'est essentiellement une comédie poétique où l'implicite prime largement sur l'explicite. Car Sleepy Hollow, le film que vous avez vu, que vous allez voir, n'est que la partie émergée de l'iceberg. Sleepy Hollow, le film que tout le monde admire en ce moment, est une œuvre aussi bridée que le 13e Guerrier de John McTiernan (nous verrons que la comparaison est bienvenue). Sleepy Hollow est un film trop court, trop rapide, en un mot : frustrant. Mais cela n'est que la première impression d'un fan intégriste de Burton qui a attendu 3 ans sa drogue. Et comme je l'ai démontré plus haut, avec Burton, la première impression n'est jamais la bonne. Sleepy Hollow cache ses trésors, et il les cache diaboliquement. Pour preuve les apparitions sublimissimes de la divine Lisa Marie (Burton est amoureux, il le montre, mais pas trop, dignement). Ces quelques flash backs sont cruels sur tous les plans. Cruels par ce qui s'y déroule, mais surtout cruels par leur montage et leur durée. L'esprit réclame du temps, l'esprit réclame de l'image par image. Cela va trop vite ! Rendez-nous Lisa Marie s'envolant dans le verger, rendez-nous Lisa Marie ensorcelant le monde ! Le film va trop vite, ne ménage aucune pause, le montage se fait épileptique, ce n'est plus Burton qui met en scène ou alors.... alors...

        Alors ? Et bien, Sleepy Hollow renfermerait des secrets que Burton a dissimulé encore plus soigneusement que dans ses œuvres précédentes. Comme s'il était devenu conscient d'en avoir trop révélé précédemment. Il a ici caché l'essentiel sous de l'humour, un visuel formidable, une histoire inutilement alambiquée menée à 250 km/h, du gore, un montage indélicat... Le noyau de Sleepy Hollow, son "hardcore" se dissimule comme un fantôme dans une vieux manoir, il ne fait tinter ses chaînes que rarement, il ne fait que passer tel une ombre, une âme en peine. Le noyau de Sleepy Hollow ? Il faut le rechercher du côté de cette sorcellerie effleurée, de ces symboles entrevus, de ces errements romantiques de quelques secondes, de ces brèves fulgurances visuelles. Ici se cache la quintessence du film, ce qui lui promet l'éternité, ce qui le différencie de tout le reste de la production, ce qui le rend unique, ce qui en fait une œuvre de Tim Burton.

        Mais de cela je ne puis pas parler en détails pour le moment. Il est bien trop tôt. Il est beaucoup beaucoup trop tôt. Sleepy Hollow vient juste de naître, un film est fait pour durer, pas pour être épuisé dès la première vision. Mais je reviendrais sur tout cela. Ce dont je veux parler maintenant c'est de ce que nous avons vus sur grand écran, du plaisir instantanée, de l'évidence (oui, c'est moins intéressant, mais pour l'instant il faut en passer par là).

        Sleepy Hollow est visuellement à pleurer de bonheur. Mais c'est désormais un lieu commun. Dommage, encore, que le montage ne nous laisse jamais le temps d'apprécier les images à leur juste valeur. L'histoire réserve son lot de rebondissements, c'est passionnant, même si l'on aimerait être plus touché. Johnny Depp est fabuleux, hilarant, génial, à tomber par terre (en s'évanouissant). Il porte à lui seul tout l'aspect "humain" du film. En comparaison, les autres acteurs ne sont que des silhouettes (physiques et psychologiques). Le jeu emphatique, voire caricatural, de l'ensemble du casting, allié aux décors si beaux qu'ils semblent tous faux (impression fabuleuse et indescriptible), donne au film une allure théâtrale des plus originales. Tim Burton ne fait décidément pas du cinéma comme les autres. Christina Ricci est éthérée juste comme il faut, mais là aussi, elle ne fait que passer. Mais du casting, comme de l'ensemble du film, je reparlerais plus en détails dans une autre chronique, pour l'instant je veux déblayer l'essentiel. Dommage, encore et toujours, que le montage et le rythme soit si frustrants. Car le film va vraiment trop vite. Point positif ? On ne s'ennuie pas un seul instant ! Point négatif ? On a l'impression de voir une bande annonce !

    Exemple : le flash back sur le cavalier avec toute sa tête (épastrouillant Walken !). On s'attend à du grandiose... Cela ne dure qu'une minute. On croise des décors enneigés d'une beauté irréelle, mais cela ne fait vraiment que passer. FRUSTRATION ! Et des exemples tels que celui-ci, il y en a à toutes les scènes du film. Et donc cela donne du grain à moudre aux chantres du "Burton ne sait pas raconter d'histoires". Effectivement, si on prend le film au premier degré, au niveau de la trame et du développement des personnages, mon petit Tim a tout fait pour se faire taper sur les doigts. Mais comme je le disais plus haut, on aurait bien tort de s'arrêter aux apparences (quoique pour beaucoup de spectateurs, c'est suffisant, nous avons là un film Fantastique comme on n'en voit pas tous les jours).

        Oui, même au premier degré, Sleepy Hollow est une merveille de cinéma de divertissement intelligent, beau, respectueux du genre et des spectateurs. Mais on demande plus à un film de Tim Burton ! On demande à être ému, à être secoué, à être marqué à vie ! Et sur ces points, la réponse ne résulte pas de la première vision (contrairement à Batman Returns, par exemple). Mais, attention je vais vous faire un aveux qui risque d'en faire frémir certains, je crois qu'à part Batman Returns et Pee Wee, je n'ai jamais accroché passionnément à un Burton dès la première vision. C'est pourquoi je ne m'inquiète pas plus que cela de la déception qu'est Sleepy Hollow à la première séance. La première fois, j'avais trouvé Ed Wood trop long, Edward ennuyeux et frustrant (bis), Mars Attacks dérisoire, The Nightmare frustrant (tiens, on y revient encore), Beetlejuice vulgaire (!!!, mais j'étais jeune)... Non, non, les films de Burton sont comme les albums de Pulp (bon la comparaison ne va pas toucher grand monde, mais tant pis...), les premières écoutes c'est pas ça, et après on les passe en boucle, on est conquis pour la vie, ça change la vision du monde.

        En clair, j'ai tellement attendu Sleepy Hollow que je suis incapable de parler correctement de ce que j'ai ressenti en voyant le film. Il va falloir du temps, mais je vais quand même aider ceux qui sont venus pour lire ici un avis pertinent : profitez de l'instant présent, voyez et revoyez Sleepy Hollow le plus possible en salle (mais uniquement en version originale, grands dieux !, Johnny Depp n'est génial qu'en VO !!!), admirez tout ce que vous pouvez admirer, ne faites aucun jugement hâtif, laissez le film vieillir en vous, ne le perdez pas en route, dans un an, dans deux ans, il fera sans aucun doute partie des classiques de votre vidéothèque. Et, les soirs de déprime, vous le passerez, tranquillement, toutes lumières éteintes, les trésors surgiront alors devant vos yeux, vous aurez toujours le bonheur visuel, les scènes d'action palpitante, l'humour gore irrésistible, Johnny Depp génial au-delà du raisonnable, mais en plus, vous aurez enfin le vrai sens de l'expression "ensorcelé". Sleepy Hollow vous a, ou va, vous jeter un sort terrible, un sort à long terme, un enchantement démoniaque et délicieux. Cet enchantement, personnellement, je ne l'ai pas encore découvert, mais il est là, caché sous votre lit, au sein du brouillard matinal, à l'orée d'une forêt voisine ou au cœur de vos rêves.


Deuxième vision

        Ah mes enfants ! On a beau dire mais quand même, la vie c'est bien fichue. La première fois que j'ai vu Edward Scissorhands, c'était en vidéo (et oui...), le jour de Noël 1992. J'étais fan de Burton au dernier degré, Batman Returns était de loin mon film favori, ma plus grande émotion dans une salle de cinéma, le déclic qu'il me manquait pour bien comprendre que j'allais désormais consacrer mon existence au 7e Art. Et donc j'allais voir le fameux Edward, qui n'était pas encore à l'époque le film culte qu'il est aujourd'hui. Et bien, j'ai fait beaucoup d'avances-rapides, j'ai trouvé le film assez plat, assez maladroit et très frustrant. Les meilleurs moments, ceux dans le manoir (surtout ceux avec Vincent Price) était bien peu nombreux, trop courts. Les passages de satire sociale ne me touchait pas des masses, en fait j'étais franchement largué, attendant toujours qu'il se passe quelque chose d'exceptionnelle. Mais la fin du film m'avait détruit, traumatisé, j'étais écrasé par le génie du dernier quart d'heure, proprement fabuleux (je suis toujours écrasé par le dernier quart d'heure d'Edward, mais encore plus aujourd'hui). Mais dans l'ensemble le film me paraissait bancal, génial par endroit et assez moyen à d'autres, bref je ne savais pas trop quoi en penser, j'étais déçu.

        On sait maintenant combien cette déception n'était que provisoire. Pour bien s'en rendre compte il suffit de se référer à la page que j'ai consacré au film. Aujourd'hui, Edward est mon film fétiche, du moins l'un de mes 5 films fétiches, les 5 "intouchables" qui sont le contrepoison du quotidien (pour mémoire : The Lovers, Heavenly Creatures, Edward, Batman Returns et Fire Walk With Me). Depuis ce jour, je ne suis sûr que d'une chose en matière de cinéma : une vision n'est jamais suffisante et tous les films (si si, tous les films) ont droit à une seconde chance. Une seconde vision, une semaine, un mois, un an, des années plus tard, qu'importe. Un film est fait pour être revu. Et les jugements du moment se doivent de supporter le temps. D'autres exemples ? La première fois que j'ai vu La Haine, j'ai été emballé au-delà du raisonnable. J'y suis donc retourné deux semaines plus tard pour me retrouver devant ce qui était objectivement le même film mais qui pour moi m'a paru être un quasi nanar. Indéniablement, le film ne supportait pas l'épreuve des visions successives et encore moins l'épreuve du temps. Autre exemple qui est à la fois l'une des exceptions à la règle et qui vient néanmoins la confirmer. Muriel, que j'ai adoré dès la première vision mais qui ne cesse de grandir dans mon cœur avec le temps qui passe, plus je vois le film plus je l'aime. De toute façon, il ne faut pas s'arrêter au premier jugement, et cette règle d'or devrait être inscrite en grosses lettres sur toutes les revues de cinéma. Mais là, je fantasme...

        Tout cela pour en revenir à Sleepy Hollow, dont la deuxième vision, 4 jours après la première, annule une bonne partie de ce que je disais dans ma première chronique. Oui, Sleepy Hollow est une déception pour le fan intégriste/extrémiste/dangereux de Burton que je suis, il ne pouvait être qu'une déception, car pendant deux ans et des poussières j'ai idéalisé ce film au-delà du raisonnable. Oui j'aurais bien pris 30 minutes de Lisa Marie en sorcière, oui j'aurais tué Johnny Depp à la fin, oui j'aurais mis un poil moins d'humour, oui j'aurais voulu un film plus romantique et moins "commercial", oui j'aurais dépassé aisément les 2 heures de métrage, oui j'aurais tué le monteur qui fait n'importe quoi trop souvent. Mais, oui, aussi, maintenant c'est clair, Sleepy Hollow est un chef-d'oeuvre. Le chef-d'oeuvre d'un genre unique, la comédie fantastique hommage néo-romantique post-gore esthétisante. Un genre qui n'existe pas mais qui ferait bien plaisir à un chroniqueur quelconque des Inrocks, alors rien que pour lui, je l'invente. Sleepy Hollow est un film plus réussi que Mars Attacks ! mais moins personnel que Ed Wood, etc... Sleepy Hollow, c'est Burton courant après le succès public qui doit sauver sa carrière. D'où les concessions énormes qu'il fait au spectacle hollywoodien de base. Des plans trop courts, pas trop compliqués, des situations dérangeantes mais pas trop (sinon on met des gags et ça passe mieux, cf la scène d'autopsie ignoble, poilante et géniale), une histoire claire et classique (malheureusement à vouloir tout éclaircir, Andrew Kevin Walker embrouille tout), et un minimum d'effets poétiques (mais un minimum qui fait le maximum). Oui, ce film visait le succès commercial, mais une nouvelle fois, Burton s'arrange pour pirater le système de l'intérieur.

        Résultat : un festival Johnny Depp hilarant en anti-héros pleutre, suffisant et cadavérique. Une galerie de seconds rôles chargés par toutes les tares de la Terre. Une méchante, très très méchante, ayant étrangement les mêmes motivations que le Pingouin (ou presque, encore une histoire de vengeance comme dans beaucoup de Burton) et copulant sur le thème de Catwoman (diantre ! une coupure ! une coupure ! figure de style respectée). Un méchant cavalier très méchant mais ce n'est pas de sa faute (enfin si, mais non...), Terminator sans sa tête et parodique quand Walken lui prête son cabotinage. Une charge en règle contre le bon peuple, l'obscurantisme, la religion, le fanatisme, la norme, etc... Là encore, le "cahier des charges" est respecté. Du gore que ne renierait pas Peter Jackson, miam miam, réjouissant au possible, c'est même la grande originalité de Sleepy Hollow, qui paradoxalement n'est pas un film aussi violent que les Batman. Un zeste de cruauté, indispensable. Beaucoup de références, énormément de références, partout, partout, des références. Martin Landau, Michael Gough, Christopher Lee, Jeffrey Jones... Des acteurs références. Mais ce n'est pas tout, Burton s'auto-citant avec délectation. Ici des citrouilles, là une scène de moulin avec une entrée du cavalier identique à celle de Batman dans la cathédrale... La plus belle de ces citations étant bien sûr la scène du verger, fabuleuse réminiscence de la Ice Dance d'Edward et plus belle scène du film (logiquement) et évidemment beaucoup beaucoup trop courte. Ces flashbacks, d'ailleurs, dont je ne ferais jamais assez l'éloge et qui pâtissent tant du montage, qui certes, se justifie par l'aspect "rêve" mais qui pilonne la beauté hallucinante des images et des situations (et de Lisa Marie, dont on ne dira jamais assez qu'elle est l'une des divinités de notre Univers). Lors de ces séquences oniriques, Burton atteint des sommets, offrant au cinéma des images "idéales" comme seuls un très grand peintre peut les concevoir.

        Ah oui, tiens, tant que j'y suis, la question du talent de cinéaste de Burton ne trouve pas du tout sa réponse dans Sleepy Hollow, dont la narration est peut-être la plus mauvaise de toute l'oeuvre de Burton. Non, Burton est un grand cinéaste parce qu'il est le metteur en scène d'Edward Scissorhands, film qui ne fonctionne justement pas du tout sur la simple juxtaposition de séquences vaguement liées par un scénario des plus classiques. Si le problème de Burton cinéaste pouvait être soulevé avec Mars Attacks, Sleepy Hollow ou même avec les Batman (et encore...), Edward et Ed Wood suffisent à démontrer le contraire. A la lumière de ces deux œuvres, la façon de filmer de Burton s'éclaircit et d'un coup, l'unité cinématographique des "cas à problème" apparaît au grand jour. Mais encore faut-il prendre la peine de les revoir. Et de toute façon, et paradoxalement pour un cinéaste de "spectacles", la technique chez Burton n'est jamais très intéressante. Car il veut toujours la rendre la moins visible possible et c'est tant mieux. Les films de Burton sont moins des films pour cinéphiles que pour spectateurs et c'est là une de ses grandes forces. Il n'y a aucun intérêt à disséquer la technique de Burton, il y a tout intérêt à disséquer le fond de ses œuvres (même si du sang en gicle abondamment, comme c'est le cas ici). Court Tim, les zétudiants en cinéma ne t'auront pas !

        Bon, j'en étais où ? Au fait que Sleepy Hollow ménage son lot d'effets anti-Hollywood. Evidemment, notamment dans son parti-pris d'un minimum d'effets spéciaux spectaculaires pour un maximum de recherche dans les décors et la photographie. Je ne vais pas insister ici sur l'aspect visuel du film, tout le monde en parle, et j'y reviendrais plus tard en étudiant des aspects qui semblent être passés inaperçus (mais pour cela je dois retourner voir le film, encore et encore, pour le plaisir et pour le "travail".... enfin... surtout pour le plaisir....). J'en reviens donc au fait que Sleepy Hollow est bien meilleur à la seconde vision, il apparaît plus cohérent, plus maîtrisé et surtout on fait son deuil du film "idéal" pour apprécier ce que l'on a au menu. Et dieu sait que le menu est délicieux. On vient même à trouver que les scènes entre Depp et Ricci sont d'une grande force (et pourtant, les dialogues sont d'apparence très anodine, erreur ! erreur !). Erreur, car c'est justement quand Burton abandonne son cavalier sans tête, son enquête et toute la structure narrative "essentielle", qu'il raconte les meilleures histoires. Oui, Burton ne sait pas raconter les histoires qu'on lui impose, mais il sait magiquement raconter les histoires qu'il choisit. C'est pour cela que Edward et Ed Wood sont ses films les plus cohérents, parce que l'histoire principale passionnait Burton au point qu'il n'avais pas besoin d'aller cacher ses vrais centres d'intérêt dans les coins obscurs. Dans Sleepy Hollow, on sent très bien que ce qui intéresse Burton ce sont les oppositions magie blanche et magie noire, rationalisme et croyance, certitude et doute, mythes et sciences. Et tout cela est contenu au détour des scènes les plus brillantes du film. L'ouverture à New-York, les face à face entre Ichabod et Katrina, le flash-back sur le Cavalier (si si !), les rêves d'Ichabod, la fin. Tout Sleepy Hollow, comme je le disais dès la première vision, est construit comme pour éloigner le spectateur du cœur du film. De la même façon que Batman Returns faisait tout pour dissimuler les vrais enjeux de ses images. La main blessée de Miranda Richardson dépassant de l'arbre des morts et faisant un ultime signe de la suivre aux Enfers, c'est non seulement une fabuleuse image de cinéma mais c'est aussi un appel aussi troublant que ceux de la morte-vivante Selina Kyle dans Batman 2. Appel, obligatoirement désamorcé par le gag récurent d'Ichabod s'évanouissant. Ichabod, qui ne cesse de s'évanouir, avant ou après les instants les plus dérangeants, les plus porteurs de sens du film (en particulier avant ses cauchemars). Et c'est lorsque la salle rit encore du gag de Depp (qui vient détendre l'atmosphère après les scènes de violence qui précèdent les scènes d'évanouissement), que Burton sort le grand jeu. D'où cette impression bizarre qui accompagne la première vision du film : à force de vouloir jouer sur le premier et le second degrés, en même temps, Burton ne va-t-il pas se perdre en route et faire un film, certes divertissant, mais aussi inutile que Pulp Fiction (par exemple) ?

        La réponse se trouve avec le temps. Et pour ceux qui n'ont pas leur doctorat es burtoneries, il reste un divertissement de très très haute tenue, nettement plus intelligent que la moyenne. Un nouveau film anti-Matrix, un nouveau 13e Guerrier, qui répond au désir de virtualisation du spectacle par une oeuvre qui échappe en grande partie aux modes. Les seules concessions qu'accordent Burton à la mode (surtout au niveau du montage et du rythme) sont les principaux points faibles de son film, mais lui ont accordé le succès public qu'il se devait d'avoir. Sleepy Hollow est un film "bouée de sauvetage" pour Burton, celui qu'il devait porté de nouveau au sommet du Box Office après les échecs successifs et cuisants d'Ed Wood, de Mars Attacks et de Superman Lives (qui ne s'est jamais tourné, mais qui a coûté très cher quand même). Avec les presque 100 millions de dollars de recette aux USA, Sleepy Hollow est le plus gros succès de Johnny Depp et l'un des plus gros succès de Burton, certes, ce ne sont ni les chiffres d'un Disney ou d'un Bruce Willis (qui ne fait jamais moins de 100 millions sauf avec des nanars pires que d'habitude (le 5e Elément par exemple). Sleepy Hollow se devait donc de plaire au plus grand nombre, aux bouffeurs de pop-corn majoritaires et quand même un petit peu aux amateurs de cinéma, aussi. Une nouvelle fois, Burton a réussi. Il a réussi une grande comédie fantastique sublime, qui est effectivement le pendant esthétisant de Beetlejuice ; une grande comédie fantastique dont les méandres ne sont pas prêts de livrer tous leurs secrets. 

        Finalement, on découvre que Burton n'a pas grand chose à faire de son cavalier sans tête. Simple silhouette dévorée par un montage et un visuel délirants. Le cavalier sans tête sans sa tête (justement), n'est qu'un objet (prêt à devenir une figurine, certes). Un jouet manipulé à distance, un fantôme, un symbole de plus parmi tant d'autres. Certes c'est lui qui doit assurer le spectacle, mais il n'est qu'un éclair de plus parmi les autres éclairs en délicieuse caricature des films d'horreur d'autrefois, quand on osait l'orage à chaque meurtre, ici le cavalier emmène son "background" partout où il va, délicieux, je vous le dis. Et ainsi, au final, c'est bien la phrase de Tim Burton qui éclaire tout le film tel que lui l'a voulu : "c'est l'histoire d'un type qui vit dans sa tête (Edward ? Ed Wood ? Pee Wee ? Bruce Wayne ? Ichabod ?) contre un type sans tête (là je vous laisse y mettre ce que vous voulez)".

        En me relisant je me rends compte que ma chronique souffre d'une construction bordélique et "cryptique" qui colle bien finalement à Sleepy Hollow. Je ne préfère pas m'aventurer plus avant dans une quelconque explication, d'une part parce qu'il faudra un an au moins pour savoir quoi dire. Et d'autre part parce que je commence à vraiment me méfier des plagiats et que plus ça va plus je préfère garder le maximum rien que pour moi (na na nèreu !). Si vous voulez en savoir plus, il faudra attendre mon bel ouvrage : Tim Burton, sa vie, son œuvre et Moi. Quelques points de conclusion quand même : Sleepy Hollow est un film où Burton et Depp se sont amusés comme des gosses et avec lequel ils ont cherché à sauver leur carrière hollywoodienne respective (sérieusement compromises après de belles successions d'échecs commerciaux). Sleepy Hollow, le film, décapite sérieusement le pauvre Washington Irving dont le sublime conte d'origine ne subsiste que très brièvement. Sleepy Hollow est un film concession. Sleepy Hollow ne va pas révolutionner le cinéma (malheureusement), car Burton n'a pas fait un grand film à l'ancienne, il a fait un film à l'ancienne de façon moderne, ce qui est déjà beaucoup, même si on aurait préféré voir l'inverse comme ce fut le cas avec Pee Wee ou avec Ed Wood, par exemple. Sleepy Hollow est un divertissement sublime, dont la beauté plastique fera date, elle, et c'est déjà pas mal. Sleepy Hollow a encore beaucoup à offrir aux plus patients, aux plus fanatiques ou/et aux plus sensibles, mais ça, c'est définitivement une autre histoire....


Troisième vision

    Et la lumière fut ! Ce qui est toujours bon à noter, surtout dans une salle de cinéma. C'est avec la 3e vision, toujours dans la même salle, la même copie VO, le même public hétérogène, que la lumière est venue. Du moins, c'est avec la 3e vision que la lumière s'est faite plus évidente. J'ai enfin vraiment apprécié Sleepy Hollow, j'ai enfin vécu le film d'une manière satisfaisante, appréciant enfin la construction dramatique. Car les remarques des visions précédentes demeurent valables. La narration du dernier Burton n'est pas apocalyptique mais elle frôle souvent le catastrophique. Le rythme est épileptique. Le cœur du film (les cœurs du film) tient presque de l'image subliminale (de l'image sublime, aussi, oui...). Sleepy Hollow est un film hollywoodien conçu pour plaire à un public américain. Les gens doivent pouvoir manger leur pop-corn tranquillement (pas trop de gore, please), sans être trop dérangé dans leurs convictions primaires (pas trop de critique religieuse, pas trop de paganisme, pas trop de décapitations d'enfants en bas âge). Il faut que tout cela soit DIVERTISSANT. Aux USA, je le répète, pour ceux qui font les films, le cinéma c'est une industrie (comme les pâtés de porc en boîte... les films de Jan De Bont transmettent-ils la lysteriose ?) et pour ceux qui regardent les films c'est du divertissement (comme les soirées Jean-Pierre Foucault). Et l'art dans tout ça ? Bah... euh... par bribes, parfois, pas trop... et encore.

    C'est en cela que Tim Burton m'a toujours épaté (depuis que j'ai découvert le premier Batman, donc). C'est dans sa capacité à mettre de l'art/du Cinéma dans le produit cinématographique demandé. Mais tout cela est bien reconnu aujourd'hui. Par contre, et c'est le fan ultime que je suis qui le dis, il ne faut pas oublier que Burton est un pur enfant d'Hollywood, juste un peu excentrique, juste un peu original par certaines de ses références, juste un peu plus sensible que les autres, avec un ego développé comme il le faut. Mais c'est un enfant d'Hollywood, donc, quelque part, dans son inconscient, un film ne peut pas ressembler aux Vestiges du Jour, un film ne peut pas déraper vers un anti-Hollywood total. Je crois que Burton dit vrai quand il affirme ne pas connaître les grands classiques du cinéma dit d'auteur. Il ne les connaît que par les parodies et les hommages, il ne connaît pas son Murnau par cœur, quoi que l'on puisse en dire. Dans l'inconscient hollywoodien de Burton, cinéma "d'auteur" = cinéma chiant. Et c'est sans doute cela qui fait que ses films sont parmi les meilleurs du monde. Burton fait du cinéma d'auteur comme d'autres faisaient de la prose : sans le savoir (ah tiens, ça c'est une formule tellement impeccable qu'on va la retrouver dans un prochain numéro de l'Ecran Fantastique...).

    Donc Sleepy Hollow est un film de divertissement hollywoodien avec des bouts de Burton (donc des bouts d'auteur) dedans. Des obsessions, des hommages, des auto-citations, une imagerie, un humour... Du Tim Burton un peu partout. Mais sensiblement différent que d'habitude. Au plaisir quasi onaniste de Mars Attacks !, à l'auto-biographie par procuration d'Ed Wood et d'Edward (et de Vincent), à la comédie SELON Burton de Pee Wee ou de Beetlejuice, se substitue un Sleepy Hollow avant tout là pour faire des entrées. Un film sauvetage, comme je l'ai déjà dit. Et si avec Sleepy Hollow, Burton reste un poète, indéniablement, j'avoue partager l'inquiétude de ce lecteur des Inrocks qui voit Burton sur une pente glissante. Un Burton qui à force de faire des films pour s'amuser finit par retomber dans la poigne de l'industrie cinématographique. Que pourrait faire Burton au commande du remake de la Planète des Singes ? Faire le remake d'un film qui n'en a pas besoin le moins du monde (et pourquoi pas un remake de 2001 ou de la Nuit du Chasseur, tant qu'on y est ?), ce n'est pas une perspective des plus réjouissantes pour un Burton indéniablement complaisant avec un peu tout le monde (et pas seulement lui-même) ces derniers temps. Sans doute l'expérience Superman Lives et cet ultime refus de faire des concessions qui a fait perdre beaucoup d'argent à Warner et beaucoup de temps à Tim, y est pour beaucoup.

    Dans Sleepy Hollow il y a tout ce que l'on demande à un film de Burton, si si, TOUT. Mais en avance rapide... Du romantisme ? Y en a ! De l'érotisme décalé et malsain ? Y en a ! De la magie ? Y en a ! Des hommages aux séries B d'antan ? Y en a partout ! De la violence poétique ? Y en a ! De l'humour noir et cruel ? Y en a à tous les étages ! Du gothisme ? Y en a ! De la critique sociale ? Y en a ! De la psychanalyse burtonienne ? Y en a ! Des personnages bizarres ? Y en a ! Lisa Marie ? Y en a ! De la musique de Danny Elfman ? Y en a (mais mal mixée, enfin bon bref...), etc... Tout y est, on est à la limite du catalogue, on est à la limite du procédé, on flirte avec le gouffre, aie aie aie, on n'est pas passé loin de la catastrophe. Burton fait du Burton, on est heureux mais on est en droit de se poser certaines questions.

    On attendait la suite de Mars Attacks ! avec impatience. Burton allait-il retrouver son émotion gothico-romantique (pléonasme) qu'il avait perdu dans son cartoon cynique plein de martiens ? Avec Sleepy Hollow, la réponse est oui, voire même un peu trop "oui". La volonté de faire "gothico-romantique" est presque trop pressante pour être honnête. Le style Burton serait-il devenu un vrai style ? Burton ferait-il du Burton comme d'autres font des films pour ados ? Sleepy Hollow : genre ? Film de Tim Burton. Et on en revient à la Planète des Singes, qui a priori n'a rien à voir avec l'univers burtonien. En fait, je suis POUR le changement d'univers de Burton, qu'il aille porter sa poésie et son romantisme dans des terres moins gothiques et moins cyniques. Mais pas avec un remake à l'utilité zéro !

    Bon, on peut aussi se demander pourquoi, moi le fan intégriste de la première heure, je fais ainsi la fine bouche, préparant même un futur retour de bâton dans les pattes de mon Tim à moi. Simplement parce que quand on est fan on demande toujours plus, c'est normal. Le fan ne veut pas être déçu, le fan est mesquin, le fan est chiant. Sleepy Hollow ne m'a pas déçu, j'adore ce film, bon sang, oui, et avec le temps je vais l'adorer plus encore (non ce n'est pas de l'auto-suggestion, c'est un cri du cœur). Mais je sais que le Tim de Batman Returns aurait pu faire mieux, que Sleepy Hollow aurait pu être un chef-d'oeuvre incontournable, un monument limite révolutionnaire. Et finalement nous avons un sublime film Fantastique, beau à mourir, drôle, palpitant, intelligent avec juste ce qu'il faut de poésie et de sorcellerie. Mais comme Schindler, Burton aurait pu faire plus (c'est quoi cette comparaison, là ?? Au moins on me la volera pas celle-là...).

    Et le problème c'est que d'un coup Burton perd du terrain sur son plus sérieux concurrent : Peter Jackson. Pour l'instant Jackson prend un net avantage sur le terrain de meilleur metteur en scène (occidental, certes) du monde (le plus constant en tout cas). Jackson, depuis l'origine, fait ce qu'il veut, tout ce qu'il veut, se renouvelle sans cesse sans se perdre et abandonne chefs-d'oeuvre sur chefs-d'oeuvre sur son passage. Au premier abord, on se dit qu'il n'y a pas beaucoup de rapports entre Bad Taste, Heavenly Creatures, The Frighteners et Forgotten Silver. Et finalement, en y regardant juste d'un peu plus près, on découvre l'unité thématique ET formelle d'un cinéaste hors normes. Un vrai indépendant qui fait du cinéma de genre en brillant plus que tous les autres réunis. Et avec le Seigneur des Anneaux, sans aucun doute, Jackson va devenir le "roi du monde" (yipee ! yipee !). Donc, en février 2000 et à deux semaines d'intervalle, sont sortis Sleepy Hollow et Forgotten Silver, on a plus parlé de l'un et l'autre est en train de passer totalement inaperçu. D'un côté un divertissement luxueux et parfois sublime et de l'autre un faux documentaire dingue, drôle, original à l'excès et... terriblement poétique. Du choc des titans, c'est Peter Jackson qui est sorti vainqueur. (Une nouvelle fois ? The Frighteners meilleur que Mars Attacks ? J'en ai bien l'impression...). Je me permets de faire ces comparaisons, parce qu'à la base je suis fan de Burton et que Jackson est arrivé bien plus tard dans mon cœur (avec Heavenly Creatures, une entrée en fanfare qui balayait à l'époque Edward et Batman...). Et on ne pourra pas m'accuser de partialité. Sur un site de malade de Burton, je l'affirme, Peter Jackson, depuis 1996, ne cesse de laminer Burton quasiment sur son propre terrain (Heavenly Creatures : grand film romantique désespéré et cruel. The Frighteners : comédie fantastique où chaque part est équitablement dosé (le film fait plus peur que Sleepy Hollow et... euh... ah zut... mais c'est vrai... The Frighteners c'est mieux que Sleepy Hollow... enfin bon bref...), etc...). Mais bon je digresse, je digresse, je me perds, j'aurais largement le temps de revenir sur le cas Jackson une autre fois.

    Parce que bon, on est ici pour parler de Sleepy Hollow, grand petit film ou petit grand film, au choix, mais pas un grand film raté, ça non. Sleepy Hollow, tel que l'a voulu Burton, est une réussite du 7e Art. Et pour un film hollywoodien de divertissement c'est un chef-d'oeuvre (air connu), mais l'effet de surprise ne joue plus. Depuis Batman 2, on sait combien Burton peut voler un film qui ne lui appartient théoriquement pas (ou si peu...). Ce qui fait qu'aujourd'hui, l'aspect : "ouah ! Burton est un auteur au cœur du système, il fait des trucs pas pensables dans un film ricain". Cet aspect est un peu éventé. On ne peut plus s'extasier devant un Burton parce qu'il ose la décapitation à tout va ou l'hommage aux Hammer Films. On le sait capable de cela depuis longtemps. Ce que Burton possède en puissance, maintenant on le connaît bien. On veut qu'il brise son ontologie, qu'il botte le train à Aristote et qu'il nous prouve qu'il peut faire des choses qui n'appartiennent pas à sa définition (mais là je m'emporte et tout le monde n'a pas suivi, pardon c'est la déformation professionnelle). En clair : on sait ce que fait Burton, on sait ce qu'il peut faire en rapport avec ce qu'il a déjà fait, on veut qu'il fasse des choses auxquelles on ne s'attend pas, on veut qu'il ne perde pas sa poésie décalée, son goût du grotesque et sa haine de la norme, mais qu'il y ajoute du neuf, qu'il chasse les toiles d'araignée de son manoir et qu'il nous fasse un polar HK, enfin, voilà, quoi...

    Sleepy Hollow n'est pas un film politiquement correct, c'est un film burtoniennement correct (ouhla, ça s'arrange pas les adjectifs et les substantifs...). Et on demande à l'homme qui nous a donné Batman Returns de ruer tout le temps dans les brancards. Et si Mars Attacks ruait méchamment dans le politiquement correct, il n'en restait pas moins bien en deçà des capacités (supposées ? idéalisées ?) de Burton. De même pour Sleepy Hollow. Oui, je sais combien il est difficile de faire des films (et surtout de trouver des financements... rhaaa... les financements... enfin bon bref...), et je sais que Burton serait capable de faire un western si on lui en donnait les moyens. Mais bon, il ne le fait pas, donc on juge ce que l'on a devant les yeux. Et comme j'en ai marre de toujours en revenir à une critique complexe de l'œuvre de Burton (et qui n'engage que moi, avis aux plagieurs), je juge à l'emporte-pièce ce que j'ai devant les yeux : Sleepy Hollow est un film magnifique et magique, moins bon que les grands chefs-d'oeuvre de Burton, mais suffisamment réussi pour mettre en pièce (presque) toute la concurrence. Et voilà....

 
 
 
 
 
 
 
 
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