Billie Eilish - Happier Than Ever

Après un premier album en forme de coup de tonnerre qui bouleversait le son de l'époque, Billie Eilish est déjà de retour avec un disque encore plus ambitieux et accompli. Avec son frère, Finneas, elle raffine une musique déjà unique pour mieux accompagner des textes personnels, fréquemment émouvants. Et alors, mazette, voilà le niveau des chansons, avec des refrains fous et plein de petits détails qui accrochent l'oreille. Tout palpite, murmure, vibre, brille, tinte et frémit. C'est épidermique, fascinant. La pop est poussée dans ses retranchements, parfois au bord de l'évanouissement, on est à la limite d'une forme d'ambient.

Pour un disque aussi long, c'est un vrai tour de force de signer autant de chansons incontournables. Alors, bien sûr, les oreilles distraites s'ennuieront, on les connaît. On ne sait d'ailleurs pas trop ce qu'il leur faut, vues le nombre de surprises que réservent ce disque. C'est de la pop sophistiquée, gorgée de personnalité, blindée de références et au final vraiment novatrice.

 


 

Poppy - Flux

J'avais totalement adoré son album de l'année dernière, I Disagree, la déception est immense à l'écoute de Flux. Là où le disque précédent trouvait un mélange parfait entre métal industriel et pop sucrée, il ne reste plus ici qu'un banal disque de rock alternatif de la fin des années 90, sans grande personnalité. Finie les surprises, bonjours les chansons mille fois entendues depuis 25 ans. Un ou deux refrains surnagent mais la chute est assez terrible. On estimera que l'écart est passager et qu'il s'agit ici d'une expérimentation sans lendemain.

 


 

Sleater-Kinney - Path of Wellness

J'en parlais un peu plus tôt dans l'année au sujet du nouvel album de St Vincent, mais le fiasco de The Center Won't Hold, le précédent disque de Sleater-Kinney me reste encore en travers des oreilles. Loin d'être nul, l'album commettait le crime ultime pour du Sleater-Kinney : être parfaitement oubliable. On flirtait dans un entre-deux un peu insipide, avec des morceaux pas à la hauteur.

Premier disque en duo pur et dur pour Corin Tucker et Carrie Brownstein, Path of Wellness est d'autant plus une belle surprise. L'évolution un peu brutale vers une période plus apaisée du groupe qui était à l'œuvre dans The Center Won't Hold est ici joliment accomplie. Les chansons sont calmes, simples, Corin hurle moins, Carrie fait moins de virevoltes sur sa guitare, c'est toujours Sleater-Kinney mais en version plus âgée. Le mordant des textes n'a pas diminué, c'est l'enluminure qui s'est éclaircie. Et, cette fois, les chansons sont fréquemment remarquables, avec mélodies et refrains qui font du bien. Certes, ce n'est pas un coup de tonnerre, un ouragan, comme à l'époque de Dig Me Out ou de The Woods, c'est "juste" un bel album de rock.

 


 

Vouna - Atropos

C'est un des très grands disques de 2021. Du doom mâtiné de folk et de black métal atmosphérique par une compositrice (Yianna Bekris) qui fait presque tout toute seule. C'est épique, avec un univers immense, très riche, mais jamais trop ostentatoire. Quatre morceaux vastes qui prennent leur temps pour imprimer leur marque. Si le disque est plaisant en fond sonore, ce sont les écoutes attentives qui font qu'on aime toujours davantage Atropos. Une splendeur de métal atmosphérique.  

 


 

Self Esteem - Prioritise Pleasure

C'est l'événement pop de cette fin d'année, voire de l'année toute entière. Le deuxième album solo de la britannique Rebecca Lucy Taylor est un idéal du genre pour 2021. Pas étonnant pour cette artiste originaire de Sheffield (la ville de Pulp) et grande fan de Queen. Tout ce que l'on peut espérer est dans Prioritise Pleasure, en particulier le discours percutant, plein de vérités cinglantes et de slogans féministes. Dans un écrin très accessible, la chanteuse ose dévier des formules attendues, mêle des sonorités taillées pour le grand public avec des expérimentations plus ou moins discrètes. Les fondations sont solides, avec une propension aux rythmes tribaux et aux chœurs gospel qui donnent fréquemment aux chansons des atours grandioses.

Certes, on reconnaît des éléments, plus ou moins intemporels, qui composent les tubes de l'époque. Mais la personnalité de Rebecca Taylor emporte tout sur son passage. Fidèle à son nom de scène, elle compose des hymnes pour remonter le moral, pour (re)conquérir le monde. On a le droit de se méfier de l'enthousiasme délirant de la presse britannique qui a une forte tendance au chauvisme. Elle nous dit que Prioritise Pleasure est le meilleur disque de 2021, c'est un chouia exagéré (c'est The Turning Wheel, le disque de l'année), mais juste un chouia. On retrouvera Self Esteem dans le top 10 en fin d'année ici même, pour sûr.

 


 

Deafheaven - Infinite Granit

On le sentait depuis le départ, le black métal n'a jamais été qu'une phase pour Deafheaven. Leur vraie passion, c'est le shoegaze. Il fallait donc que les derniers oripeaux de métal soient définitivement ôtés pour que le groupe se dévoile. Problème : sans le métal, il ne reste plus grand-chose pour différencier cette musique du tout-venant du genre. Rien n'accroche, c'est tiède au possible. C'est du shoegaze, certes, une énième très pâle imitation de Slowdive ou de Hum. Des albums comme Infinite Granit, il en existe des tonnes depuis les années 90, bien meilleurs de surcroît.

 


 

Halsey - If I Can't Have Love, I Want Power

C'est le coup de poker de 2021, celui qu'on attendait davantage du côté de Poppy. Mais ce n'est pas plus mal que ce soit une pop star mainstream aussi connue que Halsey qui donne le coup de pied dans la fourmilière. Elle est allée chercher pile celui qu'il fallait pour produire son nouveau disque : Trent Reznor (et Atticus Ross, les deux sont inséparables désormais). Tant qu'à avoir le son industriel des années 90, autant aller chercher l'original.

Le résultat est impressionnant dès les premières secondes. Ca pourrait ne pas marcher, Halsey a encore les tics des tubes pour Tik Tok, sa voix est toujours à la limite, certains refrains sont à deux doigts de déraper. Et pourtant, l'alchimie fonctionne, c'est de l'électro pop industriel, avec, en prime, et ce n'est pas rien, une vraie personnalité. C'est assez féroce, avec des moments de fragilité franchement inattendue. S'il y a un "défaut", c'est que c'est un peu court, on en redemande.

 


 

Low - HEY WHAT

Ah, n'est-ce pas merveilleux de voir un groupe qui, trente ans après sa création, continue à se réinventer sans se perdre ? Le duo de Low n'a plus rien à prouver depuis longtemps. Les grands disques et les chefs-d'oeuvre jalonnent sa discographie, aucun ratage n'est à déplorer. Et pourtant, Low va toujours plus loin et trouve de nouvelles pistes sonores. L'album précédent, Double Negative, était une vraie révolution. La musique qui s'y déployait repoussait les limites du "bruit agréable", le noise rock était tout chamboulé.

HEY WHAT reprend l'essentiel de Double Negative en le ciselant davantage. Le maelstrom musical s'accompagne d'harmonies vocales plus franches, les chansons retrouvent des formes plus accessibles. Le disque est sans doute plus plaisant malgré l'intense malaise qui le charpente. C'est une indicible beauté qui nait du bruit blanc, un chœur angélique qui vient chanter une énième fin des temps. Avec, en filigrane, une humanité bouleversante, une empathie qui scintille de chaque son.

 


Dry Cleaning - New Long Leg

Le concept est nickel : du post-punk avec une chanteuse qui converse. Florence Shaw discute, associe les mots et les pensées, raconte des anecdotes, se perd en route, semble s'ennuyer parfois. Ce n'est pas du récit frénétique façon Life Without Buildings, non c'est du discours calme, tranquille, à la cool. La musique a pile les bonnes références, de Wire à Magazine. Mais la star, c'est Florence, elle est renversante, sa voix est un des sons qui définissent 2021.

 


 

Lorde - Solar Power

Il y a eu de nombreuses déceptions parmi les disques que j'attendais fortement cette année. J'évoque celle provoquée par la débâcle de Poppy, mais rien n'est vraiment comparable à Solar Power. C'est bien simple, on a l'impression que Lorde a sorti son troisième album un peu parce qu'elle n'avait pas le choix, comme ça, hop, pour le principe de sortir un disque. C'est un album qui n'a pas grand-chose à dire et, de surcroît, ne le dit pas très bien. Il paraît que c'est ironique, sauf que ce n'est pas clair, donc on peut très bien voir ici le récit du quotidien vaguement ennuyé et ennuyeux d'une jeune riche qui se moque gentiment de ses petits camarades à peu près aussi riches qu'elle.

Contrairement à l'excellent deuxième album de Billie Eilish, l'introspection reste superficielle et il n'y aucune plus-value musicale. Les ritournelles tournent gentiment à vide dans un nuage musical d'une joliesse totale mais mille fois entendus ces dernières années. On a connu Lorde tellement plus inspirée et percutante sur Melodrama qu'on ne comprend pas bien ce qui s'est passé ici. A part, peut-être, que la chanteuse a la tête ailleurs et que la musique est devenue secondaire pour elle. A noter, quand-même, que ce n'est pas nul. Comme je le disais plus haut, c'est très joli et ça peut servir de musique de fond agréable.

 


Amyl and the Sniffers - Comfort to Me

Deuxième album pour ces australiens qui font du punk pub rock comme si leurs vies en dépendaient. Dans l'absolu, c'est très classique. Depuis la fin des années 70, on a souvent entendu ça. Depuis X-Ray Spex, on pense même avoir fait le tour (j'exagère). Mais, fichtre, la chanteuse Amy Taylor a de l'énergie à revendre, elle le clame très littéralement dès le premier morceau de l'album. C'est du costaud, c'est presque épuisant tellement elle donne tout. C'est super accrocheur, je ne vous dis que ça. Des chansons qui t'agrippent et ne veulent plus te lâcher. Faut accepter de se faire malmener comme dans une bonne vieille fosse de concerts punks. Y a des moments où on ne demande que ça.

 


 

The Slow Death - Siege

Du funeral doom australien, tout de suite on dresse l'oreille. L'Australie, c'est le pays d'origine de deux des plus grands groupes du genre : Disembowelment et Mournful Congregation. Je ne sais pas pourquoi, ne me demandez pas, mais les australiens sont bons pour tailler cette musique (très) lente et (très) sombre. The Slow Death coche toutes les cases : des morceaux de 20 minutes ? Y en a. Des petites accélérations rythmiques death metal ? Y en a aussi. Un thème (les ravages de la guerre) bien déprimant ? Y a tout ce qu'il faut. Des percées mélodiques d'autant plus belles qu'elles se méritent ? Y en a plein, c'est bien.

Le bonus ? La voix féminine, finalement rare dans le genre. Un autre bonus qu'apprécieront les connaisseurs, c'est la production bien rêche, qui donne à l'ensemble un côté organique, un peu amateur. Les disques fondateurs du funeral doom (Stream from the Heavens de Thergothon, en particulier) arboraient déjà cette patine qui fait fuir les néophytes. Siege c'est quatre morceaux pour 63 minutes, les vrais savent, on prend son temps, on se met (mal) à l'aise. On se calfeutre dans cette musique comme un disque d'ambient bien minimal. Cela se découvre, quand ça vous touche, ça devient vital.

 


 

SPELLLING - The Turning Wheel

Ce n'est pas tous les ans qu'un album plane à ce point au-dessus de tous les autres. Le plus souvent, j'aime plus ou moins à égalité une poignée de disques qui me font ensuite beaucoup hésiter lors des classements de fin d'année. En 2021, la question ne se pose pas. Le troisième album de la californienne SPELLING (Chrystia Cabral) ne connaît pas la moindre concurrence. Certes, j'ai écouté d'autres excellents disques, j'en parle ici aussi, mais rien n'approche le niveau de The Turning Wheel.

Des disques comme celui-ci, je n'en découvre même pas un tous les ans, on est dans le stratosphérique, dans les œuvres qui définissent au moins une décennie. Ce n'est pas compliqué, j'aime toutes les chansons de The Turning Wheel. Après l'avoir écouté des centaines de fois depuis sa sortie, je n'ai jamais envie d'en zapper une seule.

Divisé en deux évidentes moitiés, surnomées Above et Below (la pochette blanche, la pochette noire, dans la version vinyle), l'album commence par les morceaux les plus accessibles, aux mélodies évidentes. Il plonge ensuite dans une seconde partie plus expérimentale, avec des morceaux longs et plus difficiles aux premières écoutes, mais qui révèlent autant de richesse.

Je vous l'assure, c'est incroyable. On y entend là à peu près toute l'histoire de la musique pop depuis ses fondations. Il y a les mélodies sucrées et les tourments électroniques, les solos de guitare et les arrangements du funk, les cuivres et les cordes, les beats électriques qui pulsent et les miniatures en orchestre de chambre. On passe de la ritournelle lumineuse à l'introspection ténébreuse, de la perfection en 3 minutes 30 à l'épique de 6 minutes. C'est le chef-d'œuvre total.

Et, bien sûr, c'est extrêmement personnel, dans un univers qui n'appartient qu'à Chrystia Cabral. La multitude de références s'amalgame pour créer un son qui ne ressemble à aucun autre. Sans parler des textes, parfois innocemment poétique et à d'autres moments déchirants. Jusqu'à culminer sur le point d'orgue de Awaken, l'évidente chanson de l'année, et son refrain monumental à base de "All we need is right here, all we need and more, let your heart surrender, let your heart transform".

Pour aussi intime que soit The Turning Wheel, pas moins d'une trentaine de musiciens y ont participé. Ce qui donne à certains morceaux une ampleur évidente. Tout y "sonne" grandiose, parfois monumental, et à d'autres instants totalement dépouillé, avec des silences saisissants. L'album précédent de SPELLLING, Mazy Fly (n°13 du top 2019) annonçait déjà de grandes choses, mais probablement pas à ce point.

Si cette musique impressionne dès les premières écoutes, il faut lui laisser du temps, surtout dans sa seconde moitié. A chaque nouvelle approche, on y découvre de nouveaux détails, de nouvelles nuances. Une chanson qui sera un peu passée inaperçue se révélera soudain et chacun y trouvera sans doute à s'émerveiller. Ce n'est pas tous les jours qu'on croise, par surprise, quasi magiquement, un de ses nouveaux albums favoris.

 


 

Lana Del Rey - Chemtrails over the Country Club

Difficile d'enchaîner après ce que beaucoup considère comme son meilleur album. D'autant plus difficile lorsqu'on est une personnalité aussi scrutée et jugée que Lana Del Rey. Entre l'apothéose critique de Norman Fucking Rockwell! et ce Chemtrails, il ne s'est écoulé qu'un peu plus d'une année, et c'est comme si tout avait changé dans le regard médiatique. Lana a sorti un recueil de poésies (Violet Bent Backwards Over  The Grass) ainsi qu'un album où elle récite ses textes sur de la musique (que personne n'a vraiment écouté et que tout le monde a décrété prétentieux). Elle a aussi enchaîné les petites phrases plus ou moins maladroites sur les réseaux sociaux, mais ça ce n'était pas vraiment nouveau. Ce qui était nouveau, c'est que beaucoup de monde l'attendait pour le retour du bâton. Forcément, ça allait faire mal.

Le choix de sortir un album discret, prêt à être jugé comme mineur par toute la critique, était sans doute le moins risqué. Il n'empêche, Chemtrails continue le parcours sans faute que la chanteuse poursuit depuis Ultraviolence. Oui, c'est moins "spectaculaire" que NFR!, mais c'est d'une grande délicatesse, avec, ça et là, des sommets pas indignes de l'album précédent. On notera, pour exemple, la première chanson, White Dress, où la voix part dans des aigus risqués et saisissants. Ou bien encore Yosemite, archétype de ce que Lana Del Rey peut écrire de meilleur. Un "petit" disque, encore une réussite.

 


 

The Armed - Ultrapop

C'est la sensation métal du moment pour ceux qui n'écoutent pas de métal. Après, c'est du hardcore, ce qui est toujours un peu en marge du métal à proprement parler. On descend du punk énervé en passant par la case bruits et hurlements. Ici, il y a un vrai-faux groupe ultra conceptuel, un peu situationniste, pour égayer les critiques. On ne sait pas qui fait exactement partie du groupe, qui a joué quoi et à quel moment sur l'album. Ils utilisent des pseudonymes, le batteur fait le chanteur dans les clips, et inversement et réciproquement. Ils donnent aussi des conseils nutritionnels. Je vous jure. Est-ce que ça efface complètement la musique ? Non, ça va, il y a de beaux restes. Seul problème : c'est inécoutable. Et pourtant, vous me connaissez, j'écoute n'importe quoi. Mais là, les hautes fréquences percent les tympans, c'est intenable. Tout est baigné dans une stridence à se jeter par le fenêtre. A écouter au casque, c'est atroce.

On a bien compris le concept, c'est du bruit hardcore mélangé avec des mélodies pop. Franchement, c'est pas mal. Parfois ça ressemble à My Blood Valentine qui s'amuse avec Converge et Kylie Minogue. Mais comme c'est inécoutable, il faut gruger un peu pour en profiter. C'est la première fois que je fais ça, mais j'ai joué de l'équaliseur. J'ai baissé les mégahertz, j'ai remixé le machin. Je vous y encourage, n'hésitez pas dénaturer l'œuvre, au moins pour l'entendre en entier, ça vaut le détour. Pour ceux qui s'en souviennent, ça rappelle beaucoup Atari Teenage Riot, en moins bien, certes.

 


 

Teenage Fanclub - Endless Arcade

Parmi les grands groupes nés dans les années 90 et qui continuent vaillamment à sortir régulièrement de très bons disques, il ne faut jamais négliger Teenage Fanclub. Alors, oui, leurs chefs-d'oeuvre sont derrière eux (Bandwagonesque, Grand Prix et Songs From Northern Britain que vous devez ABSOLUMENT avoir écouté au moins deux fois dans votre vie). Mais c'est un groupe qui n'a jamais sorti de disque vraiment raté. Depuis Man-Made en 2005, Teenage Fanclub enchaîne tranquillement les albums de plus en plus apaisés, dans une forme épurée de pop-rock classique.

Endless Arcade est un peu particulier car il marque le départ d'un des membres fondateurs, Gerard Love, remplacé au pied levé par Euros Childs, ancien leader des très regrettés (par votre serviteur au moins) Gorky's Zygotic Mynci. Le disque perd donc un peu en diversité et pourra sembler plat à l'oreille distraite. Enfin, si on excepte une entrée remarquable, directement avec le morceau le plus long et le plus réussi. Home dure sept minutes et c'est de l'orfèvrerie de pop à guitares. Si le reste est moins ambitieux, il y a une belle collection de refrains imparables, comme sur The Sun Won't Shine On Me ou I'm More Inclined. Un album discret, réconfortant, qui rappelle que Teenage Fanclub est un trésor caché à sans cesse redécouvrir.

 


 

 Domkraft - Seeds

Du doooooom ! Du stoner-doom, un chouia psychédélique, comme le prouve la pochette en 3D (les lunettes sont fournies). Du stoner-doom ultra heavy, le meilleur, vous le savez (ou pas). Le plus grand disque du monde c'est Dopethrone d'Electric Wizard, ça vous le savez certainement. Attention, c'est pas du même niveau, on s'en doute. Mais dans le genre, ohlala, c'est vraiment pas mal. Faut aimer, c'est une déviance parmi d'autres. Y a tout ce qu'on adore, en particulier ce son bien enveloppant comme il faut, tel un bon bain chaud.

Dès l'entame, c'est une vaste cotonnade électrique. On s'enroule dans ces guitares comme dans un plaid en hiver. Bref, cela ne révolutionne rien, mais ça fait tout parfaitement : l'ambiance, les solos qui cisaillent, le chant, les petites touches psychédéliques, la durée épique et, bien sûr, les riffs. Ne croyez pas qu'en suivant une recette éprouvée ce soit facile à faire. Des albums comme ça, il en sort toutes les semaines, mais de ce niveau là, il y en a un par an. Et encore.

 


 

St Vincent - Daddy's Home

Alors. Bon. Voyons. Que s'est-il passé ? Pour mémoire, j'avais adoré l'album précédent, Masseduction. Ensuite, il y a eu une relecture totalement dispensable du même disque, Masseducation. Et le psychodrame autour de l'album de Sleater-Kinney, The Center Won't Hold. Bon. Je vous le résume, ce drame, parce que c'en est un. St Vincent a produit un album de Sleater-Kinney et l'a plus ou moins transformé en un album de St Vincent en duo avec Carrie Brownstein. Ce n'était pas très réussi. Moi qui suis fan, mais à un degré indécent, de Sleater-Kinney, c'est leur disque que j'aime le moins, un vrai ratage, une sortie de route comme il en arrive rarement (mais ça arrive, même aux meilleures). D'ailleurs, la batteuse du groupe, Janet Weiss a claqué la porte juste avant la sortie du disque. Ouille. La faute à St Vincent (Annie Clarke, de son vrai nom) ? Non, pas vraiment, c'est un ensemble de choix artistiques, tout à fait respectables. Mais voilà, il s'est passé ça. Et donc ça teinte un peu l'arrivée du nouvel album.

Surtout qu'il s'avance d'un côté sous les atours d'un disque très personnel, et de l'autre, sous la forme d'un énième pastiche des années 70. Rien à dire, au niveau imitation, c'est fétichiste comme du Tarantino. Après, est-ce qu'on a encore envie d'entendre du David Bowie période Young Americans, avec une touche de Prince ? Bref, est-ce qu'on a encore envie d'entendre de la musique qui rend hommage à "nos chers disparus" ? Plutôt que d'écouter les chers disparus directement ? Pourquoi pas ? D'ailleurs, Daddy's Home fait fréquemment illusion, il y a de très bons moments (Live in the Dream et Down, en particulier). Mais ce n'est pas suffisant pour retenir pleinement mon attention. Bref, vous allez être nombreux à adorer, y a pas de mal à ça. Ce n'est juste pas ma tasse de thé en ce moment. On verra d'ici la fin de l'année, ça peut évoluer.

 


 

Altarage - Succumb

Au centre de notre galaxie se trouve un trou noir. Pas un petit trou noir de rien du tout, non, un trou noir gigantesque, avec un effet de siphon qui entraîne en un tourbillon, à la fois terrible et poétique, les étoiles, les planètes, les comètes et tous les objets célestes visibles et invisibles. Écouter le nouvel album des espagnols d'Altarage, c'est ressentir l'aspiration du trou noir. C'est assez difficile à  décrire, à l'origine, vaguement, cette musique découle du death metal. Mais il est compliqué de reconnaître ici les oripeaux de Death et de Morbid Angel. Ce n'est même pas du death metal technique ou brutal, c'est... autre chose. Attention, Altarage ne sont pas les premiers à faire ça. On pourrait dire que Portal le fait depuis plus longtemps et de manière encore plus radicale. Disons que c'est du Portal en plus accessible, parce qu'on entend encore la guitare, pas totalement noyée dans le flux sonore. Il y a même un vrai groove sur certains morceaux.

Reste que c'est un univers à part, par-delà la musique et le bruit. C'est un concept de "son total". Pas juste un bruit blanc, non, loin de là, pas du "noise" strident, non. C'est encore, clairement, de la musique, avec ses règles, ses notes et ses milliards de mélodies à la seconde. C'est du pur sensoriel, une vague de mutilation. Croyez-le ou pas, à mes oreilles, c'est merveilleux. Pourtant, c'est de l'horrifique, du cauchemardesque, de la punition pour presque tout le monde.  C'est incompréhensible, abstrait, choquant. Et étrangement confortable, comme un refuge ancestral, comme un souvenir primitif. A la fin, il y a un morceau de 20 minutes, mi-doom, mi-drones, si vous allez jusqu'au bout, vous êtes aussi fou que moi. C'est, pour l'instant, le disque de l'année, tout genres confondus.

 


 

Squid - Bright Green Day

Tous les ans nous arrive d'outre-Manche  deux ou trois "sensations" post-punk. Rien que ces dernières années, si vous vous intéressez au genre, vous n'avez pas pu échapper à Shame, Idles, Fontaines D.C., Porridge Radio, Black Midi et j'en passe.  En 2021, la sensation se nomme Squid. C'est leur premier album, mais des EP et des singles sont sortis depuis 2017. On sent donc une grande maîtrise musicale, c'est du bien rodé dans ce qui pourrait sembler parfois partir un peu dans tous les sens. La principale influence est ici les Talking Heads, on ne va certainement pas s'en plaindre. Cela donne du groove et un côté un peu plus fun que d'habitude. Il y a des ajouts intéressants, un peu free jazz là, un peu ambient ailleurs. Ici c'est du pur punk, ailleurs c'est presque néo-classique. Franchement, c'est pas mal, même si pas toujours facile à écouter. A mon sens, la suite pourrait être encore plus percutante. Pour se faire une idée, essayez la chanson Narrator, déjà un des morceaux emblématiques de 2021.

 


 

Mare Cognitum - Solar Paroxysm

Le disque duo entre Mare Cognitum et Spectral Lore était mon album de métal favori de 2020. Wanderers fut la bande-son de mon apocalypse miniature. A peine un an plus tard, les deux musiciens sortent déjà de nouveaux albums, chacun de leur côté. Le premier est celui de Mare Cognitum qui offre un black métal spatial et atmosphérique, à la fois bien énervé et extrêmement mélodique. C'est la crème de la crème du genre. Il y aura toujours des puristes pour venir dire que du "beau" black métal, ce n'est pas du black métal, alors qu'il y a toujours eu des fulgurances mélodiques dans les classiques du genre. On dira que c'est trop "propre" ou que c'est trop accessible, que c'est trop ceci ou pas assez cela. Mais les intégristes sont de plus en plus minoritaires. Le black métal évolue. D'ailleurs, et ce n'est pas trop tôt, contrairement à notre société, il vire de plus en plus politiquement à gauche. Mare Cognitum, comme Spectral Lore, ne cachent pas leurs engagements, et on n'est plus du tout chez le débile dangereux Varg Vikernes. C'est l'antithèse.

Donc, voilà, c'est du black métal dans les étoiles, pour mieux évoquer les urgences de notre planète. Cinq morceaux épiques, avec des riffs lyriques et des solos gracieux. Attention, ça reste du black métal, pur et dur, rien que le chant, ça ne sera pas pour tout le monde. Pour faire ses premiers pas, mieux vaut passer par la case Agalloch, mais pour une deuxième plongée, pour bien s'immerger dans la spécificité de cet univers, voilà un album qui peut faire office de passerelle.

 


 

The Antlers - Green To Gold

J'ai un peu l'impression qu'il n'y a pas de demi-mesure avec The Antlers. Soit on ne connaît pas trop ou de loin et on ne s'en préoccupe pas vraiment. Soit c'est l'amour passionnel, fusionnel. Une réaction créée par ce fameux chef-d'œuvre qu'est l'album Hospice, un des disques les plus dévastateurs de l'histoire de la musique populaire. Si on a adhéré à Hospice, on ressent toujours un frisson dès qu'on entre dans un disque de The Antlers. Certes, les albums suivants, pour magnifiques qu'ils soient, ne sont pas aussi bouleversants. Heureusement, je vous dirais. En 2014, l'album Familiars, à mon sens tout aussi indispensable qu'Hospice, montrait déjà un groupe plus apaisé.

Depuis, le silence fut long, le groupe s'est même brièvement séparé suite aux problèmes de santé de son chanteur démiurge Peter Silberman. Green To Gold est donc un disque inespéré, une résurrection. D'ailleurs quand la voix de Silberman arrive, sur le deuxième titre Wheels Roll Home, pour moi c'est effectivement le grand frisson, à deux doigts de fondre en larmes. Pourtant, il s'agit d'un groupe très différent de celui qui avait créé Hospice. Green To Gold 'est un album d'une douceur infini, une marche extatique dans la forêt, un ciel qui s'embrase dans le silence d'un soir d'été.

Donc, pas de grosses guitares, pas de tragédie, juste le plaisir d'être en vie, la joie d'être relié à la nature. La chanson qui donne son titre à l'album, ce sont sept minutes belles à pleurer. C'est de la musique presque chuchotée, d'une pureté totale, une forme d'aboutissement (provisoire, je l'espère) d'une carrière qui ne cesse de surprendre. Pour l'instant, c'est l'équivalent pour 2021 du Shore des Fleet Foxes en 2020. Le disque panthéiste qui guérit toutes les peines.

 


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