Je vais placer ce commentaire sous le signe de la naissance et de la reconnaissance. Car Beetlejuice est un formidable film de naissance et de reconnaissance. Naissance de stars (Keaton, Baldwin, Davis, Ryder), reconnaissance de Tim Burton et de Danny Elfman. Je parlerais aussi du film en lui-même, cette admirable comédie fantastique (aussi bien comique que fantastique pour une fois l'étiquette est méritée) qui sait si bien manier l'humour noir et le grotesque sans temps mort et dans une constante débauche visuelle. Beetlejuice est le plus "sympathique", le plus abordable des films de Burton. Son univers est très présent sans être omniprésent, tout respire un certain optimisme bon enfant, c'est un film heureux sur la mort et c'est donc une réussite complète.

        Après le succès (aux USA, bien sûr) de Pee Wee, Burton est le jeune réalisateur fétiche de Warner. Il lui suffit de transformer l'essai marqué par les aventures du clown grinçant pour pouvoir accéder au statut de wonder boy (et aux commandes de Batman, la production phare de Warner pour la fin des années 80 (Warner voulant rééditer le coup de la fin des années 70 avec Superman)). Burton va transformer l'essai et avec un brio indéniable. Il va imposer une comédie très très noire et sans star comme l'un des grands succès de l'année 1988. Pour se faire et comme d'habitude, il va s'entourer de l'équipe gagnante.

        Le casting en particulier est une démonstration de coups de génie à répétition. Tout d'abord Michael Keaton, évidemment, véritable inconnu à l'époque et que l'on n'attendait pas du tout dans le rôle du fantôme paillard, extraverti, effrayant et cruellement hilarant. D'ailleurs il semble toujours improbable que ce soit le même acteur qui interprète ce Batman cérébral et névrosé juste un an plus tard. C'est bien lui dans les deux cas et il faut dire qu'il crève bien plus l'écran en Beetlejuice qu'en Bruce Wayne (d'après moi il est tout aussi exceptionnel dans les deux rôles). Keaton est donc épastrouillant dans le rôle de Betelgeuse, l'exorciseur de vivants. Autre coup de génie avec le choix du couple principal. Geena Davis et Alec Baldwin (tous deux loin de la gloire à l'époque et qui allaient devenir les stars que l'on sait). Ils sont franchement impeccables et surtout très très drôles (incroyable, Baldwin est tout simplement irrésistible et Davis n'a rien de cette nunuche qu'elle deviendra par la suite (l'après Thelma et Louise, quoi)). Et cela continue avec le second couple phare du film, Jeffrey Jones et Catherine O'Hara. Jeffrey Jones, formidable acteur comique qui deviendra un des seconds rôles fétiches de Burton (dans Ed Wood et dans Sleepy Hollow). Catherine O'Hara (aussi pétulante que Glenn Close dans Mars Attacks !) se fera de nouveau entendre dans The Nightmare Before Christmas. Et bien sûr il y a Winona Ryder dans son premier véritable rôle pour le grand écran. Elle raconte que lors du casting elle s'est présentée avec les mêmes vêtements que ceux qu'elle porte dans le film (une petite gothique en puissance donc) et que Burton a trouvé cela totalement génial, qu'il a craqué tout de suite (et on le comprend) et qu'il parlait tout le temps très vite (c'est bon, c'était bien le vrai Burton). Dans le style vivier de stars, Beetlejuice faisait donc très fort. Et il faut aussi noter la présence admirable de Sylvia Sidney qui, presque 10 ans plus tard, allait sauver le monde à coups de country hululante.

        Le scénario de Warren Skaaren et du regretté Michael McDowell (le véritable créateur de Beetlejuice) est franchement monstrueux. Il fallait oser se moquer de la mort de ce couple trop niais mais très vite attachant à cause de ses défauts mêmes. Il fallait oser faire de Betelgeuse un fantôme trash, vulgaire, obsédé et souvent assez effrayant. Il fallait oser montrer l'au-delà comme une annexe de notre monde bureaucratique (peut-être les meilleures séquences du film). Il fallait oser se jouer de la dépression, des modes, des snobs et des idées préconçues sur la mort et les fantômes. Cela donne des scènes impensables comme celle où Baldwin avoue ne pas savoir où placer sa propre tombe sur la maquette de la ville ou encore celle ou Winona/Lydia essaie en vain d'écrire une lettre de suicide digne de ce nom. Déjà Burton délivrait un film de barge se riant de tout et surtout de la norme et des clichés. Beetlejuice annonce donc, sous ses dehors de comédie potache, des films comme Edward Scissorhands, Batman Returns, Mars Attacks ! et bien sûr The Nightmare Before Christmas (toute la filmo qui suivra en fait).

        Visuellement Beetlejuice est une débauche burtonienne. Architecture bouleversée, serpent de sable à rayures, blessures plus imaginatives les unes que les autres, coutures, couleurs décalées. Et il y a la maquette ! Je l'aime cette maquette de Beetlejuice, car je sais fort bien que Tim Burton l'adore. Et il s'amuse énormément avec sa maquette, la moitié du métrage tourne autour de (voire carrément dans) la maquette, qui devient carrément un des principaux personnages du film. Pour preuve ce générique burtonien en diable (le premier de sa carrière !) avec ce plan de survol d'une ville que l'on croit "réelle" jusqu'au moment où apparaît l'araignée sur le toit de la maison. Burton joue avec une figure de style qui deviendra une des plus grandes marques de son style (le voyage dans les maquettes). Mais ce qui n'aurait pu être qu'un simple et excellent effet de générique devient ensuite un véritable point de rencontre pour les personnages du film. Beetlejuice habite dans la maquette, c'est dans le décor de la maquette que les Maitland vont le rencontrer, etc... C'est d'ailleurs merveilleux de voir ce décor de maquette grandeur nature (deux scènes impayables : l'exhumation du cercueil de Betelgeuse et le fameux coup de pied dans l'arbre en plastique). Visuellement, donc, cette maquette est un bonheur de tous les instants.

        Et l'au-delà alors ? Ce n'est pas un au-delà à la Fulci, certes, mais il vaut son pesant de morts-vivants quand même. En particulier la salle d'attente avec ses morts plus pittoresques les uns que les autres. Et puis le coup de mettre les suicidés comme fonctionnaires (le "petit accident" de la guichetière, c'est monty-pythonesque), c'est un sommet d'humour noir de chez noir (la distribution du courrier par le pendu, foulala, de la folie pure). Et il y a même des idées poétiques en diable (Juno "l'assistante sociale" de l'au-delà, le balayeur, la salle des âmes en peine (sublime)...). C'est un bonheur d'effets spéciaux "à l'ancienne", des maquillages formidables, des animations image par image, des bouts de ficelle et du système D (et un Oscar pour les maquillages à la clef, la moindre des choses quand même). Un plaisir pour les yeux.

        Et un plaisir pour les oreilles, car avec la bande originale de Beetlejuice, Danny Elfman commence son ascension (en parallèle avec celle de Burton) vers le nirvana des compositeurs pour le cinéma. Impossible d'oublier le thème principal, sautillant, irrésistible, ludique et bourré de chœurs comme on les adore. Et on ne parle même pas des violons du thème de Beetlejuice, parmi ce que Elfman a fait de plus original (et de plus simple en fait). Et bien sûr il y a les chansons de Harry Belafonte (dont la carrière fut nettement relancée par le succès du film, je me souviens fort bien du clip de Day-O avec les images du film). Tout Beetlejuice est présent dans ces morceaux enthousiasmant (essayez de résister à Day-O et surtout à Shake Shake Señora). Burton nous refera le coup bien plus tard avec Tom Jones et It's Not Unusual.

        On sait que les comédies fantastiques sont bien difficiles à réussir (soit c'est la comédie qui prime, soit c'est le fantastique). Dans le genre je trouve finalement que le premier S.O.S. Fantômes (malgré le cynisme commercial) et l'une des plus grandes réussites (j'adore ce film pour tout avouer, mais c'est plus sentimental qu'autre chose). C'est aussi le cas de Gremlins, Fantômes Contre Fantômes et Starship Troopers, des films qui font à la fois rire et peur en fait (mais si ça fait peur Ghostbusters, enfin, quand même....). Sinon il faut aller chercher du côté du cinéma gore, mais il faut avouer que Brain Dead ou Bad Taste font plus rire que vraiment peur. Il y a bien quand même, des Evil Dead 2 et des Re-Animator pour nous rappeler que Fantastique et Comédie peuvent cohabiter avec panache. Beetlejuice est une réussite de ce calibre. On croit complètement à cette histoire abracadabrante mais terriblement attachante (et cette suite alors ? Beetlejuice In Love ? On l'attend toujours. Mais finalement la série animée, parfois de grande qualité, peut très bien faire patienter). Et c'est peut-être là la plus grande réussite du film, c'est d'avoir rendu un grand nombre de personnages vraiment attachants, tous les protagonistes de Beetlejuice possèdent une personnalité propre et c'est un tour de force de faire tenir tout cela en à peine une heure et demie.

        Forcément un peu moins riche thématiquement que les œuvres suivantes de Burton, Beetlejuice apporte quand même le message habituel de son réalisateur sur le droit à la différence, sur la tolérance. Une marginalité qui rentre un peu dans le rang au final (mais ? mais ? Winona Ryder deviendrait-elle une petite fille presque normale ? Heureusement qu'Edward n'est pas loin pour la remettre dans le droit chemin de la différence). Tout est bien qui finit bien (les morts restent morts mais ils sont heureux de vivre... enfin... de mourir, quoi). Le cynisme de Beetlejuice annonce finalement autant Mars Attacks !que le premier Batman (et les victimes avec le sourire, ou les "t'es mort et c'est chouette") ou bien sûr Sweeney Todd et son opéra gore. C'est la profession de foi de l'humour noir façon Burton. Je crois d'ailleurs que pour lui c'est de l'humour tout ce qu'il y a de plus normal, il suffit de lire son merveilleux recueil de poèmes pour le comprendre. Tim Burton, c'est un grand gosse qui joue avec les araignées et les pierres tombales, et c'est une des choses que j'adore le plus chez lui. Ce regard enfantin que certains qualifieront de "perverti" alors qu'il est tout simplement différent, libérateur. Burton sait rire de tout et il sait tout aussi bien trouver de la poésie dans toutes les situations. Beetlejuice en est la démonstration la plus évidente, la plus sincère, la plus directe. On y trouve une poésie légère qui manque sans doute un peu à Mars Attacks ! ou à Charlie et la Chocolaterie. Beetlejuice c'est finalement Tim Burton encore plus révélé que d'habitude, quand la force du rire démontre et exorcise non pas les vivants mais les névroses et les peurs. Si Tim Burton délivre le fond de son cœur dans Edward, Vincent ou Ed Wood, rire avec lui et grâce à lui dans Beetlejuice c'est l'approcher de tout aussi près.

La Bande Originale de Beetlejuice

Beetlejuice - Warner Bros présente une production Geffen Company. Un film de Tim Burton avec Michael Keaton, Alec Baldwin, Geena Davis, Jeffrey Jones, Catherine O'Hara, Sylvia Sidney, Winona Ryder, Robert Goulet, Dick Gavette. Musique de Danny Elfman. Histoire de Michael McDowell et Larry Wilson. Scénario de Michael McDowell et Warren Skaaren. Réalisé par Tim Burton. 1988. 92 minutes.

 

 
 
 
 
 
 
 
 
Soutenez l'indépendance de
 
The Web's Worst Page :