Difficile de savoir par où commencer pour parler d'une œuvre comme Mars Attacks ! L'un des films les plus méchants mais aussi l'un des plus hilarants de l'histoire du cinéma ? Certes, mais c'est loin d'être tout. Première constatation, Mars Attacks ! est un film extrémiste, qui ne recule devant rien, qui ridiculise tout, qui ne respecte aucune représentation sociale ou même aucune figure scénaristique de base. Bon, ce n'est pas encore un film des Monty Python, mais on en n'est pas si loin, disons que c'est un film des Monty Python avec encore plus de moyens et un peu plus de cadrage dans la folie. Si Mars Attacks ! se moque de tout, il n'en raconte pas moins une histoire, classique mais génialement dynamitée. Quelques remarques sur le contexte s'imposent mais nous allons bien vite entrer dans le vif du sujet.

        En 1996, Burton reflète deux images. Celle du concepteur de l'adulé Nightmare Before Christmas, succès publique surprise et succès critique tout aussi unique (d'habitude les critiques, comme le public, ne s'aperçoivent même pas que Burton a sorti un chef-d'œuvre). Et l'image du réalisateur brillant d'Ed Wood, énorme succès critique mais minuscule succès publique, qui lui offre la voie de la reconnaissance dans les "hautes sphères" de l'intelligentsia ; il n'empêche qu'Ed Wood, film bien trop fin et intelligent est un bide un peu partout dans le monde. La mode Burton est lancée dans le milieu critique, c'est avec Mars Attacks ! qu'elle va toucher aussi le public (enfin pas aux USA, et nous allons voir pourquoi). La critique va adorer Mars Attacks !, les mêmes qui regardaient de haut Beetlejuice ou qui conchiaient Batman vont s'extasier sur cette comédie potache et destructrice, tout cela sans le moindre remord. Quoique l'on verra ici ou là des retournements de veste assez phénoménaux "oh bien tiens Batman Returns c'est pas si mal finalement, bon il faut avouer qu'on l'avait descendu sans même l'avoir vu". Lamentable mais tellement courant.

 

        Après Ed Wood, Tim Burton a besoin de couleurs, de délire, d'emphase. Tel un Kubrick enchaînant Shining après Barry Lyndon, Burton change totalement de palettes. L'émotion d'Ed Wood cède la place à un cynisme intégral, le n&b est totalement oublié au profit de couleurs criardes et hilarantes, le réalisme (enfin... réalisme pour Ed Wood c'est limite) disparaît au profit d'une histoire complètement délirante de destruction de la planète par des martiens ridicules, les effets spéciaux de bouts de ficelle sont dynamités par les ordinateurs de ILM, etc... Mars Attacks ! c'est tout simplement un pur film de Edward D. Wood Jr. avec des moyens et du génie. Impossible de ne pas penser à Plan Nine From Outer Space quand une soucoupe volante délicieusement kitsch se balade maladroitement autour du logo Warner au début du film. Après la théorie (Ed Wood) voici la pratique (Mars Attacks !)

        L'inspiration de Mars Attacks ! vient une nouvelle fois de l'enfance de Burton et des cartes à collectionner Topps. Sur le même système que les fameuses cartes de Base-ball, les cartes Topps racontaient une terrible invasion de martiens vraiment très très méchants (encore les Russes, ça). Il existait d'ailleurs une version Dinosaurs Attack !, que Burton aurait pu tout aussi bien adapter mais les brachiosaures de Spielberg lui ont brouté l'herbe sous les pieds. Pas facile de construire un scénario cohérent à partir de situations disparates et sans forcément de liens très très logiques. Tout le mérite de l'adaptation revient à Jonathan Gems qui réussit à donner à Mars Attacks ! une cohérence parfaite dans le délire et tire de simples images des scènes franchement mémorables (de la Martian Lady au Congrès américain). Il est fort célèbre que certaines images un peu trop "hard" n'ont pas été retenues (la petite fille à la glace qui demande au martien "tu veux être mon ami ?" avant de se faire carboniser par ce dernier), mais le film demeure d'une très grande cruauté, heureusement contre-balancée par un humour très noir et très drôle et un visuel de pur bonheur.

        Visuel magnifique dominé par les décors de Wynn Thomas et magnifié par la photographie de Peter Suschitzky. Effectivement le fidèle Stefan Czapsky ne fait pas partie de l'attaque, Burton ayant dû juger que le monsieur était plus à l'aise dans les films en noir et blanc (ou en noir et bleu), car Mars Attacks ! n'offre que très peu de scènes nocturnes et lorgne plus du côté de Pee Wee que du côté de Batman. Pee Wee qui est le parent le plus évident du film (avec Beetlejuice pour l'humour noir). La musique de Danny Elfman est... mais il est avant tout important de noter que Danny is back ! Et oui, après les "vacances" que les deux compères ont pris loin l'un de l'autre (Elfman s'encanaillant avec ni plus ni moins que Peter Jackson pour The Frighteners), Danny Elfman fait son grand retour aux côtés de Burton. Et il n'y a pas à dire c'est vraiment lorsqu'il travaille avec Tim qu'Elfman fait la plus grande démonstration de son talent. La musique de Mars Attacks ! est fabuleuse. Entre les sonorités des vieux films de SF des années 50 et les chœurs martiaux de l'attaque, entre l'easy listening de la Martian Madame et la vampirisation des chœurs country sur le générique de fin, Elfman fait fort, très fort. Moins émouvant que pour Edward (forcément), moins nuancé que pour Batman Returns, moins expansif que pour The Nightmareet moins ludique que pour Pee Wee, mais extraordinaire quand même. Et il n'est pas le seul à œuvrer pour la réussite sonore du film. Il se fait voler la vedette par l'Indian Love Call de Slim Whitman, l'arme fatale contre les martiens et surtout par le It's Not Unusual de Tom Jones, ah ! Tom Jones ! Un des héros de Burton et dont nous allons amplement reparler dans le détail du casting.

        Le casting justement, il est temps de s'émerveiller devant lui. Un casting de film catastrophe des années 70, une montagne de stars prêtent à faire de la figuration pour apparaître aux côtés des martiens. Quand le moindre troisième rôle s'appelle Christina Applegate on se rend bien compte que ce film a enthousiasmé tout Hollywood (un comble pour ce monument anti-Hollywoodien, anti-américain). Des Stars oui, mais qui ne sont pas là juste pour faire joli, des stars au top de leur forme, délivrant pour certaines leur meilleure performance à ce jour (carrément, ben voyons...). Jack Nicholson vient en premier, logiquement, s'il y en a bien un qui vole la vedette aux martiens, c'est lui. On pense toujours tout connaître de Nicholson, sa perfection (le Cuckoo's Nest), ses nuances (Chinatown), ses excès (Shining, Batman) et pourtant il réussit encore à nous surprendre. Dans deux rôles différents, antagonistes et complémentaires, Nicholson crève l'écran comme seul lui peut le faire. Son discours final face au chef des martiens et l'un des plus grands moments de jeu d'acteur de l'histoire du cinéma. Anthologique ! A passer dans les écoles ! Et derrière lui on peut considérer que tous les autres sont des seconds rôles, des seconds rôles de génie, mais des seconds rôles quand même. Glenn Close est incroyablement hilarante et juste dans le rôle de la femme hystérico-maniérée du président des USA. Annette Bening est phénoménale en maniaco-dépressive abonnée aux alcooliques anonymes, non franchement elle est hallucinante ! Pierce Brosnan, ah Pierce Brosnan ! Son meilleur rôle sans aucun doute, il est fabuleux en professeur à l'anglaise, tout en retenue et en grandes phrases. Sublime. Danny De Vito, fait de la figuration, son rôle ayant été raccourci assez considérablement au montage (quelqu'un a-t-il vu cette fameuse scène où il drague la serveuse ?), il s'amuse c'est clair, mais on aurait bien aimé le voir croiser son pote Nicholson.

    Martin Short est irrésistible en chargé de presse pour la maison blanche, son sourire lubrique est grandiose. Sarah Jessica Parker, oh diantre ! On le savait depuis sa performance clouante dans Ed Wood, mais elle le confirme, elle est fa-bu-leu-se ! (à noter que son chihuahua est bien le Poppy de Lisa Marie, il joue fort bien d'ailleurs). Michael J. Fox, quel dommage qu'il disparaisse aussi rapidement du film, mais avec son rôle magistral dans The Frighteners de Peter Jackson, plus cette sympathique contribution à Mars Attacks ! on a enfin pu réaliser qu'il était un grand acteur. Rod Steiger, c'est un délice de le voir surjouer comme au bon vieux temps, c'est bien lui, il n'a pas changé. Tom Jones ! Tom Jones !!! Le crooner le plus obsolète du monde, le plus vieux fossile de Las Vegas. Qui pouvait représenter la ville la plus folle des USA mieux que lui ? Personne ! C'est donc pourquoi Tom Jones joue son propre rôle avec brio et avec beaucoup d'humour (ah le final ! ah le moment où il avoue savoir piloter un avion tel le plus parfait des super-héros !). Lukas Haas, loin au générique mais c'est l'un des principaux personnages du film, dans le rôle d'un ado gentil-gentil (qui fume un pétard devant la TV dans la version originale du script) il est assez excellent. Natalie Portman, même s'elle fait plus de la figuration qu'autre chose, c'était sans problème son meilleur rôle de l'époque. Jim Brown, lui aussi loin au générique mais cette ancienne légende de la blackploitation des années 70 est l'un des rares "héros" du film, admirable d'un bout à l'autre dans la peau de ce boxer déchu (la révélation de sa conversion à l'Islam, hilarant) il se paye même le luxe de ce "retour miraculeux" à la toute fin du film, ultime pied de nez au cinéma hollywoodien. Lisa Marie, Mme Burton, toujours aussi impassible et toujours aussi fascinante, dans le rôle d'un martien déguisé en bombe humaine (arf), impeccable. Sylvia Sydney, le coup de cœur du film, la patronne fantôme de Beetlejuice a vieilli mais elle n'a rien perdu de son charisme, dans le rôle de la mamie gâteuse qui sauve bien involontairement le monde ("ça ira pour cette fois, mais ne recommencez pas !") elle est tout simplement sublimissime. En parlant de sublimissime impossible d'oublier Pam Grier, juste avant son grand retour dans Jackie Brown, elle forme un couple parfait avec Jim Brown, pour tous les nostalgiques des séries B des années 70, c'est le Nirvana, Burton est un cinéphile, un très grand et très intelligent cinéphile !

        Bien, pour aborder le film en lui-même, commençons par comprendre les raisons de l'échec phénoménal de celui-ci aux Etats-Unis, dans sa patrie d'origine. Des stars tant qu'on en veut, des effets spéciaux impressionnants, de la catastrophe toujours à la mode, Tim Burton le réalisateur des premiers Batman. Pas mal de choses pour assurer un succès. Si le film avait été un poil sérieux avec une bonne dose d'humour débile façon Independence Day. Mais non, Burton a mis en scène, comme on l'a beaucoup répété depuis, l'anti Independence Day. Rarement toutes les valeurs américaines ont été massacrées à ce point, et ce dans la joie et la bonne humeur. Tout y passe. L'armée, la science, les symboles du pouvoir, la religion, la société du spectacle, les valeurs de l'american way of life sous toutes leurs formes possibles, c'est une hécatombe historique. L'armée ridiculisée par des pistolets en plastique fluo, les députés transformés en squelettes verts ou rouges, la science bafouée ("ils sont plus avancés technologiquement que nous, ils ne peuvent être que pacifiques"), le président présenté comme un naïf un peu bébête qui se fait trucider dans le dos après un discours flattant pourtant toute les valeurs de l'humanisme à l'américaine, les monuments détruits, même l'hymne national passe à la casserole quand des mariachis pittoresques l'entonnent à la fin du film. Les américains ont, soit des préoccupations bassement matérielles (de la femme du président qui ne pense qu'à redécorer au prolo dans la caravane ("tout ce que je sais c'est qu'ils n'auront pas la TV")), soit des idées spirituelles ridiculement clichés (l'hindouisme top bab d'Annette Bening, l'écologie enfantine de Lukas Haas). Bref c'est un massacre à tous les niveaux. Impossible donc de s'étonner de l'accueil lamentable que le public américain a offert au film.                                                 

        Mars Attacks ! est le film le plus méchant, le plus cruel et le plus cynique de Burton. Du moins la cruauté ne s'exprime pas de la même façon que dans Batman Returns ou dans Sweeney Todd, ici c'est de la cruauté drôle, mais pas moins virulente. Les martiens "viennent en paix" lors d'une des séquences les plus hilarantes de l'histoire du cinéma. Aussitôt des babas obsolètes laissent s'envoler la colombe de la paix... qui finira griller quelques secondes plus tard et signera le début de la fin pour les humains. Incroyable ! Car si Mars attaque, c'est juste pour le fun, pour rigoler. Les martiens se marrent beaucoup, c'est clair, ils n'arrêtent pas. Ils se marrent devant nos demandes d'armistice, ils se marrent devant nos ripostes, ils se marrent devant nos cultures, etc... Les martiens sont là pour tout péter, un point c'est tout. Ils jouent aux quilles avec les statues de l'île de Paques, ils resculptent le mont Rushmore à leur gloire de vilains farceurs interplanétaires. Leur seule motivation c'est la rigolade et le plaisir de tout détruire, comme des gosses capricieux s'amusant à tyranniser une fourmilière. Ce ne sont pas des envahisseurs, ce sont juste des troubles-fête, des briseurs de routine. Ultime moyen de lutter contre eux ? De la musique country horripilante qui provoque des dissonances explosives dans leur encéphale surdimensionné. Les américains nous sauvent avec ce dont ils ont peut-être le plus honte. Pour comparer, dans le remake français de Mars Attacks, on tuerait les martiens avec du Patrick Bruel. Foulala....

        Et tout cela dans une débauche visuelle assez impressionnante. Ca explose dans tous les coins, les martiens s'agitent avec panache, ça fuse de partout, on en prend plein la tête, c'est divin. Et au moment où Mars attaque pour de bon, quand tout part en fumée avec emphase, qui donc vient traverser le film en vedette involontairement invitée ? Godzilla bien sûr ! Le Godzilla, le vrai, celui qui atterrissait dans le traîneau du père-noël à la fin de Pee Wee. Ultime clin d'oeil aux films catastrophes, ultime coup de coude dans les côtes des américains qui n'en demandaient pas tant. Mars Attacks ! c'est le plaisir de tout détruire pour... euh... pour reconstruire n'importe quoi après. Un monde gouverné par des ados culculs et par une grand-mère gâteuse ? Un Eden pour alcoolique repentie et serveuse en petite tenue où l'on écouterait du Tom Jones réincarné en figure divine ? C'est à peu près cela. Mars Attacks ! est l'un des films les moins sérieux du monde, quelque part entre Sacré Graal et Wayne's World (je blasphème dur, là). On rit de tout, absolument de tout, de la mort des uns et de la décapitation des autres, du retour du "héros" aux répliques de Tom Jones, tout est bon pour déconner. Une gigantesque blague pleine de stars et d'effets spéciaux, mise en scène avec un génie sans faille. C'est pourquoi Mars Attacks ! n'a pas le même impact qu'Edward ou que Batman Returns, pas la peine de chercher de l'émotion chez les martiens, leurs larmes sont celles des crocodiles. Et donc il faut prendre le dernier film en date de Tim Burton pour ce qu'il est : un spectacle réjouissant et hilarant. Du fabuleux générique d'ouverture (je dirais même un générique épastrouillant !) à l'apparition finale de Tom Jones, c'est une certaine idée du plaisir absolu. ("don't run, we are your friends...")

 

Mars Attacks ! Warner Bros présente un film de Tim Burton. Avec Jack Nicholson, Glenn Close, Annette Bening, Pierce Brosnan, Danny De Vito, Martin Short, Sarah Jessica Parker, Michael J. Fox, Rod Steiger, Tom Jones, Lukas Haas, Natalie Portman, Jim Brown, Lisa Marie, Sylvia Sidney, Pam Grier. Musique de Danny Elfman. Montage de Chris Lebenzon. Décors de Wynn Thomas. Photographie de Peter Suschitzky. Scénario de Jonathan Gems, d'après "Mars Attacks" de Topps. Produit par Tim Burton et Larry Franco. Réalisé par Tim Burton. 1997. 102 minutes.

 
 
 
 
 
 
 
 
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