Pour présenter ce grand classique qui fait l'unanimité auprès d'à peu près tous les publics (les fans de Burton comme les néophytes absolus), je vais partir de certaines constatations primordiales, je développerais le tout ensuite. Premièrement The Nightmare Before Christmas (TNBC pour les intimes ou L'Étrange Noël de M. Jack en VF) n'est pas un film de Tim Burton, enfin si, mais non ! Burton a créé les personnages, l'esthétique et l'histoire générale du film, il en est aussi le producteur et il est indéniable que l'ombre du grand Tim est omniprésente tout au long de ce (court) long-métrage. Mais c'est bel et bien Henry Selick et son équipe qui ont mis en scène cette merveille. Deuxième constatation, TNBC est un des plus beaux films de l'histoire du cinéma. Troisièmement, Danny Elfman a joué un rôle au moins aussi important que Burton et Selick dans la création de TNBC. Quatrièmement, TNBC est une œuvre de Tim Burton, non cela ne vient pas contredire le premièrement ! Cinquièmement, c'est un film intemporel qui ne prendra jamais la moindre ride et à long terme il restera sans doute la plus populaire des créations de Tim Burton (pas la meilleure, pas la plus personnelle, mais sans doute la plus connue et la plus reconnue).

        Car The Nightmare Before Christmas est un condensé admirable de toute l'oeuvre de Burton. Tout y est ! Du chat noir à Halloween, de Frankenstein à l'humour noir. Il y a des rimes, des monstres, des rêves et des cauchemars. C'est une sorte de "Petit Burton (richement) illustré à l'usage des débutants". On sait que Burton est passionné par les contes, par leur univers sombre et psychanalytique. Et TNBC prouve admirablement le désir burtonien de créer au moins un conte qui hérite de la même postérité que les œuvres de Perrault ou des frères Grimm. Tous les films de Burton peuvent s'apparenter à des contes, c'est plus ou moins évident, mais c'est toujours le cas. Parfois cela crève les yeux, pour Pee Wee, pour Edward, pour TNBC mais aussi pour Sleepy Hollow qui est l'adaptation d'une très célèbre légende de Washington Irving, Charlie et la Chocolaterie (de Roald Dahl) et Alice au pays des merveilles (de Lewis Carroll). Mais TNBC est le conte le plus évident de Burton, car il s'adresse surtout à l'adulte qui est dans l'enfant et à l'enfant qui est dans l'adulte.

    

         Les personnages de TNBC ont tous été créés par Burton. Bien sûr celui-ci s'est inspiré de l'imagerie populaire mais en lui conférant une patte inimitable. Quelle riche idée d'avoir donné au Savant Fou des allures de Docteur Folamour. Et au monstre de Frankenstein des allures de poupée de chiffon. Sally, la poupée frankensteinienne (bel adjectif !) qui est peut-être le plus burtonien des personnages du film et auquel Burton réserve les plus belles séquences (en particulier ce saut/suicide au terme du quel Sally se recoud elle-même, sublime). Et toute l'imagerie classique du Fantastique est représentée, du vampire au loup-garou en passant par la créature du lac noir, jusqu'au cauchemar lui-même, le très cabotin et très impressionnant mister Oogie Boogie. Une sorte de "best of" du film de monstres classiques, ce qui nous permet d'ailleurs de remarquer que TNBC est un film en parfait décalage avec son époque. Comme souvent avec Burton il est presque impossible de dater précisément l'époque de l'histoire (nous sommes en plein conte), et le film ne reflète jamais les années 90. Une nouvelle fois Burton a atteint son objectif d'intemporalité.

        On a beaucoup parlé de la "marginalité" des habitants d'Halloween Town, thème récurent et extrêmement évident dans l'oeuvre de Burton. C'est pourquoi il faut aller plus loin. Il y a un désir d'ouverture vers les autres dans TNBC comme dans la majorité des œuvres burtoniennes (à part dans Vincent mais aussi dans les Batman et ne parlons pas de Mars Attacks qui est le récit du plus cruel des chocs de cultures). Les marginaux burtoniens veulent être normaux. Mais ils ne veulent pas pour autant perdre leur identité dans la procédure. C'est finalement Edward qui va le plus loin dans la tentative de normalisation, c'est lui qui désire le plus être "comme les autres", et il est prêt à tout pour cela. Et c'est lui qui sera le plus violemment rejeté. Dans TNBC, c'est en toute innocence que les habitants d'Halloween Town essaie de recréer Noël à leur façon. Ils reprennent ce qu'ils ont vu et ils essaient de l'imiter selon leur propres critères de l'amusement et de la joie (qui sont exactement les critères inverses de ceux du monde "normal"). Et bien sûr il y a incompréhension. Chaque chose à sa place et tout ira pour le mieux, la voilà la fameuse fin "heureuse" du film. Certes au final tout s'arrange parce que Santa Claus est Santa Claus (et non pas un Sandy Claws, gag récurent dans le film et quasi incompréhensible en français), mais les univers ne sont réunis que très brièvement par quelques flocons de neige (hé hé hé, cela ne vous rappelle pas un autre film de Burton cela ? Quand les flocons de neige unissent brièvement le réel et l'imaginaire ? D'ailleurs si cela vous rappelle même trois films de Burton, c'est normal, les flocons de neige en final de chef-d'oeuvre, c'est une spécialité burtonienne). Et qu'en est-il des motivations premières de Jack ? L'ennui ! Voilà le moteur du film. Les monstres, l'horreur, la peur, sont la normes à Halloween Town et finalement c'est le monde tout rose et dégoulinant de Christmas Town qui semble extraordinaire à Jack Skelington. Comme si Burton inversait assez sensiblement le moteur interne de sa thématique habituelle. La "normalité" devient l'extraordinaire, l'univers sombre et morbide, interdit dans Vincent est aujourd'hui tellement présent qu'il en est lassant. Le film est entièrement tourné du point de vue des "hors-normes". Car si pour Edward, par exemple, le banal devenait aussi magique, le film se déroulait sur le terrain de la norme. Ah oui, il faut suivre... Enfin, la motivation reste toujours le désir d'échapper à la routine.

  

        Bien sûr l'idée de créer un grand "clash" entre les deux plus importantes fêtes de la culture américaine (on voit aussi passer Pâques lors de l'une des séquences les plus hilarantes du film, "Bunny !") est excellente. Et elle n'est pas de Burton. Elle est du Dr Seuss et Burton le reconnaît bien humblement. The Grinch That Stole Christmas est la première source d'inspiration de TNBC. Mais bien évidemment Burton y a apporté un nombre considérable de modifications. Et l'esthétique n'appartient qu'à Burton, qui d'autre que lui aurait imaginé un univers de maisons tordues, de grilles de cimetière, un univers où tout semble bancal, où tout semble pris dans un vent fou mais qui pourtant tient magiquement debout dans un déluge de détails grandioses ? Et comme d'habitude l'histoire et l'univers de TNBC directement issus de l'imagination de Burton sont inadaptables. La bonne fée, Caroline Thompson fait une nouvelle fois des miracles en rédigeant un scénario cohérent et d'une très grande richesse pour une très courte durée de métrage. Henry Selick mettra encore un peu plus d'ordre dans ce délire. Et c'est ici qu'intervient Danny Elfman.

  

        Danny Elfman qui a "piraté" TNBC. Car ce film est presque autant un film de Elfman que de Burton. Pour cela il suffit d'écouter un album d'Oingo Boingo datant de 1985, Dead Man's Party. Regardez bien l'esthétique de la pochette (et du clip de la chanson titre si vous avez l'occasion), lisez bien les paroles des chansons (notamment No One Lives Forever). Et vous comprendrez mieux pourquoi j'affirme que TNBC est un film de Tim Burton, Henry Selick ET Danny Elfman. On sait que l'omniprésence d'Elfman dans la conception du film provoqua des tensions avec Selick. Et les rumeurs parlent même de cette expérience (pourtant le plus parfaite symbiose entre l'univers de Elfman et de Burton jusqu'à présent) comme de la source du clash de trois ans entre Burton et son compositeur fétiche. Danny Elfman a considérablement modifié le scénario du film à cause (grâce, plutôt) à sa musique et aux très nombreuses chansons. TNBC s'est transformé en comédie musicale (au sens le plus noble du terme, au sens du Magicien d'Oz). Au départ les numéros chantés devaient être bien moins nombreux, ils occupent au final une très large majorité du métrage. Et ce n'est pas moi, fan absolu de toute l'oeuvre de Elfman que ce soit pour le cinéma ou pour Oingo Boingo, qui m'en plaindrais. Non seulement parce que c'est l'occasion d'entendre la voix du grand Danny au cinéma (il double, pour les chansons, Jack ET Barrel !). Mais aussi d'autres voix non moins réjouissantes (Paul Reubens, notre Pee Wee à nous dans le rôle de Lock et l'immense Ken Page (les fans de Cats savent de quoi je parle) dans le rôle d'Oogie Boogie). En clair l'omniprésence d'Elfman fait énormément pour la réussite du film, beaucoup plus que ce que l'on a bien voulu dire. Elfman a écrit tous les textes des chansons (les rimes ne sont pas de Burton, ou alors on me l'a caché jusqu'à présent) et bien sûr toutes les musiques. Et cela fait quand même une grand part du film qui se définit vraiment comme un projet collectif. Car il ne faut pas minimiser le travail hallucinant de l'équipe de Henry Selick qui a passé deux ans pour animer images par images et de manière parfaite, les 75 minutes de The Nightmare Before Christmas.

        Je peux donc ici revenir sur l'affirmation que TNBC est l'un des plus beaux films du monde. Parce que la musique est phénoménale, parce que l'esthétique est originale et envoûtante, que la mise en scène est dynamique, parce que c'est un film d'animation qui ne ressemble à (presque) aucun autre, parce que le fond est d'une rare richesse, parce que cet univers est touchant comme... euh... une œuvre de Tim Burton. Un conte sur pellicule, c'est finalement assez rare, et le succès "surprise" du film n'est finalement pas si étrange que cela. Le propre des contes est de savoir faire passer bien plus que leur simple apparence, c'est de savoir capturer des thèmes et une imagerie universels pour mieux les inscrire dans les esprits. The Nightmare Before Christmas est un conte classique qui a su domestiquer la modernité, ou l'inverse...

LA MUSIQUE DE THE NIGHTMARE BEFORE CHRISTMAS

The Nightmare Before Christmas (L'Étrange Noël de M. Jack) - Un film de Tim Burton. Produit par Tim Burton et Denise Di Novi. Histoire et personnages de Tim Burton. Scénario de Caroline Thompson. Paroles et musique de Danny Elfman. Avec les voix de Chris Sarandon, Danny Elfman, Catherine O'Hara, Ken Page, Glenn Shadix, Paul Reubens, Ed Ivory... Mis en scène par Henry Selick. 1994. 75 minutes.

 
 
 
 
 
 
 
 
Soutenez l'indépendance de
 
The Web's Worst Page :