Plus encore que d'autres années, on pourra trouver mon classement des meilleurs films très "politique". C'est bien normal, et ça n'a rien de nouveau. Peut-être qu'avec l'âge, je suis de plus en plus sensible à certains thèmes, moins à d'autres, je ne sais pas. Certains penseront qu'il y en a marre des films politiques. Ha ha, je ris, bien sûr que je ris, car tous les films, et toutes les œuvres d'art en général, sont évidemment politiques. Même, et surtout, les comédies populaires ou les blockbusters spectaculaires. Je dirais même que, comme dans le journalisme, mieux vaut un film qui assume sa politique qu'un film qui joue la carte de la pseudo neutralité, qui fait mine de rien, qui donne l'air de ne pas y toucher. Ah ce sont les pires, ces films là, qui te glisse leur vision du monde comme si elle était normale, indiscutable. Je ne dis pas, hein, parfois j'en apprécie des films qui jouent les Saintes-Nitouches de la politique, ça peut être agréable. Mais il ne faut pas être dupe, surtout dans une période comme la notre où l'Histoire semble s'accélérer.

Cela n'empêche pas de se divertir, hein, bon nombre d'œuvres très engagées sorties cette année sont aussi de merveilleux divertissements. Je vous dis d'ailleurs que, parfois, un message passe mieux s'il est accessible. Cela ne veut pas dire que je renie l'austérité et la radicalité, loin de là, donnez-moi du contemplatif silencieux et des films d'horreur bien énervés.

Il y a donc des comédies et des blockbusters avec, presque toujours, le leitmotiv de la tentative d'évasion, dans le sens d'échapper à son statut, à sa prédestination. Peut-on briser l'illusion, changer sa classe sociale, changer son être ? Peut-on changer le monde ? Peut-on, tout "simplement", franchir la porte et sortir ? Autant de questions, le plus souvent laissées en suspend, qui auront été posées avec une vigueur renouvelée cette année.

Plus concrètement, même si j'ai eu le temps de faire de nombreux rattrapages, je suis loin d'avoir vu tous les films "incontournables" sortis en 2021, donc soyez indulgents sur les manques. Il y aussi des absences justifiées par le fait que je n'ai pas aimé ou pas beaucoup aimé certaines œuvres encensées par d'autres, c'est bien normal. Donc, oui, j'ai vu Memoria (très joli mais une redite mineure de ce que le réalisateur a déjà fait en bien mieux), The Power of the Dog (correct mais trop démonstratif), The Green Knight (clinquant mais vide), The Worst Person in the World (pas du tout aimé), Belle (très moyen), The Sound of Metal (bof), Benedetta (ringard) ou bien encore The Suicide Squad (nul). Par ailleurs, First Cow de Kelly Reichardt est sorti en France cette année, mais je l'avais déjà classé à la première place de mon top 2020.

Enfin, après avoir pendant des années été fort peu tendre avec la production cinématographique française, je me dois de noter la présence assez ébouriffante des films français dans mon classement. Pas moins de 8 films (certains en co-production, certes) dans le top 20. Nul doute qu'il se passe quelque chose qui ne relève plus de l'anomalie. De nouvelles générations donnent de l'espoir à un paysage qui ployait encore récemment sous des conventions obsolètes. Le cinéma français se retrouve tout à fait digne de sa place, un peu à part, au sein du cinéma mondial. D'ailleurs, la meilleure des conclusions demeure : vive le cinéma mondial ! Sans drapeau et sans frontière, évidemment.


 

Séries

 

10

Starstruck

Dans le flot quasi ininterrompu de séries romantiques, Starstruck se hisse au-dessus du lot grâce au charme de sa créatrice/interprète et à la saveur de son postulat de départ. C'est faussement léger, souvent très drôle, sans jamais tomber dans les travers fréquemment rencontrés.

 


 

9

Only Murders in the Building

C'est un divertissement bon enfant, rien à dire, c'est léger, prenant, superbement interprété. On ne demande pas davantage.

 


 

8

Mare of Easttown

C'est un peu le Kate Winslet show, alors, forcément, ça me parle. Mais c'est avant tout de la bonne série d'enquête au sein d'une communauté fissurée de partout, avec un personnage principal abîmé et attachant.

 


 

7

Derry Girls

Dans la grande tradition de l'inégalable Father Ted, une série comique irlandaise profondèment irrévérencieuse. C'est souvent trash, parfois tendre, toujours dévastateur et interprété par une troupe de jeunes acteurs incroyables.

 


 

6

Girls5Eva

Une partie de l'équipe de 30 Rock et d'Unbreakable Kimmy Schmidt se retrouve pour décrire le come-back d'un girl group vieillissant. Comme attendu, c'est girl power, hilarant et merveilleusement tendre.

 


 

5

Search Party

La série en est à sa quatrième saison, mais c'est pour moi une découverte de l'année. C'est inclassable, vraiment unique, toujours là où on ne l'attend pas. Difficile de vous en dire beaucoup sans révéler trop. Essayez, insistez, plus on avance plus c'est bien. Cela ne vous plaira pas forcément, tant les différentes tonalités sont parfois déconcertantes, souvent cruelles ; mais c'est tellement différent du tout venant que ça vaut le détour.

 


 

4

Ghosts

De la grande série comique britannique qui, comme toute grande série britannique, cache derrière son excentricité et sa propension à rire de tout, un cœur gros comme ça.

 


 

3

Reservation Dogs

Humour, tendresse, critique sociale, il y a tout dans Reservation Dogs. On y rit donc énormément, tout en étant jamais bien loin d'être ému.

 


 

2

Ted Lasso

C'est la série "feel good" du moment, car, après tout, on a quand même besoin d'un peu de bonheur franc et massif de temps en temps. Il paraît que ça parle de foot, mais ça pourrait être du basket ou du hockey sur gazon que ça ne changerait pas grand-chose. Dépassez les a priori, c'est une perle.

 


 

1

We Are Lady Parts

C'est l'histoire d'un groupe de punk britannique, féminin et musulman. C'est oui, bien sûr, un immense oui. L'esprit du punk, sans cesse réincarné là où on en a le plus besoin, est ici bien vivant. C'est un récit d'émancipation, bien entendu, où les minorités les plus en bas de l'échelle sociale tente de se libérer et de s'élever grâce à la musique, à l'amitié et à l'humour. We Are Lady Parts est une vraie petite révolution télévisuelle.

 



 

Films

 

20

Onoda

C'est un film d'aventure à l'ancienne, vous savez, de ceux qui racontent des histoires vraies édifiantes en prenant leur temps et en prenant des risques sur leur tournage. Certes, on ne retrouve pas ici la souffle épique d'un David Lean, mais on ne peut que saluer l'ambition, surtout au sein du cinéma français. Ce n'est pas non plus Dersou Ouzala ou La Ligne Rouge. Il ne faut pas chercher de grandes questions métaphysiques, de grandes envolées poétiques ; malgré sa durée, Onoda est très sobre, très factuel, d'un classicisme assumé.

 


 

19

The Mitchells vs The Machines

C'est le meilleur dessin animé rigolo de 2021. Il en sort des brouettes, celui-là surplombe un peu la concurrence grâce à sa folie et à sa drôlerie assez irrésistibles.

 


 

18

Boîte Noire

Du techno thriller français de qualité, très bien mis en scène, correctement interprété. Il y a une ambiance, classique mais joliment construite, ainsi qu'une histoire, aussi fort classique, très bien menée. Et la fin est à la fois suffisamment satisfaisante et sombre pour rappeler les bonnes heures du cinéma des années 70. En tant que film de genre français, c'est peut-être un peu moins percutant que l'excellent Le Chant du Loup (déjà une histoire d'oreilles, tiens), sorti il y a deux ans, mais c'est tout aussi recommandable.

 


 

17

Street Gang: How We Got to Sesame Street

Le film "feel good" de 2021 est un documentaire sur la création de l'émission de télévision pour les enfants La Rue Sésame. Ah, ne rigolez pas, c'est assez exaltant. On y voit la naissance d'une véritable petite utopie socioculturelle. Une bande de rêveurs parvient à pirater la télévision américaine pour tenter d'éduquer les enfants défavorisés (essentiellement racisés). Les bambins biberonnés à la pub et aux programmes abêtissants vont tomber forcément amoureux d'un programme de qualité qui s'adresse à eux avec un langage accessible et intelligent. La preuve qu'on peut tirer le public vers le haut, tout en le divertissant, au lieu de toujours prétendre lui "donner ce qu'il réclame" en l'enfonçant toujours un peu plus.

 


 

16

Le Sommet des Dieux

Du dessin animé d'aventure, quasi documentaire, avec un vrai souffle. Ce qui est évidemment paradoxal quand on parle d'alpinisme sur les toits du monde, où l'un des principaux risques est le manque d'oxygène.

 


 

15

The Dig

Du cinéma d'anecdote historique dont la sobriété néo-classique fait des merveilles. Délicatement filmé, délicatement interprété, sur un fait pas très palpitant en apparence (des fouilles archéologiques aux antipodes d'Indiana Jones), c'est très beau.

 


 

14

C'mon C'mon

Sur le papier, c'est très classique : la relation quasi filiale entre un homme d'âge mûr et son neveu d'une dizaine d'années. Chacun apprend de l'autre au fil de scénettes filmées dans un noir et blanc précieux. Mais il y a ici une grande douceur, une grande intelligence dans les relations. On parle beaucoup, oui, et c'est bien là la force de ce film tendre qui s'apprécie probablement davantage dans les jours qui suivent sa vision.

 


 

13

A l'abordage

Du cinéma romantico-social feel good français, avec juste ce qu'il faut de petites aspérités et de surprises. C'est drôle, faussement simple, assez touchant.

 


 

12

Shadow in the Cloud

Dans sa forme, c'est une petite série B dont l'aspect huis-clos masque en partie le budget riquiqui. Dans son propos, c'est une grande baffe dans la tronche des petites séries B bas de plafond. Particulièrement énervé, Shadow in the Cloud lance Chloe Grace Moretz à l'assaut du patriarcat à la seule force des bras. Le film ne fait pas dans la dentelle mais se révèle sans cesse très malin et surtout follement attachant. C'est du divertissement autrement, en forme de crescendo un peu cartoonesque, toujours plus enthousiasmant au fil des minutes. Un modèle de "petit grand film".

 


 

11

The Father

D'accord, c'est du théâtre filmé, mais c'est rudement bien filmé pour du théâtre. Le réalisateur, dont c'est le premier film, est aussi l'auteur de la pièce, ceci expliquant en partie cela. Le récit est éprouvant, d'un réalisme terrifiant. C'est, je vous assure, un des grands films d'horreur de 2021. Parce que, voilà, pour certains d'entre nous, l'avenir ressemble à la démence qui ronge le personnage principal. Alors, oui, on a célébré la performance hallucinante d'Anthony Hopkins, dont c'est probablement le plus grand rôle, mais les qualités de The Father vont au-delà de ce numéro de comédien au sommet de son art. C'est l'alliance entre le texte et l'interprétation qui permettent à la scène finale d'être à ce point déchirante qu'elle en devient quasiment insoutenable.

 


 

10

Dune

Fuck la politique des auteurs, c'est un des mots d'ordre de ce site, vous le savez. Les derniers films de Tim Burton sont ratés (Dumbo, misère, quelle horreur) et le dernier film de Denis Villeneuve est très réussi. Qui l'eût cru ? Je n'aime pas, pardon, je n'aimais pas du tout le cinéma de Denis Villeneuve. Empesé, antipathique, grotesque, j'ai tellement de griefs contre les œuvres du réalisateur que je vais vous les épargner. Mais, en commençant l'adaptation des romans fleuves de Frank Herbert, Villeneuve s'est trouvé. Son style pompeux, sérieux comme un pape, maniaque et maniéré, est parfait pour Dune. Alors, oui, la force de ce premier film, c'est le respect (autant que possible) de l'oeuvre. La mise en image est parfaite. Ce grandiose oppressant, cet aspect figé, quasi protocolaire, qui se laisse peu à peu gagné par les percées hallucinées et hallucinogènes, c'est bien l'essence de Dune. L'essai reste à confirmer, car la suite devra être plus folle. Les bases sont là, c'est du très grand blockbuster de SF, extrêmement rare.

 


 

9

Spencer

Je n'avais pas aimé Jackie, le précédent biopic signé Pablo Larrain, en particulier pour son côté creux et maniéré. Ici, c'est encore plus maniéré mais aussi nettement moins creux. Les tics et les tocs sont une composante essentielle de Diana Spencer, conditionnée, conçue, formatée depuis l'enfance pour être une aristocrate figée dans les conventions. Étouffée par le passé, incapable de respirer le présent, rêvant d'un avenir qui semble impossible, elle se noie dans des pathologies mentales de plus en plus vivaces. Le film illustre parfaitement son univers intérieur, entre paranoïa et schizophrénie, où ne surnage que quelques éclairs de lumière (l'amour des enfants, le soutien de certains domestiques).

La vie de princesse et le prestige royal, sont renvoyés à des archétypes de films d'horreur. C'est l'antithèse d'un discours désormais plus qu'obsolète. Évidemment, décrire ainsi l'ignominie des parasites qui s'accrochent aux sommets des Etats ne peut être que plaisant. Nul glamour, aucune fascination, tous ces êtres sont des monstres froids. Au milieu, par ses fêlures, Diana est une anomalie, le grain de sable qui peut faire exploser la machine qui n'a pas le droit au moindre défaut.

Larrain ne raconte que trois journées, autour de Noël, use intelligemment des ellipses, et filme comme dans un récit d'épouvante britanniques des années 70. Il est secondé par la musique de Johnny Greenwood, entre dissonances horrifiques et jazz décalé. Et, bien sûr, par la performance épidermique, entre outrances, tics et fragilité, de Kristen Stewart qui n'a jamais été aussi impressionnante. Du grand "biopic".

 


 

8

 

Matrix Resurrections

Voilà, si vous êtes de très anciens lecteurs (enfin, sans préjuger de votre âge), vous avez donc désormais vécu assez longtemps pour voir un Matrix dans un classement de The Web's Worst Page. Et pas un classement des pires films, comme c'était le cas à l'époque de la première trilogie, que, fameusement, j'ai détestée dès le premier volet. Ne croyez pas que j'ai changé mon fusil d'épaule, même s'il faudrait que je revois ces films à la lumière de ce qui a suivi.

C'est bien du quatrième volet dont il est question ici. Une suite, reboot, remake, une coda timbrée, un pied de nez tendre, l'explicitation indispensable et superflue de ce qui n'était qu'ébauché il y a 20 ans. C'est ici une auteure, Lana Wachowski, qui revient sur une toile inachevée et décide de repeindre en effaçant ce qui lui ne convenait pas, en ajoutant les deux décennies d'évolution personnelle qui la sépare de son œuvre la plus célèbre (et célébrée). Beaucoup de thèmes de Resurrections étaient bien présents dans la première trilogie, mais ils n'étaient pas aussi clairs, aussi élaborés.

Certes, aujourd'hui comme hier, il est difficile d'équilibrer critique du spectacle et spectacle lui-même, au risque de mécontenter tout le monde. L'action n'est plus qu'un oripeau dans Resurrections. Le techno verbiage et le conflit entre humains et machines ne sont plus qu'une vague toile de fond. Le cœur de l'œuvre est ailleurs. Matrix c'est le récit de l'évolution, de l'évolution personnelle, oui, de l'évolution des sociétés. C'est le récit de la quête de soi et de se (re)trouver après maintes épreuves. Tout est ici conflit et réconciliation. Les fulgurances sont légions, notamment lors d'un final particulièrement émouvant qui revisite l'archétype de l'amour qui transcende l'espace, le temps et surtout les conventions sociales. C'était déjà au coeur de Cloud Atlas et de Sense8, les deux chefs-d'œuvre des sœurs Wachowski. C'est aussi l'âme de Resurrections.

Le film est très drôle, jamais dupe de son statut de vrai-faux blockbuster. C'est, et vous savez à quel point j'adore cela, un blockbuster d'auteur, un blockbuster fou qui a échappé à sa laisse pour s'ébattre librement presque partout où bon lui semble. Vous vous souvenez des riches heures de Tim Burton ? Dans les années 90 ? Et bien c'est cela que l'on retrouve dans Resurrections. Cette folie qui permet de ne jamais savoir où on va atterir l'instant d'après. Ah oui, oui, vous avez donc lu ce site suffisamment longtemps pour me voir comparer un Matrix aux grands films de Tim Burton. Où va le monde, me direz-vous ? Il change le monde, oui, il évolue, il est imprévisible.

 


 

7

Le Dernier Duel

Ridley Scott, 84 ans, est le plus jeune des vieux réalisateurs d'Hollywood. Bien loin de la nostalgie ou de la réaction qui font encore carburer certains vétérans (je ne cite pas de noms), Scott n'a perdu ni son mordant, ni sa quête d'une éternelle modernité. Ruant dans les brancards esthétiques et thématiques depuis la fin des années 70, le réalisateur est bien loin de n'avoir signé que des grands films. Oui, son oeuvre est très inégale, passant de jalons ayant révolutionné des genres entiers à de petites séries B maladroites. Le Dernier Duel fait partie des réussites. Loin du grand spectacle moyenâgeux pataud que l'on pouvait craindre, il s'agit d'une très intelligente variation sur le Rashomon d'Akira Kurosawa.

C'est une histoire vraie, fort bien documentée. Une femme violée, le point de vue de l'époux, le point de vue du violeur et, le récit de l'épouse. Cette dernière partie, avec la vérité sans fard, retourne le récit, balaie les clichés, tord le coup du récit hollywoodien classique et transforme le film en coup de poing. Le dernier duel promis ne déçoit pas pour ce qui est de sa violence viscérale, mais il n'a pas le goût de l'héroïsme. Ceux qui étaient venus pour se divertir en sont pour leurs frais, le triomphe n'a pas lieu, c'est un goût de cendres et d'injustices millénaires qui accompagne la fin du récit.

 


 

6

Gagarine

Du cinéma social ancré dans le réalisme poétique, oh, ça on sait faire en France, depuis Jean Vigo et même avant. Gagarine adapte les préceptes ancestraux à la réalité de 2021 et en ressort ce qu'on n'osera pas qualifier d'anti BAC Nord, mais on le pensera fortement. C'est du cinéma âpre, qui ne détourne pas les yeux de la misère, mais qui sait la filmer avec justesse et même tendresse. En filigrane, il y a un rêve, un rêve d'étoiles et d'espace. Les immeubles vont s'effondrer quand l'âme s'élève dans l'infini de l'univers. La symbolique est simple et très belle, elle est mise en image avec des effets limités, jamais trop ostentatoires. Un numéro d'équilibriste qui marque l'esprit et le coeur, surtout dans sa conclusion assez bouleversante.

 


 

5

Last Night in Soho

On le sait, pour ses détracteurs, Edgar Wright n'est qu'un styliste de plus, sans grande substance. Aimant ou adorant sans exception toute son œuvre, je ne fais pas partie de ceux qui estiment que son style, génial en soi, ne va guère plus loin que de belles images avec une bande-son idéale. Et quand bien même, un réalisateur qui a tant compris ce qui fait la force esthétique du cinéma devrait déclencher les hourras de tous les amoureux du 7e art. Une nouvelle preuve flamboyante est apportée par Last Night in Soho. Derrière un hommage fétichiste à plusieurs styles populaires (le film cool des 60's, le giallo, les polars anglais...), Wright déploie un univers plus vaste qui réécrit le passé, sans jamais prétendre en gommer les aspérités.

Nostalgique ? Pas vraiment, non. Car le réalisateur, brillamment, relit (dans le sens de relire et de relier) les images du passé "à travers le miroir". C'est encore une œuvre méta, bien sûr, mais surtout délicate, fréquemment touchée par la grâce, malgré la trivialité du genre dans lequel elle souhaite s'inscrire humblement. Un polar, des meurtres, un peu de fantastique, le terrain est familier, mais l'exécution tient du jamais vu. Et puis, quand bien même il n'y aurait que la forme, ce serait déjà un grand film.

 


 

4

Titane

Du cinéma de genre qui pioche dans mille influences plus ou moins évidentes (Cronenberg et Carpenter en tête, bien sûr) pour faire du neuf avec du vieux. On pourrait penser au travail de Quentin Tarantino, dont on retrouverait là la cinéphilie et la fascination pour la violence. Mais le regard est éminemment féminin, et même au-delà du féminin, tant le film cherche à dépasser les genres, qu'ils soient cinématographiques ou physiques. C'est du grand cinéma d'horreur hybride qui a parfaitement compris que les œuvres de Cronenberg et de Carpenter ne reculaient jamais devant la critique sociale la plus radicale.

Toute aussi politique que ses illustres modèles, Julia Ducournau n'a pas peur de les secouer dans tous les sens, quitte à les déboulonner. C'est le meilleur hommage qu'on pouvait rendre à des maîtres qui n'auraient jamais accepté d'être traités comme des pièces de musée. C'est un magnifique appeau à "paniques morales". C'est un film qui déborde : trop plein de références, donc, mais surtout trop plein de thèmes et de colères. Tellement rempli de fureur et d'envies, Titane peut désarçonner si on accepte mal ce style ultra-sensoriel, qui secoue l'inconscient encore plus vivement que la conscience.

La réalisatrice remplit son œuvre jusqu'à l'inévitable débordement. Elle parle de genres, bien sûr, ainsi que de la famille dans toutes ses horreurs et dans ses possibles beautés (ici, on choisit sa famille, comme on choisirait ses amis ou ses amours). Victimes et bourreaux sont dévorés par la solitude et la sauvagerie, ravagés par une tristesse absolue où surnage un espoir grotesque et terrible au terme d'une scène finale d'anthologie. Peu d'épreuves semblent être épargnées au spectateur. Pourtant, beaucoup sont situées hors-champ, sous-entendues, pas moins terribles. Titane vise donc en plein dans le mille de l'horreur organique et politique, punk et révolutionnaire, celle qui carbure à la pure intensité tout en sachant titiller l'esprit et le cœur. Et si ça vous met mal à l'aise, c'est que c'est réussi.

 


 

3

Flee

Je sais, sur le papier c'est un repoussoir pour certains : un dessin animé documentaire, sur un afghan homosexuel qui tente de fuir son pays avec sa famille. Ne reculez pas devant ces prémisses qui peuvent paraître rébarbatifs. Il y a ici tout ce qui fait la grandeur de l'art cinématographique. D'abord, une forme originale, très belle et efficace, où le récit est illustré subtilement. Ensuite, il y a l'histoire, absolument déchirante, sans jamais sombrer dans le larmoyant. C'est juste la "banalité" de la migration. C'est à la fois fréquemment éprouvant et en même temps tristement simple. Les informations sont régulièrement remplies de récits plus tragiques que celui qui est raconté dans Flee. Il n'y a pas de sensationnalisme, rien de "spectaculaire". C'est dit et filmé avec sobriété et empathie, avec une pudeur inespérée. On en ressort d'autant plus dévasté.

 


 

2

Don't Look Up

"We really did have everything, didn't we?"

Ce n'est pas un si grand paradoxe que la comédie de l'année soit aussi le film le plus triste de 2021. Car le rire de la satire épique de Don't Look Up reste toujours coincé en travers de la gorge. Les situations et les personnages sont toujours excessifs, dans la grande tradition qui va de Duck Soup à Mars Attacks! en passant par Docteur Folamour, mais le propos tape toujours là où ça fait mal. Le grotesque n'est qu'un vague maquillage sur l'ultra réalisme de l'œuvre. C'est hilarant et horrible, ridicule et tragique. Tout le monde en prend pour son grade, presque tous coupables à plus ou moins grande échelle.

Cela pourrait être nihiliste, tant il n'y a que peu de place pour l'espoir, sans les petites lueurs d'humanité qui palpitent au cœur des ténèbres. Une scène de dîner à la fin du métrage, bouleversante, restera probablement dans l'histoire du 7e art. Modèle parfait, à l'instar de tout le film, d'un piratage du système (c'est un film Netflix, plein de stars et d'argent) contre le système lui-même. Est-ce que ce sera efficace ? Est-ce que l'art peut changer le monde ? Certains y croient dur comme fer, d'autres ont déjà baissé les bras.

Ce qui pourrait sembler n'être qu'une comédie cynique de plus déroule, pendant près de 2h30, la fin du monde qu'on nous promet alors que nous regardons, volontairement ou contraints, ailleurs. Oui, cela fait mal, et malgré les scènes amusantes, ce n'est pas un visionnage plaisant. Le but, d'ailleurs, n'est certainement pas de "plaire". On appâte le spectateur avec les stars pour mieux l'emprisonner face à cet effroyable miroir. Don't Look Up parviendra-t-il à nous faire éviter l'inévitable ? Son succès est déjà un petit pas sur le long chemin.

 


 

1

France

On connaît l'obsession de Bruno Dumont pour le cinéma de Dreyer, elle est bien compréhensible. Mais ses hommages rendus au réalisateur danois n'ont jamais été aussi justes que dans France, le grand film que notre pays attendait en cette année 2021. Dumont y scrute le visage et le regard de Léa Seydoux, comme Dreyer scrutait la souffrance de Renée Falconetti dans La Passion de Jeanne d'Arc. Le spectateur attend aussi un miracle. Un miracle qui ne vient jamais, même lorsque tous les éléments esthétiques et émotionnels sont réunis, peu avant la fin du métrage, dans un paysage du Nord, où souffle le vent d'Ordet. Mais, cette fois, pas de résurrection, que des points de suspension ; avec la promesse, encore, d'une révolte violente du peuple face à l'apathie des bourgeois désensibilisés, cyniques, enfermés dans leurs appartements et leurs bonnes âmes.

C'est un film quasi insoutenable, une satire splendide. Quelque part entre le cruauté sordide de ses débuts et la bouffonnerie poétique de ses comédies plus récentes, Dumont trouve une nouvelle tonalité pour son œuvre. Son cinéma semble plus "normal", mais il ne perd pas son étrangeté. Porté par une musique lyrique du chanteur Christophe, parsemé de scènes inoubliables, France ne doit pas être loin du chef-d'œuvre.

 


 

1 1/2

Bo Burnham: Inside

Est-ce un film ? Est-ce un téléfilm ? Les américains ont un terme qui s'adapte parfaitement et littéralement en français : "special". Car, nul doute que Inside est "spécial", unique, surplombant pas moins de deux années de création visuelle et musicale. Quasi entièrement créé en solitaire, pendant la période de confinement de 2020, par le comédien Bo Burnham, Inside n'est pas que le résumé parfait de la "période Covid", il est le résumé parfait de notre époque. On y retrouve l'ultra-connexion (au web, aux réseaux sociaux, aux plateformes) et l'ultra-déconnection (au monde, aux autres, à soi). Au fil de chansons assez géniales, au long de scénettes qui décrivent une introspection déchirante, Inside dit tant de choses sur nous que le rire, omniprésent, finit par émouvoir follement.

On ne ressort pas d'Inside, on y reste un peu prisonnier, à l'image de Bo Burnhan. Cette part de lui, cette part de nous, qui réalise son enfermement n'a toujours pas trouvé le courage de franchir toutes les portes. On est ici face à une œuvre qui pourrait, si elle était assez vue et comprise, changer le monde, ou moins, notre petit monde. Absolument incontournable.

 


 

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