Nous sommes en 1983 aux studios Walt Disney de Burbank. Tim Burton vient d'achever Vincent, ce court-métrage "monstre" que Disney juge quasi immontrable. Néanmoins, impressionné par la maîtrise de ce jeune réalisateur, Disney lui offre la possibilité de faire ses véritables preuves sur la durée d'un moyen-métrage, auprès de véritables acteurs et de moyens assez conséquents. Ce sera Frankenweenie, le célèbre "brouillon" d'Edward aux mains d'argent. Ce remake disneyien du classique de Mary Shelley est finalement un nouveau film "monstre" qui renverra Burton à la section animation du studio jusqu'en 1985.

        Tourné en noir & blanc pour une durée d'à peine 28 minutes, Frankenweenie est un film pour enfants qui ne ressemble pas vraiment à une production Disney (du moins il s'avère plus proche des Yeux de la Forêt ou du Dragon du Lac de Feu que de la Coccinelle à Monte-Carlo). Victor Frankenstein est un enfant de la banlieue américaine banale (encore un petit Burton en puissance) qui perd son chien lors d'une scène traumatique comme Burton les affectionne. Inconsolable, Victor va redonner la vie à son chien Sparky au cours d'une mémorable parodie du Frankenstein de James Whales. Bien sûr il ne pourra pas cacher Sparky bien longtemps, et l'inquisition du bon peuple aura lieu. Inquisition qui entraînera une nouvelle fois la mort de Sparky... sauf que, pressé par les impératifs disneyiens, celui-ci ne restera pas dans la tombe bien longtemps. Les acteurs principaux sont en pleine heure de gloire. Barrett Oliver a triomphé dans l'adaptation de l'Histoire Sans Fin, et Shelley Duvall est une des actrices les plus en vogue (l'entente entre elle et Burton sera apparemment exceptionnelle car elle lui demandera de mettre en scène l'un des épisodes de son émission pour les enfants, ce sera Aladdin and his Wonderful Lamp).

        L'idée originale et l'esthétique du film sont bien évidemment typiquement burtoniennes. Et même si le poids de Disney se fait souvent sentir, Burton se paye le luxe de quelques scènes hallucinantes. La mort de Sparky, la séquence de dissection de grenouilles (un an après E.T., d'ailleurs), le petit Victor déterrant son chien sous une pluie battante (admirable scène, l'une des meilleures du métrage), la résurrection en forme de Frankenstein miniature, la poursuite de Sparky par les voisins affolés (scène que l'on retrouvera à l'identique dans Edward), le nouvel hommage au film de Whales avec ce moulin de golf miniature en flamme (nouvelle séquence anthologique)...

        En creusant un peu plus et à la lumière de l'oeuvre suivante de Burton, on pourra trouver encore plus d'éléments familiers de l'univers de ce dernier. Cela est particulièrement frappant quand Shelley Duvall recoud Sparky lors d'une séquence qui deviendra quasi récurrente dans les films de Burton. De même, l'humour noir qui choqua tant les pontes de Disney annonce déjà toute la suite de sa filmographie (les pattes de la grenouille au premier plan, l'ombre de Sparky comme un monstre de la Hammer, etc...). Et c'est aussi le film où Burton paye le plus sa dette envers le Frankenstein de Shelley (Mary pas Duvall...) et celui de Whales. Car que ce soit dans Edward, dans Batman Returns ou dans The Nightmare Before Christmas, cette thématique reviendra, mais "digérée" par l'imaginaire burtonien. Dans Frankenweenie, Burton n'en est encore qu'à l'hommage direct (irrévérencieux et tellement respectueux, tout à la fois).

        La photographie de Frankenweenie est somptueuse, la mise en scène éblouissante. Vraisemblablement, Burton voulait en mettre plein la vue à ses producteurs dans l'espoir de trouver sa place comme metteur en scène de la maison. Malheureusement, Burton fut bien incapable de renoncer à son monde, même s'il fait dans Frankenweenie des concessions gigantesques. Et Disney le renvoya poliment à ses crayons et à l'animation de petit renard. Est-ce par pure vengeance que Burton contribua de manière finalement si notable à la monstruosité du plus dingue des dessins animés Disney, Taram et le Chaudron Magique ? Pour preuve les armées de squelettes sortant de terre dans une scène impensable pour un film Disney (il faudra attendre Sam Raimi et Evil Dead 3 pour revoir cela, sur une musique de Danny Elfman, d'ailleurs, ben voyons...).

        Quoi qu'il en soit et même si Disney a longtemps soigneusement caché Frankenweenie, c'est un pur bonheur de revoir le film aujourd'hui. L'univers de Burton nous est si familier que l'on se trouve avec ce moyen-métrage, comme avec Vincent, en présence d'une sorte de bande-annonce des long-métrages qui suivront. Frankenweenie est loin d'être une œuvre en marge dans la filmographie de Burton, au contraire, elle semble indissociable de son parcours. Comme je le dis très souvent, c'est encore (déjà) une œuvre d'auteur triomphant des contraintes d'un grand studio. Burton n'est pas Orson Welles (cf le clin d'oeil d'Ed Wood). Burton a réussi à pirater les studios de l'intérieur avec brio. Parfois, comme avec Beetlejuice, Batman Returns ou Mars Attacks ! on se demande encore comment les producteurs ont pu laisser passer ses films "monstres". Comme si Burton était un wonder-boy du côté obscur. Certes ce n'est pas toujours facile pour lui de faire ce qu'il veut, en fait il fait rarement tout ce qu'il veut (et ce n'est pas si mal, sinon Batman Returns se déroulerait sur un terrain de golf, je préférerais la version western, quand même), mais même un peu bridé comme dans le cas de Frankenweenie, ses films ne ressemblent à aucun autre.

Frankenweenie - Une production Walt Disney - Produit par Julie Hickson. Photographie de Thomas Ackerman. Décors de John B. Mansbridge. Montage de Ernest Milano. Musique de Michael Convertino, David Newman. Scénario de Lenny Ripp. D'après une idée de Tim Burton. Mis en scène par Tim Burton. Avec Barrett Oliver, Shelley Duvall, Daniel Stern, Joseph Maher, Roz Braverman... 28 minutes - 1984

 
 
 
 
 
 
 
 
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