Que les choses soient bien claires dès le départ, ce film est l'un de mes plus grands chocs cinématographiques. Et c'est d'ailleurs l'un de mes films favoris. Il fut d'ailleurs un temps où il m'arrivait fort souvent de considérer Fire Walk With Me comme mon film fétiche. La concurrence est rude à ce titre mais il fait partie de ses œuvres qui sont finalement sur un pied d'égalité dans mon cœur. Le chef-d'œuvre de David Lynch (si, si) est l'un des plus beaux films du monde mais c'est surtout l'un des plus bouleversants. C'est pour l'instant le film le plus émouvant de Lynch (plus encore qu'Elephant Man et Une Histoire Vraie !), le plus riche aussi, le plus intelligent, le plus passionnant, le plus tout. C'est la synthèse et l'apogée du style qu'il avait inauguré avec Blue Velvet. Lost Highway et Mulholland Drive n'étant que les restes (flamboyants mais moins puissants) de cette folie créatrice tétanisante.

        Il est important de noter que j'ai vu et adoré ce film (3 visions en une seule semaine) AVANT d'avoir suivi la série Twin Peaks. En clair, c'est le film qui a motivé mon intérêt pour la série. Et si ensuite, logiquement, celle-ci est devenue ma série TV favorite, je considère toujours le film comme une expérience encore plus phénoménale. Faisons le compte. Fire Walk With Me est un film inclassable. C'est une œuvre qui fait peur (très peur par moment), c'est une œuvre qui fait rire, c'est une œuvre qui fait réfléchir (forcément, et pour une fois la constatation n'est pas galvaudée), c'est une œuvre qui fait pleurer (énormément), c'est une œuvre qui émerveille, c'est une œuvre difficile et pourtant c'est une œuvre très agréable à voir et surtout à revoir (des dizaines et des dizaines de fois, sans jamais pouvoir se lasser).

        D'un strict point de vue de la mise en scène, c'est le film le plus aboutit et le plus maîtrisé de Lynch. Juste là où il faut entre le classicisme d'Elephant Man et le n'importe quoi de Lost Highway. Travail incroyable sur le montage, cadrages et lumières (pas de problème les stroboscopes sont toujours là) magnifiques. Et puis surtout la bande son ! Entre la musique sublime de Badalamenti et les effets sonores incroyables de Lynch himself, la bande son est primordiale dans la réussite du film.

        En fait Fire Walk With Me n'est qu'une succession non-stop de scènes anthologiques. Impossible d'occulter un seul passage, tout est génial, tout est parfait. Entre la première partie dépressive et angoissante, la seconde partie bouleversante et tendue, le film se réserve toujours des instants d'humour décalé ou de folie visuelle. Cette folie visuelle qui, contrairement à un film comme Natural Born Killers, n'a rien de gratuite. Elle participe à l'impact du film et surtout elle participe à la mythologie de Twin Peaks. Cet univers d'une richesse infinie et passionnante, ce monde que l'on ne veut pas quitter. 30 épisodes TV, un film de 2h15, deux livres formidables (en particulier Le Journal Secret de Laura Palmer de Jennifer Lynch (la fille de David et oui !), tout cela est odieusement trop court. Il faudrait aussi comparer le film à la série, mais ce serait fastidieux. Oui la famille Horne manque à l'appel (aaahhhh, Sherilyn...), oui la famille Martell et le docteur Jacoby aussi, oui tout est recentré sur Laura (et c'est tant mieux). Tout ce que je vois c'est qu'en abandonnant Mark Frost en chemin, Lynch a aussi abandonné les passages les plus gnan-gnan-sitcom de la série...

        Il faudrait aussi louer l'interprétation. Sheryl Lee... Sheryl Lee... J'aimerais arriver à faire comprendre quel est le niveau de sa performance. A part les deux Heavenly Creatures, je ne pense pas avoir souvent vu une telle prestation. Sans doute parce que Laura Palmer est le plus beau personnage féminin de l'histoire du cinéma (et vlan !). Et Sheryl Lee est à la hauteur de ce rôle extrêmement exigeant. Elle, qui ne faisait que de la quasi figuration dans la série, crève ici l'écran avec une force, une émotion, une présence tout simplement sublimes. La plus belle performance d'actrice qu'il m'ait été donnée de voir. Les seconds rôles (après Sheryl, tous les autres ne sont que seconds) sont inégaux. Certains acteurs de la série ne brillant pas par un talent évident. Mais Ray Wise en Leland Palmer est tout aussi cabotin génial que dans Twin Peaks, il est extraordinaire et il est le seul à vraiment pouvoir tenir la distance face à Sheryl Lee. Moira Kelly, qui remplace Lara Flynn Boyle dans le rôle de Donna Haywards, est bien sûr un peu éclipsée mais elle s'avère magnifique aussi. Chris Isaack trouve son plus important et meilleur rôle pour le grand écran. Kyle MacLachlan est phénoménal comme d'habitude (et pourtant il ne fait que passer). Mais en fait le casting est si exceptionnel et si magistral qu'il faudrait écrire des centaines de lignes de superlatifs pour le qualifier.

        L'histoire... Mais bon je ne vais pas raconter l'histoire ici, qui sait ? Peut-être que quelqu'un qui n'a pas vu le film pourrait lire ces lignes (cela m'étonnerait, mais bon...). J'ai pu lire ici ou là que l'on ne comprenait rien aux films de Lynch. N'importe quoi, c'est l'une des pires idées reçues qui circulent sur son compte. Au contraire, Lynch délivrant un véritable cinéma interactif chacun peut apporter son propre imaginaire à l'univers déjà extrêmement riche de possibilités du metteur en scène. Et Fire Walk With Me est à ce niveau un film inépuisable. On pourra encore longtemps chercher toutes les explications possibles à la Black Lodge, à Bob, aux rêves et aux "je ne veux pas parler de Judy ! (Garland ?)".

    Fire Walk With Me et Twin Peaks sont des bonheurs de l'inconscient en liberté, du ludique intellectuel (ce qui peut sembler paradoxal), quand le moindre détail surprend et émerveille (FWWM, œuvre philosophique ?). Les images, les idées qui traversent le film résonnent dans l'esprit avec une force unique (c'est le cas aussi avec des œuvres comme Excalibur ou Le Miroir), on est touché en permanence, sans forcément savoir exactement pourquoi. Comme si le mélange d'ordinaire et de mythes, de clichés et de rêves, donnait au film un pouvoir hors normes.

        Mais ce qui fait de Fire Walk With Me un film au-dessus de tous les autres, c'est son émotion. On pleure beaucoup devant le film, quasiment dès que le personnage de Laura Palmer apparaît. C'est la somme des efforts de Lynch, de Sheryl Lee et d'Angelo Badalamenti qui apporte les torrents de larmes qui traversent les scènes. Des séquences comme celle du Double Bang avec Julee Cruise chantant Questions In A World Of Blue, le face à face avec James juste avant la fin, le meurtre et bien sûr le final, n'ont aucun équivalent dans l'œuvre de Lynch (à part la fin d'Elephant Man et la scène de l'accident dans Wild At Heart).

 

Fire Walk With Me - un film de David Lynch. Avec Sheryl Lee, Ray Wise, Moira Kelly, Chris Isaak, Frank Silva, Kiefer Sutherland, Harry Dean Stanton, David Bowie, Miguel Ferrer, Kyle MacLachlan... Décors : Patricia Norris. Montage : Mary Sweeney. Photographie : Ron Garcia. Musique : Angelo Badalamenti. Produit par Gregg Fienberg. Producteurs exécutifs : Mark Frost et David Lynch. Ecrit par David Lynch et Robert Engels. Réalisé par David Lynch. 1992. 130 minutes.

"Through the darkness of Future Past
the magician longs to see
one chants out between two worlds
Fire - walk with me."

 

 
 
 
 
 
 
 
 
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