Que de choix cruels, difficiles, cornéliens pour tout vous dire. Ils partirent 10 en janvier, ils se virent 150 en arrivant en décembre. Ca ne rime pas, mais la tragédie est bien là. De ces (environ) 150, j'en ai conservé la moitié, la majorité étant dans les mentions spéciales que vous pouvez retrouver ici. J'ai rangé à part 20 albums que je souhaitais mettre particulièrement en lumière. Certains n'ont pas besoin de mon humble coup de pouce, vous allez les voir partout dans les classements des publications qui font 1000 fois plus d'audience que ce site. Pour d'autres, vous ne les verrez pas souvent ou pas bien haut, pas assez haut en tout cas.

Comme tous les ans, les premières places sont aisément interchangeables, en particulier le trio de tête que j'ai hésité presque jusqu'au bout à redistribuer, inverser, ex-aequoiser. En résumé, tl;dr : à mes oreilles, le meilleur de cette belle année musicale se trouve ci-dessous. Si vous n'avez que 20 disques à écouter (ce serait dommage, mais je sais que tout cela prend du temps), essayez d'écouter ces 20 là (et tous les autres...).

Un extrait est à écouter en cliquant sur la pochette.


 

20

Pixx - The Age of Anxiety

A 21 ans, Hannah Rodgers signe un premier album de pop qui picore un peu partout avec malice. La chanteuse y dévoile un regard acerbe, un peu inquiet, un peu triste, sur notre monde contemporain. Doutes technologiques et sociologiques sur fond de refrains accrocheurs, un premier tour de piste qui promet énormément pour la suite.

 


 

19

Jlin - Black Origami

Superstar du "footwork" (une street dance frénétique, le plus souvent pratiquée sous forme de battle), Jlin signe avec son deuxième album le chef-d’œuvre du genre. Avec des guest stars aussi prestigieuses qu'Holly Herndon ou William Basinski, Black Origami est à la fois une œuvre d'art complexe et un électrochoc ludique. D'une densité folle, épuisant et énergisant, l'album crée d'abord la sidération avant d'émerveiller davantage à chaque écoute.

 


 

18

The New Pornographers - Whiteout Conditions

Un album des New Pornographers pour la première fois sans Dan Bejar, c'est inquiétant. Mais Whiteout Conditions s'inscrit dans la droite lignée de la réussite absolue de Brill Bruisers. Et les chansons de Carl Newman, accompagnées par les voix magiques de Neko Case et de Kathryn Calder, sont toujours aussi imparables. Un New Pornographers mineur est quand même un album de rock majeur.

 


 

17

The Mountain Goats - Goths

Comme The Mountain Goats ne font que des albums "concept" (ou presque), il est facile de s'attacher à ceux dont le thème nous parle davantage. Avec son évocation des débuts du mouvement gothique, tendre, cruelle, nostalgique, souvent émouvante, Goths est, à mes oreilles, un nouveau classique du groupe, à ranger bien au chaud entre Tallahassee et The Sunset Tree.

 


 

16

The War on Drugs - A Deeper Understanding

Sur le même canevas que Lost in the Dream, The War on Drugs poussent les curseurs encore plus loin et avec autant de succès. Un disque riche et touchant, avec des chansons au souffle unique.

 


 

15

Bell Witch - Mirror Reaper

Un morceau de "funeral doom" de 83 minutes. Besoin d'en dire plus ? Bell Witch étire les rythmes et le temps, et sonne le glas de son ancien batteur et chanteur Adrian J. Guerra décédé en 2016 à l'âge de 36 ans. Dans un genre qui ne cesse de ressasser la fin de toute chose, ce deuil offre une force supplémentaire à ce chef-d’œuvre ambitieux, à la fois d'une noirceur absolue et porteur d'espoir.

 


 

14

Johnny Jewel - Windswept

Mieux que la saison 3 de Twin Peaks : la musique inspirée par la saison 3 de Twin Peaks ! Quelques uns des morceaux de cet album ont été effectivement utilisés, dont le sublime Windswept, mais l'essentiel n'appartient qu'à ce disque. Un univers en soi, un concept magique : rêver de Twin Peaks sans savoir ce que sera Twin Peaks, puis mettre ses songes en musique.

 


 

13

St. Vincent - Masseduction

Annie Clarke plus pop et plus acide. Derrière la pochette volontairement kitsch et provocante, un album qui synthétise tout le talent de la chanteuse. L'emballage est actuel (merci, encore et toujours, au producteur du moment, Jack Antonoff), mais ce n'est pas pour autant un disque pour le grand public. Qu'une ritournelle soit piratée par une bande son de film X (Pills) ou qu'un refrain immense s'effondre dans la mélancolie (Los Ageless, New York), St. Vincent est toujours ailleurs, à contre-pied.

 


 

12

Fleet Foxes - Crack-Up

Six ans après leur chef-d’œuvre Helplessness Blues, le retour des Fleet Foxes s'avère complexe et exigeant. Crack-Up ne s'offre pas facilement, c'est en y revenant, peu à peu, mois après mois, qu'il s'apprivoise doucement. C'est un disque univers. Cette musique dépasse les structures attendues, elle voisine avec ce que Grizzly Bear a fort bien réussi cette année. Impossible de ne pas aussi penser à la "collègue de promotion", Joanna Newsom.

 


 

11

Gas - Narkopop

Autre retour inespéré, celui de Wolfgang Voigt sous le patronyme de Gas, 17 ans après son dernier album. Là encore, l'attente est largement récompensée tant Narkopop donne une nouvelle leçon à tous les faiseurs d'ambient. C'est comme cela qu'on crée des atmosphères, c'est comme cela qu'on emporte l'auditeur. C'est difficilement descriptible, soit vous comprenez, soit vous vous ennuyez à mourir au bout de 5 minutes. Il faut avoir le bon état d'esprit, saisir la bonne vibration. Si c'est le cas, vous pouvez écouter Narkopop en boucle, des heures durant. Et vous sentir bien, si bien...

 


 

10

Hundred Waters - Communicating

Avec ce troisième album, Hundred Waters va encore plus loin dans une approche dansante de ses atmosphères électro-mélancoliques. La production, qui n'hésite pas à pousser les basses, peut surprendre de prime abord ; surtout après la douceur de l'inoubliable The Moon Rang Like a Bell. Cependant, on réalise très vite que l'essentiel est toujours présent. Il y a un style Hundred Waters. Il doit beaucoup au chant duveteux et subtil de Nicole Miglis qui transforme tout ce qu'il effleure en poussières d'étoiles.

 


 

9

Enslaved - E

Le plus grand groupe de métal du monde (osons le dire, soyons fous) poursuit un parcours quasi sans faute, entamé en marge de l'âge d'or du black métal norvégien, en inventant le "viking metal". Après avoir négocié avec brio le tournant des années 2000, en enchaînant deux chefs-d’œuvre (Mardraum et Isa), Enslaved n'a cessé de se réinventer. E est un nouvel aboutissement, une sorte de best of qui mélange tous les genres, passant du prog à l'extrême, du death au black, du viking au tribal, sans se préoccuper une seule seconde des guerres de chapelles (qui furent brûlées il y a bien longtemps, on le rappelle).

 


 

8

Rose Elinor Dougall - Stellular

La merveilleuse Rose Elinor Dougall aura pris son temps pour donner une suite à Without Why. Le résultat est à la hauteur de nos (grandes) espérances. Une collection de chansons quasi parfaite, très généreuse et variée. De la chamber pop toute en finesse au néo-disco imparable, l'éventail des talents de Rose ne fait que grandir.

 


 

7

Laura Marling - Semper Femina

A 27 ans, Laura Marling signe avec son sixième opus son meilleur album. L'écriture est toujours plus sophistiquée, les ambiances encore plus affirmées et les textes de plus en plus ciselés,. La chanteuse atteint un nouveau palier dans sa fulgurante carrière.

 


 

6

Fever Ray - Plunge

Par où commencer ? Par la pochette digne d'une version omnisexuelle d'un disque de black métal ? Par la musique qui fait la synthèse entre le premier album de Fever Ray et les derniers opus de The Knife ? Par le bonheur de vivre dans le même monde que Karin Dreijer Anderson, une des artistes les plus importantes de notre temps ? Par le fait que, dans son agressivité, dans sa douceur, dans ses slogans, ses cris et sa vitalité, la musique de Fever Ray est à la fois l'avenir de la pop et une arme politique imparable ?

 


 

5

Slowdive - Slowdive

Dans l'encyclopédie des groupes cultes disparus depuis au moins une décennie, Slowdive vient d'écrire un nouveau chapitre qui fera date. Ce n'est que mon avis, bien sûr, mais ils ont battu le retour de My Blood Valentine à plate-couture. Cet album inespéré, forcément inespéré, tutoie sans peine les grands moments de Souvlaki et de Pygmalion. Revenir, 20 ans plus tard, comme si de rien n'était, avec une oeuvre de ce niveau, c'est presque du jamais-vu.

 


 

4

Bedouine - Bedouine

La révélation musicale de 2017 est Azniv Korkejian, une jeune musicienne qui a soufflé tous ses auditeurs avec un premier album de folk intemporelle. Un disque qui aurait pu sortir à l'identique en 1970, avec le même impact. Car, au-delà du classicisme apparent de la musique, il y a des compositions incroyables, d'une maestria rare. Et, bien sûr, une voix remarquable, une écriture débordante de personnalité.

 


 

3

Lorde - Melodrama

L'album générationnel par excellence qui ne pouvait être signé que par une chanteuse de 21 ans. Le tour de force est de dépasser le cadre de ladite génération pour toucher à une universalité qui fait résonner les thèmes chez tous les âges et tous les genres. Il suffit d'écouter, d'écouter vraiment, ce que cette musique évoque. La jeunesse, dans son immédiateté et dans sa fuite. L'amour, dans son exaltation, ses remords, ses regrets, ses espoirs. S'amuser, se perdre au bout de la nuit, se réveiller ailleurs, se rêver ailleurs, réaliser que le temps passe et que les gens partent. Le monde d'aujourd'hui, celui d'hier, celui de demain. La meilleure pop, c'est celle-là, celle qui fait passer des thématiques fortes, souvent mélancoliques, cachées derrière des mélodies immenses et le son de l'époque. C'est de la contrebande. Lorde est notre reine des pirates.

 


 

2

Hurray for the Riff Raff - The Navigator

Le manifeste politique musical de 2017, c'est The Navigator. A partir d'une expérience très personnelle, d'une souffrance bien délimitée dans sa géographie et dans sa temporalité (le peuple portoricain et sa colonisation, son rapport avec les Etats-Unis), Alynda Segarra évoque des blessures universelles. The Navigator s'écoute comme on regarde une épopée filmique, comme on dévore un roman transgénérationnel. C'est un album épique, déchirant, qui culmine sur une des chansons les plus puissantes de ces dernières années (Pa'lante). On peut y lire tous les tourments mondiaux de "ceux qui ne sont rien", des migrants, des pauvres, des abandonnés, des survivants, des descendants, des stigmatisés, des silencieux et des rêveurs. Quelle force, quelle puissance, quelle immensité !

 


 

1

Susanne Sundfør - Music for the People in Trouble

C'est un disque triste qui fait du bien. C'est un disque étrange qui rassure. C'est un disque pour les gens qui souffrent. De sa voix magique, Susanne Sundfør n'élude aucune douleur, elle dévoile, elle affronte, elle confronte. Il y a une grande solitude, une immense détresse, des envolées qui déchirent l'âme. Et par instant, par bribes, l'espoir fend les nuages. Comme un jour gris que le soleil éclaire d'une gloire en fin d'après-midi. Comme une nuit d'hiver qui semble interminable et qui sera effacée par une aube rayonnante. Comme la certitude qu'après la fin de l'amour, il y aura à nouveau de l'amour, qu'après la fin d'une vie, la vie continuera, que dans l'absence de sens, chacun construit son sens. Tout ce qui fait de Music for the People in Trouble un des plus beaux disques du monde.

 

 
 
 
 
 
 
 
 
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