Bilan à mi-chemin

 

1

La La Land

Peu importe tout le brouhaha autour du film, des oeuvres comme celle-ci il n'y en a pas tous les ans. On peut la disséquer à l'infini, pour y trouver au final tous les défauts du monde, sans doute. Ou on peut se laisser emporter et peut-être croire qu'elle nous parle et nous chante à nous, rien qu'à nous. Quelle musique ! Quelle mise en scène ! Quelle énergie ! Quel mélodrame ! Quel immense film de cinéma, pont idéal entre âge d'or et désenchantement. Pour rêver sans perdre de vue le réel, pour être heureux et triste à la fois. Immense film.

 

2

Song to Song

Autre film avec Ryan Gosling, autre film musical, autre chef-d'oeuvre, quelle coincidence ! Un Terrence Malick sublime (pléonasme), son plus beau film depuis The Tree of Life, le plus accessible en tout cas. Oscillant entre scènes magiques (oh Lykke Li !) et scènes bouleversantes (des âmes perdues jusqu'au bout de l'horizon), Song to Song est peut-être la conclusion d'une série d'oeuvres autobiographiques qui touchent à l'universel. Et Malick filme les femmes comme personne, rappelons-le.

 

3

Certaines Femmes

Pour ce qui est de filmer les êtres humains (et ici en particulier les femmes) et d'exprimer leur vie intérieure sans jamais surligner, Kelly Richardt n'a pas son pareil. C'est presque un film muet, d'ailleurs ça pourrait être un film muet. Juste avec le bruit de la ville et le murmure de la nature. C'est surtout une leçon de cinéma, d'usage du temps et de l'image. Et, comme toujours, une respiration différente au sein du 7e art, une vision du monde qui fait du bien, même quand elle décrit des âmes en peine.

 

4

Moonlight

Sur le papier c'est le pire film misérabiliste qui soit. Noir, pauvre, homosexuel, mère droguée, père absent dans une banlieue abandonnée de l'Amérique actuelle. On dirait une blague. Que Moonlight soit un film aussi délicat, subtil et intelligent est un tour de force, un cas d'école.

 

5

Okja

Le merveilleux Bong Joon-Ho signe une sorte de Miyazaki particulièrement énervé. En soi, donc, un pamphlet panthéiste, un cri du coeur écologiste en forme d'hommage aux meilleurs Spielberg (et assimilés). Ainsi qu'une suite cauchemardesque à Babe (enfin presque plus cruelle que Babe 2). Parsemé d'éclairs de violence et d'humour grotesque, Okja porte la patte inimitable de son réalisateur.

 

6

American Honey

Andrea Arnold scrute l'Amérique d'en bas, des jeunes, des pauvres, des marginaux. Un nouveau voyage sensoriel et étrange qui essaie de réenchanter une société brisée. C'est très triste, c'est débordant de vie, c'est magnifique.

 

7

Your Name

Un blockbuster d'animation japonaise mené tambour battant qui est avant tout un formidable mélo. De la romance, du rire, des larmes, avec en toile de fond de la science-fiction poétique. On se laisse prendre au jeu jusqu'à la dernière seconde.

 

8

Get Out

Une petite série B horrifique transcendée par son sous-texte social. En inversant bon nombre de postulats classiques, Get Out ne fait pas vraiment dans la subtilité, mais c'est très efficace. On tremble pour le noir pris au piège de l'inquiétante normalité des classes dominantes. Malin et doté de quelques scènes de suspens bien menées ainsi que d'un final cathartique assez jouissif.

 

9

Lego Batman

Superbe hommage à la mythologie Batman qui résume à fond la caisse 80 ans d'aventures du Dark Knight. Un gag à la seconde, minimum, ça va vite, de plus en plus vite, l'univers fourmille de détails, de références, d'idées. C'est d'une drôlerie infinie, d'une énergie quasi épuisante et aussi très attachant.

 

10

Nocturnal Animals

Un film mal aimable, une oeuvre sur le malaise. Méchante(s) histoire(s), étrange récit de vengeance par fiction interposée dans lequel Amy Adams est aussi punie que le spectateur. La noirceur est absolue, renforcée par l'esthétique très soignée et l'interprétation intense. Pas évident à conseiller, vous risquez de m'en vouloir après.

 


 

Télévision

 

1

Twin Peaks - Saison 3

Forcément. Nous ne sommes qu'à mi-chemin et il n'est déjà pas du tout absurde de considérer cette saison 3 inespérée comme l'oeuvre somme de David Lynch. Celle qui résume toute sa carrière, de ses premiers dessins à ses derniers films, en passant par les courts-métrages et les peintures torturées. Une manière unique de concevoir la télévision, l'art, le monde qui nous entoure. A revoir à l'infini, à ressentir et à analyser. C'est bouleversant, sublime, différent. Toute oeuvre devrait prendre modèle sur Twin Peaks, tout devrait être aussi personnel, sans soucis des codes et des attentes.

 

2

The Handmaid's Tale - Saison 1

Le futur, que nous réserve-t-il ? Des lendemains qui déchantent selon la nouvelle série la plus emblématique de 2017. Récit d'anticipation hardcore, succession d'abominables scènes d'humiliation, The Handmaid's Tale ne fait pas toujours dans la subtilité. Mais pour ce qui est d'être percutant, on peut difficilement surpasser ce récit terrifiant. C'est surtout une histoire de résistance, un modèle pour nos temps troublés. En espérant n'avoir jamais à lutter à ce point contre l'oppression qui vient...

 

3

Better Call Saul - Saison 3

La série la plus classe de la télévision actuelle ? Mais oui, Better Call Saul, bien sûr. Plus discrète mais aussi plus élégante que Breaking Bad, c'est un sommet d'écriture, d'interprétation et de mise en scène. Chaque épisode se dégustant avec un plaisir inégalable.

 

4

Doctor Who - Saison 10

Arrivé à autant de saison de Doctor Who, c'est sans doute normal que l'enthousiasme soit moins fort qu'il y a encore quelques années. En plus il y a eu un ras-le-bol envers Steven Moffat, qui, il est vrai, a eu ses hauts et ses bas en tant que showrunner du Docteur. Mais il a gardé le meilleur pour la fin. Après les excellentes saisons 8 et 9, la dixième est un feu d'artifices. Le meilleur compagnon depuis Donna, un Peter Capaldi génial, des histoires très réussies (Oxygen !) et un final apocalyptique, surprenant de noirceur. Reste l'épisode de Noël pour tirer sa révérence, mais on est déjà au meilleur du Who (sans parler que la prochaine saison promet son lot de changements enthousiasmants...)

 

5

GLOW - Saison 1

Une série sur le catch féminin des années 80. Par l'équipe de Orange is the New Black et avec la merveilleuse Alison Brie qui se donne corps et âmes dans le rôle de sa vie (pour l'instant). C'est drôle, triste, exaltant et très fin contre toute attente. Seul problème : une saison 1 trop courte qui laisse sur sa faim. Vivement la suite.

 

6

Crazy Ex-Girlfriend - Saison 2

Comédie romantique et drame psychologique ont encore fait bon ménage dans la saison 2 de Crazy Ex-Girlfriend. Avec une ribambelle de chansons à reprendre en choeur (même et surtout quand elles sont très inappropriées).

 

7

Sense8 - Saison 2

Abattue en plein essor, la série des Wachowski était pourtant un symbole pour notre temps. Sa bienveillance, sa générosité, sa manière d'inclure le monde entier dans une vision positive et tendre va terriblement nous manquer.

 

8

Master of None - Saison 2

La série de la génération hipster revient avec une saison 2 supérieure à la première. C'est délicat, drôle, triste, plein de petites touches extrêmement justes. Les épisodes thématiques sont toujours aussi magnifiques.

 

9

The Expanse - Saison 2

Une grande série de SF spatiale, on en manque. Pour ceux qui sont orphelins de Battlestar Galactica, pour ceux qui n'en peuvent plus d'attendre la prochaine saga Star Trek, c'est le nouveau port d'attache. Tous les éléments essentiels sont là (il y a même des intrigues politiques), avec un visuel vraiment impressionnant fort d'effets spéciaux bluffants.

 

10

Unbreakable Kimmy Schmidt - Saison 3

La feel good sitcom de l'époque, tellement drôle, tellement mordante, jouant sur une gamme sans cesse étendue de registres. Du burlesque le plus pouêt-pouêt à l'ironie la plus féroce en passant par une tendresse bien réelle, Kimmy Schmidt c'est le meilleur de l'humour actuel. Avec une mention spéciale à Brooklyn Nine-Nine, dont la saison 4 est aussi un indispensable de ce début 2017.

 

11

Legion - Saison 1

On applaudit surtout la forme. Parce qu'au fond, cela ne raconte rien de très nouveau pour une série Marvel. Origines, antagonistes, scènes attendues, on est dans le terrain connu. Mais la manière d'enluminer le récit est suffisament audacieuse pour intriguer, pour accrocher, pour impressionner parfois.

 


 

Certaines Femmes

de Kelly Reichardt

Le cinéma de Kelly Reichardt me fait du bien. Je l’expliquais déjà il y a dix ans lorsque j’évoquais le bouleversant Old Joy. Depuis, de Wendy et Lucy à Night Moves, en passant par le chef-d’œuvre La Dernière Piste, la réalisatrice n’a cessé de dérouler son style unique. Au milieu de tant d’œuvres en tout genre qui surligne et « surdramatise », le cinéma de Reichardt est une bouffée d’air frais, l’impression de prendre une grande respiration. Son sens du non-dit, du hors-champ, touche au génie. Au lieu de tenir la main du spectateur, elle laisse une liberté quasi-totale à l’interprétation, à l’imagination, au ressenti. Point de manichéisme, encore moins de résolution, tout chez Reichardt est à la fois réaliste et étrange, anodin et poétique, minimal et mystérieux. Loin d’être vide ou creux, ce cinéma est au contraire éminemment engagé, politique, philosophique.

Certaines Femmes en est une nouvelle preuve, avec ces trois histoires de femmes, de solitudes et de déchirures sociales. Toujours en esquisses, où chaque plan et chaque réplique contiennent davantage que les grands bavardages des drames lacrymaux qui en font trop. Et quelle beauté ! Quel talent pour filmer les êtres et les paysages, malgré la détresse, malgré la rudesse. C’est d’une délicatesse infinie, d’une justesse totale. Et bizarre, inhabituel, propre à diviser les spectateurs. Kelly Reichardt ne fait pas l’unanimité, beaucoup déteste, s’ennuie, ne comprenne pas. Comme avec Terrence Malick, il y a une forme de déclic, une sensibilité qui se met à l’œuvre. Une fois qu’on a « vu » le cinéma de Kelly Reichardt, qu’on l’a ressenti, tout devient évident. C’est une des plus grandes cinéastes de notre époque, chacun de ses films est un nouveau trésor.

 


 

La La Land

de Damien Chazelle

Il y a des films dont on sait très bien pourquoi on les aime : pour la mise en scène, pour l’histoire, pour les comédiens, pour la musique… La La Land fait partie de ces films. Il y aussi des films dont on ne sait pas très bien pourquoi on les aime autant, pourquoi ils nous touchent à ce point, au-delà de toute tentative d’analyse. La La Land fait aussi partie de ces films. C’est un mélodrame musical, gorgé d’hommages et néanmoins unique, une œuvre qui semble familière et qui pourtant ne ressemble à aucune autre. Attention, les paragraphes qui suivent contiennent des éloges.

Que serait un film musical sans sa musique ? A ce niveau, John Hurwitz a composé des thèmes qui s’imposent en tant que nouveaux classiques. A l’image du film dans son ensemble, la musique peut passer de la joie extatique à la tristesse la plus déchirante, parfois d’une seconde à l’autre comme le prouve le phénoménal « Epilogue » qui reprend tous les thèmes principaux et offre leur quintessence en l’espace de 7 minutes. Le duo de comédiens principaux est tout aussi impeccable, même si la vraie révélation est Emma Stone qu’on n’imaginait pas atteindre un tel niveau d’intensité. Et puis il y a la mise en scène de Damien Chazelle qui confirme, et de quelle manière, qu’il est un jeune prodige. Il devra sans doute subir de nombreux retours de bâton au fil d’une carrière qu’on lui souhaite fort longue et prolifique. Mais peu importe demain, quand son La La Land est à savourer ici et maintenant et impérativement sur grand écran ; en particulier pour son utilisation folle du cinemascope, de la couleur et de toute la grammaire du cinéma. Bref de tout ce qui peut faire dire qu’il s’agit d’un « vrai film de cinéma. »

Bien sûr, contrairement à ce qu’affirme l’idiote et agressive campagne promotionnelle française, on peut ne pas aimer La La Land. Déjà parce qu’il y a parmi nous des gens qui n’aiment pas les films musicaux. Je ne vais pas les juger, ils forment un groupe mystérieux que j’étudie depuis bien des années avec une incompréhension mêlée de curiosité et d’empathie. Pour les encourager, il faudra préciser que les passages chantés et/ou dansés ne sont pas si nombreux dans La La Land et ils sont tous relativement courts (en comparaison avec les numéros des grands classiques du genre). Ensuite, suivant sa sensibilité et son degré de regard critique, on pourra toujours chicaner ici ou là. Parce qu’on trouvera que telle référence est trop appuyée, parce qu’untel ou unetelle en fait trop ou pas assez, parce que l’histoire est trop ceci ou pas assez cela. C’est le propre de toutes les œuvres d’art, aucune ne faisant l’unanimité. La La Land entre dans la catégorie des films qui s’approchent de cette unanimité, mais il est plutôt rassurant qu’elle engendre aussi scepticisme et recul critique.

Le dernier quart d’heure est un crève-cœur construit avec une telle finesse dans le mélodramatique qu’il nous laisse dévasté. La La Land atteint cet équilibre parfait entre la joie et la mélancolie. C’est cet aspect de divertissement total qui explique en partie pourquoi le film hante longtemps après sa conclusion. C’est un cas exceptionnel d’une œuvre qui, non seulement subjugue sur l’instant, mais ne cesse de grandir dans les jours qui suivent. Pour ma part, il faut probablement remonter à The Tree of Life pour retrouver un tel ressenti. Alors ne me demandez pas de vous expliquer en détails le pourquoi d’une telle passion, je ne connais pas moi-même lesdits détails. Conserver cette part d’inexplicable fait aussi partie du charme délicat de ce nouveau classique du 7e art.

La La Land regarde vers le passé et lui rend hommage avec un déploiement de talent rare. Mais c’est aussi un film de son temps, dont la noirceur sous-jacente et la subtile critique des valeurs actuelles le rendent extrêmement moderne. Il n’y a ici rien de régressif ou de passéiste, ou alors il faut faire partie de ceux qui aiment à traiter un Jacques Tati de régressif et de passéiste. Relire l’imaginaire de l’âge d’or pour évoquer le temps qui passe et la perte, c’est évidemment brillant. Transcender les références, prendre une trame familière pour la raconter de manière unique, La La Land réussit tout cela.

Renversant, de son incroyable séquence d’ouverture jusqu’à son épilogue qui entre de plein droit dans les séquences les plus émouvantes de l’histoire du cinéma, La La Land est une œuvre à la fois monumentale et intime. L’occasion de se rappeler combien des films de cette trempe nous manquent et aussi qu’il est peut-être mieux qu’ils demeurent si rares. Plus on croit avoir « tout vu », plus on pense qu’avec l’âge on ne pourra plus revivre les émotions que l’on ressentait en découvrant les classiques du cinéma ; plus on est surpris, chaviré, heureux, de retrouver ces émotions, intactes, et même encore plus fortes que dans notre souvenir.

J’arrive au moment où il serait quand même un peu temps de conclure. C’est le moment où il est difficile de ne pas écrire des lignes qui seront jugées excessives, voire même involontairement provocatrices, ce moment où les clichés critiques se bousculent aux portes du clavier. Vous savez, du genre : « attention, ce film risque de changer votre vie » ou « attention, ce La La Land risque de devenir votre film favori ». C’est problématique, parce que c’est vrai. Et il est important de dire la vérité : attention, La La Land risque de changer votre vie.

 

 
 
 
 
 
 
 
 
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