Le père de la Nouvelle Chair œuvre dans un Fantastique psychanalytique, organique et souvent visionnaire. Entre froideur et humour, ses œuvres s'apprécient grâce à leur force hors du commun et à leur portée philosophique et les films de David Cronenberg deviennent rapidement cultes. Créateur de génie, parfois dépassé par son désir d'esthétisme malsain, ce canadien surdoué a délivré une filmographie quasi parfaite.

        David Cronenberg a débuté comme metteur en scène à la fin des années 60 par des courts-métrages. Puis il travaille quelques années pour la télévision canadienne. Après des études de lettres inachevée, Cronenberg poursuivra néanmoins durant toute sa carrière les obsessions d'un chirurgien manqué, étudiant les effets possibles du psychique sur le physique, inventant des sexualités tourmentées sur tous les endroits du corps humains, manipulant l'organique jusqu'à inventer la "nouvelle chair" dans Videodrome, l'un de ses plus grands chefs-d'œuvre. Maltraité par la critique à presque chacun de ses films, Cronenberg s'amuse (pour preuve encore son passage épique en président du jury du festival de Cannes 1999). Ami d'Atom Egoyan, Cronenberg partage avec lui le goût des histoires complexes et inachevées qui donnent au spectateur tout loisir pour réfléchir sur la portée souvent immense de ces images ciselées et magiques. De plus, David Cronenberg aime à apparaître en tant qu'acteur dans des rôles souvent hilarants et/ou déjantés, de mettre en scène des bidules en parfait décalage avec ses œuvres habituelles (un épisode de la série Vendredi 13, des pubs pour Nike), nouvelles preuves de son immense humour trop souvent oublié.


Frissons

(1975)

C'est un étonnant premier film. Tout d'abord parce qu'il comporte un budget assez conséquent (surtout pour un film canadien). Ceci peut être expliqué par le fait que c'est loin d'être la première œuvre de Cronenberg, qui possède alors déjà une certaine carrière de metteur en scène underground. Frissons étonne aussi par son audace, le film va très très loin et comme tous les Cronenberg il s'avère très prophétique car il parle du SIDA avec presque 10 ans d'avance. On peut y voir une simple série B d'épouvante un peu gore et un peu perverse (très perverse, bon, d'accord), mais c'est bien plus que cela. C'est déjà un grand film, très impressionnant et vraiment très beau par instant (en particulier l'avant-dernière séquence). Barbara Steele, grande star du genre, est toujours aussi magnifique et l'ensemble est dérangeant et pas du tout ennuyeux.


Rage

(1976)

C'est un prolongement de Frissons. Porté par la présence troublante et parfois hallucinante de Marilyn Chambers (célèbre star du X), Rage est encore une série B gore qui transcende son statut en visant une nouvelle fois au-dessous de la ceinture. Le mal se transmet par le sexe, le mal se transmet par l'organique, toute l'oeuvre de Cronenberg est déjà contenue dans ses deux premiers films. Rage n'est pas une œuvre mineure, c'est une folie excessive et enthousiasmante.


Fast Company

(1979)

Un film inédit en France où Cronenberg s'attarde longuement sur l'une de ses principales passions : les voitures. Crash, 20 ans avant.


Chromosome 3

(1979)

Avec The Brood, Cronenberg poursuit son exploration des terreurs organiques et décrit sa première histoire de modification biologique par action du mental. Si le début du film est souvent laborieux et échoue dans la création d'un suspens palpitant. La fin de Chromosome 3 fait partie des instants les plus puissants de la filmographie de son auteur. Samantha Eggar et son vagin externe, ces nains mutants terrifiants, une nouvelle fois la série B (voire Z) se transforme en œuvre fascinante.


Scanners

(1980)

Cronenberg poursuit dans la veine de The Brood est délivre un film très inégal, parfois laborieux, souvent passionnant, pas toujours maîtrisé. Les pouvoirs de l'esprit sont poussés à leur paroxysme dans cette histoire de pure science-fiction dominée par des acteurs cabotins ou inexpressifs au possible (les comédiens de Cronenberg sont souvent ainsi). Là encore le final donne tout son impact au film.


Videodrome

(1982)

Le premier chef-d'oeuvre de David Cronenberg. Laminé par presque tous les critiques de l'époque (qui font du révisionnisme en ce moment) et ignoré par le public, Videodrome est un film primordial de cette fin de siècle. Violent, organique, illuminé, prophétique, dingue, Videodrome impressionne dans le moindre de ces moments. Une oeuvre qui carbure au rythme d'un concept génial toutes les 30 secondes et qui ne semble jamais pouvoir atteindre ses limites. James Woods y trouve l'un de ses meilleurs rôles et Debbie Harry y gagne ses galons d'actrice fantastique (dans tous les sens du terme). Une œuvre fascinante qui signe la fusion absolue entre machines, esprits et corps dans un délire psycho-biologique qui trouvera le nom de Nouvelle Chair. Les humains deviennent des magnétoscopes, les télévisions apportent une nouvelle sexualité terrifiante, les armes fusionnent avec les êtres, la vie réelle n'est plus que le reflet du tube cathodique, Eros et Thanatos perdent les pédales. Un film fou, excessif, quasi surréaliste, en avance de 30 ans (si ce n'est plus) sur son temps, culte et toujours pas redécouvert à sa juste valeur. Le meilleur film de Cronenberg aux côtés de Faux-Semblants et par la même occasion l'un des plus importants et marquants de l'histoire du cinéma.


The Dead Zone

(1983)

C'est une antithèse de Videodrome à première vue, c'en est une continuation en fait. Cronenberg adapte l'un des meilleurs romans de Stephen King. Ici, pour une fois, c'est la fin (moins forte que celle du livre) qui pêche. Mais l'interprétation hallucinante de Christopher Walken, la beauté des images, l'impact du drame psychologique, si rare dans les productions de ce type, et quelques scènes chocs font de Dead Zone un film un poil surestimé mais qui a tout d'un mini classique.


La Mouche

(1986)

Le plus célèbre film de David Cronenberg et aussi son plus grand succès public. C'est un mélodrame fantastique, comme Dead Zone, mais au lieu de s'intéresser aux mutations de l'esprit, Cronenberg se préoccupe ici tout d'abord des très impressionnantes mutations physiques de son héros. Comme Carpenter avec The Thing, Cronenberg fait de son film-remake une débauche d'effets spéciaux organiques qui n'excluent pourtant jamais la portée psychologique de l'ensemble. C'est parfois très éprouvant pour un film soit-disant commercial. Certes la fin est assez mélodramatique mais on est loin de Titanic quand même. Une merveille, reconnue et appréciée à sa juste valeur par la majorité des cinéphiles.


Faux-Semblants

(1988)

Peut-être le chef-d'oeuvre du David Cronenberg psychologue et chirurgien raté. C'est aussi l'un des plus grands films d'horreur pure de l'histoire du cinéma. Tous les spectateurs se souviennent (ou essaient d'oublier) avec effroi les moments traumatisants de ce monument cinématographique. Portée par la musique phénoménale du fidèle Howard Shore, c'est une descente aux enfers froide comme un miroir gelé et tranchante comme un rasoir. Jeremy Irons y trouve son meilleur (double) rôle. Ce n'est pas du Fantastique, c'est finalement l'un des plus éprouvants drame psychologique du cinéma. Un amour fou à trois qui transcende toutes les frontières physiques ou spirituelles, une histoire de frère siamois unis par leur âme qui tentent en vain de pratiquer une séparation impossible, c'est le plus bouleversant des films de Cronenberg. Entre émotion pure et froideur exacerbée, Cronenberg venait de trouver la dialectique miraculeuse entre ses œuvres passées et à venir. Le pendant purement cérébral de Videodrome.


Le Festin Nu

(1991)

Adapter Burroughs au cinéma tient de la folie pure. Cela tombait bien, Cronenberg est dingue, dingue juste ce qu'il faut pour tirer un film regardable du monstrueux Festin Nu. Dans un délire organique, drogué et éprouvant, pas très éloigné de celui de Videodrome, Cronenberg prend l'excuse de remonter aux origines de la création littéraire pour se plonger comme à son habitude dans un méandre de mutations sexuelles délirantes. Visuellement c'est admirable, parfois c'est presque épuisant, mais encore une fois la fin parachève la réussite de l'ensemble. Grandiose.


M. Butterfly

(1993)

Un drame intimiste, qui donne une nouvelle fois l'occasion à Irons d'oeuvrer dans des tourments inimaginables. Nouvelle fable de sexualité décalée, M. Butterfly est une œuvre sous-estimée qui crée un pont étrange entre Dead Zone et Dead Ringers.


Crash

(1996)

Une nouvelle fois nous ne sommes pas loin du chef-d'oeuvre. Cronenberg se noie dans l'esthétisme glacé. C'est un enchaînement de séquences parfois magnifiques (l'accident que l'on visite en touristes, comme dans un rêve) et souvent à la limite du ridicule (des scènes de sexe délirantes portées par des acteurs jouant comme des tanches). En poussant au maximum l'expérimentation, en cherchant au maximum à rendre son film antipathique, Cronenberg atteint son objectif. Crash est un film figé et coupant, qui, suivant les spectateurs, peut être considéré comme un sommet ou comme un ratage. Polémique dès l'époque de sa sortie, l'oeuvre demeure un sujet de débats sans fin. Tant mieux.


eXistenZ

(1999)

Cronenberg revient à la pure série B et signe un de ses films les plus prophétiques. Et oui, un jour l'humanité se noiera dans le virtuel. eXistenZ a reçu une volée de bois vert de la part des critiques (les mêmes qui conchiaient Videodrome il y a peu) et c'est assez amusant. Un futur petit classique qui brille d'humour, de délire visuel et d'intelligence.


Spider

(2002)


A History of Violence

(2004)

Après avoir failli se perdre dans l'auto-parodie, Cronenberg s'offre une nouvelle vie avec ce film tout en... faux-semblants. Il trouve avec Viggo Mortensen un acteur fétiche à sa mesure et parsème son oeuvre d'incongruités. Le polar psychologique à l'ancienne devient une révolution du film noir. A la fois divertissement évident et piège pour la réflexion.


Les Promesses de l'Ombre

(2007)

        Spécialiste du cinéma sarcastique, le grand David livre avec ses Promesses un ravissant best of. Bouffonnerie, humour à froid ou noir, décalage, burlesque, tout y passe. Viggo Mortensen brille dans la caricature, Vincent Cassell est idéalement clownesque et Naomi Watts regarde tout cela avec ses grands yeux incrédules. « Mais qu’est-ce que c’est que ce cirque ? », semble-t-elle nous dire. Quand Cronenberg pirate un genre, ça laisse des traces. Ici ce sont des tatouages, amoureusement filmés dans un homoérotisme bien connu chez le Canadien. Fantasme SM, le beau Viggo va jusqu’au bout du trip lors d’une bagarre gore qui redonne au terme anthologique ses lettres de noblesse. Tout le meilleur de Cronenberg est là, dans une mise en scène sublime. Le résumé est à la fois bien présentable et totalement cradingue et grotesque. Respectable, le vieux ? Jamais !


A Dangerous Method

(2011)


Cosmopolis

(2012)

Le monde comme chaos organisé. Comme chaos mathématisé, chronométré, bien coiffé et bien habillé.  Entièrement symbolisé par une Limousine hi-tech dans laquelle circulent les spectres du capitalisme. Absurdité d’un monde qui se croit à l’abri de lui-même. A l’abri de son chaos originel. Dans le confort d’une matrice protectrice où tout serait sous contrôle : les possessions, les désirs, les sentiments, le corps lui-même. Mais nous sommes chez David Cronenberg et rien n’arrête les névroses et le triomphe de la Chair.

Scène après scène, le magnat incarné par le propret Robert Pattinson se décompose. Le monde reprend tous ses droits au ridicule et à la sauvagerie. Théorisée, commentée, synthétisée, entre slogans et digressions, l’existence perd son sens. Le discours, véritable moteur de cette odyssée, est réduit à l’état de coquille vide. Dialogues de sourds où les phrases se percutent, particules élémentaires parfaitement imperméables les unes aux autres. C’est une quête, c’est un abandon, c’est une perdition.

La mise en scène si géométrique de Cronenberg se laisse contaminer par le désordre des mots de Don DeLillo. Les champs / contre-champs se décalent peu à peu, jamais deux fois au même angle. Les plans fixes se laissent débordés par les détails, puis carrément par le torrent du consumérisme réduit à des piles d’écrans obsolètes entassés dans un appartement dépotoir. La musique d’Howard Shore habille l’espace d’une étrange menace. Cosmopolis c’est Videodrome 2012, la technologie a triomphé et réduit en miette une civilisation entière. On espérait être sauvé par le capitalisme et on se retrouve avec une bête agonisante et suicidaire, dévorée par son propre échec.

Grotesque et glaçant, Cosmopolis déroule son Ulysse miniature, son Joyce contrit et maladif. Echos technologiques, résonnances et informations en flux continus et abscons, tout n’est que cacophonie. Une cacophonie feutrée, insonorisée entre quelques panneaux de liège et des vitres blindées. Mais au final, la prostate est asymétrique. Les symboles de virilité dévoilent leurs imperfections et l’homme est réduit à sa finitude. L’illusion du contrôle a vécu. Il ne reste que la certitude de la mort.

 
 
 
 
 
 
 
 
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