Et voilà, un Noël de plus sur The Web's Worst Page. L'occasion, à nouveau, de remercier les irréductibles qui lisent encore le site. Je remercie, évidemment, tout particulièrement, les deux lecteurs qui ont fait de très beaux dons en cette fin d'année (pour un total de 50 €, ce qui représente un peu plus de la moitié de l'hébergement annuel du site). J'en ferais donc bon usage pour voguer vers l'horizon des 25 ans. Allez, disons même des 30 ans, soyons fous.

Sinon, le classement de mes films préférés de 2018. Comment vous expliquer ? Au fil de l'année, j'ai réfléchi à bien des solutions. Pas de top de fin d'année, voilà, la grève, pour bien faire entendre la déception. Un top 1. Avec un film même pas sorti en 2018. De vagues mentions, pas plus. Mettre plein de films pas sortis en 2018... Certes, cela s'est un peu arrangé en fin d'année, dans la dernière ligne droite. Vous avez donc échappé au pire.

Des films sympathiques, et même une poignée d'excellents films, j'en ai vus. Je vais les citer ci-dessous. De très mauvais films, j'en ai vus aussi, on va essayer de les passer sous silence. De vraies déceptions, des trucs qui te fendent le cœur parce qu'en général tu aimes bien ceux qui les ont faits. J'en ai vus plein, plein, plein. C'est l'hécatombe. De quoi faire un top 10 de grands films que je peux vous conseiller de voir absolument ? C'était jouable, de justesse, mais finalement on va changer les habitudes.

Donc, vous pourrez estimer que je cède à la mode du troll, que ça y est j'ai dépassé mon seuil de vieux snob, mais c'est ainsi. On va quand même faire une sorte de bilan, parce que j'ai envie de vous donner envie de voir des films que j'ai beaucoup aimés en 2018. Et tant pis, s'ils sont sortis avant, après, on ne sait plus, de toute façon la chronologie des médias et toute cette foire, c'est le passé.

Pour prévenir, oui, il y a un certain nombre de films susceptibles, a priori, de beaucoup me plaire que je n'ai pas encore vus au moment de boucler ce classement. Peut-être que je vais en reparler en 2019. Pour citer quelques titres, j'espère de belles choses de Une Affaire de Famille de Kore-Eda, Le Poirier Sauvage de Ceylan, Heureux comme Lazarro d'Alice Rohrwacher, Leto de Kirill Serebrennikov ou bien encore Widows de Steve McQueen.

 


Avant tout et pour vous éviter de m'écrire pour rien, oui j'ai vu plein de choses que vous avez été nombreux à aimer. Dans le lot, il y a des trucs hyper esthétiques et sympas que j'ai plus ou moins revus à la baisse au fil des mois (comme Phantom Thread, le joli exercice de style respirant poliment la vacuité d'un grand réalisateur qui nous a habitué à tellement mieux ; Hold The Dark, qui ne raconte vraiment pas grand-chose mais avec une avalanche d'effets ; ou bien encore Mandy, un revenge movie psychédélique mille fois trop long pour son propre bien). Il y a aussi des œuvres que je considère comme de petites choses mineures et aisément oubliables au mieux, voir comme plutôt ratées dans les grandes largeurs (coucou Ready Player One, hello La Forme de l'Eau). Aucun intérêt aussi chez les "sensations" du cinéma d'horreur mainstream pour ados qui n'ont jamais rien vu dans leur courte existence (A Quiet Place, La Nonne, Hérédité...). Sans parler des machins ni faits ni à faire que je me suis infligés par un devoir et une abnégation qui doivent forcer votre respect (l'abominable Mektoub My Love, l'inénarrable Les Garçons Sauvages, l'affligeant Crazy Rich Asians). Voilà, une fois cela éliminé, on peut passer à ce qui fait plaisir.


 

Les blockbusters

Disney commet des crimes cinématographiques à répétition, mais l'usine sait aussi ouvrager des choses correctes. On y comptera cette année, Les Indestructibles 2, décalque divertissant, mais très oubliable, du premier film. On s'en contentera. J'ajoute aussi Solo, éreinté par une partie de la critique et du public, alors qu'il s'agit probablement du film Star Wars le plus réussi depuis Le Retour du Jedi. Allez comprendre. Et, bon, une tendresse coupable pour Christopher Robin qui nous refait le coup de Hook dans l'univers de Winnie l'Ourson. C'est sans génie, mais le matériau de base est si intelligent et attendrissant qu'il colore le film pour un résultat gentiment philosophique.

Côté film musical, j'ai dit tout le mal que je pense de The Greatest Showman, un des plus mauvais films que j'ai pu subir en 20 ans. Par contre, j'ai aussi une affection problématique pour le deuxième Mamma Mia, porté par une bonne humeur toujours contagieuse, quelques moments d'émotion improbables et les chansons d'Abba qui sont évidemment réjouissantes. Même si on commence à piocher dans les faces B et les redites, ça ira pour cette fois.

Le film est globalement nul, mais j'avoue avoir pris un plaisir coupable aux scènes d'action débiles de Mission Impossible 6. On est bien peu de choses.

C'est aussi un blockbuster en son genre, impossible de ne pas citer le troisième volet de la saga Detective Dee de Tsui Hark. C'est le plus faible de la trilogie, mais ça reste un moment souvent foufou et virtuose.

 


 

Les documentaires

Won't You Be My Neighbor?, pour le portrait d'un homme bien, qui fait chaud au cœur. Le film en lui-même n'a aucun intérêt cinématographique, malheureusement, c'est raconté avec la platitude parfois lourdingue d'un docu américain de base.

Three Identical Strangers, une histoire incroyable, une vérité qui explose la fiction et un suspens à couper au couteau autour de questions existentielles bouleversantes. Qui de la nature ou de la culture va gagner à la fin ?

 


 

Les mentions spéciales

On termine par une petite sélection de films que je vous encourage vivement de voir, si ce n'est déjà fait, et qui me semble mériter de rester dans les souvenirs de 2018.

 

Thunder Road

Pour la performance du comédien, réalisateur, auteur, qui donne tout.

 

Outlaw King

Du film moyen-âgeux à l'ancienne, quelque part entre Braveheart et Le 13e Guerrier. Rien de révolutionnaire (à part dans l'histoire racontée) mais c'est très efficace et sacrément bien mis en scène.

 

Last Flag Flying

Pour les comédiens, bien sûr, et pour l'humanisme de Linklater.

 

The Rider

Pour la justesse des portraits, pour les scènes d'émotion percutantes.

 

One Cut of the Dead

Parce que c'est le feel good movie de 2018 (on me dit que ça sortira peut-être en France en 2019, probablement directement en VOD ou un truc dans le genre). Parce que c'est hilarant, très malin et fait avec trois bouts de ficelle et une tonne d'énergie.

 

Sorry To Bother You

Pour la critique sociale mal polie, pour la folie furieuse qui bouffe le film peu à peu.

 

Eighth Grade

Pour le réalisme qui pique, pour la performance de la jeune actrice, pour l'émotion discrète.

 

I, Tonya

Pour le fun, pour l'histoire, pour la comédienne, pour le côté un peu rock, presque punk.

 

Annihilation

Pour l'ambiance, pour la musique géniale, pour les visions hallucinées.

 

The Endless

Pour l'originalité, pour la force de l'histoire, parce que c'est le meilleur film fantastique de 2018, bricolé mais avec une tonne d'idées.

 

Roma

Parce que c'est une chronique sociale sophistiquée, avec une mise en scène admirable qui n'en fait finalement pas trop. Un film politique et humain.

 

First Man

Parce que c'est un blockbuster d'auteur d'une grande finesse, presque austère, parsemé de scènes spectaculaires à hauteur d'homme très impressionnantes. Parce que c'est encore un très grand film de la part de Damien Chazelle.

 

The Night is Short, Walk On Girl

Pour tout, pour l'émerveillement permanent, la folie, l'humour, les torrents d'émotions.

 


 

La mention Sono Sion

Trois films datant de 2015. On se demande comment ce stakhanoviste de Sono Sion parvient à tourner autant de bonnes choses à la vitesse de la lumière (il semble avoir un peu levé le pied, ceci dit). Cette année, j'ai commencé à rattraper un peu de retard et je retiens surtout trois de ses oeuvres récentes.

 

Love and Peace

Une bonne romance musicale, doublée d'un joli film de monstre géant, triplée d'un excellent film de Noël. Oui, oui, oui. Tous les films devraient être aussi fous.

 

Tag

Sono Sion cinéaste misogyne, complaisant avec la violence envers les femmes ? L'accusation peut étonner quand on connaît bien l'œuvre du réalisateur, mais elle a le droit d'être posée. En réponse, il y a Tag, un film de SF d'une rare force, qui explose en 1h20 le pataud Ready Player One de Spielberg (désolé d'en remettre une couche).

Le réalisateur adore les jeunes qui courent, c'est sa figure de style fétiche. Des jeunes qui courent pour échapper au monde, aux carcans sociaux, à la violence, au déterminisme. Des jeunes qui courent pour inventer leur vie. Ici, c'est le point limite de ce thème. L'héroïne ne cesse de tenter de s'échapper. Mais à quoi au juste ? Derrière l'accumulation de clichés du cinéma et des jeux vidéo, c'est une critique formidable de la société du divertissement qui se dessine. Et puis quel souffle !

 

The Whispering Star

Alors là, attention, c'est peut-être le meilleur film de Sono Sion, en tout cas mon favori avec Love Exposure. C'est un rêve de cinéma, la réconciliation entre le 2001 de Kubrick et le Solaris de Tarkovski, avec une touche d'androïde rêvant de moutons électriques.

Déjà, ce n'est pas rien, c'est une splendeur formelle, avec un noir et blanc aux contrastes magiques. Ensuite, il y a un sens du détail (visuel et sonore) qui émerveille, il y a davantage d'idées dans une minute de The Whispering Star que dans trois blockbusters hollywoodiens de deux heures.

Essentiellement, c'est un requiem, un peu en avance, pour l'humanité. C'est nostalgique et poétique, cocasse et triste. C'est un huis-clos minimaliste ponctué par de formidables visions des vestiges des alentours de Fukushima. Cela fait rire (un peu), cela peut faire pleurer (mais sans aucun pathos). C'est subtil, délicat même. Il y a ici de grandes pages sur la solitude, la disparition, le sens qu'on donne à notre existence, notre place dans l'univers, notre place aux côtés des autres.

Les images inoubliables s'enchaînent. Fidèle à son titre anglais, le film est entièrement chuchoté. Tout y est étrange, presque apaisant, comme transmis d'une autre réalité, d'un futur à la fois probable et improbable. Chaque instant dégage une poésie infinie. Au final c'est sidérant, mais sans jamais donner l'impression d'en faire trop. Cela fait tellement de bien.

The Whispering Star est le meilleur film récent que j'ai pu découvrir en 2018. De loin. A des années lumières des autres. C'est, et vous allez rigoler car j'ai l'habitude d'employer le terme à tort et de travers, c'est un chef-d’œuvre.

 


 

Et le meilleur film de 2018 est :

The Tree of Life (version 2018)

Forcément.

Alors, cette version longue ne remplace pas la version sortie en 2011. On ne va pas les opposer, comme si l'une devait absolument être "meilleure" que l'autre. Elles sont différentes, complémentaires. La version 2018 est plus explicite, plus accessible, même si sa durée n'encouragera certainement pas les réfractaires à redonner sa chance au film. C'est dommage. Surtout si on estime ne pas avoir compris ce que Terrence Malick voulait raconter. A présent c'est plus clair, peut-être même trop. Il y a davantage de répétitions. Mais il y a aussi d'autres nuances, notamment pour le personnage du père, à la fois plus dur et plus attachant.

L'essentiel est bien sûr toujours là. La création du monde n'a pas bougé d'une image, la fin non plus. Et il y a toujours les scènes les plus belles et les plus justes sur l'enfance et la fin de l'enfance. C'est toujours The Tree of Life, avec 40 minutes de plus. 40 minutes de plus sur un chef-d’œuvre, on en a de la chance, ça permet d'oublier les reste : les films moyens, les films médiocres, les films nuls et même les bons petits films, hop, tous balayés par le torrent Malickien. On en a de la chance, alors.

 


 

 
 
 
 
 
 
 
 
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