Pour comprendre pourquoi j'estime qu'il faudrait dédier quasiment tout un site web à ce film, il faut commencer par le commencement. C'est à dire ma première rencontre avec Muriel. 1994, Muriel's Wedding, petit film australien de P.J. Hogan (aucun rapport avec l'acteur des Crocodile Dundee) fait sensation à Cannes en section parallèle. Le film connaît même un joli petit succès en salles lors de sa sortie quelques mois plus tard. Et finalement c'est bien après tout le monde qu'un soir de mars 1995 (le 20 mars exactement après vérification sur le ticket), que je me décidais à aller voir ce que l'on présentait comme une comédie. Et je m'attendais à un ptit film amusant, sans doute attachant, mais pas impérissable. Et finalement je me suis pris l'une de mes plus grosses claques de cinéphile en plein dans la vue. Au fil des visions je me rends compte que j'aime de plus en plus ce film, que à chaque fois il me bouleverse un peu plus, ce qui est fort rare car bien souvent on finit par se lasser même de ses films favoris quand on commence à les connaître par cœur. Mais pas de Muriel. Ce film, et c'est là toute sa magie, ce film donne envie de vivre. Une alchimie relativement complexe s'y déroule. Non, Muriel n'est pas une comédie, c'est un film inclassable qui passe du rire aux larmes sans maladresse, qui mélange tous les genres en les portant à leur perfection. Muriel décrit la "revanche des médiocres" et c'est un bonheur. Un miracle sur pellicule en quelque sorte.

        Muriel's Wedding est un film triste, sombre, cruel, on y pleure beaucoup plus qu'on y rit, et l'on passe par les tréfonds de la bêtise humaine pour retrouver la lumière dans un final bouleversant. Si si ! C'est bien du Muriel présenté comme une "comédie familiale hilarante" par TF1 Vidéo (qui à sa décharge l'a édité en VO, heureusement !) dont je parle. Bon il faut avouer que parfois la comédie pure se taille la part du lion (il y a des moments de pur burlesque dans Muriel) mais plus de la moitié du film navigue plutôt entre le cynisme et la noirceur. Et c'est en cela que Muriel est un spectacle total qui rompt avec tout ce que l'on a l'habitude de voir au cinéma. En cela plusieurs facteurs sont décisifs.

        Muriel est un film à la fois très kitsch et très beau. Du point de vue esthétique le film est aussi schizophrénique que son scénario. Entre le mauvais goût de certains décors et la qualité hallucinante de la photographie (travail étonnant de Martin McGrath) on est plongé entre réalisme cru et kitsch quasi onirique, et comme son voisin de palier le magnifique Priscilla Queen Of The Desert, Muriel's Wedding se déroule dans une sorte de réalité "déformée" où les époques se mélangent, où les gens naviguent entre le cliché et l'imprévisibilité. Techniquement le film brille d'une certaine perfection malgré un budget pas aussi monumental que cela.

        Les acteurs sont extraordinaires et c'est grâce à eux que Muriel's Wedding atteint sans problème le statut de chef-d'oeuvre. Bien sûr l'incroyable Toni Collette tient la vedette et de loin. Une des meilleures performances d'actrice qu'il m'ait été données d'admirer. On pourrait insister sur la préparation façon De Niro dans Raging Bull du rôle mais ce qui marque le plus dans la composition de Toni Collette c'est la finesse de son jeu au service d'un personnage d'une rare complexité. Au début du film, Muriel est une adolescente attardée particulièrement crétine, au fil du film elle évolue de scène en scène avant de devenir une femme extraordinaire, au final et après avoir réévalué ses rêves et accepté le réel. On a rarement vu personnage aussi émouvant, original et passionnant. Sans doute la meilleure performance d'actrice de l'année 1994. Les seconds rôles sont tout aussi excellents. En particulier Rachel Griffiths, bouleversante dans le rôle de Rhonda et Bill Hunter (LA star masculine en Australie) dans le rôle du père de Muriel, un être humain tel quel, menteur, tricheur, cruel et finalement attachant. Tout le casting de Muriel est d'une justesse étonnante. Le moindre troisième rôle possède une personnalité propre et marquante, admirable.

        La musique fait beaucoup pour le charme unique du film. Abba, Abba, Abba, etc... Du Abba partout ! Enfin pas seulement du Abba, il faut le noter, et bien souvent du Abba remanié, mais du Abba quand même ! Le groupe suédois reste le symbole de la ringardise absolue des années 70, les pantalons à paillettes, les bottes brillantes, les chemises vertes bouffantes, le disco et les boules à facettes. L'Horreur, l'Horreur.... Musicalement, Abba est aussi l'archétype du groupe commercial, mélodies faciles, instrumentations réduites au minimum, marketing gigantesque, etc.... Et ! Et 20 ans plus tard, au détour d'un des plus beaux films du monde, les chansons d'Abba deviennent des moments de magie pure, des instants de grâce, d'émotion. C'est un Dancing Queen symbolisant la solitude, c'est un Waterloo hilarant et libérateur, c'est un Fernando nostalgique au clair de lune, c'est un Dancing Queen symphonique absolument divin qui accompagne les rêves devenus réalité, c'est encore un Dancing Queen avec le potentiomètre à 11 qui achève le film sur la plus fabuleuse envolée de liberté et vie de toute l'histoire du cinéma. En clair, après Muriel on passe ses journées à réécouter toute la discographie d'Abba en boucle, hallucinant ! Le reste de la BO est du même tonneau. The Rubettes avec Sugar Baby Love, le très beau We've Only Just Begun des Carpenters (écrit par Paul Williams ! LE Paul Williams de Phantom Of The Paradise !), le superbe The Tide Is High de Blondie ou encore le merveilleux Happy Together des Turtles. Rien que du Kitsch avec un grand K, du Kitsch comme on l'a-do-re ! Même les quelques incursions dans le domaine de la techno ne dépareillent pas. Et le sommet est bien sûr atteint avec ce Bridal Dancing Queen, version symphonique pleine de chœurs angéliques de la chanson d'Abba, c'est beau comme du Danny Elfman (c'est dire si c'est beau !). Une métamorphose due au talent exemplaire de Peter Best.

        Muriel est bel et bien un plaisir total. Grâce bien évidemment au charisme phénoménal de son personnage principal, on commence par rire au dépend de Muriel, puis on pleure avec elle, on rit avec elle, on vit avec elle. C'est une performance fort rare de réussir à créer un personnage aussi riche et attachant en l'espace d'un film de moins de deux heures. Et P.J. Hogan a réussi, avec un brio incroyable. Il est donc d'autant plus dommage que son second film, mis en scène à Hollywood, My Best Friend's Wedding ne soit qu'une demi-réussite. D'une part parce qu'il reprend un grand nombre de coups de génie de Muriel (la musique kitsch, le mariage, l'amitié, etc...) et d'autre part parce que Julia Roberts n'a vraiment pas le talent et le charme de Toni Collette (et Cameron Diaz en second rôle n'arrange pas vraiment les choses). Vraiment dommage. Et on revoit Muriel avec d'autant plus de plaisir ! Comme un Rocky Horror Picture Show, Muriel est une œuvre qui dynamise, qui redonne un sourire idiot au milieu de la figure, qui fait chanter comme un crétin des tubes antédiluviens, mieux que le Prosac, Muriel est l'un des plus puissants anti-dépresseurs que je connaisse et chose magnifique, on peut l'utiliser sans aucune modération !

        Quand j'évoque ce film ce sont des scènes magiques qui me viennent à l'esprit. Les dialogues entre Muriel et Rhonda, les fou rires de Toni Collette, cette divine séance d'essayage de robes de marié qui aurait pu être grotesque et qui est tout simplement sublime, ce final éblouissant qui est pourtant d'une simplicité incroyable et qui émeut jusqu'aux larmes... Et "l'effet Muriel" n'est pas près de me quitter et pendant encore fort longtemps il me suffira d'entendre les premières notes de la version symphonique de Dancing Queen pour retrouver ce que l'on appelle communément la "magie du cinéma".

Muriel's Wedding. Un film de P.J Hogan. Une production House & Moorhouse Films. Avec Toni Collette, Bill Hunter, Rachel Griffiths... Photographie : Martin McGrath. Montage : Jill Bilcock. Décors : Patrick Reardon. Costumes : Terry Ryan. Musique Originale : Peter Best. Casting : Alison Barrett. Produit par Lynda House et Jocelyn Moorhouse. Producteurs Associés : Michael D. Aglion et Tony Mahood. Ecrit et Réalisé par P.J. Hogan. 1994. 105 min.

 
 
 
 
 
 
 
 
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