"You know, some people got no choice
And they can never even find a voice
To talk with that they can even call their own
So the first thing, that they see
That allows them the right to be
Why, they follow it
You know, it's called bad luck"

        Lou Reed, personnage mythique et pathétique, génial et minable. On le rêve méchant et speedé comme dans les bouquins de Lester Bangs, on le voit traîner ici ou là dans des postures caricaturales de "rock'n'roll animal" qui ne veut pas vieillir. Il se prend les pieds dans le tapis pour mieux se révéler. Le machin se permet d'enchaîner Mistrial (holy shit !) et New York (beau à crever sur place). Quand il ne se prend pas pour Dieu le Père, sous prétexte qu'il a sorti l'un des 10 plus grands disques du 20e siècle (le premier Velvet Underground), Lou Reed sait se faire émouvant et merveilleux créateur (le bouleversant Songs For Drella, en compagnie du frère ennemi John Cale, vous savez, le disque dédié à Warhol). Mais Lou Reed on l'a toujours adoré, bien sûr, quand il savait tout marier en musique, la haine et l'amour, la violence et la tendresse, on aimait Berlin plus que tout. Et puis il y a Street Hassle. Et Street Hassle, c'est son meilleur disque en solo, son Paris 1919. Mais là où John Cale repoussait les limites de la finesse, de la distinction, de la beauté mélodique, des arrangements variés et grandioses, Lou Reed se la joue plus trash que le trash, plus punk que les punks. Et en 1978, il signe ce qui est peut-être LE véritable plus grand album vraiment punk de la période.

        Street Hassle c'est un truc qui fait peur. On le sait, Lou Reed était drogué jusqu'aux yeux pendant l'enregistrement, il touchait le fond du gouffre, il était à un point où aucun être humain n'aurait pu rester en vie. En guerre contre le monde entier, vomissant ses paroles les plus terrifiantes, Lou Reed explose toutes les limites. Le disque sonne faux du début à la fin, les chœurs sont désynchronisés, les guitares larsènent... Le Lou chante plus mal que jamais, il marmonne, éructe, vacille, tremble, entre en transe, se crache à la figure ("When you spit in the wind, it comes right back to you", pour citer le Strawman de New York). Des preuves ? Tous les textes de l'album, qui parlent d'eux-mêmes mieux que n'importe quels commentaires.

 

"Hey, if that ain't the rock'n'roll animal himself, what you doing bro.
(Standing on the corner)
Well, I can see that, what you got in your hand
(Suitcase in my hand)
No, shit, what's this
(Jack is in his corset, Jane is in her vest)
Fucking faggot Johnson
(Jack, sweet Jane, I'm in a rock'n'roll band)
Well, I can see that"

 

"I wanna be black
I wanna be like Martin Luther King
and get myself shot in spring
And lead a whole generation too
And Fucked up the Jews"

 

"Everybody's gonna try to tell you what to do
And never, never, never, never
Let it be said that it's true
Leave me, leave me, leave me, leave me, leave me alone
Leave me, leave me, leave me, leave me, leave me alone"



        Bon comme je ne sais plus quoi dire face à ce disque qui dépasse le vocabulaire humain, je vais m'auto-citer comme je sais si bien le faire : Fallait pas lui faire ça au Lou. Lui balancer le punk dans les dents, lui qui était bien plus punk que les punks bien avant les punks. Il allait leur montrer qui était le plus affreux. Et ça allait faire mal. Street Hassle est le chef-d'œuvre de Lou Reed, l'album qui ressemble le plus à l'image que l'on se fait du gars. C'est méchant, sordide, ça sonne faux, ça ressemble à tout et à rien. Lou Reed se parodie, se répond, se vomit dessus (le formidable Gimmie Some Good Times plagiat tcharbé de Sweet Jane, le massacre de Real Good Time Together). Ce sont des chansons d'alcolo drogué pas bien dans sa tête. On empile les pistes de chœurs dézingués, ça crachote, ça postillonne, ça part en couilles au moindre break, c'est aussi fort que les premiers Velvet. Aux premières écoutes, on y comprend rien, mais on sait que c'est grand. Et puis au milieu il y a le big masterpiece, la chanson Street Hassle, 11 minutes de récit glauque, de poésie sub-urbaine, de velours de métro, portées par une contrebasse magique. Street Hassle est un album affreux, sale et méchant. Et beau comme un ange déchu. Le plus indispensable des indispensables. 

"Love has gone away
Took the rings of my fingers
And there's nothing left to say
But, oh how, oh how I need you, baby
Come on, baby, I need you baby
Oh, please don't slip away
I need your loving so bad, baby, please don't slip away"


 
 
 
 
 
 
 
 
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