Bilan 2018 à mi-chemin

Et c’est parti pour le désormais inévitable point musical à mi-chemin de l’année en cours. Vu que j’ai beaucoup de mal à trouver du temps pour le site, c’est aussi assez pratique pour moi de faire ainsi. J'opte bien sûr pour la forme d’un classement plus ou moins insensé, parce que je sais qu’une majorité d’entre vous aime bien les classements insensés. Même si, à notre époque où sur internet une publication sur deux est un classement (et l’autre moitié sont des gens qui s’invectivent), il peut y avoir un effet de lassitude.

Vous allez retrouver ci-dessous des noms bien connus des lectrices et des lecteurs vétérans de ces lieux, mais pas forcément dans les ordres habituels. Et puis plein de nouvelles et de nouveaux arrivants, forcément. J'en ai sélectionné 20, avec des bonus en bas de page. J'aurais aussi pu faire un classement chansons, mais j'ai préféré en extraire une de chaque disque, ça correspond à peu de choses près à ce qu'aurait donné mon top. Vous avez le choix de les écouter via la peste (Youtube) ou le choléra (Spotify). Avec Youtube, ne soyez pas surpris si ça ne fonctionne pas avec votre navigateur, il faut quasi obligatoirement aller directement sur le site à présent, ça serait trop simple sinon.

Sinon, oui, je sais, The Web’s Worst Page a eu 20 ans et je vous en reparle d’ici la fin de l’année, probablement. J’ai eu plein d’idées, plein de projets sur le thème et finalement je n’ai pas eu le temps. Ou plus l’envie. Vous savez avec une telle longévité, la question du radotage se pose de manière assez vive. J’ai l’impression de radoter et je n’ai pas envie de vous abreuver une énième fois de texte sur des œuvres ou des sujets dont j’ai déjà parlés ou qui inondent tous les coins de l’internet. Il faudrait, sans doute, que j’ai des choses vraiment originales à vous raconter, ce qui ne me semble pas être le cas. Bref, on reparlera des 20 ans, plus tard.

Voici donc ce petit point musical sur la première moitié de 2018. Pour ce qui est des films, ce n'est même pas la peine, depuis cet article je n'ai pas vu grand-chose de mémorable et j'ai même revu à la baisse certains de mes coups de coeur de l'époque. C'est vous dire...


20 - Manic Street Preachers – Resistance is Futile

Après le monument qu’était Futurology, les trois vétérans des Manic Street Preachers ont eu du mal à savoir comment enchaîner. Le spectre de la séparation a plané sur le groupe. Mais non, ils ont déjà survécu à tellement de phases de tragédie et de doute qu’ils ont trouvé l’inspiration pour continuer. Resistance is futile est un disque classique pour les Manics, sans grande surprise, mais on y retrouve le même lyrisme et cette faculté à créer des hymnes humanistes sans forcer.


 

19 - The Decemberists – I’ll Be Your Girl

Blah blah blah, c’est toujours la même chose, mais en même temps c’est différent, donc c’est forcément moins bien qu’avant, blah blah blah. Non, en fait, c’est toujours aussi bien, et même un peu mieux que les derniers disques en date du groupe. Il n’y a pas l’ampleur épique qui font de Picaresque et de The Crane Wife de purs chefs-d’œuvre, mais quelle écriture splendide !


 

18 - Dream Wife – Dream Wife

Groupe de filles qui ne se laissent pas faire. C’est très énergique, très enthousiasmant, avec un tube assez démentiel : Somebody.


 

17 - Iceage – Parquet Courts - Shame

Le post-punk érudit de Iceage ne cesse de s’affiner au fil des albums. A mettre en parallèle avec le dernier Parquet Courts mais aussi avec le premier album de Shame. Il y a vraiment quelque chose chez ces gens qui ont beaucoup écouté Wire, Magazine, This Heat, PIL et The Pop Group. A force d’énergie et de chemins de traverse, une vraie personnalité se dessine.


 

16 – Gwenno – Le Kov

Une autre des regrettées Pipettes poursuit sa belle carrière solitaire. L’année dernière, c’était Rose Elinor Dougall qui nous faisait rêver, cette année c’est Gwenno qui revient avec sa synthpop en gaélique.


 

15 – Wayfarer – World’s Blood

Mine de rien, nous vivons une sorte d’âge d’or pour le black métal américain. Libéré du folklore scandinave du genre, ce métal se réapproprie l’histoire et les paysages sauvages de son pays pour en dresser des fresques musicales brutales et épiques. Panopticon reste au-dessus du lot, mais le dernier album de Wayfarer est aussi une réussite. C’est du métal classique, avec un style vintage et un son un peu brut qui sied parfaitement aux ambiances. Et quelle pochette !


 

14 - Kacey Musgraves – Golden Hour

C’est la princesse actuelle de la country-pop, genre extrêmement populaire aux Etats-Unis et qui commence à s’étendre tout doucement sur le reste de la planète. Celle qui a failli réussir le hold-up, c’était Taylor Swift ; mais en se prenant pour la reine du monde et en chancelant sur le mélange des genres, elle s’est perdue en cours de route. Kacey Musgraves fait ici très légèrement évoluer la formule de ses deux premiers (et excellents) albums (ainsi qu’un disque de Noël, mignon en diable). Il faut avoir envie d’une musique très légère, assez sucrée, qui sonne comme ce qui passe en boucle à la radio, mais avec une jolie voix, un peu de personnalité et des compositions de haut vol.


 

13 - Sleep – The Sciences

Le grand retour du groupe qui aura plus ou moins définit le métal « stoner ». Un seul sujet : la dope, un seul style : lourd et lent, trèèèès lent. Parfois si lent qu’on jurerait que la musique reste suspendue dans les airs, prêtent à s’effondrer ou à revenir en arrière. C’est totalement hypnotique et cela permet de ressentir des effets psychotropes sans les conséquences des substances en question. Devrait être remboursé par la sécu.


 

12 - Gas – Rausch

Depuis que le projet Gas a été réactivé, on n’arrête plus Wolfgang Voigt. Après un Narkopop monumental, il revient déjà avec un nouvel album fleuve qui s’écoute comme une longue piste d’ambient en lente mutation. Niveau immersion, c’est toujours aussi envoûtant. C’est de l’ambient désormais considérée comme classique, bien dans la tradition, mais son exécution demeure au-dessus de toute la concurrence.


 

11 - Beach House – 7

Beach House évolue dans la continuité, toujours de manière subtile mais aussi de façon plus frappante sur ce septième album. C’est pour cela qu’il s’agit probablement du disque le plus marquant du duo depuis Bloom et peut-être le plus étrange et ténébreux de leur carrière.


 

10 - Young Galaxy – Down Time

Le plus constant des groupes d’électro-pop de notre époque revient discrètement avec un album autoproduit et autodistribué. De quoi passer inaperçu et c’est un drame. Car Young Galaxy, c’est un univers en soi, un monde magique doux et dansant, intemporel dans son ultra-modernité. Et, bon sang, ces chansons sont toujours incroyables dans leur capacité à créer des atmosphères immenses ou des petits hymnes, avec un rythme et une litanie. Avec cet album, le groupe revient sur les traces de ses débuts, en particulier le fabuleux Shapeshifting, et offre une nouvelle perle rassurante et chaleureuse.


 

9 - Young Fathers – Cocoa Sugar

Musicalement inclassable, le trio des Young Fathers a aussi offert son meilleur disque cette année. Une merveille qui emprunte à presque tous les genres musicaux populaires pour offrir une vision totale et frappante de notre époque. Du rap, de la soul, du gospel, du rock, de la pop, de l’électro, un peu de tout mais sans jamais sembler fourre-tout. Un vrai manifeste.


 

8 – Panopticon – The Scars of man on the once nameless wilderness

Une des grandes forces du projet solitaire d’Austin Lunn est de mêler musique folk (et même country) traditionnelle et black métal pur et dur. Sur ce double album,  Lunn a décidé de séparer clairement ses deux tendances musicales. Le premier disque est du black métal (avec un peu de folk) et le second est de la folk (avec quelques percées post-rock). Résultat : deux réussites pour le prix d’une : un grand disque de métal et un peut-être encore plus grand disque de folk. On y sent le souffle de la nature sauvage. Deux disques qui évoquent les montagnes sans pitié, la neige qui recouvre le monde de silence, le blizzard qui hurle, l'animisme primordial, les démons qui errent dans les forêts infinies et les hommes qui y survivent. Dévastateur.


 

7 - Neko Case – Hell-On

J’ai lu, ici et là, qu’il s’agissait du grand retour de Neko Case, comme s’il y avait une traversée du désert ou je ne sais quoi. D’accord, en solo, elle n’avait rien sorti depuis 2013, mais entre-temps il y avait le merveilleux projet avec K.D. Lang et Laura Veirs, sans parler des contributions aux albums des New Pornographers. Donc, à mes oreilles, Neko Case n’a jamais été bien loin et tous les disques où elle pose sa voix sont des réussites. C’est encore le cas ici avec ce qui est son plus bel album depuis Middle Cyclone en 2009 (numéro 1 de mon top cette année-là, rappelons-le). C’est donc du très très haut niveau d’écriture et d’interprétation, avec plein de petites surprises et de grands moments.


 

6 - Car Seat Headrest – Twin Fantasy

Avec cet autoremake, Will Toledo offre une ampleur épique à son chef-d’œuvre. Pour celles et ceux qui n’auraient pas suivi, l’artiste avait déjà sorti cette album en version « amateur », enregistré tout seul chez lui. Bien conscient qu’il s’agissait de son manifeste, il est revenu dessus avec un son plus « propre » et des ajouts ici et là. Le disque en sort grandi et s’impose comme une nouvelle réussite du rock indépendant à guitares, à l’ancienne.


 

5 – YOB – Our Raw Heart

Rois du doom métal poétique, YOB est de retour après une grosse frayeur de santé pour son chanteur-guitariste Mike Scheidt. Cette musique, déjà totalement hantée par la mort, y gagne en intensité jusqu’à faire exploser toutes les barrières émotionnelles. 80 minutes épidermiques, avec des morceaux dépassant parfois le quart d’heure. C’est éprouvant, épuisant, bouleversant, sublime.


 

4 - Lucy Dacus - Historian

Du rock féminin ultra personnel et ultra intense. C’est un des grands disques dévastateurs de 2018, en particulier grâce aux deux monuments qui ouvrent et concluent l’album : Night Shift et Pillar of Truth. Je pourrais passer mes journées à écouter en boucle ces deux morceaux cathartiques. Lucy Dacus est désormais une voix primordiale dans le paysage musical.


 

3 - U.S Girls – In a Poem Unlimited

Avec ce nouvel album, Meghan Remy semble être parvenue à toucher un plus large public et à remporter un succès critique encore plus unanime. C’est bien évidemment mérité, pour ce qui est son meilleur album. Le concept est ici évident : pirater des formes musicales populaires pour mieux faire passer des propos revendicatifs, vindicatifs et brillants. Disco-pop, électro dansante, new wave brumeuse, il y a toujours ce parfum d’années 80 qui ne veut pas se dissiper, mais les compositions sont si marquantes qu’on ne peut que succomber.


 

2 - Father John Misty – God’s Favorite Costumer

Comptez-moi parmi les amateurs de Josh Tillman, un artiste qui divise. Poseur cynique et roublard pour les uns, merveilleux songwritter tourmenté pour les autres. A mon sens, sa discographie n’a pas cessé de progresser, chacun de ses nouveaux albums étant meilleur que le précédent. Nouveau grand bond en avant avec God’s Favorite Costumer qui ne passe probablement pas loin du chef-d’œuvre. L’écriture, aussi bien musicale que les textes, n’a jamais été aussi stratosphérique, certains morceaux tutoyant les étoiles. Ecoutez donc la chanson qui donne son titre à l’album, cette espèce de soft-rock qui ne dépareillerait pas forcément chez Elton John, mais avec des textes qui piquent. Ou We’re Only People où le cynisme fait place à la nudité absolue du désarroi. La crise existentielle dans sa toute puissance.


 

1 - Dear Nora – Skulls Example

Là on entre dans un de mes points d’amour aveugle (mais pas sourd). C’est de la pop minimale, très dépouillée, où ne voguent que des arrangements miniatures et la voix de la chanteuse Katy Davidson. Attention, c’est tout sauf simpliste ou niais, c’est absolument extraordinaire. J’adore cette épure qui met en valeur la moindre mélodie, le plus petit détail. En fait, cela déborde d’idées, d’atmosphères et d’émotions. Les textes évoquent le monde moderne, ses paradoxes et ses absurdités, avec un parfum toujours bienvenu d’anticapitalisme. Tout cela est très complexe en fait, sinon ça serait facile de composer de la musique aussi belle et essentielle. Mais non, c'est rare, très rare. Après 12 ans d’absence, Dear Nora est revenue avec l’ouvrage musical le plus délicat possible, un recueil parfait dont chaque chapitre est un émerveillement.


Autres disques à ne pas manquer : Bernice – Puff LP, DJ Koze – Knock Knock, Eleanor Friedberger – Rebound, Ezra Furman – Transangelic Exodus, Field Music – Open Here, Flasher – Constant Image, Gruff Rhys – Babelsberg, Half Waif – Lavender, Holy Motors – Slow Sundown, Hop Along - Bark Your Head Off Dog, Kali Uchis – Isolation, Laura Veirs – The Lookout, Melody’s Echo Chamber – Bon Voyage, Middle Kids - Lost Friends, The Atlas Moth – Coma Noir, The Go! Team – Semicircle, War on Women – Capture the Flag, Wye Oak – The Louder I Call The Faster It Runs, Yo La Tengo – There’s a Riot Going On


 

 
 
 
 
 
 
 
 
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