Joe Strummer est mort.

        C'est toujours cette même sensation. Quelqu'un que l'on ne peut pas vraiment qualifier d'idôle ou même de modèle, mais dont l'oeuvre a véritablement marqué notre vie. Quand cette personne disparaît, on ressent cette étrange tristesse. Ce modèle, on ne l'a jamais vraiment connu, on ne le rencontrera jamais, mais on se rend compte, au moment où il disparaît, que l'on éprouvait de l'affection pour lui. Il était rassurant, il était normal qu'il soit là, absent, certes, mais bien vivant dans le même monde que nous. Cette personne incarnait par sa présence toute l'émotion et tout l'espoir que nous procuraient ses oeuvres. Bien sûr, avec la mort de l'auteur, l'oeuvre ne s'efface pas, elle est d'autant plus immortelle. Mais elle trouve son achèvement et finalement une part de l'espoir qu'elle portait meurt à cet instant.

        Joe Strummer est mort. Et je n'arrive pas à y croire. Joe Strummer ne peut pas mourir. Il était notre image idéale, notre représentation du vieux sage rock indigne. Plus crédible que n'importe quel Lou Reed ou Keith Richards. Plus jeune aussi et finalement plus proche de nous. Il n'avait pas la prétention besogneuse de Reed et encore moins la sénilité rock caricaturale de Richards. Strummer était crédible, il avait su prendre sa pré-retraite à peu près au bon moment, Cut The Crap mis à part. Il avait su voir la vie après la gloire. Il avait su jouer intelligemment de sa légende. Joe Strummer était un mythe discret, abordable, lointain mais presque notre voisin. Il avait compris que le monde ne se limitait pas à un pogo punk. Malgré l'âge, malgré les désillusions, jusqu'au bout il aura fait de la musique, jusqu'au bout il aura fait des concerts, jusqu'au bout il aura tenu sa promesse de ne pas reformer The Clash, jusqu'au bout il aura traîné sa gueule cassée au bon endroit au bon moment. Sans trop en faire. Juste pour nous rappeler qu'il était là, toujours là. Et qu'il serait toujours là. Joe Strummer n'est pas mort.

        Alors ce soir je ne sais que penser. Comme quand Joey Ramone a cassé sa pipe. Quand Kubrick s'est éclipsé. Quand Desproges nous a fait la pire de ces blagues. Quand nos amis absents omniprésents quittent notre monde, on reste perplexe, vaguement choqué, puis de plus en plus révolté. On en vient à maugréer des vulgarités. Et on maudit la vie encore une fois. On se sent vieux et on perd espoir. On se répand en souvenir et en regrets. Non, on ne connaîtra jamais ces gens biens. Peut-être, sans doute, n'étaient-ils pas à la hauteur de l'idée que l'on se faisait d'eux. Mais on s'en fout, on ne le saura jamais, ça fait mal. On les aimait, d'une manière ou d'une autre. Et ils nous manquent.

Aujourd'hui, dimanche 22 décembre 2002, Joe Strummer, ancien leader de The Clash, est mort à l'âge de 50 ans.


Pulp - Hits

        Le meilleur groupe anglais des années 90, qui détient, d'après moi, bien sûr, un nombre de records musicaux assez impressionnants (meilleur vidéo clip pour This Is Hardcore, meilleur single pour Common People, meilleur chanson pop-rock des 90's pour Razzmatazz, meilleur album de la seconde moitié des 90's pour This Is Hardcore, meilleur textes de tous les temps, meilleure chorégraphie d'un chanteur, etc...), quitte Island, la maison de disques qui l'hébergeait depuis Intro. En quittant Island, Pulp quitte aussi et pour le meilleur, Universal Music, mais risque aussi, pour le pire du pire, de nous quitter définitivement. Ne le cachons pas, ce "Hits" sent le sapin, la dernière liquidation avant fermeture. Même si on connaît toutes les chansons du disque par cœur jusqu'à l'overdose pour certaines d'entre elles (à part l'inédit et emphatique Last Day Of The Miner's Strike), Hits nous permet de faire le bilan des dix années chez Island et de s'offrir un merveilleux voyage dans le temps.

        Il n'y a pas à dire, les débuts de Pulp chez Island correspondent à une explosion créatrice incroyable. De la période Intro et His'n'Hers, il n'y a rien à jeter. Absolument rien. La moindre face B enfonce tous les albums pop-rock concurrents. C'est à la fois dynamique et mélodique, cynique et émouvant, cruel et drôle. Toutes les chansons tiennent du miracle et sont des classiques indémodables. Sur Hits, les quatre singles présents, du mythique Babies au non moins mythique Do You Remember The First Time en passant par l'hallucinant Razzmatazz et le spectorien Lipgloss ; ces quatre singles touchent les étoiles sans la moindre faiblesse. On peut danser dessus, on peut rire dessus, on peut pleurer dessus, on peut réfléchir dessus, on peut chanter dessus, on peut tout faire avec ces chansons. A cet instant, Pulp est bien LE plus grand groupe de la planète.

        La période suivante est celle de Different Class et aussi celle de la consécration publique, critique (déjà bien entamée avec His'n'Hers et son Mercury Prize) et universelle. Common People, sans doute la chanson la plus connue du groupe, bat le Scream de Michael Jackson dans les charts anglais et devient l'hymne d'une époque, voire d'une génération. Un monument historique qui n'a rien perdu de son efficacité à tous les niveaux. La pop la plus parfaite doublée de textes ironiques, justes, intelligents, touchants. Mais que demander de plus ? Sorted For E's & Wizz fit scandale en son temps, à l'intérieur du single on apprenait comment réaliser une pochette à acide. En même temps, la chanson ne laisse pas beaucoup de place au doute. Jarvis Cocker parle de la drogue et des "techno parties" qui peuplaient les 90's, avec un humour qui dératise et une profondeur qui ne se cache que pour mieux frapper dans le mille. On notera l'absence du jumeau de Sorted, Mis-Shapes, que Jarvis n'aime plus. Tant pis. De toute façon il faut acheter tous les albums. Disco 2000, sous ses aspects de Lost In The Supermarket discoïde est transcendé par des paroles d'une nostalgie ironique comme seul Jarvis peut en écrire (et en chanter). Quand le "tube" devient la synthèse entre Il Etait Une Fois En Amérique et Ed Wood. Aussi désespérant que joyeux. La perfection. Et je ne vous parle même pas des clips, les plus réussis de l'histoire du média, car le DVD sort en décembre. Enfin, la ballade qui assassine sur place, le gracieux Something Changed, vient achever l'état de grâce du groupe.

        La chute n'en est que plus douloureuse. Finie la pop aussi triste que gaie, la descente se nomme This Is Hardcore et devient l'un des disques les plus sombres et douloureux de la Création. Le premier single, le monstrueux Help The Aged, dopé par un riff qui cisaille, nous dit, toujours avec le même humour à froid, que tout vieillit et que tout disparaît. Le début de la fin pour le groupe à Jarvis. Le single suivant, le bien nommé This Is Hardcore, est aussi le chef-d'œuvre de Pulp. Mais contrairement aux singles de His'n'Hers, ici rien de dansant ou de pop. This Is Hardcore est une fresque complexe, étouffante, violente, qui fait mal. Peut-être la meilleure chanson des 90's. Rien que ça. Ouf. Sous des dehors plus légers, les deux autres singles de l'album, A Little Soul et Party Hard, n'en sont pas moins excessifs. En particulier le humain, trop humain, A Little Soul qui ne cesse de rappeler que l'album aussi se nomme This Is Hardcore. La légèreté du groupe s'est enfuie, l'introspection devient la norme, aie ouille, aie aie aie. Mais le génie demeure, inaltérable.

        We Love Life est un testament tardif qui, rétrospectivement, n'est pas tout à fait à la hauteur de ce qui a précédé. En particulier le single Bad Cover Version, qui, s'il n'y avait pas le clip hilarant, aurait presque fait tache dans la discographie du groupe. C'est du Pulp auto-parodique, mais sans sa verve (aussi bien au niveau des textes que de la musique) légendaire. Jarvis fait son Sleepy Hollow, il fait ce que les gens attendent de lui et met en pratique ce qu'il dénonçait avec un talent clouant sur la face B, The Professionnal. Par contre The Trees demeure un bel exercice aérien et poétique. Quant au fastueux Sunrise, il sonne comme un adieu d'un lyrisme tel que l'on ne peut que rester admiratif et reconnaissant pour le restant de nos jours. L'inédit Last Day Of The Miner's Strike persiste et signe dans la veine grandiose de We Love Life. C'est une pièce-montée qui résume les dernières orientations du groupe et parvient une nouvelle fois à nous faire vibrer. Et oui, c'est peut-être un testament.

        Il est possible que Pulp continue et il serait de toute façon étonnant que Jarvis se taise. Mais la fin du contrat avec Island correspond à une période de remise en question pour le groupe. We Love Life n'avait pas tenu toutes ses promesses et depuis This Is Hardcore, Pulp est un groupe blessé qui n'arrive plus à retrouver la formule magique pop et acide de Razzmatazz. La douleur des grands artistes peut nous donner This Is Hardcore, mais elle ne peut pas nourrir éternellement la plume. Bien sûr, sur We Love Life il y avait des chefs-d'œuvre qui rivalisaient sans problème avec le passé. Comment ne pas considérer Wickerman, I Love Life et Sunrise comme des monuments personnels et d'une sincérité renversante ? Mais Pulp a tout dit et tout fait. Il leur reste maintenant à se réinventer. Car pour rester le plus grand groupe du monde il faut se remettre en question à chaque fois que l'on saisit le micro et que l'on monte le volume.

        Hits permet de vérifier à quel point Pulp a marqué, voire changé, une époque. Sans doute peu en dehors des frontières de l'Angleterre, mais finalement, les Clash des 90's ce furent eux. Vous devez acheter les albums, bien sûr, ce Hits ne servira qu'aux feignants et aux complétistes (car l'inédit vaut de l'or). Mais l'essentiel est de pouvoir évoquer Pulp, encore et toujours, le groupe qui à chaque fois que l'on met leur disque dans la platine (c'est à dire à peu près tous les jours), change le monde, change la vie, rend plus triste, plus heureux, plus intelligent, plus humain, plus pulpesque. Et il va falloir absolument acheter le DVD, par contre, mais j'en reparlerais en temps voulu.


Sigur Ros - ( )

        Résumé rapide pour les gens pressés : si vous avez acheté l'album précédent, pas la peine de faire l'acquisition de celui-ci, c'est le même, presque à la note près. En moins bien, quand même.

        En moins rapide : il n'y a rien à dire sur (). Le disque est vide, froid, légèrement gluant, inintéressant au possible. Ecoutez du Dead Can Dance, je ne sais pas moi, ou du Brian Eno. C'est quand même autre chose.


Bjork - Greatest Hits

        Dernier inventaire avant fermeture (provisoire ?). Après les (relatifs) échecs commerciaux et (tout aussi relatifs) échecs artistiques de ses deux derniers opus (en particulier le tout mignon mais tout vide Vespertine), Bjork n'avait plus le choix. Soit elle se faisait virer de chez Universal Music, soit elle se fendait d'un best of bouée de sauvetage. Car, il semblerait que contrairement à Pulp, elle n'ait pas décidé de quitter Universal après le best of. La sorcière islandaise baisse donc sa culotte une nouvelle fois et nous offre un rapide tour d'horizon de son œuvre, qui, qu'on le veuille ou non, n'a pas qu'un peu contribué à forger les années 90, aussi bien musicalement qu'esthétiquement.

        L'inédit de service, le très médiocre It's In Our Hands, annonce assez bien la couleur. Chez Bjork, ça sent le sapin. Et ce n'est pas pour célébrer Noël, croyez-moi. On ne pourra pas juger la créativité de l'artiste sur la qualité très très relative du titre inédit balancé sur un best of, mais on sera quand même tenté de le faire. La musique, aussi bien que le vidéo clip, ne sont qu'une ultime (?) resucée de ce qui a fait le charme de Bjork durant les 90's. Mais le charme est fané depuis longtemps, et même si l'islandaise a l'air aussi jeune sur ce clip que sur ceux de Debut (trucage !), on n'y croit plus vraiment.

        Le Greatest Hits permet de régler agréablement nos comptes avec la dame. On navigue entre les très bonnes choses qui supportent (assez) bien l'épreuve cruelle du temps et les petites oeuvrettes qui n'ont fait illusion que l'espace de quelques années (voire de quelques mois). Dans les chansons qui ne vieillissent pas (ou pas trop mal), on notera les indémodables Army Of Me (clip fantastique pour chanson géniale) et Isobel (et si finalement Post était le chef-d'œuvre de Bjork ?), ainsi que le sommet grandiloquent de Bachelorette. On gardera une affection coupable et vainement nostalgique pour Human Behavior (car tout a commencé ici), pour Hunter (parce que l'on a été "arty" aussi), All Is Full Of Love (qui est une belle chanson), pour Play Dead (parce que cela sonnait bien à l'époque) et pour Hidden Place (le grand moment de Vespertine, tout simplement parce que c'était le premier morceau et que tous les autres sont identiques). Hidden Place, dont le clip très instructif nous apprend que Bjork a des crottes de nez (comme tout le monde) et qu'elle les mange (pas comme tout le monde).

        Le reste a plus ou moins très mal vieilli et navigue entre l'amusant et l'exaspérant. On notera que le très has-been Violently Happy a été éjecté de la sélection sans ménagement, ainsi que (et c'est très surprenant) la reprise de It's Oh So Quiet (le bidule qui était marrant au début mais qui a fini par nous faire subir Dancer In The Dark). Dans l'ensemble on ne pourra pas s'empêcher de constater que tout cela a pris un terrible coup de vieux. Hyperballad ou Big Time Sensuality ne peuvent plus s'écouter aujourd'hui que comme des document historiques (et hystériques, forcément). Je reviendrais peut-être plus longuement un jour sur les clips (sans doute tout aussi importants, si ce n'est plus, que la musique).

        Un Greatest Hits qui fait entrer l'islandaise dans le musée de la musique populaire. Notons avec amusement que l'autre groupe qui a changé les années 90, Nirvana, s'offre un best of au même moment. Finalement, Bjork se prépare une carrière à la Siouxsie. Elle aura eu sa période de gloire, elle aura bouleversé la musique et l'esthétique d'une époque, avant d'échouer à s'adapter au temps qui passe. Elle restera culte. Et dans 20 ans, nos enfants arboreront fièrement des t-shirts top tendances représentants la pochette de Homogenic...


Siouxsie and the Banshees - Best of

        En référence à l'une des plus belles chansons du groupe, nous allons évoquer dans les lignes qui suivent non pas "the ghost in you", mais bien "the punk in you". Car Siouxsie and the Banshees fut l'un des premiers groupes "officiellement" punks et aussi l'un des derniers. Plus ou moins séparés depuis 1996 et le très bon testament qu'était The Rapture, les Banshees ont jusqu'au bout navigué entre leurs idéaux de jeunesse et l'appel de la gloire. En effet, comment considérer ce best of qui nous arrive aujourd'hui ? C'est une sortie Universal Music, désormais propriétaire du label Polydor (que les Banshees n'ont cessé de critiquer), cela sent les fins de mois difficiles. Les projets solos de Steven Severin, très intéressants au demeurant, sont restés dans l'ombre. Quant au sublime troisième album des Creatures (Siouxsie et Budgie), Anima Animus, il n'a remporté qu'un maigre succès d'estime, voire de nostalgie.

        Cette compilation est bien embarrassante. Derrière un magnifique emballage immaculé se cache un fourre-tout de chansons géniales. Pour tout vous avouer, ce best of n'est qu'une réduction lapidaire des deux précédents (les toujours indispensables Once et Twice Upon A Time). A part un dispensable inédit (Dizzy), il n'y a rien de nouveau. Il n'y a que des absences cruelles. En effet il n'y a pas le moindre extrait de Join Hands et de A Kiss In The Dreamhouse, pourtant deux des meilleurs albums du groupe. Considérer un best of des Banshees en omettant Playground Twist, Love In A Void, Melt ou bien Slowdive, c'est un peu comme si on vous compilait les Beatles sans Eleanor Rigby et Strawberry Fields Forever (ce qui est arrivé, c'est vrai, comme quoi...). Si de surcroît on vous dit qu'il manque à l'appel des chefs-d'œuvre absolus du niveau de Fireworks (un single jamais édité sur album !) et The Last Beat Of My Heart (peut-être leur chanson la plus émouvante). On finit par se dire que ce best of ne concerne que les fans complétistes tels que moi et que ceux qui veulent découvrir le groupe au moyen d'une compilation feraient bien mieux d'acquérir les deux précédentes, plus complètes et aussi plus logiques. Je persiste aussi à affirmer qu'il vaut mieux acheter les albums (en commençant, comme toujours, par Juju, A Kiss In The Dreamhouse, Kaleidoscope et Join Hands), plutôt que de perdre son argent dans un investissement assez inutile. Malgré tout, les immenses classiques des Banshees sont bien présents. En particulier les définitifs Happy House, Christine, Hong Kong Garden, Spellbound, Arabian Knights, Israel et autres Peek-a-Boo.

        Les fans feront de toute façon l'acquisition de la version limitée du best of, qui contient un second disque pas du tout gratuit. Sur ce deuxième disque, au lieu de faces B tant attendues par ceux qui ne les ont pas encore récupérées sur le web, il n'y a que des remixes. L'idée n'est pas mauvaise en soi, ces remixes étant aussi de fameuses faces B pour certains d'entre eux. Par contre, le choix ne cesse d'étonner. A part deux excellentes surprises (Songs From The Edge Of The World, merveilleux single jamais sorti en album ni en compilation et qui, à la limite, justifie à lui seul l'achat du double disques ; ainsi que le gracieux Dazzle, curieusement absent de la compil normale), le reste ne fait que reprendre des morceaux déjà présents sur l'autre disque. Si certains mixes valent la peine, d'autres font dans le n'importe quoi (en particulier le néant de 808 State pour le mirifique Face To Face). Et surtout, pourquoi ne pas avoir inclut le splendide remix de Shadowtime (morceau absent du best of) ?? Et celui de O Baby (absent aussi) ?? Et celui de El Dia de los Muertos ?? etc... On ne m'enlèvera pas de l'esprit qu'une véritable compilation de faces B semble indispensable (mais on nous la fera payer le prix fort), pour que des merveilles telles que Voices, Eve White/Eve Black, Sunless ou B-side Ourselves retrouvent enfin la lumière.

        En clair et en résumé : si vous êtes fans hardcore du groupe, vous devez acheter l'édition double de ce best of. Elle sera parfaite dans votre collection, même si ça craint un peu d'avoir de l'Universal Music chez soi. Ceux qui sont moyennement fans du groupe devraient continuer à acheter des albums. Ceux qui veulent découvrir le groupe au moyen de compilations devraient se ruer sur Once Upon A Time et Twice Upon A Time avant qu'elles ne disparaissent. Quant aux autres, bah zut alors, comment il faut que je vous le dise ? Achetez Juju !


The Strokes, The Hives, The Vines

        Après le revival Pink Floyd/King Crimson/Yes de la fin des années 90 (Massive Attack, Radiohead & co), voilà le revival Velvet Underground/Rolling Stones/Ramones. Présenté comme cela, ça a l'air génial. Mais croyez-moi, c'est loin de l'être ! Les meilleurs du lot, ce sont les Strokes. Ils ont à leur avantage un excellent single (Hard To Explain), une belle pochette (on dirait du Spinal Tap), un chanteur sosie de Lou Reed (enfin, ce n'est pas celui des Nits, mais presque) et un album correct même si dénué de la moindre imagination et assez ennuyeux à la longue. Un disque moyen qui fut porté aux nues au moment de sa sortie. C'est dire si la période est médiocre.

        J'ai lu à propos du Veni Vidi Vicious des Hives que : "plus de disques comme celui-ci doivent sortir". C'est vrai. 12 morceaux avec une moyenne de 2 minutes par morceau. Ah bah merde alors ! C'est encore plus expéditif que Wire et les Ramones réunis ! On a au moins le temps de ne pas trop perdre son temps... Bon, c'est bien foutu, ça pourrait être bien, c'est amusant, c'est le degré zéro de l'invention mais on se dit que c'est de leur côté qu'il faut chercher plutôt que du côté des nostalgiques du Prog Rock. Stupide et sympa comme un Ramones des années 80.

        The Vines, eux, ils sont très laids. Un peu comme les remakes fauchés des Dents de la Mer, italiens ou espagnols, qui sortaient dans les années 80 (voire 90), ils sont totalement à côté de la plaque. Ils font du Nirvana à deux sous, tout en se croyant très malins parce qu'ils ont compris ce qui faisaient la force du punk : l'admiration pour la pop 60's. Oui, mais alors, beurk ! On dirait Bush collaborant avec Offspring. On voit le genre de choses. Si ça se trouve leur deuxième album sera génial. Mais là... ouhlala.

        Pendant ce temps, Supergrass revient. Avec un énième remake d'un album de Frank Black. Aujourd'hui ils hésitent entre Pistolero et Dog In The Sand. Ces petits gars ont tout compris, mais on préférera toujours leurs deux premiers albums, qui, avec le recul, doivent sans doute être appelés des chefs-d'œuvre. On déposera au passage une paire de claques aux hideux (et le mot est faible) Muse, dont le jenesaispascombientième affront vient de sortir (ou alors c'est un single, enfin bon bref). Autant écouter The Richmond Sluts, un groupe spécialisé en imitation des Ramones et qui le fait plutôt bien.

        Mais parfois la presse musicale, qui a fait des tonnes autour des groupes moyens voire nuls pré-cités, reprend ses esprits et dans le dernier Inrocks on pouvait lire : "quand tout le monde est bloqué en 1978, les Pixies sont déjà en 1987. Meilleur groupe rock de l'année ?" Sans le moindre doute.


Kylie Minogue - Fever

        En antithèse de l'album de Renaud, le déjà plus très neuf album de Kylie Minogue est LE disque festif et dansant par excellence. Pour ma part, je trouve les disques des Pixies plus festifs et les albums de Blondie plus dansants, mais là n'est pas la question et essayons un peu, pour une fois, d'être objectif face à la chose. J'ai toujours aimé Kylie Minogue. Depuis le tout début, elle a ma sympathie. Pour mille et une raisons que je n'exposerais pas ici, sinon on ne va pas s'en sortir. A plusieurs occasion j'ai même ADORE Kylie. J'ai été fan de certaines de ses oeuvrettes au point d'en faire plus ou moins sur le champ l'acquisition. Au début, sa musique m'amusait, mais pas au point de la considérer avant tout comme de la musique (ne serait-ce que de la musique "fun"). A partir de Better The Devil You Know, je me suis dit que c'était vraiment de la très bonne musique de fond sonore quand on veut écouter quelque chose d'agréable sans se poser de questions. Avec Confide In Me, j'ai même pensé que Kylie Minogue pouvait chanter de bonnes chansons pop. Des vraies chansons pop, et pas seulement du disco-dance. Impression confirmée par son très joli duo avec Nick Cave. Et quand les Manics lui ont offert leurs services sur Impossible Princess, je me suis dit : Kylie, elle va devenir grande (sans blague stupide...). Et elle est devenue immense, oui, plus qu'elle ne l'a jamais été... Mais pas de la manière dont je l'imaginais.

        Car je ne l'imaginais pas s'offrir un trip régressif tel qu'elle nous l'a offert sur ses deux derniers albums. Au lieu de creuser l'ambition musicale, elle s'est engouffrée dans le revival disco malin comme tout. Avec le succès que l'on sait. Et le "tube" de la renaissance, Spinning Around, ne vaut vraiment que pour le trop fameux mini-mini-short du clip. D'ailleurs, à part, le clip, qui se souvient de la "chanson" ?? L'album était très bof, voire horripilant. Et après le duo très, mais alors trèèès nul avec Robbie Williams, il n'y avait raisonnablement plus grand chose à espérer de Kylie Minogue.

        Jusqu'à la sortie du terrible Can't Get You Out Of My Head. Le gimmick de la chanson est le plus vieux de la pop. Depuis les Beatles de She Loves You et Hey Jude. Depuis les Beach Boys et I Get Around ou Good Vibrations. Tout le monde sait que pour faire LE tube pop, il faut mettre des onomatopées à la place des paroles. Alors, oui, cela fait "la la la lalalala la la la lalalala". Et c'est le carton interplanétaire, l'hymne de l'année, le seul concurrent sérieux à l'hégémonie des bimbos américaines (Britney, Madonna, Jennifer...). Et ce n'était pas fini ! Pourquoi croyez-vous que Fever est encore dans les 10 premiers du top anglais après un an de présence ? Parce qu'il n'y a que des tubes ! Le genre d'album que l'on sort une fois dans sa carrière. Parfois deux. Trois pour les stars immortelles. Et encore...

        Fever est un disque trop efficace. Beaucoup trop efficace. Tous les "trucs" sont passés en revue. C'est un disque épuisant, fatigant, énervant, exaspérant et irrésistible. Pour preuve, le tube actuel, le totalement "french touch" Love At First Sight. On aimerait détester ce machin, le haïr du plus profond de son goût assuré pour la musique qui est bien. Mais on ne peut pas. Et si je vous parlais du tube précédent ? In Your Eyes. Dont notre cerveau vient à peine de se débarrasser. Au bout de 6 mois. Alors, non, ce n'est pas le moment de l'évoquer. Non. Pitié. Non !!! Trop tard... Fever est un disque que vous n'avez pas à acheter. Vous n'avez même pas à l'écouter. Vous le connaissez déjà par cœur. Vous en entendez un extrait tous les jours que Dieu fait. Fever est déjà en vous, vous lui appartenez. Kylie Minogue, la charmante australienne, drôle, simple, un peu stupide, adorable, Kylie, oui, est devenue la Reine du Monde. Nous sommes tous ses esclaves. Et nous aimons cela. Oui, nous avons remporté la victoire sur nous-mêmes. Nous aimons Kylie Minogue.

        Sérieusement, même si Kylie nous envahit, son album est, à l'image de la miss, très bien foutu, et dans le genre c'est sans aucun doute un chef-d'œuvre. Si vous aimez danser comme un idiot (ou une idiote), vous l'avez déjà acheté. Sinon, vous pouvez toujours y jeter une oreille, vous allez voir, c'est immonde, mais nous n'avons pas le choix, n'est-ce pas ? Par contre n'abusez pas de Burning Up, parce que personnellement cela fait bien trois jours que j'essaie de m'en débarrasser, et je n'y arrive pas !

Nouvel avis plus tard : trop bien fait, trop bien calculé, trop bien produit, trop tout, Fever sera peut-être un classique des années 2000. Il possédera un fabuleux effet de madeleine proustienne dans une poignée d'années. Le musette de notre temps.


Renaud - Boucan d'enfer

        Epidermique, nostalgique, sincère et ultra-sensible, certes, mais aussi, cruel, méchant, suicidaire, hymne au renoncement, le nouvel album de Renaud est une baffe, un crève-cœur. Renaud va mal, il erre sur les plateaux télé en traînant sa vieillesse, ses désillusions, son dégoût de la vie, son alcoolisme, sa fatigue. Renaud n'est plus qu'une ombre, un mort-vivant. Il suffit pour comprendre de revoir son apparition aux Victoires de la Musique, moment déchirant de souffrance et de déchéance. Renaud, qui rêve d'être le Brassens de son temps (et qui ne peut logiquement pas le devenir), a toujours été un artiste en équilibre entre le génie bouleversant et le ridicule. Entre ses prises de position paradoxales, ses élans du cœur, ses avis bien tranchés, ses paroles cruellement drôles et touchantes, ses orchestrations qui hésitent entre soupe FM et minimalisme. Cette dualité est le thème principal de Boucan d'Enfer. Elle est partout. Dans la musique, dans les paroles. Et on passe de la perfection délicate de la chanson titre au douteux duo avec Axelle Red. Mais quand on voit ce que chante en général les "grands" artistes français (des histoires d'amour ou de séparation sans saveur, pleines de clichés ; des hymnes lyriques aux rêves niais d'une adolescence baveuse (oh c'est beau ce que je dis là) ; des chansons "engagés" qui font bien rigoler), bah le Renaud, il n'a pas pris le moindre gant, il a joué cartes sur table et il a dit ce que tout le monde tait. L'amour c'est beurk, l'engagement c'est beurk, la vie c'est beurk, mais il y a quand même de l'espoir (ah si ! quand même ! Cœur Perdu ou Mon Bistrot Préféré, ça laisse un peu (tout petit peu, certes) d'espoir).

        Mais ce que l'on retient surtout de cet album, c'est le désespoir terrible qui habite son auteur. Un disque malade, malheureux, mal fichu, pas très sympa et infiniment attachant. De quoi faire verser de très (trop ?) spontanés torrent de larmes. Renaud redonne tout son sens au terme : pathétique. Boucan d'Enfer est pathétique. Comme le Berlin de Lou Reed, comme le Downward Spiral de Trent Reznor, comme le On The Beach de Neil Young, comme le Closer de Joy Division, comme le Pornography de Cure. Des disques dépressifs, violents, parfois tendres dans leur détresse, profondément humains. On ne peut pas remettre en cause l'humanité de Renaud. Démagogue ? Sans doute. Complaisant ? Et comment ! Cynique ? Parfaitement. Humain, trop humain.

        On est totalement conquis par cette suite de la vie de Renaud (que l'on finit par connaître intimement depuis toutes ces années). Sa fille grandit un peu plus (elle a presque vu le loup !), après avoir été le sujet principal de quelques unes de ses plus belles chansons (Pierrot (avant de naître, hein, c'est une fille, on est d'accord), Morgane de Toi, C'est Quand Qu'on Va Où ?...). Sa femme le quitte (sujet clef de l'album, évoquée de manière déchirante dans Docteur Renaud, Mister Renard, Cœur Perdu et Boucan d'Enfer). La fin des idéaux (Je Vis Caché, Tout Arrêter...). La lassitude d'une vie douloureuse qui rêve d'un monde meilleur à vous faire chialer pendant des heures (Mon Bistrot Préféré, presque un testament). Renaud rend de multiples hommages, bien sûr, à Brassens ; surtout sur un Mal Barrés, version dépressive des Amoureux des Bancs Publics (Brassens évoquait les nuages du futur, Renaud en fait le sujet principal de la chanson). Il offre aussi un Petit Pédé émouvant et un Baltique tout aussi inspirés par le Grand Georges. Les quelques pointes d'humour font mouche (l'hilarant l'Entarté dédié à la honte de la philosophie BHL et le sautillant Mon Nain de Jardin). Mais cela ne suffit pas pour tirer l'album de son caniveau.

        Boucan d'Enfer est très proche du Street Hassle de Lou Reed, désespéré, drogué, méchant, cri de détresse. Renaud n'a pas le choix, soit il y reste, soit, comme le Lou, il fait son Blue Mask et s'en sort (en trouvant un nouvel amour). Mais le nouvel amour paraît si loin qu'on a tellement envie de lui chanter Manu ("allez, Manu, tu vas pas te tailler les veines, une fille de perdue, c'est dix copains qui reviennent..."). Boucan d'Enfer n'est vraiment pas un disque agréable, on frôle le sordide à de nombreux moments, cela fait mal. Mais si vous voulez vous frotter à un putain de chef-d'œuvre d'artiste torturé qui va vous envoyer valdinguer dans les cordes et vous coller un cafard mémorable, celui-là il est pour vous. Les connards du néo-métal, les Slipknot et autres Linkin Park, peuvent retourner sucer leur pouce. Le vrai mal de vivre, la vraie douleur, elle est sur Boucan d'Enfer, et nulle part ailleurs. Alors, oui, je vous conseille cet album. Et en même temps non. Non, car vous ne pourrez peut-être pas passer au-dessus de certaines choses (les orchestrations variétoches, Axelle Red, Corsic'Armes...). Non, car cela va peut-être vous foutre vraiment mal. Oui parce que c'est un grand disque, qui nous dit, finalement, ouf, qu'il faut profiter de la vie tant qu'on le peut et qu'on devient toujours trop vite, vieux. Oui, pour tout le reste. Boucan d'Enfer est un disque en direct de l'Enfer, et depuis la quasi mort des grands sondeurs de la souffrance (Reznor, Smith, Reed & co), c'est l'album le plus noir des années 2000. Aie !

Nouvel avis plus tard : depuis combien de temps n'avez-vous pas pleuré en écoutant un disque français ?


Faye Wong - Faye Wong

        Avec beaucoup de retard, j'évoque le dernier album en date de l'égérie de The Web's Worst Page. Après l'incroyable Fable, on demandait à la Miss de nous emmener encore plus loin que ne l'avait fait ces trois derniers chefs-d'œuvre. Et on n'est (presque) pas déçu, même si l'ensemble est moins impressionnant de prime abord. Le morceau d'ouverture, Wings Of Light, est une nouvelle fois une claque monumentale. Une ouverture pop classique avec petit riff accrocheur, un refrain totalement métal, un break avec des cordes, une coupure à base de sons électroniques, encore des grosses guitares. Difficile de s'en remettre. Le morceau pop-rock le plus ambitieux depuis... le précédent album de Faye Wong. La deuxième chanson est une ballade légère et toute simple, pleine de grâce. Et puis la voix, qui est, ne l'oublions pas, la plus belle du monde. Sur la piste 3, Faye se fait plaisir en imitant les Cardigans (groupe culte en Asie, forcément). Donc on se jurerait perdu dans un inédit de Life (le meilleur album "léger" des Cardigans). Cela fait "pap pap padadapapap". Il y a une petite flûte et des violons qui sautillent. La pop 60's dans les années 2000 (et presque dans l'espace). Beau. Sur le morceau 4, Faye essaie de nous refaire Fable, avec ses ambiances Portisheadiennes et sa contrebasse rêveuse. On comprend alors ce qui ne va pas. Les morceaux les plus novateurs de Fable étaient tous signés Faye Wong. Sur le nouvel album, il n'y a pas de morceaux signés Faye Wong. Ca sent le disque de transition, tout cela, pour occuper le terrain (un artiste HK se doit de sortir au moins un album par an, c'est dans le contrat). Bon, bah, les enfants, si tous les grands artistes nous pondaient des albums commerciaux de ce niveau, on n'aurait plus de soucis à se faire. Tout peut aussi s'expliquer par le fait que c'est le dernier album de Faye pour EMI (et c'est aussi pour cela qu'il se nomme comme son premier album pour la maison de disques).

        Cinquième morceau, une ballade très classique, héritée de la première période de la chanteuse. C'est superbe, mais juste grâce à la Voix. Sur la piste 6, Evening Party, on reste dans les tempos lents avec une errance en demie-teinte, intrigante. La Voix ondule, murmure, se tait lors de breaks en apesanteur sur piano lointain et guitare fantomatique. Quelques cordes laissent planer une sourde menace, mais tout au fond du mixage, presque inaudibles et pourtant omniprésentes. Un sommet. La chanson 7, Wandering Red Shoes, est une valse électrique déjantée. Accordéon synthétique, bruitages Casio, orgue Charlie Oleg, voix triste (n'oubliez pas que la Voix ne chante que des chansons tristes à mourir), refrain sur un "la lalala" guerrier, on croirait une version post-post moderne d'un tube français des années 40. Une chanson réaliste qui part dans tous les sens. Une trompette passe, un piano aussi, une guitare électrique qui sonne comme un synthétiseur cheap, des effets de stéréo. Personne n'oserait faire cela. Faye Wong existe. Heureusement. Chanson 8, Idiot, qui attaque comme un inédit de David Arnold pour ses BOs fantasmées de James Bond. Voix saturée, effets électroniques et cordes enroulées sur elles-mêmes. La Voix surnage en décalage sur ce maelström sonore. C'est du bizarre, de l'étrange, plein de faux breaks et de vrais silences fantastiques. Le morceau 9 débute comme un bidule dancefloor et se poursuit sur un "poum-tchak" dance brutal. Aie, Faye Wong repart dans ses fantasmes "eurodance", qu'en est-il de ce nouvel essai ? Et bien ça ne sonne pas si mal. Même si la voix de Faye n'est pas vraiment fait pour cela. La musique est pleine d'audaces et de samples timbrés (un chanteur d'opéra passe, ou bien... mais qu'est-ce donc ?). 

        Le morceau 10, met le piano en avant et la guitare rock en arrière, on n'est pas là pour plaisanter. Même si l'on peut regretter la légèreté d'autrefois, on applaudit des deux mains aux tentatives toujours renouvelées de rendre des morceaux classiques plus originaux tout en plaçant avant tout le plaisir de l'auditeur. Et ça marche, avec un joli refrain, très mélodique sans être vulgaire. Et vous savez ce qu'il y a de bien avec Faye Wong ? C'est qu'elle vous donne toujours TOUT ce que vous êtes venus chercher. Car le morceau 11 est une ballade triste, délicate, piano et Voix. En fait c'est le remake de la cinglée chanson 7. Juste avec piano et voix. C'est là que l'on se rend compte de la qualité de composition, jamais prise en défaut. Un parfait morceau de fin. Mais non, ce n'est pas fini ! Car il y a un disque bonus (comme toujours). Pas moins de cinq chansons supplémentaires.

        Première chanson. Cela débute avec un orgue totalement obsolète et une mélodie triste. Mais dès que la voix de Faye surgit, on pleure, on ne sait pas pourquoi, mais on pleure. C'est beau comme Sally Yeh chantant dans The Killer, c'est beau comme un générique mélancolique de film HK. Oui, c'est de la canto-pop. Et vous n'allez pas aimer cela. Surtout lorsque la batterie et les cordes vont arriver pour un refrain aérien comme un final de Final Fantasy (les jeux). Et vous aurez tort, si vous me permettez cette remarque. Le morceau suivant est une petite perle pop, incroyablement efficace, qui semble couler de source (pour employer une image bien clichée). La 3e chanson ne cesse d'accumuler les faux départs comme pour mieux nous surprendre, pourquoi le pipeau ? pourquoi la rythmique jungle ? pourquoi cet aspect si joyeux que l'on ne peut s'empêcher de sourire en l'écoutant ? pourquoi la déprime est-elle fini ?? Le morceau 4, on le connaît, il est sur l'album. Et le morceau 5, aussi. Simplement ils sont chantés en cantonais et non en mandarin (si je ne m'abuse, c'est l'habitude).

        Ouf. Si je vous dis que vous pouvez aussi trouver cet album avec un autre single en bonus, vous comprendrez que vous en aurez largement pour votre argent. Je résume. Moins impressionnant et sans doute moins novateur et réussi que Scenic Tour, Only Love Strangers et Fable, cet album, titré une nouvelle fois Faye Wong (comme son premier album pour EMI en 97) mérite de toute façon l'achat (ou au moins l'écoute attentive). Parce que Faye Wong a toujours la plus belle voix (pardon, Voix) de l'univers, que sa musique est toujours plein de surprises et de mélodies, de coups de théâtre et de folies que personne ne se permet en occident. Que si vous cherchez un album de pop, il n'y a pas mieux en ce moment. C'est un disque triste, gai, sombre, lumineux, il y a de tout et même plus. Et puis, comme le confirme une nouvelle fois la sublimissime pochette, elle reste la plus belle chanteuse de notre planète. Et de loin.


Eminem - The Eminem Show

        Eminem, comme bon nombre d'entre vous, je le connais depuis son My Name Is qui passait en boucles sur MTV. Je l'ai d'abord pris pour un effet de mode rigolo. Une sorte de "créature de loisirs" aux bons services de Dr. Dre. Et puis j'ai écouté son album, et là, au détour de chansons stupides, j'ai découvert la patte d'un artiste qui pouvait aller loin, très loin. Et qui est allé. Car avec son deuxième album, on découvrait Marshall Mathers, le blondinet tellement humain qui se cache derrière Eminem et Slim Shady. Sur le Marshall Mathers Lp, il y avait des Kill You, des Stan, des Remember Me qui en mettaient plein la vue. Certes, je vous l'avoue tout de suite, le rap et le hip-hop sont toujours loin d'être ma tasse de thé. Sur la durée d'un album (surtout que chez Eminem c'est du 70 minutes à chaque tour de piste), c'est mission impossible. Et pourtant cela vaut la peine de faire un effort. La preuve avec ce Eminem Show, baffe dans ta face qui enchante et qui peut laisser perplexe (voire provoquer de réactions de rejet massif), mais qui ne laisse pas indifférent. Combien de géants des tops américains (et mondiaux) se permettent de cartonner avec une musique de cette qualité et surtout un discours aussi complexe (une fois passé les débilités vraiment débiles d'usage, il y a plus dans cet Eminem Show).

        Pour tout vous avouer, cet album enfonce assez radicalement les deux premiers opus d'Eminem. Si, si. Plus émouvant, plus intelligent, plus brutal, peut-être un peu moins drôle, mais doté d'une force bien supérieure. Certes ce sont toujours les mêmes histoires (Marshall Mathers ne fait que parler de lui et de ses petits ou gros problèmes, de ses haines vraiment haineuses et de ses joies bien humaines). L'album est violent, cruel, triste, bordélique, marrant mais pas tant que ça (ne vous fiez pas au single Without Me, le reste n'a pas du tout cette allure). Non, au contraire, après le lever de rideau, on se prend une baffe dans la gueule, une vraie baffe, avec le très agressif et totalement gothique, White America. Les paroles partent dans tous les sens (comme on dit, le petit a amélioré son flow) et je ne peux que vous renvoyer vers le site officiel où vous pourrez les lire tranquillement, il le faut bien (sinon on ne suit pas tout, je crois que c'est clair).

        Pour le reste ? Production au millimètre, forcément, toujours par Dre. Timbaland se fait quand même copieusement imiter (et insulter, sur Say What You Say, ah, on ne se refait pas). Une succession de morceaux blockbusters qui ne laisse pas beaucoup le temps de respirer. Mais, il faut le noter, chaque chanson possède sa propre personnalité et ses propres gimmicks très accrocheurs. Avec The Eminem Show, Marshall Mathers a, au moins, signé l'un des albums de rap pur et dur (enfin, presque...) les plus abordables pour les non-amateurs (dont je fais partie). Je disais, ce n'est pas un album de rap pur et dur. Outre le très "dancefloor" Without Me, Eminem chante. Oui, il chante. Même s'il avoue ne pas savoir chanter (d'ailleurs quand il chante on dirait un échappé de Boys Band un peu décalqué). Il chante pour sa fifille qu'il adore (et qui chante elle aussi sur le dernier morceau). Le résultat, inattendu, est particulièrement touchant. Touchant, Marshall Mathers l'est énormément sur cet album, il y a plein de petits Stan en puissance, en moins "radio friendly". Avec en particulier ce Cleaning Out My Closet qui va encore fait couler pas mal d'encre. Enfin, sur chaque chanson il y a de quoi vexer à peu près tout le monde. Ne menace-t-il pas une fille, dans Superman, de recouvrir son Tampax d'Anthrax ? Ou ne se met-il pas complaisamment en scène sur un interlude comme The Kiss ?? Mais à côté de cela, Eminem est drôle, hilarant même, aussi énervant qu'attachant, aussi roublard que talentueux.

        Musicalement, cet album touche au grandiose (même et surtout lorsqu'il mélange la musique d'Alone In The Dark et la rythmique du We Will Rock You de Queen sur le guerrier 'Till I Collapse). Si on ajoute les textes et l'inévitable portée sociologique de la chose, on tient une œuvre qui risque d'avoir au moins autant d'influence que les disques précédents d'Eminem. Marshall Mathers incarne-t-il le son de la "révolte blanche" actuelle, comme Bob Dylan ou les Clash en leur temps ?? C'est sans doute un peu trop faire d'honneurs à cet "entertainer" de génie, mais il n'en est pas loin. Et puis surtout... Qui peut lui disputer ce titre en ces années 2000 ?? Si cet album est un succès commercial et critique (et il est bien parti pour), Eminem sera définitivement entré dans l'histoire.

nouvel avis plus tard : comme toujours, impossible d'écouter cet album plus de quatre fois. J'en ai un vague souvenir, pas mauvais le souvenir. Voilà, voilà.


Sophie Ellis-Bextor - Read My Lips

        J'ai déjà évoqué le cas Ellis-Bextor (quel nom ! rien qu'avec son nom elle peut mettre la planète à genoux) dans Edwood VS La Musique, mais nous allons y revenir en écoutant gentiment son album. Vous savez tous qu'elle a débuté avec le tube de Spiller. On se souvient de ses pommettes d'ange et de son regard troublant. Maintenant on connaît un peu mieux sa silhouette altière et sa personnalité de star. On sait qu'elle est belle. On sait aussi qu'elle a une voix de grande chanteuse pop (très proche de celle de Chrissie Hynde, la meneuse des Pretenders, mais lorgnant aussi vers la Debbie Harry de Blondie (la plus grande chanteuse pop de tous les temps avec Ronnie Spector)). Il suffirait qu'il y ait un bon groupe derrière elle (non ce n'est pas vulgaire !) et un super compositeur (ou un super producteur spectorien), pour que la demoiselle devienne la Faye Wong occidentale. Mais on est assez loin de cela. Pour l'instant, SEB (mon Dieu ! Quelle horreur ! N'utilisez jamais ce sigle pour parler d'elle !)... hum... hum... Je reprends. Pour l'instant, Sophie (appelons-la Sophie), Sophie, donc, on va y arriver. Sophie, je disais, chasse sur les terres de Kylie (Minogue, du groupe Kylie Minogue, qui n'est pas un groupe, mais une chanteuse australienne miraculeusement ressuscitée par la science). Mais là où Kylie n'hésite pas à enlever le haut, le bas et tout ce qui reste (tout en se roulant par terre et en se mettant des doigts dans la... bouche (ouhlala, ce que je deviens vulgaire moi, alors). Donc, là où Kylie sort le grand jeu, Sophie reste digne, classieuse, drôle tout en gardant une distance hautaine de star hollywoodienne des années 40. Sophie se rêve Gene Tierney des dancefloors (il y a un meurtre sur la piste ! Mais Laura n'est pas morte !). Comme le montre fort bien son dernier clip (Get Over You) Sophie Ellis-Bextor est encore avant tout un mannequin. Joli visage, joli corps, jolie voix, jolies lèvres (qu'il faut lire avec attention, mais pas trop, sinon ça va finir par se voir). C'est déjà beaucoup, mais tout cela c'est la forme. Et le fond dans tout cela ?

        Cela débute avec le rouleau compresseur Take Me Home. Sans être un chef-d'œuvre, ni même un morceau impérissable, la chanson est efficace. Trop produite, trop prévisible, sans aucun doute, mais efficace, prometteuse. Ahlala, prometteur, voilà, le terme est lancé à la face du lecteur. Sophie Ellis-Bextor est "en puissance". Elle promet, la petite ; comme on dit. Elle promet quoi ? Non pas de longues nuits d'amour bestial dans une chambre d'hôtel pleine de miroirs et de lumières tamisées écarlates. Non, elle promet de donner une voix, un physique, un charisme aux excellentes chansons qu'on ne tardera pas à lui écrire (et, peut-être, un jour, les écrira-t-elle elle-même...).

        Mais bon, c'est bien mignon tout ça, mais est-ce qu'il faut acheter l'album ? Ca dépend. Si vous aimez la dance-pop qui bastonne les tops depuis quelques années maintenant, Read My Lips est un produit de très bonne facture. Aussi bon, si ce n'est meilleur, que le Fever de Kylie (Minogue, mais si, vous la connaissez !). Si vous êtes curieux et que vous n'avez pas l'habitude de ce genre de musique (ou que vous y êtes assez franchement réfractaire), vous pouvez trouver de fascinantes choses dans tout ce bordel vraiment trop over produit. Des chansons comme Lover, Is It Any Wonder ou Let The Others Alone. De surcroît il y a les tubes, grandioses et très prise de tête. Palme d'or évidente à l'hymne Murder On The Dancefloor. Sophie a définitivement une des plus intéressantes voix pop de la période (à écouter en particulier Is It Any Wonder et By Chance). Et elle est totally British, et c'est aussi une qualité.

        Par contre si vous rêvez d'un album pop ultime, blondiesque, beatlesien, shangrilasesque (quel sympathique mot !). Et bien vous n'avez plus qu'à vous faire importer du Faye Wong. Parce que bon, quand on écoute The Universe Is You... hum... oui... certes... c'est léger. Mais niveau originalité, prise de risques, émotion, c'est zéro. Ca peut mettre de bonne humeur. Ca dépend des moments. Il y a des instants dans la journée où l'on va trouver Read My Lips vraiment super (ouais !). Et d'autres où l'on va se demander ce que l'on fout avec ce bidule chez nous (bouh !). Néanmoins, pour une folie stupide, qui se prend son Kraftwerk dans le tapis des Sparks en essayant de percuter je ne sais quel revival disco déjà obsolète, qu'est le morceau final, Everything Falls Into Place, je ne peux que vous recommander l'écoute de cet album. Avec un peu de chance il deviendra historique et dans 30 ans les singles originaux se vendront à prix d'or sur "e-bay". Non seulement c'est tout à fait possible, mais en plus c'est drôle. Que du bonheur ! Ah, vous ai-je dit que Sophie Ellis-Bextor est très belle et a une très jolie voix ? Oui ? Bon alors c'est bon, vous pouvez disposer. Hop, hop, hop, ça y est, c'est fini. D'ailleurs j'aime bien son Sparkle. C'est moi ou c'est de l'industriel derrière ? En tout cas c'est plus gothique que Depeche Mode (rire mesquin edwoodien)...

nouvel avis plus tard : cet album fascine, car la miss a une voix du tonnerre, et les morceaux sont loin d'être tous nuls. Une tracklist à écouter en priorité pour ceux que ça intéresse : Take Me Home, Lover, Move This Mountain, Murder On The Dancefloor, l'étonnant Sparkle, By Chance, le vraiment splendide Is It Any Wonder et le très marrant Everything Falls Into Place. C'est à dire bien plus de la moitié de l'album. Par contre, les apparitions de Sophie Ellis Bextor tendent à nous la faire découvrir comme une potiche. Aie aie aie, mais rien n'est perdu. Voilà un bon petit disque.


Tom Waits - Blood Money

         Bon, je vous l'ai dit en dessous, le chef-d'œuvre du faux double-album que sort le gars Waits, c'est Alice. Blood Money, malgré la structure souvent plus bizarroïde de ses chansons, est plus classique. C'est un nouveau Rain Dogs (pour preuve l'ouverture avec un pseudo Singapore (Misery Is The River Of The World), très efficace au demeurant (mais moins que Big In Japan, ouverture de Mule Variations)). Le propos par contre est une réminiscence de la noirceur effrayante de Bone Machine. Le second morceau, Everything Goes To Hell tend à annoncer l'album comme une œuvre rouge sombre (à l'image de la pochette, moins belle que celle de Alice, mais quand même !). Puis arrive Coney Island Baby, ballade ivre, qui tient difficilement sur ses pieds d'argile. Tom Waits aura rarement paru aussi usé et fissuré. Incroyablement beau. Mais le meilleur est à suivre, avec All The World Is Green. Tout ce qui fait la magie de l'artiste est contenu dans ce morceau, qui prend immédiatement place parmi ses meilleurs. Avec pour preuve un refrain d'une simplicité mélodique clouante et d'une émotion transcendante. Du Tom Waits plus classique sur le truculent God's Away On Business. Et... hum... cessons ici l'écoute linéaire et prenons de la hauteur.

        Il y a des instrumentaux franchement intéressants et plus abordables (une fois encore) que ceux de The Black Rider. Il y a une berceuse tellement fragile et émouvante que c'en est louche, est-ce un piège ? Non, non, vous avez le droit de pleurer, vite, car cela ne dure que deux minutes (mais elle vous marquera bien plus longtemps). La pièce de résistance c'est ce Starving In The Belly Of A Whale. Là encore, sans surprises pour l'amateur de Tom Waits (et une vraie révélation pour celui qui découvrira ici l'artiste). On imagine déjà d'ici les futurs fans intégristes de The Part You Throw Away, et on les comprend. Et bien sûr en final, on revisite A Good Man Is Hard To Find. Et bon, c'est sublime, sans âge, et oui, bordel, c'est le bon goût à l'état pur (et si vous voulez écouter Garbage, c'est votre choix, y aura toujours des gens pour préférer Luc Besson à Tim Burton). Alors, pour les autres, les gens avec un cerveau en état de fonctionner (donc je ne m'adresse pas à Angela du Loft) et avec une pointe de sensibilité (David du Loft peut tèj aussi), vous allez VOUS faire le plaisir d'acheter ces deux albums. C'est du placement à long terme, du durable, du "on ne va pas s'en lasser demain", de la musique pour, oh mon dieu quel horreur !, de la musique pour vieillir avec (ça y est le mot est lâché), pas de la musique pour danser cet été, pas de la musique pour écouter en fond pendant qu'on bosse sur son bac ou sur son rapport d'entreprise, pas de la musique pour faire son malin en société, non, de la putain de musique que vous n'écouterez peut-être qu'une ou deux fois cette année, mais que vous écouterez toujours dans 20 ans (avec plein d'autres choses, bien sûr). Alors, bon, vous faites comme vous voulez, mais vous ne pourrez pas dire que je ne vous ai pas prévenu !


Tom Waits - Alice

        Tom Waits, que je compare souvent à Kate Bush (si vous connaissez bien ces deux artistes, cela vous paraîtra évident), est un joyeux drille. Après avoir pris sept années pour donner un successeur à son chef-d'œuvre Bone Machine (et à son projet trop branque The Black Rider) en la personne du super "best of" Mule Variations ; le voilà-t-y pas qui nous sort deux albums en MEME temps. Le cœur s'affole, le cerveau bouillonne, les oreilles réclament leur drogue à toute force. Alors ? Alors deux albums qui ne pourraient pas faire un double, chacun fonctionnant totalement indépendamment de l'autre. Tout le monde s'accorde à clamer la supériorité de Alice sur Blood Money. Ca tombe bien, je voulais commencer par ce Alice. Et nous parlerons de Blood Money plus tard, mais pour vous éclaircir le chemin, d'une part il faut acheter les deux (en même temps de préférence) et d'autre part Blood Money est plus proche du Tom Waits "Rain Dogs - Mule Variations". Par contre Alice est une copulation bouleversante entre le Waits piano-bar d'avant la rencontre avec sa femme (avec laquelle il co-signe désormais toutes ses chansons) et ses projets les plus expérimentaux (The Black Rider, Frank's Wild Years, Bone Machine). On navigue donc entre la ballade triste de fin de soirée dans un bar de bord de mer, là où un géant voyageur solitaire vient raconter sa vie déchirante de son inimitable voix de mangeur de cailloux. Et les morceaux plus rythmés, mais rythmés façon carriole qui part en petits bouts. Pas de surprise dans la musique de Tom Waits, ni dans ses paroles. Par contre, pour ce qui est de l'émotion, c'est toujours aussi sublime. Alice est un recueil de chansons parfaites, dotées d'une personnalité extrêmement forte mais jamais envahissante. L'ensemble pourra sembler un peu hermétique de prime abord (mais moins que les chefs-d'œuvre onanistes de Nick Cave, par exemple), mais l'impression ne durera qu'à peine une poignée d'écoutes. Après... Et bien après... On se passe des mots.

        Ce que j'aime avec Tom Waits, c'est son raffinement, sa délicatesse. C'est paradoxal, mais c'est exactement cela. Ce type a de la classe. Il suffit d'écouter un intemporel exercice de style jazzy comme Table Top Joe ou une mélancolique histoire aussi drôle que cruelle comme Poor Edward (Wood ? peut-être bien...), pour comprendre immédiatement ce que j'adore dans un disque comme Alice. Tom Waits ne fait pas de la musique passe-partout, ce n'est pas une musique pour accompagner les repas dans l'arrière-salle enfumée, ni une musique pour recevoir chez soi, encore moins une musique pour les dîners en amoureux. C'est une musique débordant tellement d'émotion qu'elle peut mettre mal à l'aise, qu'elle peut prendre d'assaut l'esprit et le cœur sans qu'on y prête attention. Exemple encore avec ce Lost In The Harbour, plein de dissonances incongrues qui mettent à mal l'aspect prévisible d'une telle chanson. Expérimental, Waits l'est tout le temps, même dans les moments les plus simples en apparence. Il dissimule aussi bien ses mélodies que ses prises de risques, tout cela au profit d'une chose : l'atmosphère. On entre dans un album de Tom Waits, comme dans un grand roman. Un roman romantique, un roman d'aventure, un roman dédié aux "freaks" ou aux amours perdus. Comme chez Kate Bush (nous y voilà).

        Alice ? Pour la Alice du pays des merveilles ? Sans doute, notamment dans le We're All Mad Here, que l'on croirait échapper de l'impossible Black Rider. Alice, aussi, pour la Femme, avec un grand F, la femme-enfant, la femme idéale, la femme qui pourrait aussi bien être la prostituée bouleversante évoquée dans l'album Blue Valentines ou celle qu'on emmènera toujours dans son cœur comme dans le sommet de Mule Variations, Take It With Me. La Femme, omniprésente, obsédante, qui nous fait vivre, qui vit dans nos rêves ("Last night I dreamed that I was dreaming of you" sur Watch Her Disappear). La Femme absente. Car les albums de Tom Waits, quels que soient le thème de la chanson, ne parlent que de solitude, ou presque. Et on fond d'autant plus facilement en larmes quand les héros "Waitsiens" trouve un bout de réconfort, une épaule sur laquelle se reposer un instant. Avant de repartir sur la route en sifflant.

        Si Bone Machine est toujours le plus grand disque de l'œuvre de Tom Waits, et si les débutants devront toujours plus facilement se précipiter sur Swordfishtrombones, Rain Dogs ou Mule Variations, Alice trouve sans problème sa place parmi ces sommets. On pourra penser que Tom Waits fait "toujours la même chose", et on se mettra le doigt dans l'œil jusqu'au tympan. Car dans cet album, Waits crée quelques unes de ses plus admirables histoires, quelques unes de ses plus jolies mélodies, quelques unes de ses plus fascinantes atmosphères. "I'm still here", chante monsieur Waits. Heureusement. Car dans une période musicalement sinistrée, où l'on ne sait plus écrire de chansons simples avec un piano, un violon, une trompette, une contrebasse, une voix et surtout une âme, dans une période comme la nôtre, bah je suis désolé, c'est encore un vieux qui vient donner des leçons aux jeunes. Certes, il faut avoir beaucoup roulé sa bosse pour chanter et écrire comme Tom Waits, mais pas forcément pour avoir du talent (ou alors Nick Drake avait menti sur son âge quand il a offert Five Leaves Left et Pink Moon au monde à genoux et en larmes). En résumé : Alice de Tom Waits est déjà un classique. Alors profitez-en maintenant et n'attendez pas qu'on vous le ressorte dans 15 ans en édition DVD audio collector machin-bidule (vous pourrez le racheter à ce moment-là, certes). Profitez-en maintenant ! C'est un bijou, un ami, un rayon de soleil, un clair de lune, une soirée dans la brume du port tranquille. C'est le plus beau cadeau musical de ce milieu d'année !

 

 
 
 
 
 
 
 
 
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