Quelle infamie la guerre. On souhaiterait qu'elle disparaisse à jamais. Que les conflits où les frères et sœurs humains s'entretuent prennent fin. Utopie que tout cela, me répond-on, mais il faut faire vivre cette utopie par tous les moyens, chaque jour, tout le temps.

En tant que réalité humaine aussi absurde qu'incontournable, la guerre est un des thèmes majeurs des arts depuis l'origine. Comme dans la vie, la guerre est partout. Parfois, elle est au centre des œuvres, plus souvent, elle est à la marge, menace planante ou péripétie tragique.

Art majeur du XXe siècle, le cinéma a évidemment été le principal médium pour retranscrire la guerre dans toute son ignominie. Cependant, tous les créateurs n'échappent pas au piège de faire de l'acte guerrier un divertissement, voire une ode à une quelconque grandeur du boucher. "Personne par la guerre ne devient grand", vous dit pourtant maître Yoda...

Ce n'est donc sans aucune surprise que les meilleurs films de guerre sont généralement ceux qui n'ont aucun penchant pour l'héroïsme guerrier. Au mieux, ils donnent à voir le courage des humains face à la barbarie et à l'absurdité la plus radicale. Cela donne des moments de cinéma "d'aventure" au cœur des conflits. Il y a bien sûr une exaltation, pour les protagonistes comme pour le spectateur, mais à quel prix ? Pour quels résultats ?

 

 

De tous les éléments qu'on est en droit d'attendre d'un œuvre cinématographique sur la guerre, c'est probablement Das Boot qui en présente la meilleure synthèse. C'est un film allemand de Wolfgang Petersen, sorti en 1981 dans une version courte de 149 minutes que je mentionne à peine, tant elle ne rend absolument pas justice à la puissance viscérale de ce geste artistique rare.

Une version Director's Cut, de 209 minutes, sortie en 1997, est déjà plus respectueuse. Mais c'est bien la version intégrale, proposée sous forme de minisérie en 1985, avec ses 300 minutes, et remontée pour une version Uncut de 282 minutes, sans les génériques et les répétitions de début d'épisodes, qui est celle qu'il faut voir. Bref, si le Das Boot que vous souhaitez regarder ne dure pas plus de 4h30, passez votre chemin.

Donc, Das Boot de Wolfgang Petersen contient tous les éléments du film de guerre quintessentiel. En effet, l'œuvre présente, au mieux du possible dans le cadre du cinéma, ce qu'est la guerre : une longue attente, un ennui lancinant, une angoisse existentielle seulement brisée par de soudains, injustes, incompréhensibles, instants de violence où tout bascule.

 

 

Avec son ultra-réalisme qui en fait aussi le seul de sous-marin respecté par les sous-mariniers, Das Boot étouffe par sa claustrophobie, son quotidien nauséeux, son cauchemar mécanique. Ce ne sont que fluides corporels et huile de moteur, vapeurs toxiques et promiscuité glauque. Pris dans cette atmosphère, la chair à canon en vient à attendre la délivrance du combat, l'espoir de l'héroïsme.

De l'héroïsme, il y en a, certes, des êtres prêts à tout pour survivre, revenir à la surface, revoir la terre, retrouver la vie. Mais cet héroïsme s'avère terriblement vain. Car la guerre n'est qu'absurdité et désolation.

Oui, Das Boot n'est pas qu'une épreuve, c'est aussi un divertissement, une œuvre accessible, plaisante à regarder malgré son horreur. Mise en scène, interprétation, musique, tout y est admirable, digne de toutes les louanges.

 

 

Mais, en fil rouge, le film ne cesse de ramener les deux pieds au fond de l'océan, dans ce vaste cimetière. Et si vous avez espéré, et si vous avez vibré pour le tas de ferraille et les destins brisés qui tentent d'y survivre, vous serez d'autant plus saisi par la conclusion. Inévitable défaite qui surligne la question qui surplombe l'ensemble des cinq heures du film : comment faire pour arrêter tout cela ? Comment faire pour qu'enfin, on n'envoie plus des êtres périr pour... pour quoi déjà ?

Pour la liberté ? La patrie ? La nation ? La croyance ? La puissance d'untel ? L'honneur d'un autre ? Dans Das Boot, les raisons n'existent même pas. Il n'y a que les ordres, de plus en plus absurdes, de plus en plus suicidaires, auxquels il faut obéir sans questionner. On meurt par les ordres, pour les ordres. On ne sait même plus le pourquoi du comment. Il faut des héros. Il faut couler l'ennemi, entité floue dont on oublie qu'elle est toute aussi humaine. Dont on veut oublier qu'elle est aussi humaine. Dissonance cognitive suprême, sans laquelle la guerre ne peut exister.

 

 

Car si l'autre commence à exister pour nous, comment lui faire la guerre. Si l'autre existe dans toute sa complexité, dans toutes ses nuances, dans ses peines, ses espoirs, ses peurs, sa profonde tragédie, il n'y a plus de guerre possible. L'héroïsme des soldats vacillent quand ils voient l'ennemi périr injustement. Quand il ne s'agit plus de seulement couler des tas de ferraille mais bien de prendre des vies, les convictions et les rêves du "grand guerrier" s'effondrent.

Héroïsme donc ? Survie plutôt. Juste la survie. Car c'est, bien sûr, au final un film de survie, de plus en plus primitif. Une volonté de survivre, malgré la quasi certitude de la mort au prochain instant. C'est donc cela la guerre ? Une lutte pour la survie ? Sans rime, ni raison ? Mais non, il y a la patrie, la nation, la race, la croyance, la liberté ! Vastes illusions, rendues d'autant plus évidentes que, pour une fois, l'Histoire est ici montrée du côté des "perdants". Sans doute est-ce plus facile pour les perdants de raconter la guerre dans toute son idiotie.

 

 

Il y a d'autres très grands films de guerre. Certains appuyant davantage sur le côté aventures (comme les deux chefs-d'œuvre de David Lean, Le Pont de la rivière Kwaï et Lawrence d'Arabie), d'autres allant plutôt du côté le plus atroce, tel Requiem pour un massacre. Ce qui les unit, c'est qu'à la fin c'est toujours la tragédie et l'absurdité qui triomphe. Le pont explose, l'épopée est un échec, le massacre est inévitable.

La caméra peut être virtuose, les comédiens grandioses, la musique inoubliable, la forme admirable, mais Das Boot s'inscrit dans cette belle et terrible tradition des films de guerre essentiels. Ceux qui nous assènent, sous les atours les plus séduisants, que la guerre veut notre mort, notre destruction finale. S'il est parfois inévitable de se défendre, il ne faut jamais le souhaiter, ne jamais l'encourager, ne jamais le glorifier. Car, par la guerre, personne ne devient grand.

 

 
 
 
 
 
 
 
 
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