Plaidoyer pour l'humour au long cours

 

"L'humour : la politesse du désespoir", écrivait fort justement Chris Marker et j'en ai fait depuis toujours une de mes devises, conscientes ou inconscientes. C'est même un des principaux leitmotiv d'Edwood vous parle : on va bien rigoler pour ne pas pleurer.

Alors, parfois, j'ai envie d'être impoli et de ne pas être drôle. Cela arrive de plus en plus souvent. Faut dire que l'époque n'est pas à la franche rigolade. La fin du monde, tout ça, le bruit des bottes, tout ça. Cela donne davantage envie d'ériger des barricades virtuelles et de crier "No pasaràn !" Il y a de quoi ruer dans les brancards de la politesse et de la gaudriole.

Donc, pardonnez-moi si je ne m'excuse pas, mais pour la plaisanterie, c'est compliqué. L'effort devient de plus en plus insurmontable. Zéro motivation pour faire des blagounettes. Et de toute façon, le temps des longs textes comiques est terminé depuis des lustres. La rigolade, à présent, c'est sous forme de memes, de petits tweets, de vidéos sur Tik Tok. Plus personne n'écrit 7000 signes pour faire un vague sketch sans queue ni tête. C'est surestimer la capacité des humains des années 2020 à lire moitié moins que ça sans décrocher et retourner "doom scroller" vers l'Enfer.

Accros à la catastrophe, nous nous accordons des fractions d'humour pour oublier l'angoisse. Pourtant, la réhabilitation de l'humour au long cours n'est pas un combat dénué d'intérêt. Je ne dis pas que la vue d'un meme bien senti ou la lecture d'une percée poilante sur BlueSky n'est pas un de mes passe-temps quotidiens. On va chercher les petits plaisirs là où on peut. Mais c'est chouette aussi de se faire raconter de longues histoires à vocation comique. Ce n'est pas souvent hilarant d'un bout à l'autre, mais au moins y a de quoi lire. On n'a jamais assez de lecture, rigolote ou non.

 


 

"Oui mais quitte à faire du long cours, tu pourrais peut-être faire du long court", me diront les plus pressés d'entre vous. Et moi de répondre : quel intérêt à faire court si on fait du long cours ? Je ne vais pas vous faire un long cours sur le principe du long cours, ce serait trop long et j'essaie de faire un cours court. D'ailleurs, c'est presque fini et ça va être l'heure d'aller vous amuser dans la cour, après le cours sur le long cours qui ne sera pas trop long et donc plutôt court.

Voyez donc comme le paragraphe précédent était de la bonne poilade à l'ancienne, du jeu de mots qualitatif, façon Raymond Devos du pauvre. Du gueux, même, mais on fait ce qu'on peut. On n'est pas bien riche ici, je vous le rappelle (vous avez qu'à m'envoyer des dons, si vous voulez du Raymond Devos de classe moyenne). Et puis c'est frais les jeux de mots, c'est pas politique, parce que bon, on n'a pas envie d'avoir de la politique dans son humour.

L'humour ce n'est pas politique. Prenez exemple sur un des films les plus drôles de l'histoire du cinéma : La Vie de Brian, rien de politique là-dedans, c'était le bon temps. Aujourd'hui à cause des islamo-wokistes et des escrolos pastèques du NFPALFI, on peut pu rien dire. Même pas une petite imitation raciste de bon aloi, ha ha ha, tchingtchang ladidon trabadja la rouquemoute, ha ha ha ; ou une ptite pique sur les bonnes femmes qui sont trop attachiantes avec leurs hormones de blondes qui savent pas conduire leurs plats de quinoa. Zut alors ! L'humour c'est l'impolitesse qui mène au désespoir, au fond. Au fond du couloir à droite, alors...

Il fut un temps, pas si lointain (enfin si, il y a plus de 20 ans, ça commence à dater) où j'étais un adepte de l'humour à tout va, pas de pitié, pas de prisonnier. Cette espèce d'humour, parfois très drôle, on ne va pas se mentir, qui n'en a rien à faire de tes sentiments. Cet humour à la South Park, qui fait parfois mouche, mais qui relève d'un anarchisme libertarien, très bête et très méchant. Plus encore que de l'humour, c'est un symptôme du nihilisme.

Avec l'âge, mon nihilisme est moins présent. C'est sans doute l'approche des fins qui me motive à repousser le néant. De brocarder l'humour lourd, en adoptant ses oripeaux, jusqu'à embrasser l'humour des fins, j'ai traversé le Styx de la poilade. Me revoilà aux Enfers et j'ai juste déplacé un peu ma hutte d'un bout à l'autre du Tartare que jamais je n'avais vraiment quitté.

 


 

J'ai eu la chance d'avoir des grands-parents communistes et des parents écologistes, et je vois mal pourquoi j'irais balancer par la fenêtre un héritage aussi louable en n'étant pas moi-même encore plus radical et plus idéaliste qu'eux. "Oui, mais Hitler était socialiste, parce que nazi c'est national socialiste !" et "Mussolini était communiste à l'origine !", les deux affirmations qui permettent de reconnaître à coup sûr les abrutis irrécupérables. "Oui, mais le communisme c'est 500 millions de morts™ !" Allons, donc, bien sûr, comme si le capitalisme ce n'était pas des milliards de morts et de vies plus ou moins brisées, dont, généralement, celles des auteurs de ses affirmations hautes en couleurs. Pas la patience de m'entendre répondre des bêtises pareilles, si jamais j'avais le malheur d'afficher un peu trop clairement mes couleurs. En rouge et noir, mes luttes, mes faiblesses, en rouge et noir, drapeau de mes colères. Vous connaissez la chanson (ou pas, hein, c'est super vieux).

Ah, combien de fois, un lecteur ou une lectrice imaginaire est intervenue sur ce site pour me dire : "Tu sais, les plus courtes sont souvent les meilleures" et ainsi m'inciter à mettre un terme à mon débit sans fin d'improvisations désolantes. J'anticipe la remarque en tapotant le haut de l'écran, enfin, le haut de la page, faut scroller vers le haut, le titre quoi. Ici, c'est du long cours, on ne va pas refaire le sketch. Pas la peine de s'impatienter, si vous avez envie d'aller plier vos chaussettes, de ranger la vaisselle ou de renverser le capitalisme, je ne vais pas vous retenir, faites donc, je vous en prie.

Sinon, on va dire que je vais continuer à vous encourager à procrastiner et à remettre une nouvelle fois à demain le ménage, la vaisselle et le grand soir. On n'est pas les premiers à passer notre tour sur les corvées qu'il faudra quand même bien faire, un jour ou l'autre. On n'est pas là pour se faire enguirlander, c'est pas Noël (ou alors, si, ça dépend quand vous me lisez, c'est peut-être Noël, donc joyeux Noël).

Même si c'est Noël, Pâques ou le 15 août, je ne prends jamais de jour férié lorsqu'il s'agit de faire rire mon prochain. C'est mon cadeau de vous à moi, pas grand-chose à offrir d'autre de toute façon. Créateur de demi-sourires ou de vague consternation, c'est une vraie occupation, un hobby qui se pratique sans compter. Bénévole de l'humour moyennement drôle, j'ai passé des décennies à tirer à la ligne en espérant que le rire morde, mais le rire ne mord pas et la canne n'a plus trop la pêche.

 


 

L'humour c'est magique, c'est un tour de passe-passe. Ou même mieux, c'est la véritable alchimie, celle qui parvient à transformer le plomb en or (quand on est Jacques Tati) ou le plomb en crotte (quand on est [censuré]). Quel prodige que l'humour ! Tant il est vrai que...

Ah, mais...

Ah, mais attendez...

Qu'est-ce que c'est que cette histoire, là, juste au-dessus ? Depuis quand je ne peux pas écrire le nom de cette sous-fiente de [censuré] sur mon propre site où je suis le seul maître à bord ? Ni Dieu, ni maître sur The Web's Worst Page, à part Edwood ! Si j'ai envie de dire que [censuré] est une infâme serpillère de l'extrême droite en France, j'en ai toute la latitude et arrêtez donc de m'autocensurer, c'est un scandale !

C'était donc vrai, on ne peut plus rien dire, même dans le confort de son chez soi où on paye, sans faillir, un loyer annuel depuis 1998. La faute au wosksisme ? Non, justement, bien au contraire. La faute aux meutes des adeptes du harcèlement généralisé, de ceux qui traquent jusqu'au fin fond du web tous ceux qui semblent être un petit peu trop woke à leur goût.

"Mais enfin Edwood, tu sais bien que tu ne risques rien ici, on est entre nous, si tu as envie d'écrire que Sophia Aram est le papier-toilette de Sarah Knafo et Jordan Bardella, tu en as le droit et même le devoir, ça restera entre nous, ne te prends pas pour un martyre de la liberté d'expression, avec ton lectorat qui se compte sur les doigts de la main."

Merci, chère lectrice anonyme, cher lecteur inconnu, par cette intervention impromptue, bien tournée et bien sentie, non seulement tu as brisé la malédiction, mais en plus tu m'as une nouvelle fois remis sur le droit chemin. La route pavée de briques jaunes qui mène à la cité d'émeraude de l'humour drôle, c'est là mon sentier, mon horizon. Un jour, peut-être, après ces décennies d'errance, je trouverai la blague imparable, le jeu de mots qui te fera rire aux éclats. Un jour, peut-être, au terme d'un indicible périple, je te ferai pleurer, de rire. Toi et moi, on l'aura bien mérité.

 

Edward D. Wood Jr.

("See, I been doin' a good job of makin' 'em think I'm quite alright, better hope I don't blink.")

 
 
 
 
 
 
 
 
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