Incassable

de M. Night Shyamalan

        Ils nous avaient gentiment bluffé avec un Sixième Sens tout en finesse et surtout plein de promesses. Et ces promesses alors ? Et bien elles sont tenues et même franchement dépassées avec l'incroyable Incassable (Unbreakabole in the text). Sixième Sens avait le mérite de proposer un film fantastique "à l'ancienne", qui trouvait ses marques plus près des Innocents ou du Cercle Infernal que de Hantise ou de Urban Legend. L'histoire n'était pas franchement originale, les ressorts dramatiques efficaces sans être révolutionnaires, et le fameux coup de théâtre encore trop hollywoodien pour vraiment nous transporter. Néanmoins, Sixième Sens (il faut enlever le "le" avant le titre sinon on parle du film kitsch de Michael Mann, vous savez, Manhunter) nous offrait une ambiance contemplative touchante, des acteurs sobres, une mise en scène intéressante et quelques très beaux moments de cinéma comme on l'aime. Il restait à transformer l'essai.

        C'est définitivement chose faite avec Incassable, le meilleur film que nous ait offert Hollywood en l'an 2000, à égalité avec Sleepy Hollow et Pitch Black. Le coup de génie de Shyamalan est d'avoir transporté l'ambiance fantastique raffinée du Sixième Sens dans un univers totalement différent et franchement peu habitué à ce genre de traitements. Bon attention, je vais révéler quelques points importants de l'histoire et il vaut mieux arrêter de lire maintenant pour ceux qui n'ont pas encore dévoré cette perle sur grand (ou petit) écran. Ce serait vraiment dommage de gâcher l'œuvre ainsi.

        En résulte le film de super héros le plus touchant qui soit. Le complément indispensable au jouissivement coloré Superman de Donner, au cartoonesque Darkman de Sam Raimi et évidement aux crépusculaires Batman de Burton. Shyamalan offre aux clichés des Comics un traitement inédit, et la réussite est à la hauteur du challenge. Incassable est un drame intimiste, un thriller minimal, un réflexion délicate, un "actioner" intelligent. On pourra se moquer longuement et lourdement des prétentions affichées par le film. On aura tort. Comme on a tort de se gausser de 2001, de Stalker ou de La Ligne Rouge (toutes proportions gardées, bien sûr). Certes, Incassable n'est pas un grand spectacle boum-boum, un blockbuster tout pour le fun comme The Rock ou un blockbuster faussement évolué comme X-Men, c'est bel et bien un blockbuster "d'auteur", comme le sont les films de Burton, de Fincher ou l'Armée des 12 Singes de Gilliam (déjà avec Bruce Willis).

        Avouons-le, en sortant d'Incassable on se croit revenu à l'époque bénie où Michael Cimino, Martin Scorsese et Francis Ford Coppola dominaient Hollywood. L'époque où Spielberg enchaînait Les Dents de la Mer et Rencontres du 3e Type. L'époque pré Porte du Paradis, l'époque pré Coup de Cœur et Cotton Club. L'époque où l'on pouvait se permettre The Deer Hunter, Apocalypse Now, Raging Bull et récolter tous les lauriers et la bénédiction des studios. Avec La Ligne Rouge, Incassable et autre Fight Club, on pourrait croire cette époque revenue. Mais ne nous faisons pas trop d'illusions. Alors profitons amplement de ce que nous avons sous la dent en ce moment.

        Incassable est un film qui flirte en permanence avec la démonstration de style gratuite et le ridicule. Sans jamais y sombrer. On est toujours à la limite. Sur le territoire où fleurissent les chefs-d'œuvre (cf Burton ou De Palma). Incassable chef-d'œuvre ? L'avenir proche nous le dira. La sortie vidéo sera le révélateur. Mais voilà une œuvre qui devrait très bien supporter le petit écran et surtout le poids des ans et les multiples visions. Tout est bon, tout simplement. Les acteurs, bien sûr. Bruce Willis, plus sobre encore que dans l'Armée des 12 Singes, sans aucun doute aussi émouvant (c'est dire !), et déjà plus réveillé et concerné que dans Sixième Sens. Samuel L. Jackson, grandiose, qui forme un duo vibrant avec Willis. On n'ose imaginer ce que pourrait donner un Incassable 2... Robin Wright fait de la figuration simple et charmante. Et un nouvel acteur enfant tout à fait supportable, nous enchante.

        La musique de James Newton Howard, très discrète pendant 90% du métrage, pour mieux nous clouer lors des lentes montées d'un thème qui fera date. A ne pas louper, la scène sublimissime du hall de gare où Willis fait usage pour la première fois de son "sixième sens". Un spectaculaire tout en intériorité, une sensibilité géniale qui impressionnent plus que tous les blockbusters feux d'artifice qui soient. La mise en scène est parfois très voyante sans pour autant être gênante. Le style Shyamalan fait partie de l'originalité du film, le résultat est tétanisant par instants. Le rythme, lent, contemplatif, envoûtant est parfaitement adéquat. Quand le final formidable survient, on en demande pour 2 heures de plus ! Dieu que l'on va attendre la suite avec impatience et espoir. Le défi sera terrible à relever, mais je place toute ma confiance en Shyamalan et son superbe duo d'acteurs.

        Paradoxalement, la sobriété d'Incassable, sa retenue de tous les instants provoquent un enthousiasme et un plaisir débordants chez le spectateur. On sort de la salle avec un sourire jusqu'aux oreilles et l'imagination en ébullition. Incassable propose un cinéma interactif, grâce à son concept riche en possibilités et à son ambiance qui touche parfois, et oui, à l'intensité du rêve. De là à dire que Incassable s'aventure sur les terres de Lynch, il n'y a qu'un pas que j'hésite à franchir. Du moins, pas avant la sortie vidéo. Mais... Ma foi...

        Incassable, malgré l'aquaphobie de son héros, est une œuvre limpide comme l'eau claire. Dans une ambiance réaliste et non dépressive, Shyamalan n'est vraiment pas loin de nous offrir la synthèse de Raging Bull et de Superman. Ah oui, dit comme ça, ça peut paraître très bizarre. Et ça l'est. Mais en même temps, tout coule vraiment de source. On se laisse porter de la première à la dernière séquence. On entre dans le jeu, on tombe dans tous les pièges, on est touché. Shyamalan ose évoquer la vie, la mort, la famille, la souffrance physique, la souffrance psychologique, le doute, la quête de soi-même, au cœur d'un film de super héros. Car super héros il y a, un super héros à visage très humain. Amusant de noter que Bruce Willis était déjà le "héros ordinaire" du Piège de Cristal de Mc Tiernan, autre splendeur qui avait changé l'histoire du cinéma hollywoodien.



Yi Yi

de Edward Yang

        Plébiscite critique plus que mérité pour le film le plus émouvant de l'année. Film "vivant", Yi Yi se passe de tout commentaire (c'est dire la réussite de l'ensemble). Suivant votre sensibilité (et votre vécu), vous allez découvrir l'un des plus grands films de tous les temps ou vous ennuyer ferme pendant 3 heures. Inutile donc de dire qu'il faut impérativement voir ce chef-d'œuvre, qui illustre à merveille l'une des répliques du film : "depuis l'invention du cinéma on vit trois fois plus". Yi Yi réussit le tour de force d'être drôle, triste, modeste, philosophique, de parler de rien et de tout, de scruter ses personnages au plus profond tout en touchant le spectateur en plein cœur. De très loin le film de l'année, pour l'instant. Discrétion, simplicité, humanité et tout ça sans une dose de cynisme et en préservant l'enthousiasme. On croyait que c'était devenu impossible, on se trompait lourdement. Miraculeux.


Esther Kahn

de Arnaud Desplechin

       Desplechin poursuit son observation de l'humanité dans un aquarium. Il filme des animaux, il illustre des concepts psychologiques, il joue les miroirs lacaniens et son dernier chef-d'œuvre, Esther Kahn est à nouveau un incroyable "suspens métaphysique" qui s'impose sans problème comme l'un des films les plus passionnants de l'année, si ce n'est le plus passionnant. Beaucoup moins drôle et "quotidien" que le génial Comment Je Me Suis Disputé, Esther Kahn suit le parcours d'une jeune fille peu "aimable", archétype de l'être rongé de l'intérieur par une obscure vengeance plus ou moins inconsciente et par un replis systématique. Intériorisée jusqu'à l'explosion (qui surviendra dans la formidable fin du film), Esther choisit la voie la plus symbolique pour détruire "le mur". Bon, je vais un peu dévoiler la fin, mais cela vaut la peine. Car loin de l'optimisme de Comment Je Me Suis Disputé dans lequel Paul Dedalus finissait par prendre conscience d'une interaction entre lui et les "autres", prise de conscience qui nous amenait à la sublime conclusion du "il ne vivait donc pas pour rien" ; Esther Kahn s'achève sur une explosion de vie aussitôt maîtrisée et conceptualisée ainsi prête à être reproduite à l'infini en toute sécurité (le jeu d'acteur mais aussi le jeu de l'existence). Esther Kahn est donc à nouveau le récit d'un lent apprentissage du "jeu social", un lent apprentissage qui, des traumatismes de l'enfance au transfert, revêt les apparences (parfois maladroites) d'une cure psychanalytique. Bien évidemment, tout le contexte du monde du théâtre n'est qu'un enrobage, comme le contexte universitaire n'était qu'une toile de fond habile et "crédible" pour le grand chassé-croisé psychologique de Comment Je Me Suis Disputé. Et comme d'habitude Desplechin avance par scènes symboliques, par événements traumatiques, créateurs, libérateurs. Et comme d'habitude on ne s'ennuie pas une seule seconde, car il se passe toujours quelque chose dans Esther Kahn, chaque réplique, chaque détail est calculé avec soin et recul.

        Farandole de sens dans son fond, Esther Kahn est aussi un bonheur de spectateur dans sa forme. Acteurs impeccables (avec bien sûr et avant tout, l'hallucinante Summer Phoenix, dont on se demande comment elle va réussir à se libérer du poids d'un tel premier rôle (le même problème que Kate Winslet après Heavenly Creatures), photographie fascinante (la grisaille de Londres, presque palpable), mise en scène fabuleuse (Desplechin filme comme Hitchcock ou... McTiernan), musique formidable (Howard Shore, toujours et encore). Tout concours à transformer Esther Kahn en une palpitante course en forme de roman d'apprentissage. Plus le dénouement approche, plus cette Esther nous rappelle celle de Comment Je Me Suis Disputé (la bouleversante Emmanuelle Devos, qui fait une apparition hautement symbolique dans Esther Kahn), quand la libération ne peut s'effectuer que dans les larmes et que les sentiments longtemps retenus s'exposent. Mais Esther Kahn est moins l'Esther étudiante à fleur de peau terriblement attachante, que l'Esther littéraire froide et calculatrice au sein même de ses instincts. La faiblesse qui accompagne la découverte de la déception sentimentale est vite surmontée, apprivoisée, enregistrée dans le programme. Et si Desplechin passe par le cliché du "il faut avoir vécu pour bien jouer", il ne s'arrête pas là et nous apprend au final que l'actrice se doit d'être aussi "le plus froid des monstres froids", elle doit savoir contenir ses émotions, les apprendre comme un texte et les ressortir une fois entrée en scène. Et cela devient aussi valable pour la vie en société. Le fleuve des gens qui parlent, chuchotent, médisent, interagissent, un univers de faux-semblants qu'Esther scrute, tente maladroitement d'imiter, refuse, avant d'en découvrir la clef. Film sur l'imitation, Esther Kahn permettra encore d'accuser Desplechin de porter un regard froid, distant, un regard quasi médical sur les humains. Un regard porté par des personnages principaux déjà en retrait par rapport aux relations humaines, doublé par un commentaire en voix off (comme dans Comment Je Me Suis Disputé) qui ajoute une nouvelle distance avec ce qui se déroule devant nous. Cette apparente neutralité du récit est en fait une prise de position très forte pour décrire le monde de manière clinique. C'est passionnant et parfois vraiment percutant (la scène de la mort de la grand-mère et celle de la perte de virginité sont cronenbergiennes). Nul doute qu'il faudra du temps et de nombreuses visions pour cerner peu à peu la personnalité d'Esther Kahn (l'héroïne et le film). En attendant, cette œuvre tendue, palpitante, fébrile nous touche au plus profond, car pour faire gentiment cliché "nous sommes tous des Esther Kahn". Ce film aurait pu s'intituler This Is Hardcore, il en a l'envergure.


Tigre et Dragon

de Ang Lee

            Je vous entends d'ici. Je sais déjà ce que tout le monde va dire. On va encore me traiter d'élitiste, de snob et de toutes ces sortes de choses. Mais pour moi Tigre et Dragon est une déception. On pourrait dire une demi-déception, car vous allez le voir, ce film est plein de qualités. Mais c'est quand même une déception assez conséquente. Tigre et Dragon est au départ un vrai bonheur. C'est un film HK comme on les aime. Musique traditionnelle, acteurs cultes (Chow Yun Fat, Michelle Yeoh...), valeurs respectées (en particulier de la dignité et de l'honneur à tous les étages, ah ça fait du bien !), combats de sabres, kung fu très éloigné de Matrix. D'ailleurs, tant que j'y suis, si vous avez aimé Matrix, vous allez détester ce film, qui est, et c'est l'une de ses grandes qualités, l'anti-Matrix. Tout est le contraire de Matrix, tout, tout, tout, ici on s'envole mais avec poésie, ici les baisers ne ressuscitent pas, ici on sait prendre le temps d'une pause et d'un soupir. Tel qu'il se présente à nous, le film a déjà beaucoup pour séduire et c'est avec enthousiasme que l'on s'apprête à retrouver LE genre fétiche (pour occidentaliser à fond : "l'heroic fantasy orientale").

        Je passe sur le contexte de la séance (un public de fils de putes qui ne font que bailler, se marrer, parler, bouffer, bailler encore et encore, je les emmerde, oh bon sang ce que je les emmerde !). Le film commence bien, avec Chow Yun Fat et une Michelle Yeoh très dignes dans les rôles caricaturaux qui leur incombent (mais comment se passer de la figure du Maître dans une telle œuvre ?). Pour l'instant cela ressemble franchement à un Il Etait Une Fois En Chine, donc c'est bien, oh oui, c'est bien. Tant que j'y suis, je préviens encore, il y a très très peu d'action dans Tigre et Dragon, et les combats ne sont jamais très impressionnants, trop trafiqués par ordinateur, ils flottent dans les airs pour le meilleur (la poursuite dans les arbres) ou pour le pire (la bagarre dans la taverne, pépère...). Bon, alors, si on parlait un peu de l'histoire ? En fait, non, je ne vais pas en parler, du moins, je ne vais pas la raconter. Je vais juste dire que c'est là que ça coince le plus sérieusement. C'est un empilement de clichés (bon, jusque là, c'est normal) mais un chouia trop occidentalisés.

        En fait Tigre et Dragon est un petit manuel du cinéma asiatique expliqué aux néophytes. Et ça plaira sûrement aux débutants. Pour les autres, et bien, ils auront en permanence la désagréable impression d'avoir déjà vu cela en mieux ailleurs. L'histoire d'amour tragique à coups d'épée ? The Bride With White Hair ! L'apprentissage des armes et de la sagesse ? The Blade ! Et toute une flopée d'autres, chaque instant de Tigre et Dragon faisant référence à un autre film du même genre. Mais autant je ne tolérais pas le procédé avec Matrix, autant, là, ça passe, et oui, forcément. Pour entrer un peu plus dans l'histoire, elle n'est pas franchement exaltante et c'est sans doute son plus grand défaut. Prévisible du début à la fin (quel dommage !), elle traîne en particulier un personnage de jeune effrontée horripilante qui malgré la pirouette (littérale) finale n'est ni attachant ni intéressant, juste énervant. En contre-poids, Yeoh et Yun Fat font ce qu'ils peuvent pour tirer le film vers eux et y réussissent bien souvent (on s'en serait douté). Mais Ang Lee, dont on voit très souvent que ce sont ses débuts dans le genre, plombe son film tel le novice qu'il est. Outre les combats bien mal rythmés, il nous "gratifie" d'un flash back lourdaud en plein milieu du film, flash back qui finit rapidement par ressembler à un très beau documentaire sur les paysages de Chine. On en vient à réclamer la disparition de l'insupportable petite peste et de son très niais voleur d'amant et ainsi pouvoir admirer à loisir les montagnes et les déserts. Car le film est très beau et c'est la moindre des choses. Sans atteindre les sommets de Hark (qui pourtant fait ses chefs-d'œuvre avec un budget dix fois moindre et en dix fois moins de temps), mais très beau quand même.

        Tigre et Dragon semble donc fait pour ceux qui ne connaissent pas le genre ou qui y étaient encore réticents. Une sorte de Reader's Digest très estimable, voire totalement indispensable. Mais qui souffre des mêmes qualités et défauts que Princesse Mononoke (qui est un film bien plus réussi, soit dit en passant). Histoire démonstrative, pauses poétiques trop appuyés, tentative ratée de faire "somme" d'un genre... Tigre et Dragon émerveille parfois (on n'a pas l'habitude de voir des effets spéciaux aussi évolués à HK) et déçoit en même temps (oui, mais finalement, est-ce mieux avec les effets informatiques ? Bah non...). Et Ang Lee se retrouve très souvent l'arrière-train entre deux chaises. Doit-il aller jusqu'au bout du délire façon Zu ? Ou doit-il miser sur un drame romantique façon The Lovers (on est à des années lumières du plus grand film de tous les temps, hein, attention !) ? Et à aucun moment il n'arrive à résoudre l'équation pourtant déjà dissipée et avec le brio que l'on connaît dans The Bride With White Hair ou dans The Blade. Et je ne parle même pas de Green Snake, film d'une toute envergure émotionnelle et spirituelle. On pense aussi à la grâce des instants romantiques blottis dans les monstres de films de genre que sont The Killer ou Il Etait Une Fois En Chine. Là, ce n'était pas la peine d'en faire des tonnes pour dire beaucoup. Beaucoup plus que Tigre et Dragon, qui ne fait qu'effleurer la magie sans jamais vraiment l'atteindre.

        A la fois très frustrant et enthousiasmant car imposant enfin le pur cinéma HK aux yeux de l'occident, Tigre et Dragon en comparaison avec les chefs-d'œuvre de son genre n'est que moyen. A aucun moment je n'ai été touché ou transporté, au contraire de la plupart des films asiatiques, ce qui prouve bien, au moins à mon niveau, qu'il y a quelque chose qui cloche dans le royaume d'Ang Lee. En comparaison au reste de la production mondial de cinéma dit de divertissement, c'est le meilleur film de l'année aux côtés de Sleepy Hollow. Purement et simplement. Et cette conclusion traduit bien la schizophrénie de l'œuvre, qui écrase nos critères occidentaux sans oser aller jusqu'au bout de son indispensable travail de remise en question. En clair, allez absolument voir ce film. Et ensuite passez-vous l'intégrale Tsui Hark, vous n'aurez plus jamais besoin de fréquenter les X-Men et autres Gladiator.

PS : On me fait remarquer que les films de Tsui Hark sont rarement visibles au cinéma. Que c'est la première fois qu'un vrai film HK sort tel un blockbuster. Et que cela faisait longtemps que l'on n'avait pas vu quelque chose d'aussi beau et d'aussi lyrique sur un écran. Et je suis tout à fait d'accord (attendez, oh ! Princesse Mononoke c'est mieux et il est aussi quasiment sorti comme un blockbuster). Tigre et Dragon est un film à voir, je le répète, oui, oui, oui ! Mais on a déjà vu beaucoup mieux dans le genre. Je veux dire, si on compare, c'est juste un bon film, quoi, un bon petit film maladroit mais plein de bons sentiments. Quoi ? D'accord, je me tais...

On m'accuse aussi de cracher dans la soupe. Oh mais oh ! J'ai bien dit qu'il FALLAIT aller le voir ce film, non ? C'est bien l'essentiel, non ? Après je ramène ma science, certes, et si c'est pas moi qui le fais, qui c'est qui va le faire, hein ? Je ne suis pas payé aussi pour cela, hein !


X-Men

de Brian Singer

        Nous sommes en présence d'un film "fun" dit "du samedi soir", que l'on aime bien pendant la projection et que l'on oublie dès que la lumière revient. Difficile, donc, d'en parler après coup. On peut commencer par noter que l'ensemble est d'une intolérable fidélité au Comic original, tout le contraire de la démarche de Burton sur Batman Returns, donc. Ce qui donne une absence totale de suspens et d'émotion, car il est bien sûr impossible de faire mourir Rogue ou Wolverine. Pire encore, Singer ne peut même pas dézinguer convenablement les méchants (pourtant très plats dans l'ensemble, il faut bien l'avouer). On sait combien il est difficile de développer correctement deux ou trois personnages principaux en moins de deux heures, la difficulté étant augmentée lors d'adaptation de récits cultes littéraires ou dessinés. Singer doit ici gérer près d'une dizaine de super-héros en 1h45. C'est raté et de loin. Seuls trois personnages arrivent à peu près à exister un tout petit peu à l'écran. Magneto en premier lieu, grâce au très réussi prologue. Le professeur Xavier, ensuite, car Patrick Stewart fait des merveilles avec trois fois rien. Et Wolverine, dont le côté Mad Max est immédiatement sympathique. Les autres, tous les autres, font de la figuration plus ou moins intelligente. Même Rogue, dont la stupidité du pouvoir (elle transforme les gens qu'elle touche en plante verte) ne permet pas d'émouvoir un tant soit peu le spectateur qui en a vu d'autre. Cyclop nous fait Tom Cruise dans Top Gun. Jean Grey ne fait rien. Storm, euh... fait des éclairs en images de synthèse. Sabrewolf ressemble à un catcheur en fin de carrière. Toad fait le comique (à ne pas louper : le clin d'œil débile à Darth Popaul de La Menace Fantôme (c'est le même acteur), on voit le niveau). Et Mystique excite la libido des ados, on se demande bien pourquoi vu qu'elle est toujours filmée avec les pieds. Et parfois le film tombe dans le grotesque achevé, comme par exemple avec l'école pour mutants, image touchante de bêtise.

        C'est un gros nanar, donc ? Ah non ! X-Men est un film hollywoodien de grande qualité par rapport au reste de la production. Mais bon, vu le reste de la production, il suffit de peu pour s'élever au-dessus du lot. Les défauts actuels sont aussi présents dans X-Men, en particulier la tendance à tout transformer en jeu vidéo géant. Certes, là, on arrive à peu près à comprendre ce qui se passe pendant les scènes d'action (c'est déjà énorme), mais c'est toujours aussi laid et toc. Pas un mouvement exécuté sans l'aide d'une armada de trucage, pas un plan non retouché par trois tonnes d'effets numériques. Et donc le problème inhérent de ce genre d'images (la froideur) est omniprésent. Surenchère d'explosions, de cascades débiles et d'effets sonores abrutissants, au bout d'un moment on en a plus rien à foutre. Certes, ce n'est pas aussi catastrophique que Star Wars 1 (l'étalon de la nullité virtuelle) et on est très loin de la démagogie prétentieuse plagiaire et dégueulasse de Matrix (l'étalon de la nullité sur grand écran pour encore un bout de temps). Mais on était en droit d'attendre autre chose qu'un jeu vidéo qui ne vaut finalement que pour les scènes où l'on ne "joue" pas (les très rares confrontations Xavier/Magneto, les errances de Wolverine et de Rogue). Bon point à Singer qui a gardé l'histoire d'amour à trois entre Wolverine, Cyclop et Grey, supprimant ainsi toute romance gnan gnan. Par contre, comme je l'ai dit au début, la peur de Singer de choquer les fans, élimine tout enjeu dramatique (à part dans la scène d'ouverture, terriblement manipulatrice donc admirable). Quand à la métaphore politico-sociale, elle est d'une telle lourdeur et d'une telle naïveté, que l'on sent bien qu'elle vise un public d'ados ricains lobotomisés (l'intolérance ce n'est pas bien, dénoncer les noirs et les cocos c'est comme tuer des juifs, c'est mal, etc...). C'est mignon mais c'est plombé, vous ne pouvez pas imaginer à quel point. Et le pauvre Magneto est à ce point mal entouré et doté d'un si petit nombre de scènes fortes, que ses ambiguïtés passent à la trappe. Ce qui nous donne au final un film aussi divertissant que totalement creux, largement supérieur à un Independence Day ou à un Armageddon, supérieur (mais moins largement) à un Men In Black, mais moins jouissif qu'un Pitch Black ou qu'un Cri Dans l'Océan (par exemple, tant qu'on est avec Famke) et bien sûr à des années lumières des films de Burton ou de McTiernan. Les amateurs du Comic seront plus ou moins ravis et assez difficilement déçus. Ceux qui n'ont jamais mis la main sur un exemplaire des X-Men seront régulièrement largués, avec l'impression que l'on s'amuse beaucoup sans eux. Pour les autres, et bien, c'est suivant l'état d'esprit et les circonstances de vision. Je peux garantir, sans trop me tromper, que à peu près tout le monde passera un bon moment devant X-Men. Ce qui est déjà beaucoup en cette année 2000 cinématographique assez tristounette.


        C'est donc officiel, l'année cinématographique 2000 commence en septembre. Bah, c'est mieux que rien et au vu du menu aussi copieux qu'a priori porteur de grandes merveilles, ce n'est pas un mal. Je vais donc en profiter pour tirer des conclusions à priori (gag) sur quelques films à venir. Ca va être drôle et en plus ça me permettra de retourner copieusement ma veste le moment venu.

        L'événement numéro un de cette fin d'année (et même de l'année entière) aura lieu le 18 octobre (sauf changement de dernière minute). C'est le jour de sortie nationale du film qui va, on croise les doigts, changer la face du cinéma français (du cinéma mondial ?), je veux bien sûr parler du Pacte des Loups de Christophe Gans. L'œuvre synthèse entre occident et orient, quand HK croise la campagne française, les jeux vidéos, le drame romantique et le film fantastique, c'est incroyablement ambitieux et, si la réussite est aussi totale qu'on veut bien l'espérer, nous tenons peut-être là le film de l'année. Le gag c'est que le même jour sort le Titanic du film "d'auteur", l'impayable Dancer In The Dark de Lars Von Trier, le Rain Woman de l'an 2000, indispensable pour les amateurs de cris de musaraigne et de concepts achement conceptuels. J'aurais bien voulu être un peu moins méchant avec ce film que je n'ai toujours pas vu (et na na nèreu) mais la bande annonce officielle (dispo dans la compil Inrocks de la rentrée) est un sommet de comique (in ?)volontaire. Bah je vous le dis déjà, comme ça, mais ça n'arrivera pas à la cheville de Titanic.

        Tant qu'on tient la compil Inrocks, il y a plein de choses intéressantes dedans. Tous les films asiatiques présentés à Cannes, en particulier, qui respirent tous le chef-d'œuvre en quelques images. Le Wong Kar Wai, bien sûr, mais aussi Tigre et Dragon et Gemini, pour les plus "abordables". Dans un registre plus intimiste et sans doute tout aussi génial, je craque toujours autant à la moindre image d'Eureka de Aoyama Shinji, qui a, a priori bien sûr, tout ce qu'il faut pour me plaire. Même chose pour Yi Yi et Chunhyang, mais on va encore m'accuser d'être vendu à la cause asiatique.

        C'est faux ! La preuve, je ne suis pas le dernier, loin de là, à attendre Esther Khan d'un Arnaud Desplechin qui se doit de tenir toutes les promesses portées par l'excellentissime Comment Je Me Suis Disputé. De même pour le The Yards de James Gray dont le Little Odessa est l'un des plus grands "petits" films des années 90. Et enfin le désormais indispensable nouveau bijou d'Harold Ramis, metteur en scène (à lunettes) de comédies merveilleuses qui deviendra sans doute un jour aussi reconnu qu'un autre célèbre metteur en scène (à lunettes) de comédies merveilleuses. Pour cette tournée, Ramis nous refait Faust dans Endiablé, ça a l'air très potache, mais il ne faut jamais se fier à une simple bande annonce (ce qui désamorce donc tout ce que je viens d'écrire).

        Dernière remarque sur le cas d'Asia Argento, dont l'exhibitionnisme forcené crie à tout bout de champ une détresse de junkie désespérée qui fonce droit dans le mur. La si belle fille de son grand papa se détruit de plus en plus vite et nous livre un documentaire attristant de sa déchéance (Scarlet Diva), la simple bande annonce et l'interview présentes dans la compil Inrocks sont déjà à la limite du soutenable et de la dignité. Les voyeurs branchouilles pourront se pignoler devant le sordide pathétique de la chose. Après Sue-Fiona, Baise-Moi, Romance et tous leurs camarades cinématographiques ou littéraires, il semble que le "néo-romantisme glamour" soit bel et bien un catalogue de la misère sentimentale et spirituelle de la belle société occidentale. Oui, bah moi, j'en suis resté au Magicien d'Oz, je suis donc top ringard coincé réac et que sais-je encore. Bah oui, mais franchement je ne me réjouis pas plus que cela de voir une Asia en décomposition overdoser en direct ou Anna Thompson essayer de se prouver sa propre existence en se prostituant. Totalement déprimant.

        Et donc difficile de s'arrêter sur un tel constat. Allez voir X-Men ou Space Cowboys, ou... bah... je sais pas... une bonne série B fantastique, ou alors louez Superman 2 ou Roger Rabbit, enfin, quoi....


        Comme vous l'avez sans doute remarqué en survolant cette page, l'an 2000 cinématographique ne m'a pas emballé, loin de là. Un très bon Burton ici, un Egoyan pépère là, un Miyazaki très (trop) parfait, et puis des petites choses qui ne méritaient pas que l'on s'y attarde (Gladiator ? Quelqu'un ?), à part peut-être la très sympathique et jouissive série B de l'été (et sans doute de l'année), Pitch Black. Pour le reste, mouais... Pas de quoi se relever la nuit, j'en ai peur, ni Waters, ni Scorsese, ni les autres d'ailleurs, n'ont été au top de leur forme cette année. Alors quoi ? Bah alors on en profite pour se faire des séances des grands films de l'année dernière, et faut dire qu'il y avait de quoi. Outre la Ligne Rouge, qui est toujours le chef-d'œuvre que l'on sait, le temps est venu de faire l'acquisition du film hollywoodien de 99, qui est de plus l'un des meilleurs films américains des années 90. Non, ce n'est ni Mary A Tout Prix, ni Matrix (gag). Je veux bien évidemment parler du 13e Guerrier, qui fait partie de ces rares œuvres que l'on apprécie de plus en plus au fil des visions. Trois fois en salle, c'était le minimum. Aujourd'hui, avec la sortie d'un excellent DVD (signé Seven Sept, tiens donc... rassurez-vous, la VHS est très bien aussi), on re-re-re-redécouvre le film, très sous-estimé aussi bien par la critique (qui l'a snobé) que par le public (qui n'a rien compris). Alors on va encore me dire que je suis "la voix de son maître" car Mad Movies l'a élu film de l'année et il est de notoriété publique que la faction Mad/Impact/feu HK Mag/new DVD Vision est la seule, contre vents et marées, à hurler au chef-d'œuvre absolu à la moindre occasion. Et ils ont raison, mille fois raison. Car le 13e Guerrier est bel et bien ce fameux film qui fait la synthèse entre cinéma occidental et cinéma oriental, dont tout le monde parle et que personne ne réussit (Matrix ? On a dit "synthèse" pas "plagiat" !). Et on le savait déjà, McTiernan est le plus oriental des metteurs en scène hollywoodien. Polar HK avec Die Hard, comédie cantonaise avec Last Action Hero, film d'horreur Kurosawesque avec Predator, et tout cela avec une telle grâce, une telle puissance, une telle intelligence que personne ne viendra hurler au plagiat des Sept Samourais devant le 13e Guerrier (et pourtant c'est une inspiration des plus flagrantes, et ça passe, même auprès des plus tatillons).

        Tout, dans le 13e Guerrier, me plaît. Le parti-pris d'aller à contre-courant de la mode internet/SPFX virtuels/bourrinage visuel débile/musique boum-boum/"aseptisez-moi tout ça" en particulier, mais pas seulement. Le fait de faire de son héros un musulman dévoué qui fait sa prière avant la bataille est un gigantesque pied-de-nez à la culture WASP d'Hollywood. Et les vikings ne sont certainement pas là pour rattraper les choses, ils sont les bons nordiques brutaux, attachants, rustiques et fascinants tels qu'on les imagine. Et c'est dans un contexte de rencontre entre l'occident païen et le moyen-orient raffiné, où vient s'insérer le grain de sable primitif, que McTiernan fait un film HK/Japon. Un film d'honneur et d'émotion contenue, débarrassé avec un brio louable de toutes les lourdeurs judéo-chrétiennes inévitables à Hollywood (Matrix en étant l'exemple récent le plus dégoûtant). Et bien sûr, c'est du McTiernan et le cinéma prime avant tout, le spectacle, le plaisir du spectateur, voilà ce qui est le but du metteur en scène. Et tout concours à faire de ce film une œuvre largement supérieure au livre lourdaud de Crichton. Un Crichton à ce point vexé de la réussite du film, qui humilie son roman, qu'il a tout fait pour le massacrer (la fresque de 2h30 ramenée à un condensé brutal de 1h38). Et c'est loupé, au-delà de toute limite. Comme La Soif du Mal, le 13e Guerrier a survécu à tout. La version que nous connaissons, massacrée par Crichton, est quand même un chef-d'œuvre total, il était impossible de détruire ce film et malgré toute la mauvaise bonne volonté du petit Michael, tout McTiernan est encore là. En particulier dans les trois formidables scènes de bataille dont l'intensité renvoie aussi bien au The Blade de Tsui Hark qu'au Excalibur de John Boorman. Et certes, on aurait pu avec un tel sujet, intellectualiser encore plus, façon Boorman, donc, mais sans doute au détriment d'une fraîcheur et d'un souffle épique qui nous ramène au cinéma hollywoodien dans ce qu'il peut faire de meilleur. Quand on voit le sympathique Gladiator de Scott, on comprend encore mieux l'exploit de McTiernan avec ce film unique, dont l'échec public renforce le statut d'œuvre culte. Dans 20 ans, on rigolera bien de Matrix et on aura largement oublié Scream, mais le 13e Guerrier sera considéré comme la quintessence du cinéma Hollywoodien des années 1990. Je relis ce que j'écrivais à propos du film au moment de sa sortie (il y a juste un an), et j'avoue ne pas trouver de meilleure conclusion (aussi caricaturale qu'efficace) que celle que je proclamais à l'époque : le 13e Guerrier c'est "du spectacle total, le cinéma tel qu'on le rêve". Je persiste, je signe et je ne suis pas prêt d'en démordre. Hum... le 13e Guerrier ? Et si c'était lui le meilleur film de l'an 2000 ?


        Z'avez vu le festival de Cannes 2000 ? Plein de bonnes choses bien enthousiasmantes vont nous arriver. Alors, comme ça, a priori, ne loupez pas Eureka, Yi Yi, In The Mood For Love, Devil On The Doorsteps, Tigre et Dragon et... quoi ? Et oui, ce ne sont que des films asiatiques, mais au moins, maintenant, c'est super officiel, le cinéma asiatique est, de loin, le meilleur du monde. Il a la diversité, l'intelligence, l'originalité, l'émotion, le spectacle et l'intimisme, tout, tout, tout. Et pour les occidentaux nostalgiques, le Desplechin a l'air trèèès bien aussi et ce n'est pas une blague. Quant à Lars Von Trier, même s'il s'est amusé à faire tourner la sorcière du grand nord (Bjork, si seulement elle ne faisait pas de musique pendant qu'elle fait du cinéma, mais non ! Elle fait les deux en même temps, y a pas de justice), donc, Von Trier, qui n'a jamais su faire la différence entre bon et mauvais goût, happening et cinéma, son pied et ses narines, Von Trier a au moins le mérite d'offrir de nouveaux horizons aux bons vieux camescopes des familles, si pratique, si peu coûteux, si apte à éradiquer les écoles de cinéma et les professionnels de la profession et à redonner au cinéma un aspect populaire qui le sauvera sans doute. Et rien que pour ça, on ne le remerciera jamais assez. (quoi le Blair Witch Project ? Tsss... ne confondons pas tout !). En plus à Cannes, à part Von Trier et Troma, il y avait peu de choses pour exciter les passions. Il y avait le Cinéma d'un côté (regardez ! Maggie Cheung, Michelle Yeoh, Tony Leung (vive lui ! tant que j'y suis, et vive elles aussi, d'ailleurs...)) et le Reste de l'autre (des mannequins à la con, des fêtes à la con, des émissions télé à la con, etc...). Cannes 2000 nous l'a bien montré, à l'heure actuelle dans le 7e Art, il faut être soit asiatique, soit faire partie de la team Troma, sinon c'est la routine qui vous guette et vous englue (et au passage un bon anniversaire à tonton Luis, qui n'aime pas qu'on parle de lui et il a bien raison, car quand on pense à tonton Luis quelque part on ne peut que penser à une figure divine, exemplaire, unique, inqualifiable, Don Luis, quoi... et le simple fait d'imaginer que l'on puisse parler de lui ainsi l'aurait mis dans une colère dantesque. Luis Bunuel, peut-être plus encore que Kubrick, était le Dieu du Cinéma, celui qui avait (presque, disons, laissons de l'espoir pour la suite) tout compris, et le fait d'affirmer cela est un paradoxe d'une telle taille qu'il en devient réjouissant)).


Pokemon, le Film

de Nintendo

        Pokemon Le Film, ou le trip suprême. S'il y a un point positif primordial au film Pokemon, c'est qu'il vient de rendre obsolètes à peu près toutes les drogues connues ou à venir. L'expérience hallucinogène qu'il procure vaut tous les produits de synthèse hyper chers et à la mode. Je ne vais pas vous résumer en détails le contexte de cette vision, disons que j'étais avec la même personne que pour Matrix, et donc, quand il faut commenter le film et rires comme des bœufs, ça fait une fine (enfin... "fine"...) équipe. C'est donc au premier rang d'une salle de luxe, une casquette Austin Powers 2 vissée sur la tête, une sucette dans la bouche et dans une ambiance franchement bonne enfant (malgré la sévère pénurie de cartes Pokemon sévissant dans la région). Après une poignée de bandes annonces tordantes (La Vache et le Président, Jesus Christ Superstar (ou quelque chose comme ça), Mission Impossible 2...) et quelques pubs du même tonneau, le trip suprême peut commencer. Personne ne sortira d'ici sans avoir perdu une bonne partie de sa raison. Le fier logo Nintendo apparaît à l'écran (déjà on sait qu'on n'est pas en face d'un film "normal"). Et là c'est le rat jaune, Pikachu, qui nous accueille avec sa voix délicieusement intolérable et son vocabulaire hyper instructif (en gros : "Pikaaaa !", "Pikapiiiii !", "Pika...tCHOU !!! (à tes souhaits...)). Ce qui frappe tout de suite (et encore plus au premier rang où l'on morfle de manière odieuse), c'est la laideur inimaginable de l'ensemble. Et cela ne s'arrangera jamais, rassurez-vous, à part pour une poignée (petite, la poignée) de décors dans Mew VS Mewtwo, décors qui ont dû bouffer à eux-seuls les 3/4 du budget. Mais là, nous sommes au début du commencement, on sent pourtant déjà, en quelques images amorphes, que des effets bizarres montent dans l'esprit. Oh diantre ! Ca va être GRAND !

        Et on n'est pas déçu, parce que l'on commence avec le meilleur : Pokemon En Vacances. 30 minutes orgasmiques qui font passer The Wall et Tueurs Nés pour un épisode de Derrick. Pikachu et ses potes sont au centre aéré, au jardin d'acclimatation. Mon pote favori de Pikachu, c'est quand même le grandiose Bulle ! Bulle Bizaaaarrre ! dont on rêve de rencontrer le doubleur (enfin mon vrai Pokemon favori, à part l'ornithorynque dont je ne connais pas le nom, c'est l'hallucinant Mew, mais nous y reviendrons plus tard). Tout ce petit monde nous joue Guignol. Le spectacle comique le plus basique depuis les baffes des 3 Stooges. Ca gargouille dans tous les sens, ça s'agite (un peu), ça pleurniche, ça rizouite, ça gorgordune, ça ridouille, ça rondoudoune, ça youpille, etc... Bref, déjà, outre l'incroyable séquence générique avec une chanson inédite de Garbage (ou quelque chose dans le style), ça décape sec. Mais le meilleur vient très vite. Entre les scènes, voire même au sein même des scènes et toujours totalement gratuitement, il se passe un événement INCOMMENSURABLE ! Une images psychédélique apparaît, avec des formes en mouvements façon vieux kaléidoscope des Chemins de Katmandou, et un Pokemon quelconque passe en récitant son nom. Ca dure... Ca dure... Ca dure... Ca dure... La première fois on est sur le cul, par terre, terrassé, détruit, bad trip, malades, la sucette passe mal, la vache ! Et puis vient le rire, franc, absolu, irréductible. Le fou rire monstre, qui réapparaîtra à chaque fois (et dieu sait qu'il y a beaucoup de vignettes tripesques en 30 minutes). La drogue monte aux neurones, we will never be the sames. Ce qui se passe à l'écran le reste du temps est tout aussi indescriptible. En gros, des Pokemons s'affrontent de manière bien zentille, mais dès qu'ils s'énervent, un super effet de flammes hérité des Chevaliers du Zodiaque, vient remettre tout le monde en place. C'est plus que tordant, c'est tout bonnement intolérable ! Mimiques débiles, bruitages odieux, voix primitives, situations inimaginables (Dragofeu se coince la tête dans un tuyau, les Pokemon s'unissent (même Osselet, le super misanthrope top rebelle, c'est dire !) pour le délivrer... ce genre de choses...). Bref, pour tout avouer, c'est beaucoup trop court. Et déjà une pré-morale apparaît : les Pokemon ne sont pas fait pour se battre (ce qui est bien sûr la négation absolue de leur concept même).

        Et arrive le plat de résistance, le monumental Mew VS Mewtwo. Un truc indescriptible sur lequel je pourrais écrire des pages entières. Allez, allez, il faut que vous alliez voir ça. Ca vaut bien plus le prix d'une place que le dernier Stone et Le Gout des Autres réunis. L'ouverture vaut à elle seule son pesant de tapages de cuisses. "De tout temps, les Humains et les Pokemons ont cherché à connaître le sens de leur existence..." Texto. On se retrouve dans un univers que même Timothy Leary n'avait jamais pu imaginer. Las Vegas Parano à côté c'est du Rohmer (assez tripesque aussi Rohmer... enfin bon bref...). Mewtwo, un clone superpuissant (ça déclone sévère dans ce film, je vous préviens...), ne cesse de se demander quel est son destin, son but, sa vraie nature. Il fait super peur, il est super fort (façon Cel après absorption de C17 et C18), il est trop mortel méchant. Ca va chier. Après une longue intro pleine d'instants diaboliquement superflus (censés nous montrer que Mewtwo il n'est pas si mauvais, il est juste traumatisé dans son enfance... message pour les pokemon-kids ?), arrive enfin Sasha et de ses potes. Là on retrouve les instants merveilleux de Pokemon En Vacances, c'est laid, idiot au-delà du raisonnable, drôle à crever. Le générique mythique (Pokemooonnn, ATTRAPEZ LES TOUS !!!) fait son apparition. La vache ! Mon cerveau ne fonctionne plus, je reprends une sucette et je réajuste ma casquette. La suite du "film" tient de l'expérience indicible bourrée de moments hallucinants/hallucinogènes. Entre autre : tout ce qui a rapport avec la Team Rocket ("de retour pour vous jouer des tours"), une lusse égalée dans le métlage qui nous plévient que la tempête est tlès dangeleuse (moltel !), une séquence de tempête, justement, totalement psychédélique, un tournoi qui n'a de tournoi que le nom (deux combats et demi, amorphes et pathétiques), et des séquences pseudo-philosophiques ignobles. Climax : "la force des Pokemons ne résident pas dans leurs pouvoirs mais au plus profond de leur cœur" (encore la négation du concept, incroyable). Et bien sûr il y a Mew, un chat-kangourou volant, totalement débile, qui possède le cri le plus sympathique depuis Traci Lords : MEW ! MEW ! A prononcer comme un chaton faisant ses premiers pas dans la moquette épaisse. Mew est trop mignon et trop con. Vivement la version live de Pokemon le film avec Jim Carrey dans le rôle de tous les Pokemons. Les frontières de la laideur, de la niaiserie, de la stupidité sont explosées. C'est donc forcément génial (trop snob, moi, décidément, na na nèreu !). C'est de l'Art Moderne, Post-Moderne, Contemporain, Néo-Situationniste, etc... C'est trop puissant, quoi. Pikachu éternue, Mew roule des yeux , Bullebizarre grogne, Mewtwo darkvadorise dans son coin mais revient du bon côté de la farce assez rapidement ("dis à ta sœur que tu avais raison", ou un truc comme ça), la Team Rocket fait un show dantesque, on nous ressert 25 fois les mêmes images pas animées, ça dégouline de couleurs délavées, de musiques (un fight général sous valium avec en fond sonore un inédit de Cast ou un truc comme ça), de messages consternants... C'est bô, c'est grand, c'est fort ! MEOW !! MEOW !! PIKAAAAAAAAAAA !!


Toy Story 2.... enfin... presque....

    Cette fois je vais la jouer un peu "Gonzo Journalism". Ce dimanche 6 février 2000, courageusement, je me rendais à une séance de Toy Story 2 au cinéma pas-loin-de-chez-moi. Toy Story 2, annoncé partout comme un "super" film (ce dont je ne doute pas). "Super film" qui a l'avantage de sortir une semaine avant Sleepy Hollow et donc de me permettre d'aller le voir avant le mois de mars (parce que bon, après Sleepy Hollow c'est plus rien jusqu'en mars...). Seul problème : Pixar ou pas, Toy Story 2 c'est du Disney, c'est pour les enfants avant tout, y a un marketing monstre, nous sommes le premier week end des vacances, enfin bon bref... Résultat : une super file d'attente pleine de gamins visiblement trop jeunes pour seulement concevoir ce qu'est le cinéma. Résultat sur votre humble serviteur : "oui, bon, y a quoi d'autre en même temps ?". Et là, le genre de choses qui vous redonne foi dans le 7e Art, à la même heure que Toy Story 2, une des ultimes séances d'Une Histoire Vraie avant disparition complète (ou presque) des écrans. Résultat : J'ai rererevu le Lynch, près de 6 mois après sa sortie, et je confirme : "mazette, le chef-d'oeuvre !". Donc Toy Story 2, c'est très bien, surtout si vous pouvez aller voir un Lynch à la place (j'abuse là, j'avais beaucoup aimé le premier Toy Story). Mais quand même, The Straight Story, c'est un autre calibre de cinéma. Et cela confirme le fait que ce film va vieillir brillamment. Magnifique et émouvant il l'était déjà à sa sortie, mais avec le temps et les nouvelles visions, il devient franchement sublime et bouleversant. Et puis cette fin... Un mot de plus pour noter que la seule bande annonce diffusée avec le Lynch était celle de... Sleepy Hollow (rien qu'avec ça, j'en avais pour mon argent) et que début mars, promis, je vais voir Toy Story 2 (qui, j'en suis à peu près sûr, sera encore à l'affiche).


Princesse Mononoke

de Hayao Miyazaki

    On l'attendait comme le Sauveur du Cinéma. On l'attendait comme l'apothéose du manga anime. On l'attendait comme la synthèse de la magie de Porco Rosso et de Totoro et de l'aspect plus "adulte" de Ghost In The Shell et d'Akira. On l'attendait comme la réincarnation de Kurosawa en dessin animé. On attendait définitivement énormément de la fresque de Miyazaki. Les critiques annonçaient une révolution, le plus beau dessin animé de tous les temps. Et au final, presque logiquement, c'est une déception. Princesse Mononoke n'est pas le plus beau dessin animé du monde (ce n'est pas Totoro, clairement), ce n'est pas une fresque tragique bouleversante (comparé à Jin-Roh, c'est définitivement une classe en-dessous), ce n'est pas une révolution. C'est une œuvre magistrale écrasée sous son propre poids. Que je me fasse bien comprendre, face à la production Disney, Princesse Mononoke fait figure de chef-d'oeuvre absolu. Mais face aux autres Miyazaki, c'est une déception assez nette. Miyazaki a perdu en poésie ce qu'il a gagné en violence. En voulant montrer le monde tel qu'il est (ni bons, ni méchants, la nature est cruelle), il signe une œuvre pratiquement dénuée de toute émotion, assez froide, souvent très superficielle. Le pire étant peut-être le message écolo-panthéiste, récurent chez Miyazaki, mais qui, ici, est tel un rouleau-compresseur. Et je ne parle même pas de la fin, qui malheureusement, est à la limite de la catastrophe et gâche relativement les moments sublimes qui la précèdent. Le message de Miyazaki se retourne presque contre lui-même ("on peut faire ce que l'on veut à la nature, de toute façon ça finit toujours pas repousser", euh... oui... bien sûr...). Et tout cela est bien longuet et le meilleur du film se situe plutôt vers le milieu du métrage (dont un fabuleux face à face Eboshi-San dans les forges, qui à lui seul vaut bien 10 ans de productions Disney).

    Mais que l'on ne me fasse pas dire ce que je n'ai pas dit. Mononoke Hime est un bon film, un très bon film, voire un grand film qui flirte par instant avec le chef-d'oeuvre. Certaines scènes sont tout simplement sublimes et même si l'agressivité permanente de l'ensemble est parfois un peu redondante, la force des situations est plus qu'appréciable. Les animaux ont rarement été traités avec autant de respect, quand ils ouvrent la bouche, on s'incline, c'est du grand art. En fait ce que je reproche le plus à Princesse Mononoke c'est son manque de grâce, de magie, de véritable mystère (on entre et on sort de la forêt sacrée comme si c'était un moulin, l'histoire d'amour est inexistante...). On est très loin de Totoro, on est à des années lumières de la virtuosité bouleversante de Porco Rosso. D'ailleurs, Princesse Mononoke se veut plus adulte, plus dur que les œuvres précédentes de Miyazaki et, paradoxalement, touche beaucoup moins. Rien d'aussi fin que la maladie de la mère dans Totoro, rien d'aussi purement bouleversant que la fin de Porco Rosso. Princesse Mononoke respire la fresque à chaque image, à chaque ligne de dialogue et se retrouve presque aussi indigeste qu'une pièce de théâtre classique rédigée par un disciple de Boileau. Après nous avoir révélé le secret du vent dans Totoro et celui des nuages dans Porco Rosso, on demandait à Miyazaki qu'il nous offre les étoiles (ce qu'il fait très très brièvement lors d'une séquence magnifique quand le dieu-cerf revient dans sa forêt à l'aube), et il reste désespérément collé au sol (en cela, oui, je l'avoue, je suis d'accord avec la critique publiée dans le dernier HK). On prend beaucoup de plaisir à revoir le film (surtout sa première moitié, la seconde étant vraiment poussive) et je maintiens que c'est une œuvre admirable, mais on demandait définitivement bien plus au créateur de Totoro et de Nausicaa. Ah oui, aussi, la musique de Hisaishi est très belle, pas trop envahissante, mais... mais... pas aussi magique et touchante que celle de Totoro, décidément...


Le Voyage de Félicia

d'Atom Egoyan

        Et nous y revoilà, nous revoilà en plein dans le "syndrome Eyes Wide Shut". Que faire avec un film mineur d'un artiste majeur, dont on attend forcément toujours plus ? Se dire prudemment que le temps aura un effet positif ? Jouer les blasés ? Tirer dans le tas ? Aimer quoi qu'il arrive ? Je suis plutôt d'avis qu'il faut apprécier le maximum de choses sur le moment, ravaler en grande partie sa déception et prendre suffisamment de recul (quand je dis "suffisamment", cela doit bien être : 3 ou 4 visions et plusieurs mois de latence). Donc il est trop tôt pour porter un avis définitif sur le dernier Egoyan. Décevant au regard des réussites majeures d'Exotica et de De Beaux Lendemains (deux films primordiaux des années 90), Le Voyage de Félicia hésite entre le laborieux, la redite et parfois l'éclair de magie. En premier lieu il faut noter que le personnage de Félicia (qui donne pourtant son nom au film) est des plus inintéressants. Elle est décrite comme nunuche naïve entourée par des personnages plus caricaturaux les uns que les autres (l'évocation des tensions entre irlandais et anglais est un grand moment de comique (involontaire ?)). Non, le film ne vit que par et pour le personnage de Bob Hoskins (au top du top du top). Certes, l'histoire du traumatisme enfantin, on la connaît par cœur, mais Egoyan n'est pas le premier venu et il insuffle une vraie originalité à un thème des plus classiques. Le film est lent, habité par une tension discrète qui devient rapidement assez étouffante. Oui, Le Voyage de Félicia est une œuvre étouffante, figée, qui choisit de ne jamais en faire trop, au risque de ne rien faire du tout. Fort heureusement, la fin, excellente, même si calquée sur les films précédents d'Egoyan (l'auto-plagiat est à la mode ces derniers temps) ; arrive à point pour libérer littéralement le film. L'étouffement devient émotion pure et d'un coup on oublie que l'on s'est pas mal ennuyé pour mieux apprécier les 3 ou 4 scènes finales qui valent leur pesant d'or. C'est du Egoyan en petite forme, écrasée par sa propre maestria, mais qui indéniablement a su préserver l'essentiel, au final, à l'arraché. Le Voyage de Félicia est une oeuvre à placer dans sa petite cave de cinéphile, pour bien la laisser vieillir et la savourer quand le moment sera venu.

 

 
 
 
 
 
 
 
 
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