Pixies - Concert Zénith de Paris - 14 juin 2004

 

Impression générale : Concert de fonctionnaires. Travail bien propre, plutôt bien fait. A la chaîne, comme à l'usine.

Impression symbolique : S'ils voulaient tuer le Mythe, ils y sont parvenus au-delà de toutes les espérances (ou plutôt de toutes les craintes).

Impression subjective : 4 (quatre) ! Quatre putains de titres du plus grand album de rock de tous les temps ! Quatre titres de Trompe Le Monde !

 

        Il faisait bon dans les jardins de la Cité des Sciences en ce lundi soir. Point trop chaud, ni trop froid. Le printemps, quoi. Peu décidé à me battre pour être dans les premiers rangs, je me pointais au Zénith aux alentours de 19h (début de concert à 20h). Quelle ne fut pas ma surprise en constatant qu'il y avait bien loin d'avoir foule dans la salle, même une heure seulement avant le concert. A peine une dizaine de rangées de formées juste devant la scène (pas si grande que cela d'ailleurs). Et encore, l'impression était faussée par le fait que tout le monde ou presque était assis. Bref, le bide. J'ai déjà vu plus de monde pour des concerts des Catholics. Certes, il y a pas mal de gens violemment assis dans les gradins du fond, mais on ne peut pas les compter comme fanatiques hardcore prêt à risquer leur vie pour apercevoir de près les chaussures de Kim Deal.

        Donc je m'installe, brutalement debout, parce qu'il ne faut pas croire, hein, non et puis d'abord ! Et j'attends. La salle se remplit lentement, très lentement, à la vitesse époustouflante de l'escargot zombifié. Le public semble relativement jeune, dans les 25-30 ans de moyenne. Les t-shirts Pixies sont nombreux, même s'ils sont surtout fraîchement achetés au stand de merchandising à l'entrée. Beaucoup de joyeux drilles ont l'air de s'embêter avant même que cela ne commence. Vous allez me dire, c'est bien normal, ce n'est pas passionnant une grande salle quasiment vide et une bande son immonde (une sorte de techno primitive, limite hardcore). Le moindre mouvement sur la scène provoque des réactions d'impatience de quelques fans un peu plus réveillées que les autres. L'ambiance est... anesthésiante. Seul l'écran publicitaire qui descend juste au-dessus de ma tête saura réveiller... deux personnes... Bon, l'intermède réclames ne durera pas longtemps et nous sommes bientôt conduits vers la première partie.

 

        Le 7 juin, les spectateurs ont du subir les attaques sonores de Mogwaï. Et bien, j'aurais largement préféré cela à l'épouvantable set des déjà grabataires de Ash. Commençant leur carrière en clones de Supergrass (et donc en supposés héritiers des Pixies), Ash fut sympathique le temps d'un single, Kung Fu, ici interprété dans une bouillie punk-power-pop sans la moindre personnalité. Pourtant Ash semble content d'être à Paris en première partie des Pixies. Et ça pour y être, Ash y est (oui, je sais, c'est nul, mais je ne m'excuserais pas). Dans ses apparitions plus récentes, Ash s'est vraiment affirmé comme un clone sans âme des Pixies, avec sa guitariste mignonne en avant, façon Kim Deal (à laquelle elle essaie plus ou moins de ressembler). Mais cela ne suffit pas, passé un premier morceau énergique, le groupe mouline dans le vide. Le public bouge un peu (enfin, trois personnes). Mais tout le monde s'en fout. Heureusement cela sera assez court. Le temps de nous infliger leur "next single", une ballade rock tellement banale qu'on se demande comment elle parvient à exister.

        C'est l'heure de l'entracte et là, boum, bam, c'est la bonne surprise de la soirée. Pour faire patienter on va nous diffuser la quasi intégralité de Pet Sounds des Beach Boys. Et il faut bien avoir l'ego de Charles Thompson pour se permettre de passer après "le plus grand disque du siècle". C'est sûr que quand résonnent les harmonies de Sloop John B ou de I Just Wasn't Made For These Times, on se dit que les Pixies vont devoir assurer. En même temps, vu la réaction de certains membres du public, qui se moquent des chœurs et des instrumentations des Beach Boys, on se dit que face à une telle bande de connards, même Bon Jovi aurait toutes ses chances.

 

        Mais, enfin un mouvement de foule annonce l'arrivée bien peu spectaculaire des quatres Fantastiques. Dans la fosse, où je me trouve pour ce début de show, cela bouge pour n'importe quoi. Les Pixies débutent avec La La Love You, excellent morceau, pas du tout adapté pour l'ouverture d'un concert aussi chaud. Alors plein de monde pogote sans trop savoir s'il faut ou non. Pendant que le groupe essaie de nous prouver que ça y est, le grand amour est revenu entre eux. Joey Santiago vient partager le micro de Black Francis, on laisse Kim Deal faire ses "I love you", bref, on est tous contents. On s'attend alors à un assassinat sur place. Que nenni ! Enchaînement immédiat, mais tout mou, sur la géniale (sur disques) reprise de Winterlong. Ca bouge encore dans la fosse, mais on se demande bien pourquoi. On est dans l'anti-climax d'ouverture. De surcroît, on s'aperçoit déjà que le son, ridiculement fort, même avec des boules Quiès, ne convient pas du tout aux nuances. Winterlong devient une longue bouillie. On craint déjà le pire.

 

        Mais, première bonne surprise, premier titre de Bossanova, Blown Away, qui, là encore, a bien du mal à exister dans la pâtée sonore du Zénith. Et hop enchaînement avec la seconde bonne surprise, Where Is My Mind, la chanson qui nous casse désormais les roupettes, expédiée à la va-vite dès le quatrième morceau. Comme ça, c'est bon, on est débarrassé, évidemment, ça cogne fort dans la fosse à ce moment-là. Impossible de profiter de ce qui se passe sur scène. Ca tombe bien, vu qu'il ne se passe rien (on n'en attendait pas moins...). Et aller, pas de pauses, on enchaîne comme à l'usine avec The Holiday Song. Forcément, c'est la baston générale dans la fosse (en même temps, c'est pas The Clash à Londres non plus, hein). Replis stratégique vers l'arrière, un peu sur la gauche.

        Toujours sans pause, sans même le temps de construire une atmosphère, ni quoi que ce soit, le groupe enchaîne avec Here Comes Your Man. Bon, clairement, ils ont l'air assez contents d'être là. Kim Deal arbore son éternel sourire défoncé/niais, Black Francis semble y croire, Joey Santiago crâne rasé et lunettes est absolument méconnaissable et David Lovering est l'homme invisible. Mais déjà voilà Vamos. Et le public commence à s’essouffler. Sans doute exténué par le rythme robotique du groupe. Les titres s'enchaînent pour l'instant sans véritable logique, sans la moindre trace de magie, juste avec le sentiment du travail bien fait. On regarde donc de bons ouvrier faire leur truc. Ils le font plutôt correctement pour l'instant. Pendant le fameux solo n'importe quoi de Vamos, Joey Santiago casse involontairement sa guitare. Black Francis en profite pour le prendre dans ses bras sous une maigre ovation du public. On y croirait presque. Presque. Aucune surprise. Le n'importe quoi de Vamos ressemble comme deux gouttes d'eau au n'importe quoi que l'on a déjà entendu sur disques. Le temps d'expédier Bone Machine dont tout le monde se cogne que le concert débute enfin.

 

        Avec Is She Weird, le morceau étant doté de la personnalité énorme que l'on sait, difficile de ne pas captiver. Cela marche, même si je me rends soudainement compte que je suis le seul à sauter dans mon coin. Bon, aller, je m'en fiche, je vais tout donner, c'est le moment. Après ce vrai grand plaisir. L'enchaînement avec Levitate Me tombe enfin sous le sens. C'est l'instant de grâce. "Come on pilgrim, you know he loves you !" Tant pis si je me sens un peu seul à faire des bonds le poing tendu sur les terribles "Hey ! Hey ! Hey !" du refrain, le 7e ciel est à portée de la main. Trêve de cynisme, le groupe joue bien, et même s'il joue sans une conviction débordante, même si la flamme est sans doute absente, morte, que sais-je ? Les chansons sont là, et elles sont toujours aussi bonnes. Géniales même. Et Levitate Me c'est le grand bonheur. Pause avec Velouria, qui logiquement remporte plus l'adhésion du public que les deux perles précédentes. Oui, bah, vous voulez mon avis ? Les Catholics la jouent mieux Velouria. D'ailleurs c'est l'occasion de dire à quel point Joey Santiago est un bien piètre guitariste, au moins en concert. Tant sa prestation n'aura eu que très peu de saveur.

 

        Réveil sur un River Euphrates très agréable, juste avant THE grand moment du concert. D'ailleurs THE moment qui justifiait à lui seul tout le tintouin. Toute la reformation trouvait son sens à cet instant : Head On. Le motherfuckin' Head On. Là, en live. Enfin. Rien que pour moi. Le morceau le plus pogotant de tous les temps. Là, maintenant, la reprise de Head On. Balancée à fond la caisse, comme pour enfin assommer le public qui n'était pas forcément préparé à cela. Un vrai combo de métal, un vrai groupe hardcore, comme à l'époque, qui déboule, à fond la caisse. Alors je donne tout. Comme jamais. Faut que ça saigne, faut que ça saute, faut que ça hurle. Bordel, c'est Head On, ça dure 2 minutes 30 et toute l'essence du rock primaire, stupide, bourrin, génial est là. La majorité des spectateurs reste d'abord clouée sur place. Mais, plus ou moins encouragé dans mon coin par votre serviteur, ça y est, c'est parti. Ca saute, ça tend les mains vers le ciel, enfin, on se croit dans un vrai concert de rock. Et sur les trois prochains titres cet état sublime va durer. Le grand moment de la soirée, c'est tout de suite et il ne faut pas le rater.

        Car ça enchaîne, toujours aussi mécaniquement sur Broken Face, là, le public rebastonne sans se poser de questions, la chanson lui laissant le temps de se préparer à sauter dans tous les sens. Brutal. Mais pas suffisant, vu que c'est Isla de Encanta qui suit. Là, faut avoir la forme, ça ne pardonne pas. On se dit qu'avec la chaleur insoutenable il va y avoir des évanouissements. Et bien même pas. En fait, je me crois enfin dans un concert de rock, même si cela reste finalement bien tranquille. Durant tout le live, il y aura eu peut-être 6 ou 7 stagedivers. Pas que je sois fan de la pratique, mais quand même, pour les Pixies. Il y a sans doute plus de stagedivers dans les concerts des Catholics... Peut-être le public a-t-il été convaincu par le côté "Maison de Retraite" des Pixies reformés. Et pourtant à cet instant du concert, ce n'est pas vraiment le cas. Vu que c'est à présent U-Mass qui arrivent ! Alors c'est forcément très très éducatif. Et heureusement que le quart d'heure métal s'achève, parce que je suis pour le moins, légèrement, quand même, ma foi, un peu crevé. Mais c'était bon, à défaut d'être long.

       

        Surprise, encore excellente, avec Subbacultcha, malheureusement pas du tout adaptée au live. Et qui n'a pas du tout le temps d'exister en 2 minutes. Mais bon, c'est un titre de Trompe Le Monde, c'est surtout ça. Quand je dis "surprise", il ne faut pas trop s'emporter. Rarement concert fut aussi dénué de surprises. Rien à voir avec la folie des prestations de Eels, ou la conviction d'un Jarvis Cocker. Et, croyez-moi ou pas, rien à voir avec une Britney Spears qui déconstruit soigneusement toutes ses chansons (souvent absolument méconnaissables) pour leurs versions scéniques. Alors, on va me dire que les Pixies n'ont pas les moyens et l'ambition de Bit-Bit, ce qui est quand même assez paradoxal.... Et oui, je blasphème si je veux, les concerts de Britney, aussi calculés, millimétrés soient ils, sont autrement plus surprenants et intenses que ceux des Pixies. Mais plus simplement, les concerts des Catholics écrasent les Pixies reformés. Il suffit de penser à l'incroyable version de Nimrod's Son, lors du dernier passage des Catholics à Paris, pour en être convaincu. Il n'y aura pas un seul moment de ce genre au Zénith ce soir.

        J'en viens à me poser la question. Les gens assis (ou même debout) qui ne bougent pas (ou si peu), qui ne voient finalement pas grand chose (surtout que les quatre là, le charisme c'est pas vraiment leur truc, le jeu de scène encore moins) et qui subissent cet assaut sonore uniforme (j'ai vu pas mal de monde se boucher les oreilles sur certains morceaux... voire sur tous). Quel est l'intérêt pour eux, finalement ? Parce que si c'est pour écouter de la musique, il n'y a pas grand chose à tirer des concerts de ces Pixies ressuscités. C'est dommage, car un morceau tel que Gouge Away, c'est quand même du chef-d’œuvre total. Mais là, non, pas vraiment, ça déboule, comme ça, peinard, bien fait, bien emballé, sans émotion, sans âme, sans rien, une coquille sublime mais toute vide. Mais j'y crois encore, sur Caribou et ses terribles "REPENT ! REPENT !" je marque le rythme avec le poing tendu. Le lendemain, j'en ai encore mal à l'épaule. Et je me sens bien seul encore une fois. Tout le monde s'en fout ou finalement tout le monde s'est déjà endormi ? Je ne saurais jamais la réponse.

        Sur Tame, forcément, ça se réveille un chouia. Difficile de faire autrement. Black Francis y croit, il hurle comme autrefois. C'est bien, c'est bon, on voit que Charles Thompson s'amuse à rejouer avec son groupe de collège. Mais on a finalement beaucoup de mal à profiter de ses instants de plaisir. Sans même prendre le temps de la moindre pause, les Pixies continuent en ligne droite. Avec une version banale au possible de Wave of Mutilation. Un Debaser presque antipathique. Un Hey presque nul. Et un Gigantic horripilant, tant la voix de Kim Deal à 300db est le supplice ultime. Je me dis que je hais Gigantic, c'est plus fort que moi, c'est un Calvaire. Même ce gros sadique de Mel Gibson n'aurait jamais imaginé cela. Et puis c'est fini. Première fausse fin. Vu que le groupe revient immédiatement sur scène pour emballer Monkey Gone To Heaven, presque inexistant. Fin de concert toute médiocre, ça la fout mal.

 

        Mais il ne faut pas brûler ses idoles aussi vite. Vu que pour le premier rappel, Black Francis déboule et entame, mon Dieu, est-ce possible ? PLANET OF SOUND !!! Alors là, c'est l'Apocalypse, ma vie en dépend, c'est le saut de l'ange, le déchaînement ultime, j'ai rêvé de voir cette chanson en live. Et donc je me donne à fond. Et je suis totalement dans le truc. Jusqu'au moment où Joey Santiago entame son solo. Et là, je suis stoppé quasiment en plein saut. Joey défouraille le solo de guitare le plus nul, le plus faux, le plus étouffé, le plus mal fichu de toute l'histoire du rock. J'éclate d'un fou-rire impossible à contenir qui me coupe le souffle. Argh. C'est trop. Joey Santiago est le guitariste le plus nul de tous les temps, c'est pas possible autrement, c'est donc cela le fameux secret du "son" des Pixies. Alors je me reprends un peu pour brandir le poing sur le final de ce morceau hardcore ultime. Mais c'est déjà fini.

        Second rappel avec In Heaven chantée par Kim Deal. LA déception. D'une part ces crétins du Zénith ont déjà rallumé toutes les lumières (sympa pour l'ambiance). Et surtout le morceau ne décolle jamais. Kim Deal se contentant de bramer les paroles trois ou quatre fois d'affilées, et puis voilà. Rien à voir avec les version Black Francis que l'on connaissait. Pas de rythmique ou presque, pas d'énervement final. La platitude absolue. La conclusion se fera logiquement sur Into The White. Les lumières restants allumées plein-pot, le fameux jeu de scène spectaculaire est totalement gâché, et pour tout dire, absolument grotesque. Le groupe disparaissant dans les fumigènes. Joey Santiago parvient à un larsen insupportable qu'il tiendra bien une minute. Et puis... Et puis voilà. Très symboliquement ce sont des formes quasi indistinctes perdues au coeur d'un rideau de fumée qui viendront donner un dernier salut au public.

 

        Et pourtant je ressors content. J'aurais bien des raisons de faire la gueule. Mais le meilleur l'emporte sur le décevant. Les grands moments (Is She Weird, Levitate Me, Head On, Caribou, Planet of Sound...) étaient vraiment immenses et c'est déjà beaucoup. Pour le reste, cela met fin à des années de frustrations. Oui, les Pixies étaient bien meilleurs avant leur séparation et donc, non, on ne pourra jamais voir ou revoir les Pixies sur scène tels qu'on les a rêvés ou déjà vus. C'est ainsi et c'est tant mieux. Sans sombrer dans le grand cirque façon Sex Pistols ou dans le tragi-comique façon Velvet Underground, les Pixies annoncent finalement très bien la couleur sur scène : on est là pour le fric, mais on va essayer de faire en sorte de vous en donner pour votre argent quand même. Black Francis essaie de faire plaisir au public et finalement c'est assez rare pour être noté. Un nouvel album est en route, espérons qu'il limitera les dégâts par une honnêteté qui était bien présente lors de ce concert. Après 12 ans de carrières solitaires, les Pixies ne sont plus les mêmes, forcément. La création de nouvelles chansons en commun peut peut-être leur redonner la flamme qui leur fait à présent si cruellement défaut. Tant il est flagrant que Frank Black avec ses Catholics fait preuve d'une puissance émotionnelle toute autre. Mais au moins, ah, certes, on peut à présent dire : j'ai vu les Pixies jouer Where Is My Mind en live. Certes.

        Alors quoi ? Le Zénith est une salle minable, ça, d'accord. Le public, dans sa majorité, était sympathique et essayait de faire de son mieux. Clairement, lui aussi attendait le déclic pour se lâcher. Et ce déclic n'arriva presque jamais. Joey Santiago est un guitariste médiocre. Kim Deal a trop consommé de substances prohibées au fil de son existence. David Lovering n'existe pas. Charles Thompson est le gros Tout. Et les Pixies étaient bel et bien le plus grand groupe de rock du monde.

 

 
 
 
 
 
 
 
 
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