L’internet bruite soudainement d’une rumeur aussi enthousiasmante qu’inquiétante : Annie Clark, la démiurge se dissimulant sous le nom de St Vincent, serait la nouvelle Kate Bush. Pas une énième imitation frelatée, non, non, pas un clone atrophié façon Bjork, mais bien LA Kate réincarnée, avec la classe, le mystère et la folie. On a beau savoir que la demoiselle a œuvré pendant des années aux côtés de Sufjan Stevens et des Polyphonic Spree avant de donner naissance à son premier album, on est dubitatif, pour le moins. Dès les premiers instants de Now, Now, on se rassure doucement, la voix est belle, agréable, charmante. On reconnaît les recherches harmoniques un peu bizarres mais immédiatement plaisantes, on apprend que Annie Clark fait tout, joue de tout, arrange tout, toute seule. Ca sent la mégalomanie et le génie. On ouvre les digues. On est submergé.

        Il y a du spectaculaire et de l’adorable dans Marry Me, beaucoup d’étrangeté et tout autant de mélodies où se reposer. La chanteuse ne cherche jamais à déconstruire juste pour impressionner l’auditeur, sa musique s’écoute avec facilité et simplicité. Il y a des « pom pom pom pom » sur Jesus Saves I Spend, un piano dingue sur Your Lips Are Red et même une ballade tout ce qu’il y a de plus pure avec All My Stars Aligned. Une ballade si planante qu’elle ne peut que se crasher dans les ténèbres dans sa conclusion. Car Marry Me est un sublime disque d’amour réaliste, avec des rêves et des coups de poignard. Romantisme ? Lâchons le terme et laissons-le exploser sur le Land Mines glissé peu avant la conclusion de l’album.

        Annie Clark sait rendre évidentes des chansons richement écrites, telles que les perles Paris Is Burning et The Apocalypse Song. Elle mélange tout, remplit son univers de gimmicks sans jamais entamer son atmosphère toujours plus envoûtante. Pour l’auditeur, Marry Me devient rapidement une obsession, sans que l’on sache exactement pourquoi. Car c’est un album qui dépasse la somme de ses parties en un tout assez inexprimable et impossible à circonscrire dans quelques lignes. Tant mieux, me direz-vous, on en reparlera, longtemps.


Pas facile de porter la couronne de la reine Kate (Bush), mais Annie Clark n’est pas tombée de la dernière pluie. Après un premier album remarquable, elle revient avec la même recette, mais en forçant sur les aspérités pour mieux ébrécher la belle façade. Chez St Vincent les chansons se présentent toujours charmeuses, parfaitement aidées en cela par la douce voix de la miss Clark. Mais c’est pour mieux prendre l’auditeur au dépourvu, le piéger et le dévorer.

Ici la brutalité est encore plus exacerbée, comme l’annonce les méchantes guitares qui viennent violenter The Strangers en ouverture de l’album. Pourtant les jolies litanies sont aussi de retour, telles que Save Me From What I Want et le superbe The Party. Si à la première écoute on retiendra surtout les coups de boutoir de chansons comme Black Rainbow (et son final qui cloue au mur) et Marrow (qui cogne comme un sourd), c’est au fil des écoutes que la vraie richesse de Actor se révèle. Une nouvelle réussite pour Annie Clark, originale et séduisante, vicieuse et délicieuse.


L’inventivité infinie d’Annie Clarke était déjà frappante dans ses deux premiers opus, l’aigre-doux Marry Me et le tortueux Actors, mais avec Strange Mercy elle atteint un nouveau niveau. Le plus beau ? Cela ne semble qu’une étape d’une odyssée toujours plus passionnante. Ce nouvel album est à la fois le plus expérimental de l’artiste mais aussi le plus immédiat, celui qui dès la première écoute vous scotche au fond de votre fauteuil. Ce n’est pas un disque facile, ne vous méprenez pas. Il ne se donne pas aux impatients ou aux amateurs de divertissements inconséquents. La musique et les émotions transmises sont âpres, parfois déplaisantes.

De la dissection sonore à vif de Surgeon en passant par le tourbillonnement final de Neutered Fruit ou la torpeur acide de Champagne Year, Strange Mercy a tout du songe inquiétant, parfois cauchemardesque. Annie Clarke fracture les rythmes, décompose les mélodies et use de toute une palette électrique dont la guitare demeure le principal instrument. Tout est possible chez St. Vincent, même le plus inattendu, comme la pop en plastique de Cruel ou l’éboulement dance d’Hysterical Strenght, deux tubes improbables d’un monde parfait encore plus improbable.

On croise une ballade élégiaque sur les états d’âme d’une Cheerleader qui culmine sur « I’ve seen America with no clothes on » et « I don’t wanna be a dirt eater no more ». On glisse d’un abyme à l’autre, d’un enlacement à un coup de poignard. Sur Champagne Year la roue tourne à nouveau "I'll make a living telling people what they want to hear. It's not a perfect plan. But it's the one we got..." Strange Mercy ne fait pas de prisonniers tout en créant de nouveaux chemins de traverse. Lier la créativité la plus torturée aux atours les plus séduisants, c'est tout le charme inquiétant d’Annie Clarke, l’une des figures incontournables de la musique de notre époque.

 
 
 
 
 
 
 
 
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