Face à l'oeuvre de Jeff Mangum, sous le nom de Neutral Milk Hotel, il n'y a que peu de place pour la demie-mesure. Les tièdes seront vomis, la prophétie est ainsi écrite. Soit on ne parviendra même pas à dépasser les trois premières chansons de In The Aeroplane Over The Sea, soit on ira jusqu'au bout, plusieurs fois d'affilées, avec une passion sans cesse grandissante. D'où le statut généreusement culte de cet album, outrageusement méconnu de ce côté de l'Atlantique.

Car ceux qui aiment In The Aeroplane Over The Sea, l'aime plus que tout. Ce disque est une drogue, une drogue dure, une drogue qui dure, qui coule dans nos veines comme le liquide délicieux et acide qui semble jaillir à chaque seconde de ce chef-d'oeuvre à nul autre pareil.        

Acide, la musique de Neutral Milk Hotel l'est, essentiellement par la voix de Jeff Mangum, c'est elle qui porte l'émotion. L'accompagnement des deux sommets bouleversants de l'album, Two-Headed Boy et Oh Comely, est pour le moins discret. A peine une guitare acoustique pour le premier, une guitare acoustique juste secondée aux 3/4 du morceau par une section de cuivres mourants sublimes. Donc, la messe est dite. Si vous ne supportez pas la voix de Jeff Mangum, fort particulière il va sans dire, vous ne survivrez pas aux huit minutes dix-huit secondes de Oh Comely. Et cette voix, divine ou atroce, tout cela est tellement subjectif, chante des paroles étranges, surréalistes, parfois douloureuses, d'un érotisme cru, souvent déchirantes, d'une poésie hors normes.        

Sur le reste du disque, la musique navigue entre fulgurances acoustiques et surcharges sonores grandioses et ludiques qui ne sont pas sans rappeler les meilleures heures des Flamings Lips ou de Mercury Rev. On pourra aussi largement évoquer Pavement et The Olivia Tremor Control (groupe dont Mangum a fait partie). Mais aucune comparaison ne rend grâce à cette musique épidermique, nerveuse, dense. Qui navigue entre saturation sonore et saturation émotionnelle.

 

La fascination exercée par ce disque est sans doute indescriptible. C'est un maléfice, un vampire, une obsession. Tragique et comique, sublime et grotesque, entièrement porté par la voix et les textes de Jeff Mangum, In The Aeroplane Over The Sea est une oeuvre unique, un délire traumatisant évoquant la vie, l'amour, la mort et surtout la Shoah en des métaphores aussi charnelles que bouleversantes. Chaque parole est ainsi dotée d'une force quasi sans équivalent dans l'histoire du rock et cette poésie surréaliste redéfinit à chaque instant le concept d'épidermique. Jeff Mangum peut faire frissonner, faire pleurer, inquiéter et émouvoir. En particulier lorsqu'il pousse ce qui est peut-être le cri le plus déchirant jamais gravé sur un disque : "We know who our enemies are". Créature inimaginable d'un artiste littéralement fou, In The Aeroplane Over The Sea vient nous rappeler ce que la musique peut nous offrir de plus essentiel, de plus intime, et ce que les mots peuvent nous évoquer, nous murmurer directement dans l'âme, sans céder aux clichés, sans céder à la dictature du sens. Et l'auditeur de laisser son inconscient se repaître dans les méandres de cette oeuvre libre, troublante, insoutenable et inconcevable.

 

 
 
 
 
 
 
 
 
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