Cet album historique est une bonne définition du terme : fascinant. Inventant une techno-pop minimaliste et envoûtante, les génies de Kraftwerk venaient tout bonnement de révolutionner la musique. Car c'est la techno qui est en train de naître dans nos oreilles émerveillées à l'écoute de cet album magique. Deux chefs-d'œuvre légendaire dominent le disque. Le tétanisant The Hall Of Mirrors, intriguant, sublime. Et bien sûr Trans Europe Express, merveille absolue d'un groupe inégalable. Indispensable. Et on ne saura trop conseillé l'intégrale de Kraftwerk, au fil de laquelle on reconnaîtra aussi bien Aphex Twin que la techno de Détroit, et à peu près toute la musique électronique de ces 15 dernières années. De Autobahn (qui serait le véritable acte de naissance de la musique électronique, ou du moins son premier chef-d'œuvre populaire) à The Man-Machine (et ses ambiances de villes nocturnes à pleurer d'émerveillement) en passant par Radioactivity (Nine Inch Nails en 1975) et le fastueux Computer World, tout est en avance de plusieurs millénaires sur son temps. Seul Kraftwerk savait (sait ?) faire du Kraftwerk. Et ils sont toujours les meilleurs. En tout.


        Que reste-t-il de Kraftwerk en 2005 ? Après avoir été cité comme l'influence essentielle de toute la musique plus ou moins électronique des années 80 et surtout 90, le collectif allemand, qui n'a rien enregistré de vraiment neuf depuis 20 ans, ne survit-il que sur sa légende et ladite légende, n'est-elle pas démesurée ? Si l'on prête foi aux critiques, tout vient de Kraftwerk et tout y retourne. N'accorde-t-on pas un peu trop à ces indéniable inventeurs ?

        Le double-disque live, Minimum Maximum, compte-rendu de la dernière tournée mondiale du groupe, apporte toutes les réponses attendues. Pour la première fois, l'expérience sonore de Kraftwerk en concert est reconstituée idéalement. Certes il manque l'aspect visuel, primordial, mais on attendra l'inévitable DVD pour cela. Non, ce qui compte ici c'est de découvrir le meilleur best-of de la carrière des allemands, des morceaux connus par coeur, pillés par tout le monde et à peu près n'importe qui, présentés ici dans des versions optimisées par des techniciens maniaques.

        Et le premier choc est de réaliser que, dans son minimalisme, cette musique a divinement bien vieilli. Dépouillée, fondée sur des rythmes simples, peuplée d'effets rares et toujours marquants, soutenue par des mélodies fréquemment inoubliables et des paroles très amusantes ("It's more fun to compute", "I'm the operator with my pocket calculator") ou évoquant une déshumanisation aussi fascinante que délicatement angoissante (l'ouverture frappante de The Man-Machine), la musique de Kraftwerk pourrait très bien avoir été conçue en 2005 et être toujours aussi révolutionnaire. Le second choc est de (re)découvrir à quel point l'univers de Kraftwerk n'est pas aussi froid qu'on le prétend. Au contraire, on ressent une grande jouissance, un immense plaisir de jouer avec les sons et les rythmes. Et les 2h30 de concert sont souvent drôles et donnent clairement envie de danser ou du moins d'afficher un sourire ravi.

        Cette joie avait finalement quelque peu été effacée par l'aspect mythique de Krafwerk. Elle resurgit sur Minimum Maximumavec d'autant plus de prestance. On retrouve alors un groupe rieur (sur les extraits de Tour de France, sur Pocket Calculator), parfois jonglant avec des rythmes "hardcore" (sur l'inquiétant Radioactivity, sur le brutal Numbers), flirtant avec la "dance" la plus décomplexée (une version de The Robots à écouter en club), et aussi rêveur sur les perles éternelles que sont Autobahn ou Neon Lights.

        En alliant simplicité électronique, immédiateté pop, richesse thématique évidente et efficacité ludique, Kraftwerk prouve que la légende n'est définitivement pas usurpée. Non seulement ils ont presque tout inventé en leur temps, mais ils ont traversé les époques sans jamais effleurer la ringardise, sans jamais rien perdre de leur actualité. Car derrière les "bip" et les "plonk" se cachaient de grandes chansons, de celles qui restent gravées dans les mémoires et les coeurs. Plus que jamais le 21e siècle musical semble se construire auprès de l'ombre bienveillante de Kraftwerk.

 
 
 
 
 
 
 
 
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