Bruce Wayne / Batman

 

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Dans les méandres de Bruce Wayne

 

"Au lieu de tomber dans les clichés des super-héros, j'avais une bonne vision de ce que pourrait être Batman sur grand écran. C'était une bonne occasion de suivre mes idées et mon instinct."

        Et oui, le Michael Keaton tant décrié par la critique et les fans pour sa performance (admirable) dans le premier opus, revient. Plus à l'aise, aidé par un scénario de haute tenue, Keaton est le parfait Bruce Wayne maître de la technologie et des gadgets mais dépassé dès que les sentiments et/ou l'imprévu s'en mêlent. Sous la baguette burtonienne et avec l'apparence de Keaton, Batman devient l'anti super-héros. Toujours à la limite d'être entraîné par le Mal, engoncé dans un costume étroit et dans un code moral encore plus étroit, Batman n'est qu'une ombre. L'ombre de la loi dans un monde sans loi, l'ombre de la justice dans un univers forcément injuste dans lequel les méchants ne le sont pas vraiment, les pourris ne sont jamais punis et les histoires se terminent mal (forcément, mal...). Triste, solitaire, dissimulé derrière une façade aussi physique (le gothique Wayne Manor, loin de Gotham City) que psychologique (le dandy séducteur, aucun rapport avec le "vrai" Bruce Wayne), ce super-héros passe ses journées dans un environnement dingue où se côtoient technique de pointe et archaïsme.

 

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        Clairement, Bruce Wayne est un inadapté. On veut nous faire croire qu'il sait se débrouiller en affaires mais on n'imagine sans peine qu'il est plutôt aidé par une armada d'avocats. Non, Wayne ne sait (presque) rien faire, pour preuve l'omniprésence du majordome Alfred qui fait tout (ou presque), de la cuisine au dépannage et même dans le domaine des conseils existentiels. La relation Alfred/Wayne est délicatement émouvante, sans forcer, sans grandes effusions (je ne suis pas du tout en train de viser le consternant Batman et Robin, là, pas du tout du tout...). Au contraire, en peu de dialogues, tout est dit et la présence du vieux serviteur paternel n'en est que plus forte, plus touchante.

        Bruce Wayne rêve d'une vengeance impossible, même si les scénaristes lui ont offert un coupable croquignolesque (le Joker du premier opus), le meurtre des parents est bien plus symbolique que cela. Tel un Maniac Cop, Batman rôde en quête de Mal, sa nourriture favorite. Plus le méchant est méchant, plus Batman exorcise sa propre part d'obscurité. Pour preuve, confronté à des méchants qui n'en sont qu'à moitié (dans Batman Returns, donc), il se perd, passe de tous les côtés de la barrière, s'accrochant désespérément à des vestiges d'ordre au moment où tout sombre dans le chaos (le final hallucinant du film). En fait, pendant tout le film, Batman semble faire confiance aux scénaristes hollywoodiens. Sur la fin il semble se dire : "bon, moi je suis le gentil, lui c'est un méchant, il meurt, on s'en fout ; lui c'est un méchant mais moins méchant, comme on est dans un film tout public, je m'en vais te l'arrêter ; elle est pas vraiment méchante alors elle va revenir du bon côté, j'ai vu ça dans une série TV." Oui, mais non. En quelques minutes, tous les clichés s'effondrent, toutes les situations sont renversées.

 

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        Et lors de la dernière séquence du film, c'est bien plus que du doute ou de la solitude qui habitent Bruce Wayne, qui n'en est pas, il est vrai, à un traumatisme près. En cela, Batman Returns aurait très bien pu être l'ultime film de la série (un seul film en fait, le premier étant juste... une introduction). L'image d'une Catwoman surgissant intacte, irréelle, purement onirique, en ultime image du film est en cela très claire. L'univers des Batman touche à son point limite, quand la rupture entre un réel déjà surréaliste et le pur Fantastique, se produit. Batman 3 aurait du être une folie surréaliste, un immense cartoon barbare et psychanalytique. Batman 3, avec un Burton libre et motivé au commande, aurait pu être encore plus monstrueux, encore plus génial que Batman Returns. Oui, Batman Returns offrait les possibilités d'une suite, mais une suite impossible. Car jamais un studio n'aurait accepté de produire (pour un budget qu'on imagine faramineux), une œuvre hors normes que Batman Returns ne fait qu'annoncer. Un délire surréaliste de 100 millions de dollars... En fait, ne nous plaignons pas, avec la filmographie de Tim Burton nous avons déjà quelques beaux délires pas totalement surréalistes mais presque, à gros budget.

 

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        Et Batman dans tout cela ? Il n'est plus qu'une toile de fond. Il est l'indispensable touche de moralité dans un monde perverti jusqu'à l'os. Car la pièce sans son revers, n'existe pas. Le Mal sans le Bien, n'est pas le Mal. Donc Batman est indispensable, mais le moins présent, le plus transparent, le plus réceptif possible. Et son attirance pour Selina Kyle n'est pas fortuite, chacun se nourrissant de la dualité, des tourments de l'autre. Une relation ouvertement sado-masochiste (avec ou sans les masques), sur le fil du rasoir, entre le Bien et le Mal (par-delà ?). Une telle histoire d'Amour (avec un grand A ? Avec un grand A, car purement Romantique, avec un grand R), ne peut donc pas se dérouler comme les autres. Rien ici ne correspond au canon de l'amourette obligatoire dans le film hollywoodien. En apparence, peut-être... en apparence, toujours en apparence... Et l'on sait combien dans les films de Burton l'apparence est trompeuse (vous vous souvenez d'Edward ?). Comme chez Lynch, les choses ne sont pas ce qu'elles semblent être. La normalité est le danger, l'enfance est le monde de la souffrance, etc...

 

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        Bruce Wayne, financier avec des principes (anormal, encore), a la morale d'un héros à l'ancienne et se retrouve perdu dans l'univers cauchemardesque (le monde réel mais en plus stylisé) de Burton. Le choc est inévitable, Batman et Batman Returns le raconte avec force détails. Le monde n'est pas fait pour les super-héros, comme il n'est pas fait pour les supers-vilains tragiques. Le monde est fait pour les Max Shreck, pas pour les Pingouins. Le PDG mafieux remplace le gangster des débuts de la BD, c'est le choc des cultures, comme dans Dark Knight, Batman est définitivement largué par une époque qui n'a plus besoin de super-héros avec des masques. L'époque est au Bruce Willis et Keanu Reeves, plus au grande figure damnée. Batman Returns est un peu le Crépuscule des Dieux des super-héros. C'est pourquoi on se demande encore à quoi aurait bien pu ressembler le Superman burtonien... Superman Reborns ? La résurrection des Dieux ?

 

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        Dans la scène admirable du bal masqué, bourrée de symboles jusqu'à l'overdose, les vrais monstres, sans masque, sont les exclus. L'éclairage, fort judicieux, donne aux visages de Bruce et de Selina des ombres d'outre-tombes. Un critique américain, moins "aveugle" que ses confrères, avait fustigé Batman Returns pour être morbide et dépressif. Pour moi ce sont plutôt des qualités, enfin, dans ce cas particulier. Pour une fois le terme d'oeuvre crépusculaire n'est pas galvaudé. Batman Returns est un incroyable voyage aux sources des mythes modernes mais aussi jusqu'aux abords de leur déchéance. Les héros ne sont plus ce qu'ils étaient et en cela c'est (attention ce que je vais dire est très caricatural) une pure œuvre de fin de siècle. A jamais solitaire, le héros, qu'il soit super ou non, ressasse ses doutes et ses fantasmes. Son combat est-il voué à l'échec ? L'image d'un Amour le poursuit... Batman Returns, comme Edward Scissorhands, comme The Lovers, comme Heavenly Creatures, est l'un des Chefs-d'Oeuvre du cinéma romantique des années 90 (et du siècle entier, d'ailleurs). Je ne sais pas si Burton a consciemment créé une œuvre aussi riche, mais à la lecture, elle se révèle sous ce jour ; alors, inutile de la dénigrer, il vaut mieux en profiter au maximum.

 

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Michael Keaton et Batman

 

        Après l'expérience éprouvante mais terriblement enrichissante et gratifiante du premier Batman, Keaton est prêt à suivre de nouveau Burton dans une séquelle encore plus démesurée. Pour les fans du Comic, on sait que Keaton est une sorte de cauchemar. Pour interpréter Batman, ils imaginent plus un Schwarzy ou un Jean-Claude Vandamme (ben voyons), mais là nous sommes dans le domaine de l'incarnation physique, et Burton a préféré miser sur une incarnation psychologique. C'est pourquoi Keaton est, et d'autant plus dans la suite, un Batman parfait. Pour preuve sa première apparition, en attente dans les ténèbres de son manoir, en noir et bleu, en plein pose mythique. Batman n'est pas un super-héros bondissant, boy-scout et jamais avare d'une bonne blague, non, Batman est un monstre du bon côté de la force. Il n'a aucun super pouvoir, au contraire, à part sa fortune, Bruce Wayne n'a vraiment pas grand chose pour lui. Et Michael Keaton est impeccable pour donner à Wayne des allures d'être humain fasciné par le mal, dépassé par le monde extérieur et qui essaie tant bien que mal d'afficher une certaine confiance.

 

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"Quand j'ai lu le scénario de Batman, en considérant qui était impliqué dans le projet, je me suis dit que cela allait être énorme. Et de nos jours, "énorme" représente beaucoup de choses pour un acteur. Si Batman était un succès, il serait un énorme succès. Mais si c'était un échec, ce serait un énorme échec. Et pas seulement pour le film mais aussi pour moi."

    Dès le premier film, Keaton est donc tout à fait conscient des risques qu'il prend à s'embarquer dans le bateau pas vraiment insubmersible de Burton. C'est pendant le tournage (en Angleterre, en plus) de Batman que les premiers avis négatifs, totalement a priori, ont commencé à se faire entendre aux USA.

"Quelque chose dans ces attaques a réveillé en moi ce que j'appellerai une saine "attitude"(...). J'ai silencieusement adoré le défi, et j'étais déterminé à prouver que je pouvais le relever."

    Finalement Batman est le succès historique que l'on sait et même les critiques se mettent à apprécier la performance de Keaton. Suffisamment en tout cas pour que le retour de Batman se déroule avec le même interprète.

"Quand vous êtes dans le costume, vous percevez et jouez différemment. Vous êtes très isolé dans le costume de Batman, ce qui est excellent. Sur le premier Batman, j'ai vraiment utilisé ce fait pour créer le personnage, qui se sent couper du monde extérieur."

    Résultat des plus convaincants, comme nous l'avons vu plus haut.

    Comme Pfeiffer, Keaton a suivi un entraînement physique relativement important. Mais là encore, l'avantage des héros masqués, c'est que la doublure ne se voit pas des masses.

 

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"Pourquoi est-ce que je revient dans le costume de Batman ? Et bien, je n'ai jamais interprété le même personnage deux fois, c'est un défi, et c'est très intéressant de le relever jusqu'au bout. De plus, Tim a embarqué tout le monde dans un voyage fantastique... et je suis entièrement avec lui dans sa quête."

        Voilà des propos fort louables, surtout qu'être en tête d'affiche sur une production telle qu'un Batman ne se refuse pas. Bien, je vais parler un petit peu de la carrière de Michael Keaton, acteur admirable pour son éclectisme. S'il est remarqué dès son premier rôle dans Nightshift en 1982, il faut attendre 1988 et le Beetlejuice de Tim Burton pour que le nom de Michael Keaton devienne populaire auprès du grand public. Il faut dire que sa performance dans le rôle de Betelgeuse est anthologique. Dès l'année suivante il rempile aux côtés de Burton pour un rôle diamétralement opposé, celui de Bruce Wayne/Batman, donc. Il est ensuite un grandiose psychopathe dans Fenêtre sur Pacifique (1990). Avant de revenir dans le bien nommé Batman Returns, que tout le monde connaît normalement par cœur maintenant. Il joue les guest stars dans le Beaucoup de Bruit Pour Rien de Kenneth Branagh en 1993, avant de trouver un excellent rôle dans le Journal de Ron Howard en 1994. Son film suivant, le superbe Multiplicity du grand Harold Ramis, lui permet de délivrer une performance hallucinante (4 rôles... parfois en même temps à l'écran !). Tarantino lui offre ensuite un second rôle dans son chef-d'oeuvre Jackie Brown en 1997. Puis il revient au rôle de psychopathe génial pour l'Enjeu. Avant de tourner une gentillette comédie familiale, Jack Frost en 1998. Eclectisme remarquable comme je le disais plus haut.

 

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        Bon, il faut une conclusion, là ? Je n'ai pas grand chose d'original à dire, on en revient toujours à l'habituel : Michael Keaton EST Batman. Mais il n'est pas seulement Batman, il est aussi Bruce Wayne, ce qui est peut-être le plus important. Quand on voit Val Kilmer inexistant dans Batman Forever et George Clooney totalement parodique dans Batman et Robin, on comprend pourquoi Burton ne veut plus entendre parler de Batman de près ou de loin sans son Keaton. Au point où nous en sommes, il ne reste plus qu'une hypothétique adaptation de Dark Knight par Clint Eastwood pour relever le niveau de la franchise Batman.

 

 

Le site de référence sur Michael Keaton :

Temple of Keaton

 

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