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Zatoichi

 

        Affirmer que 2003 fut l'année Kitano tient du choquant euphémisme. Alors que Dolls ne cesse de grandir dans les cœurs, la fin de l'année nous a offert un nouvel exploit du maître japonais. On annonçait son Zatoichi comme une œuvre "légère", une détente après le sommet artistique de Dolls. Un film de genre, populaire, une variation sur les aventures du samouraï aveugle Zatoichi, héros traditionnel du cinéma japonais. Bref, ce devait être un petit ajout dans la si impressionnante filmographie de Kitano.

        Le séisme est d'autant plus intense lorsque l'on découvre le résultat sur grand écran. Depuis Dolls, Kitano semble avoir atteint un tel degré de maîtrise de son art que rien ne peut l'entamer. On en vient même à oublier ses "anciens" grands classiques tels que Sonatine ou Hana-Bi. Son Zatoichi tient du chef-d'oeuvre absolu de la première à la dernière image.

        La mise en scène, où l'on pourrait aussi bien reconnaître Kurosawa que Jacques Tati, et d'une virtuosité discrète qui laisse sans voix. Mouvements de caméra tour à tour délicats ou nerveux, rythme soutenu et fluide, prises de risques... Avec pour exemple l'utilisation du sang numérique, choix artistique audacieux, qui permet de contrôler avec la plus parfaite précision le moindre détail de la chorégraphie des combats, ainsi que de ralentir les gerbes de sang au sein même d'un plan à vitesse normale. L'effet obtenu est stupéfiant, unique. De même que l'exceptionnel travail sur la bande son, œuvrant tout aussi bien pour le burlesque que pour la puissance tragique de certaines scènes. La musique originale étant par ailleurs, malgré l'utilisation intensive des synthétiseurs, la plus marquante de l'année.

        Et que dire de ce qui nous est conté ? Cela pourrait sembler banal de prime abord. Un étranger arrive en ville et il rétablir la justice. Un "super-héros" invulnérable ce Zatoichi, qui ne recule devant aucun exploit surhumain lorsqu'il s'agit de manier le sabre. Un Zatoichi interprété de manière hallucinante par Kitano, parvenant à être à la fois fort et fragile, drôle et inquiétant, et surtout émouvant. A l'image de l'ensemble du film. Puissant, dans ces combats brefs, dont l'intensité ne cesse de fasciner ; avec comme sommet, le duel entre Zatoichi et le garde du corps, superbe et tragique. Fragile, comme la démarche du héros, dans ses pauses mélancoliques, dans ses plans apaisés qui font trembler le cœur. Drôle, et même parfois potache, le film l'est aussi. Les gags sont nombreux et font respirer une histoire par ailleurs très dure.

        Car l'émotion est omniprésente. Que ce soit à travers le sacrifice du garde du corps, faisant le choix de la corruption et du mal pour essayer de sauver sa femme malade. Ou dans la quête de vengeance de deux personnages totalement bouleversants, qui ne peuvent que nous faire sortir nos mouchoirs. En particulier lors d'un final étonnant sur un long numéro de claquettes (!!), qui fait rire, pleurer, nous ravit et nous fait quitter la salle avec le cœur battant plus vite, le sourire aux lèvres et l'âme émerveillée. Doublé historique en 2003, pour le moins, pour Takeshi Kitano. Deux chefs-d'oeuvre, deux moments de grâce.