1

Joe Strummer & The Mescaleros - Streetcore

 

 

        On a beaucoup parlé du retour du "rock" cette année. On a loué les White Stripes pour leur fidélité aux règles les plus basiques de l'essence du rock'n'roll. Une guitare, une batterie, et puis une basse s'il en tombe une par ici, mais bon, pas obligé non plus. Et pas d'ordinateurs. Et vas-y donc qu'on mouline du Rolling Stones de 1965. Louable, oui, si les chansons tiennent la route. Mais il manque un petit peu d'âme, un petit peu de cœur, qui donnerait une vraie dimension à tous ces nouveaux groupes de pur "rock".

 

        Et pourtant, en 2003, le disque idéal de Rock, avec une majuscule, je vous prie, était bien là, à porter de la main. Et attention, pas un disque de vieux con, pas (seulement) un disque de nostalgique, pas un disque embué par une complaisance pour un artiste que l'on a adoré avec passion. Non, non, objectivement, oui monsieur, oui madame, oui mademoiselle, oui petits et grands, objectivement ! Le meilleur des disques de rock possibles. Avec tout ce que l'on peut attendre d'une telle œuvre.

        Beaucoup de guitares, beaucoup d'énergie, un peu de maladresse, pas mal de révolte, un respect pour le passé et de bons coups d'oeil vers le futur, une sincérité qui déborde de partout, de la "rock attitude" en veux-tu en voilà, de l'électricité, de l'acoustique, des chœurs, des textes qui touchent aux tripes, au cœur, à l'âme, et une putain d'émotion qui explose sur dix chansons comme on n'en a pas entendu des tonnes cette année.

 

        Tout cela, je vous le garantis, est présent sur l'album de Joe Strummer & The Mescaleros, Streetcore. L'album posthume de Joe Strummer, l'ex-leader de The Clash (pour ceux qui ne suivent vraiment rien), décédé il y a tout juste un an. Et son ombre de géant aura plané jusqu'à la conclusion de 2003, grâce à un ultime disque, sans doute le plus accomplit de sa très discrète carrière solo. A vrai dire, en écoutant pour la première fois Streetcore, on s'attendait surtout à laisser jouer la nostalgie, on ne demandait rien de plus à cet album que de raviver le souvenir de monsieur Strummer et cela aurait largement suffit.

 

        La claque est d'autant plus effroyable. Car ce disque n'a rien d'une oraison funèbre, d'un testament ou d'un caveau poussiéreux. C'est une collection de 10 chansons parfaites, qui de la première à la dernière minute nous mettent le cul par terre. Bref, malgré toute notre admiration, on avait fini par croire que Joe Strummer ne pouvait plus nous surprendre, ne pouvait plus tenir vraiment tête à tous ces plus ou moins jeunes qui lui ont succédé depuis Combat Rock (quoi Cut The Crap ?). Et là, vlan ! Écoutez All In A Day et balancez les Kills et les White Stripes par la fenêtre. Du rock, hénaurme, aucunement obsolète mais au contraire parfaitement à sa place au sein de l'année 2003. Du rock qui aurait fort justement voyagé dans le temps depuis 1979 et qui aurait atterrit juste au bon moment, aujourd'hui, maintenant. Avec juste ce qu'il faut de nostalgie et largement de quoi regarder vers l'avenir avec espoir.

 

        Dès la première chanson, Coma Girl, on se pince, on croit rêver. Merde alors ! Une chute de London Calling ? Non, non, un vrai nouveau morceau, qui n'aurait pas fait tâche au sein du "plus grand disque de rock du 20e siècle". Ca donne le ton, ça met tout de suite d'accord. Bien sûr, on est déjà submergé par l'émotion. C'est trop de souvenirs, trop de regrets et en même temps trop de vie, trop de plaisir de la part d'un foutredieu d'album posthume. Si sur Get Down Moses, Joe Strummer se laisse un peu aller dans sa veine "world", c'est sans doute la seule chanson un peu plus "faible" du disque. Tout le reste est incroyable.

        Sur Long Shadow, Joe Strummer tutoie la country et la folk avec une légèreté surprenante. Zut alors, on ne savait pas le Joe capable de faire danser le fantôme de Hank Williams avec autant de facilité et de sincérité. Il faut dire qu'il avait la voix pour cela. Juste cassée comme il le fallait. Magnifique. Arms Aloft est un rock carré d'une étonnante modernité dans son classicisme même. Et d'une efficacité qui charme. Ramshackle Day Parade est une ballade pop qui a nouveau surprend (décidément). Ici Joe flirte avec un format FM prêt à faire pleurer dans les chaumières. Mais on y croit dur comme fer. Parce que c'est Joe Strummer, sa voix, ses textes, son talent pour les mélodies brisées.

        Puis, tout en acoustique, la voix en avant, il reprend Bob Marley et son Redemption Song, comme s'il s'agissait d'un standard du "protest song". Un hymne aussi bien pour résister au monde entier dans son salon, qu'au sein d'une manif, ou autour d'un feu, dans un métro bondé, dans une rue déserte, dans le matin gris ou le soir solitaire. Déchirant et bourré de promesses. All In A Day, comme je l'ai dit plus haut, renvoie chez leur maman la majorité des "nouveaux" prodiges rock. Alors, certes, il y a des petits jeunes qui font cela fort bien. Mais chez Joe, il y a cette fameuse "âme" en bonus. Sur Burnin' Streets, Strummer enterre une bonne fois pour toute le cadavre encombrant du Clash, et même si la chanson est une ballade pop-rock, elle se vêt d'arrangements superbes et d'une force mélodique imparable. Sur Midnight Jam, Joe Strummer erre, refusant de baisser les armes, refusant de mourir, laissant son œuvre en suspend, à jamais inachevée, offerte à tous ceux qui voudront bien reprendre le flambeau après lui.

 

        Et au final, on est ému jusqu'aux larmes sur la reprise de Silver and Gold, qui réconcilie soudainement le punk le plus anglais avec le rock américain, en évoquant le souvenir d'un autre récent grand mythe disparu, le Man In Black, Johnny Cash. Immense, bouleversant, génial, tout est là. Joe Strummer ne jouait pas du rock, il était lui-même l'essence du rock. Cet ultime album, disque de l'année ex-æquo de votre serviteur, est là pour le prouver, si jamais il en était encore besoin. Streetcore est un chef-d'oeuvre total.