Sleepy Hollow : la révolution discrète

 

Sleepy Hollow, le film que personne n'attendait

 

        Pourquoi Sleepy Hollow va-t-il être un événement dont pour l'instant à peu près personne ne semble mesurer l'impact ? Évidemment si je donne mon point de vue, Sleepy Hollow sera un événement parce que les noms de Burton, Depp et Elfman figurent au générique. Mais ce n'est pas de cela dont je veux parler ici. Sleepy Hollow, en particulier s'il est un succès, ce qui est fort possible et nous allons voir pourquoi plus loin ; Sleepy Hollow, donc, est un nouveau pavé dans la marre d'Hollywood, que nous offre Tim Burton.

 

        Le film risque d'être un succès, le premier grand triomphe public de Johnny Depp et le retour de Burton sur le devant de la scène US après les échecs consécutifs d'Ed Wood et de Mars Attacks !. Sleepy Hollow arrive pile quand il faut, où il faut. Et pas seulement parce que sa date de sortie tombe au moment d'Halloween. C'est aussi le film que le public (plutôt inconsciemment d'ailleurs) attend. Un vrai film d'épouvante sur les bases d'un conte très très célèbre. Certes, l'humour noir et le côté adulte de la chose (ici pas d'ados débiles se faisant trucider) risquent de perturber les petits américains. Mais il ne faut pas désespérer. Même si Depp n'a pas la popularité de Pitt ou de Willis, Burton peut rééditer les succès finalement assez surprenants de Seven et de Twelve Monkeys. Si Gilliam a fait un carton avec sa très sombre et complexe histoire de fin de l'humanité, Burton peut réussir aussi avec son grand film d'horreur classique. Entraînant ainsi le fameux revival Hammer qu'on nous annonce depuis le Dracula de Coppola. Sans compter que le remake de The Haunting Of Hill House de De Bont lui aura sans doute ouvert la route (ce sera le seul aspect positif de The Haunting version 99, d'ailleurs).

 

        Mais de toute façon, succès ou non, Sleepy Hollow sera une révolution de plus dans le cinéma hollywoodien. Une apothéose indéniable de Tim Burton en tant qu'auteur œuvrant dans les films de genre sans complexe. Car que nous apporte Sleepy Hollow ? Un film totalement à contre-courant des modes de cette fin de siècle. Un film en costume (à l'époque de Matrix), un slasher avec des adultes et de vrais personnages (le contraire de tous les sous-Scream actuels), un film esthétiquement très travaillé (ce qui tranche avec la photographie façon sitcom des slashers post-Carpenter ou les filtres dégueulis façon Matrix), des décors grandioses et mythiques (là encore on est loin du campus ou de la boîte de nuit), un vrai "méchant" de légende (et pas un ado crétin qui veut tuer tout le monde ou un méchant caricatural en diable), de vrais acteurs (Depp va nous changer de Will Smith, ça c'est sûr), de la vraie musique (et pas une compil fun radio ringarde), etc... En clair une sacré bonne série B à l'ancienne, qui sans doute transcendera son statut de pur spectacle par une vraie consistance psychologique des personnages, de grandes images, de grandes séquences et des vrais bouts d'émotion pour lier le tout.

 

        Et réussir à produire et à sortir avec tout le tralala marketing un film comme cela à Hollywood en 1999, c'est aussi grandiose que d'avoir réussi à produire Edward Scissorhands ou d'avoir habillé Michelle Pfeiffer en prêtresse SM. Sleepy Hollow est le film que personne n'attendait et qui risque donc de surprendre et de marquer tout le monde. Car Burton a remisé sa nostalgie Ed Woodienne et son humour cynique omniprésent de Mars Attacks ! aux vestiaires. On revient avec Sleepy Hollow, là où nous en étions restés à la fin de Batman Returns. Mais dans le cas de l'histoire du Cavalier Sans Tête, Burton est à la fois bien plus libre et bien plus encadré que pour les Batman, la mythologie du Dark Knight œuvre sur le même terrain que celle de Sleepy Hollow (si ! si !) mais avec des références radicalement différentes. Sleepy Hollow sera évidemment largement à comparer avec Batman Returns, la bande annonce le montre bien, déjà. Mais ce sera aussi une nouvelle étape vers un cinéma burtonien encore plus ambitieux, encore plus adulte, encore plus accomplit. Burton va une nouvelle fois "pirater" une imagerie très connue pour en faire SON œuvre. Le Sleepy Hollow de Burton ne sera pas le conte cruel, drôle mais trop détaché (c'est le cas de le dire) et finalement trop sage de Irving. Le Sleepy Hollow de Burton sera un film DE Tim Burton, qui lui apportera son imagerie et surtout son émotion (absente du conte).

 

        En clair, je sais très bien que je vais lire dans pas très longtemps des remarques du style : Burton surfe sur la mode des slashers pour son dernier film. Ce sera une absurdité grandiose ; au contraire, Burton s'apprête à trancher la tête de ce revival crétinoïde, en faisant percuter les Innocents, le Cauchemar de Dracula, le Frankenstein de Whales et Texas Chainsaw Massacre (bon d'accord pour le Hooper j'exagère sûrement). Le risque étant, comme d'habitude, qu'un film aussi exigeant et finalement aussi "cultivé" ne soit pas très bien perçu par un public adepte de second degré gentillet et de confort. Car Sleepy Hollow ne sera pas un film confortable, la bande annonce est claire à ce niveau. Entre humour noir et gigantesque travail plastique, nous n'aurons pas à faire à un film "routinier", nous aurons à faire au digne descendant des œuvres de Fisher, car Sleepy Hollow prend sa source nulle part ailleurs que dans le prologue du Chien des Baskervilles qui est l'une des séquences les plus terrifiantes et les plus belles du cinéma d'épouvante. C'est cette séquence qui débute dans une fête orgiaque pour s'achever dans le brouillard effroyable de la lande que Burton avait en tête en tournant dans la forêt anglaise hivernale. L'imagerie gothique et baroque de la Hammer avec le maestria et la sensibilité de Burton, le tout avec une large couche d'acteurs puissants, de technologie moderne et de musique de folie. Je n'ai pas vu le film, mais je suis déjà prêt à le classer très haut dans mon top du top. Comme qui dirait : je suis vendu d'avance !