La Planète des Singes

 

La Planète des Singes

 

        Il se passe parfois des choses merveilleuses. Là, tenez, un exemple très banal. Sur ce site je me plaignais à de nombreuses reprises de la "mode Tim Burton". D'un coup, monsieur Tim était érigé en "auteur intouchable", en icône populaire, il se retrouvait à faire la couverture des magazines branchés, les étudiants pondaient des maîtrises et des thèses à foison sur son œuvre, des sites internet (ah ? ah ?) fleurissaient tout partout, etc... Et là, bah, voilà, monsieur Tim refait la une, mais sa dernière production est quasi unanimement conspuée. Jusque dans les pages de Mad Movies où l'on se retrouve dix ans en arrière avec l'accueil franchement négatif offert au premier Batman et l'accueil plus que perplexe et pas du tout convaincu d'un Edward Aux Mains d'Argent trop beau pour être vrai. Et bien l'histoire se répète. Et au moment où sort le meilleur film de Tim Burton depuis au moins Ed Wood, je peux l'affirmer, il se passe parfois des choses amusantes et merveilleuses.

 

Le Héros du monde libre

 

        Parlons peu, parlons bien, parlons de moi. 1988 : Beetlejuice. Le nom de Tim Burton m'est encore inconnu. Je découvre ce film avec un rare plaisir, le trouvant fort original, délicieusement méchant et intelligent et surtout effroyablement drôle. 1989 : Batman. Qui devient du jour au lendemain mon film fétiche, mon bonheur absolu, à la sortie de la vidéo ce sera une fois par semaine pendant un trimestre. 1990 : Edward. Qui devient du jour au lendemain mon film favori, l'air que je respire, les songes de mes nuits, j'aime ce film. 1992 : Batman Returns. Qui devient aussitôt mon film essentiel, le sang dans mes veines, mon idéal artistique, le pourquoi du comment. 1994 : The Nightmare Before Christmas. Et je me retrouve émerveillé comme le gamin que je ne suis déjà plus. 1995 : Ed Wood. Et je sais désormais que Tim Burton me comprend mieux que n'importe quelle autre personne en cet univers. Ce monsieur me sauve la vie et change mon monde. L'Idéal avec un big I. J'atteins le sommet de mon fanatisme. 1997 : Mars Attacks ! Déception. Le film est merveilleux, drôle à mourir, méchant comme au bon vieux temps, mais... mais... il manque quelque chose. Burton n'est pas allé plus loin. Burton s'est arrêté en chemin. 1999 : Sleepy Hollow. Je l'ai attendu comme la révolution qui allait une nouvelle fois me sauver la mise. Il le fait. De justesse. Déçu, je le suis encore. Il manque décidément quelque chose. A part quelques instants, c'est un désagréable sentiment de vide qui domine à la première vision. Burton est toujours là, mais la magie s'envole peu à peu. Solitude.

        2001 : La Planète des Singes. J'ai eu peur de ce film dès l'annonce de sa mise en chantier. J'ai voulu, à l'inverse de Sleepy Hollow, en savoir le moins possible. Ne pas y prêter attention. J'ai tremblé, j'ai peut-être été déçu par avance. Je ne suis pas allé le voir le jour de sa sortie (pour la première fois pour un Burton depuis 1992). Je n'y ai pas vraiment fait attention. Et puis voilà. La magie était revenu. Le grand blockbuster malade, le film hollywoodien piraté, le Burton qui dissimule ses trésors aux yeux du plus grand nombre et qui les offre aux plus sensibles. Ils étaient là, presque aussi brillants qu'au premier jour. Et surtout, surtout, Burton avait changé. Changé sans se perdre, il avait fait ce dont je rêvais sans oser l'espérer. Il ne s'était pas laissé enfermer. Et même si, comme toujours ou presque, la "production" (nom que l'on donne généralement au Grand Méchant du cinéma) avait tenté de mutiler son œuvre. Il avait néanmoins réussi, tout en finesse, à préserver l'essentiel. Certes, ce n'est pas Edward, ce n'est pas Ed Wood, la grande émotion qui change une vie n'était pas là. Et pourtant... Pourtant il y avait bien cette petite flamme, cette étincelle au milieu du chaos du divertissement pour tous. Une étincelle ? Non ! Un feu immense, un feu immense qui donne l'impression d'aller au cinéma pour la première fois.

 

Ari (merveilleuse Helena Bonham Carter)

 

        Dans le désordre ? Un générique de début à mourir sur place (comme toujours), des hommages à 2001, une vraie romance drôle et touchante entre l'homme et la singe, une approche bestiale et impressionnante de ces fameux singes, beaucoup d'humour qui fait toujours mouche, Tim Roth phénoménal, une émotion contenue comme on n'en voit jamais dans un blockbuster, du spectacle, une vraie histoire "à l'ancienne", une ambiance, une ambiance et une ambiance. Et une fin excellente qui enthousiasme bien après la fin de la projection. Alors ? Ce n'est pas Batman Returns, hein, je le précise, mais on n'est pas passé loin. Pour tout vous avouer, hum... des visions supplémentaires, un peu beaucoup de temps qui passe... Et je pourrais vous affirmer sans retenue (car je me retiens), que La Planète des Singes de Tim Burton est UN BON SANG DE FICHTREGRIS DE CHEF-D'OEUVRE !!!

        Ah bah voilà, vous voyez, je ne me refais pas, même avec l'âge (surtout avec l'âge). Mais là, c'est tellement merveilleux (MERVEILLEUX !), je répète, c'est tellement merveilleux de retrouver le Burton que l'on a aimé, que l'on aime, que l'on aimera toujours. Certes La Planète des Singes n'est pas un film "parfait". Cela va toujours trop vite, il se passe des choses et parfois on s'en fiche un peu, on aimerait être plus touché, niveau "film épique", Peter Jackson a désormais une autoroute devant lui. Mais voilà, avec ses imperfections, son rythme bizarre, son ambiance étrange, ses instants de malaise et ses images fulgurantes, La Planète des Singes est en fait l'essence même du génie de Tim Burton. Revoyez les Batman, revoyez Ed Wood, revoyez Beetlejuice. Tout Burton est là, comme il est dans La Planète des Singes. Mars Attacks ! était une vaste blague, Sleepy Hollow une auto-parodie, La Planète des Singes est un retour aux sources, un nouveau bras de fer entre Burton et Hollywood.

 

Tim et Lisa Marie, le dernier des couples stars

 

        Rule The Planet. Voilà le slogan du film. Et c'est une profession de fois. On me dira que le renouveau de Burton n'est que son entrée définitive dans le rang des faiseurs de divertissement à la chaîne. Oui, bien sûr, je rappelle que cela a déjà été amplement dit, écrit et répété à la sortie du premier Batman, ça, et on en rigole encore. On me dira que la romance sublime entre Helena Bonham Carter (magistrale) et Mark Wahlberg est mutilée (les plans d'Estella Warren sont tout simplement hilarants, où est le problème ?), ah bon ? Ah tiens ? Il vous faudrait quoi de plus pour que vous soyez heureux ?? Une grande scène de sexe sauvage zoophile ? Avons-nous vu le même film ? La romance est là, et bien là. Et elle sonne moins faux que dans Sleepy Hollow. Et depuis quand Burton n'est-il pas un génie du film de pur "entertainment" ? Même si certaines de ses œuvres flirtent avec l'inclassable et, sans doute, avec ce que beaucoup de personnes qualifient de "films d'auteur" (Edward et Ed Wood en particulier), l'ensemble de son travail a pour but de faire plaisir au spectateur (et à Burton en premier lieu, évidement).

        Mais voilà, on voulait que Burton fasse du Burton. Du Burton avec des néons clignotants : "voilà MON univers, je suis un Auteur, voilà DU Tim Burton comme VOUS le voulez". Et il ne le fait pas ! Na ! Et toc ! Et retoc ! Et na na nèreu ! A quelques exceptions près, La Planète des Singes n'est pas du Burton tel qu'on a voulu le définir (horreur !), le conceptualiser (beurk !), le théoriser (arrrgh !), l'enfermer (Rule The Planet !!).

 

Attar

 

        Tiens, bah mon courrier remarche à cet instant même et j'ai reçu environ 48 demandes d'explications de la fin du film. J'en rigole encore. Voyons les enfants c'est tout simple, c'est mé-ta-pho-ri-que ! Après s'être "humanisé" sur la Planète des Singes, Wahlberg revient sur Terre et se rend compte que les humains en sont encore au stade bestial, il les "voit" sous leur vrai visage. Et faire de Lincoln un Thade en puissance est le pied de nez burtonien le plus grandiose qui soit (aussi fort que Mars Attacks ! et d'autant plus imprévisible). Si vous n'aimez pas mes métaphores, la solution est toute simple. Thade a réussi à accéder à la 3e navette du vaisseau et à tripoter le retour automatique vers la Terre, il est juste arrivé quelques siècles avant notre Marko. Non ? Ca paraît trop plat et pas assez poétique. Et si ça vous embête, dites-vous simplement que Burton a signé cette fin juste pour faire parler, pour s'amuser, pour nous amuser et pour achever son blockbuster absolument génial sur une note sombre qui lui sied si bien. Le "Nightmare Before Christmas", quoi, non ? Mais si ! Mon avis à moi ? Cette fin m'a mis un sourire jusqu'aux oreilles, le reste n'est que bien vaine littérature.

 

        Vite, un mot sur la musique de Danny Elfman ! Aussi puissant que Batman, aussi original que Beetlejuice, aussi formidable que Sleepy Hollow, le thème de La Planète des Singes va faire date. Bien sûr on connaît la lente montée qui culmine sur une intensité qui cloue l'auditeur (et le spectateur), on connaît les rythmes terrifiants et les montagnes russes au sein des thèmes qui s'enchevêtrent. Mais force est de reconnaître que voilà LA musique idéale et rêvée pour la planète des singes. Angoissante, agressive, menaçante, sauvage, tribale. Si vous trouvez ce thème plus froid qu'à l'accoutumée, ne cherchez pas la raison bien loin, c'est l'absence de choeurs qui produit cet effet si tranchant. Elfman en remontre tout simplement au Silvestri de Predator, au Goldenthal de Robocop et, oui, bien sûr, à Jerry Goldsmith (auteur de la BO du premier film, et de quelques centaines d'autres chefs-d'oeuvre épiques dont le plus récent se nomme Le 13e Guerrier). Brutal, fascinant, grandiose, entre sonorités primitives, empreint technoïdes et orchestre symphonique, Elfman s'est tout simplement une nouvelle fois transcendé. Comme Tim Burton, en fait. Gigantesque. Genou à terre, on s'incline.

 

        J'en étais où ? Ah bah j'en étais au point où j'allais dire que Burton a offert un film digne de La Mort Aux Trousses ou de Abyss, mais j'allais abuser, car ce n'est pas vrai. Quoique... Enfin, ce n'est que mon avis à chaud, et d'ailleurs je vais abréger. Ruez-vous sur la BO qui contient l'un des plus formidables thèmes de la carrière de Elfman, qui n'est jamais aussi bon et novateur qu'avec Tim, mais ça c'est un lieu commun. Et précipitez-vous pour voir et revoir ce film. Après deux déceptions (qui se sont quand même atténuées avec le temps), Burton vient de retrouver la magie et ce, comme du temps de Batman, dans le plus contraignant des contextes. Avec handicap, avec passion, avec doutes, avec plaisirs, quand on ne l'attendait (presque ?) plus, Burton triomphe, et au lieu de faire ce qu'on voulait qu'il fasse, il fait ce qu'il voulait faire et il va plus loin que toutes nos (mes ?) espérances. Nul doute que devant ce film aussi divertissant qu'intelligent, aussi abordable que bourré de perles cachées, des centaines et des centaines de personnes vont (re)trouver la magie du Cinéma. Tim Burton est un géant, cette planète est la sienne, cette planète est pour nous.

 

Thade, Tim Roth plus grand que jamais

Rule The Planet