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Chronique provisoire datant de la sortie du film et rédigée "à chaud".

 

        Comment aborder un nouveau film de Kubrick qui, de plus, est l'ultime pièce de son œuvre (on espère quand même une résurrection du maître pour l'an 2001, mais finalement rien n'est moins sûr) ? Je dois à Kubrick quelques uns de mes plus grands chocs cinématographiques et je persiste à croire que 2001 est l'un des films du siècle (si ce n'est LE film du siècle). Eyes Wide Shut est moins ambitieux, en apparence, que les précédents grands chefs-d'oeuvre de Kubrick, on n'en ressort pas autant bouleversé qu'après Barry Lyndon ou Orange Mécanique. Car Eyes Wide Shut déçoit. Après une première vision on reste marqué par certains défauts. Nicole Kidman délivre une prestation très moyenne, voire mauvaise par instant. Elle n'est guère aidée par un rôle caricatural et des dialogues pas toujours à la hauteur. L'histoire en elle-même pourrait parfois se résumer à "beaucoup de bruit pour rien". Et c'est vrai que c'est un film sur rien, ou du moins pas grand chose. Même si au final Kubrick plonge dans le Fantastique complet en nous faisant croire que dans la vie tout se termine bien dans l'amour et la baise (c'est beau, par instant on dirait du Houellebecq (l'amour en plus, donc)). Et il y a de la caricature, comme souvent chez Kubrick, les riches s'adonnent à des orgies théâtrales, les seconds rôles en font des tonnes, pas toujours évident de concilier drame intimiste et humour décalé (voire montypythonesque).

 

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        Mais le film est par ailleurs tout simplement génial. Tom Cruise est splendide, crédible, surprenant, impressionnant. La mise en scène est parfaite, forcément, certaines images sont belles à en pleurer. Le début de la scène d'orgie, porté par l'hallucinante musique de Jocelyn Pook, est formidable. Les errances nocturnes de Cruise sont magistrales, Kubrick triomphe autant (si ce n'est plus) dans les extérieurs et dans un large espace que dans les chambres. Certains moments sont bouleversants (sans que l'on sache vraiment toujours pourquoi on est à ce point touché par ces silences ou ces cadrages). Ce qui me permet d'arriver à la conclusion que Eyes Wide Shut est un film qui n'en est qu'au début de sa légende et qu'il faudra de nombreuses visions pour l'apprécier à sa juste valeur (inestimable, sans aucun doute). Après avoir détruit la planète, ouvert la porte à l'Esprit et au Surhomme et dynamité la société, Kubrick achève son œuvre sur une réflexion dérisoire et primordiale, optimiste et triste, près de 3h d'errance physique et psychologique, à la fois inutile et indispensable à la force d'un final qui n'en est pas un. Et c'est peut-être cela l'ultime coup de génie de Kubrick, d'avoir laissé un ultime film ouvert (mais pas inachevé), humble et délicat, touchant par ses maladresses, frustrant par ses défauts et bouleversant par la simple force de son évidence. Eyes Wide Shut n'est pas et ne sera jamais le film de l'année 1999, il est bien trop tôt pour juger cette coda d'une partition si flamboyante. L'oeuvre de Kubrick appartient désormais au futur.

 

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       Eyes Wide Shut 2e vision : 4 jours plus tard je suis retourné dans l'univers étouffant du dernier Kubrick. Je nuance un peu plus mon avis précédent. Les deux scènes principales de Kidman, celle où elle raconte son fantasme et celle où elle fait partager son "rêve", sont peut-être les plus laborieuses à revoir. Superbement filmées, elles n'en sont pas moins un peu trop longues et caricaturales.

        Autre problème qui n'en est pas vraiment un, le climax du film se situe au milieu. La seule chose dont je sois sûr à propos de Eyes Wide Shut, c'est que l'ouverture de la scène d'orgie qui correspond au morceau Masked Ball de Jocelyn Pook, est déjà un moment primordial de l'oeuvre de Kubrick. La musique de Pook, moderne et effrayante, classique et emphatique, est l'équivalent de celle de Richard Strauss dans 2001, de celle de Beethoven dans Orange Mécanique ou de celles de Haendel et de Schubert dans Barry Lyndon. Définitivement le moment clef de Eyes Wide Shut, cette scène est l'instant où Kubrick retrouve les joies de l'abstraction et de l'iréel. Un gigantesque moment de cinéma qui à lui seul porte le film vers les sommets du 7e Art. Il faut revoir Eyes Wide Shut sur grand écran le plus possible, juste pour cette scène, qui s'apprécie en salle et avec ce son si clouant. En comparaison, le reste du film, plus intimiste, plus "dérisoire", est presque "écrasé" par cet instant qui est tellement caricatural qu'il touche au mythique. Et finalement peu importe le reste, quand au cœur d'un film se glisse une telle scène, on peut oublier les imperfections qui l'encadrent.

 

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        De toute façon Eyes Wide Shut possède d'autres très beaux moments, en particulier grâce à un Tom Cruise extrêmement convaincant, qui à lui seul contient toute l'émotion du film. Kubrick n'avait que très rarement filmé une ville la nuit, il donne aujourd'hui la version définitive de cette figure de style. Construit comme un thriller psychologique, empreint d'un suspens qui ne se résout jamais, Eyes Wide Shut est un film terriblement exigeant et riche, qui s'apprécie énormément sur l'instant grâce à son phénoménal climax et qui travaille sur la durée grâce à tout le reste.

        Dernière remarque, la bande originale est indispensable, juste pour les quatre morceaux de Pook, et même, on en vient à se passer en boucle la piste huit, ce Masked Ball déjà entré dans la légende du cinéma.

 

Un site dédié au film

 

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