La Parenthèse Enchantée

 

 

Le problème avec les êtres virtuels c’est que tant que le réseau existe, ils persistent avec lui. Bien présents à un moment, et comme des rémanences quand l’écran s’éteint, quand le modem s’endort. L’immortalité semble réelle, même lorsque l’ego qui donnait vie à l’avatar électronique disparaît.  Immortalité ? Réelle ? Dans le monde du bref, du raccourci, du passage et du faux-semblant qu’est le web ? Le paradoxe est sans fin.

Edwood existe malgré lui et malgré moi, comme l’une des innombrables choses qui ne peuvent être sans ma pensée et qui pourtant m’échappent. Toujours gaillard, toujours partant, le double, qui n’en est pas un, demeure et s’évade à nouveau. Comme une nécessité, comme un plaisir, comme un partage quand il se fait tard et que rien n’est comme hier. La routine, Edwood, il ne connaît pas, l’aléatoire est son domaine, le changement son credo, la résurrection perpétuelle son pain quotidien.

Parfois il se repose, cherchant une paix bien illusoire, là il en vient au bonheur, par petits bouts, par grandes vagues. Mais le bonheur est d’abord une source, qui jaillit, un torrent qui déferle des sommets de l’exaltation. Puis il devient une rivière, joueuse, avec ses embuches, ses accélérations, sa passion et ses méandres. Avant de s’épancher en un long fleuve tranquille, qui berce peu à peu, malgré les courants des profondeurs qui le poussent vers sa fin. Et là, le bonheur devient océan, se dilue et se perd, et si les tempêtes surviennent, elles ne sont que sursauts dans sa masse infinie. Les trop grands bonheurs sont aussi de trop grandes mers, impossibles à contenir, à la fin, on les perd.

Que reste-t-il alors lorsque les nuages se forment à partir de cet océan, que l’orage gronde et explose ? La félicité explose en mille morceau, chute du ciel et vient s’exploser sur le sol, sur la terre, cette réalité boueuse où tout repose et tout s’apaise. Bien sûr, s’infiltrant doucement, longtemps, patiemment, les fragments se reconstruisent, se retrouvent, se reforment, au fond, là, dans les gouffres que l’on craint mais d’où tout naît. Et rejaillit.

En voilà de la métaphore qui se délite, du verbe qui se contemple, du cœur qui se complaît. N’y-a-t’il rien de mieux pour célébrer l’éternel retour d’Edwood que sa plus quintessentielle expression ? Le grand masque de la sincérité, la belle fiction de la vérité, la base est là, l’envie revient, la tendre douleur de n’avoir rien à dire mais de le faire. Un et un font un à nouveau, le je redevient jeu, le il est à nouveau moi. Egocentrisme à rebrousse-poil, le nombrilisme qui se refuse à lui-même, qui se critique et se martyrise. Je suis le spectacle suprême, en le refusant absolument.

Tellement à dire, et des trucs légers, simples, faciles, avec des gros bouts d’humour gras. Des choses maladroitement profondes, aussi, qui claudiquent sous le poids du style, qui se maquillent avec des oripeaux de littérature. Degré zéro de l’expression dans les temps où écrire n’équivaut plus à rien. Tout peut se dire avec le quasi néant, quelques lettres et des petits points. Le reste n’est que circonvolutions, mascaras et soieries. Ne nous en privons pas.

Edwood m’a manqué pendant la parenthèse enchantée. Comme m’a manqué le regard et les sens du lecteur anonyme, de la lectrice inconnue. Le vaste univers du possible, du recommencement. Chaque esprit qui reconstruit mon texte est une éventualité et un départ. Ici commence la reconquête.

 

Edward D. Wood Jr. (« I just want your music tonight »)