La fête des cloches ! Chaque jour que Dieu fait, vous  répondront les cyniques et les populistes. Franchement, il n’y a pas de quoi  rire. Aujourd’hui c’est Pâques, voyez-vous, c’est grave. Important. Mystique.  Au moins. Bien sûr, c’est pour beaucoup l’occasion de ne rien faire, tout en se  rendant vaguement malade en mangeant du chocolat. Mais sinon, c’est dramatique,  au sens spectaculaire du terme. Oui, c’est dramatique. C’est Pâques. La fête  des cloches. Un moment clef.  
         
        Au loin le gong retentit. Les oiseaux en crissent comme des  sirènes. Un rouage en est bloqué. Un rouage en est rouillé. C’est grave,  voyez-vous. Lents, majestueux, éphémères et immémoriaux, les nuages lourds  glissent à l’horizon. Dramatique, je vous dis. C’est Pâques. Il est quinze  heures. Une flaque scintille sur le toit en face. Une mare sur le moi, c’est un  coup à prendre froid. Sauf si c’est un toit en béton, usé, désarmé. Et si par  malheur, c’est le jour de Pâques, la flaque, sur le toi, un coup, pour sûr, à  prendre foi.  
         
        Un p’tit oiseau qui boit dans l’eau, tchip tchip tchip, fait  le p’tit oiseau. Il n’est pas dramatique lui. Même plutôt désopilant. Tchip  tchip tchip. Il n’a pas sa place dans cet instant où le ciel se couvre. Le  soleil du jour férié fait grise mine. Tout de suite ce n’est plus la gaudriole,  la grosse poilade, c’est l’Enfer, de Dante, ou alors au moins celui de  Clouzeau, sans les couleurs psychédéliques. Pas un souffle de vent, les nuages  semblent arrêtés dans leur course. Une pause. Clic ! Pour la photo, pour l’album  souvenir, pour la première page du journal des dépressifs militants. « Il  fait gris ! Il fait gris ! On vous l'avait bien dit ! » 
         
        Mais soudain, en une percée mythologique, pas moins, le  soleil darde, illuminant les façades jaunâtres en un excès de zèle. Trois  commères stoppés en pleine locutions en restent coites sur leur trottoir. De  leurs yeux ronds, elles s’aveuglent. Tchip tchip tchip, fait le moineau avec un  sens de l’à propos aussi peu tragique que parfaitement minuté. 
         
        L’ombre retombe. 
         
        Flashbackons, mes amis, mes amies. 
         
        Festival du cinéma Américain de Deauville, septembre 2007.  Les mêmes nuages, la même lumière, ce n’est pas Pâques. Pourtant, c’est aussi  la fête des cloches. Je sors du sommeil lourd engendré par le fabullissime  Grace is Gone, un fantasquissime mélodrame sur les conséquences de la guerre en  Irak. C’est beau, un père, ses deux filles, comment annoncer que maman est morte  dans les sables lointains ? Pour la liberté ! Pour la démocratie !  Clint Eastwood a mis en musique. J’ai dormi 50 minutes. Sur 92. En fait c’était  niais, chiant, pompeux au possible. Le film sera célébré, adoré. Et alors ?  Qu’en reste-t-il trois ans plus tard, si ce n’est un DVD à 3 euros sur  Cdiscount ? Ce sont les mêmes nuages. La même lumière. Il y a des  mouettes. Qui font « tchip tchip tchip ! », ou presque. La foule  s’amoncelle au bord du tapis rouge. Ce soir il y aura Monica ou Brandgelina,  que sais-je ! Tous aussi nuls en conférence de presse. Tout le monde s’en  fout en définitive. Mais ce sont les mêmes nuages. Et ce flashback ne servait à  rien. On rentre ! 
         
        En ce jour de Pâques, la messe est dite, gringo ! La preuve : The Knife, Tomorrow  in a year, dans les enceintes, Colouring of Pigeons, mazette ! Pire  que l’effet cathédrale ! L’effet opéra évolutionniste ! Hérésie ! Douce douce  hérésie… Sweet heresy… Viens, dansons, rêvons, battons des ailes pour rejoindre  le moineau qui s’abreuve dans la flaque du toit. Sweet heresy, viens boire à la  source du toi. 
         
        Le scintillement d’une fenêtre entre-ouverte. Un petit  passage pour les cloches volantes qui distribuent les œufs miraculeux en ce  jour dramatique.  
         
        C’est la  fête. 
         
        Whoooooooooo ! 
         
        Ding !  Dong ! 
         
        Ding ! Dong  ! 
         
        Ding ! Dong  !         
         
      Bonne fête à vous, les cloches !
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