EDWOOD VOUS PARLE DES

 

CLASSEMENTS

et autres tops du top

 

        Ceux qui ont déjà pris le temps de visiter mon site (les pauvres...) auront sans doute remarqué ma grande propension à classer, à faire des tops, à hiérarchiser et à remanier quasiment tous les jours ces fameux classements qui ne me satisfont jamais. Comme le héros de Nick Hornby dans Haute-Fidélité, je fais partie de ces personnes qui aiment à prouver leur existence par l'affirmation exacerbée de goûts plus ou moins personnels. C'est aussi une manière d'étaler une culture pas bien passionnante, car on sait que la cinéphilie, par exemple, tout à fait au hasard (hum...) est une sale maladie qui vous bouffe votre enfance et votre adolescence (et sans doute votre âge adulte et même votre âge mûr, mais cela je ne le sais pas encore).

 

        En clair qu'est-ce qu'un classement ? Mais si ! Les trucs style : les 10 meilleurs disques de l'année, les 10 plus beaux films d'Orson Welles, les 10 plus beaux râteaux de ma vie sentimentale (déjà il faut en avoir 10, c'est dire si c'est dur comme top, ça), etc... Le classement est une affirmation de la faculté de juger. Kant en aurait de belle à vous raconter à ce sujet mais je ne le laisserais pas vous assassiner par l'intermédiaire de mon clavier, même si ce n'est pas l'envie qui m'en manque vu que j'aime beaucoup aussi assommer les gens avec ma culture philosophique de "gentil" étudiant. Donc je disais, que la hiérarchisation des goûts et des événements personnels est l'une des expressions les plus systématiques donc les plus révélatrices de la subjectivité.

 

        Je pense donc je classe, voilà quel est le mot d'ordre. Affirmer que The Lovers est le meilleur film du monde et rigoler au nez des fans de Luc Besson c'est une manière de me prouver que j'existe (ah zut ! je prends encore des exemples personnels, après on va encore me traiter d'égocentrique, ce qui ne fera jamais que la 15e fois depuis ce matin). Je disais donc que la mathématisation des points de vue est toujours un bonheur de psychologue. Surtout que cela peut aller très loin (il y en a qui font des statistiques sur leurs tops du top ! style : combien ai-je de films en n&b ? combien ai-je de disques des années 60 ? cela fait quel pourcentage sur l'ensemble ? Dois-je en rajouter pour faire bonne mesure ? etc...). Là cela vire à une névrose bien sympathique que je percute assez fréquemment, donc je sais de quoi je parle.

 

        Le meilleur étant bien sûr la confrontation des systèmes de classement et donc des consciences de soi (ah non, c'est pas ça, c'est mon Kant, ça ? Ah non, c'est mon Hegel....). Enfin bon bref, c'est la "top du top war" qui commence. Sport palpitant s'il en est, qui doit évidemment se retrouver étayé par une belle argumentation qui malheureusement n'est jamais au niveau de ce que l'on est en droit d'espérer de ce genre de débat. ("Ouais Matrix c'est le film du millénaire ! D'la balle !" - "Ah mais non, Matrix est un odieux plagiat de Metropolis et il ne vaut pas 2001 avec sa dialectique hégélienne couplée de l'Eternel Retour de tonton Friedrich !", oui, c'est du vécu...). Les Stoïciens diraient : "Au secours ! Horreur ! - (enfin non, ils resteraient plus stoïques que cela) - Nous voilà en plein débat d'opinion ! Quelle déchéance ! Bande de stulti !" Et les Stoïciens auraient raison.

 

        Mais sans classements et confrontations de classements que serait la joie du dialogue sur internet (tiens ! voilà, on y revient toujours). Car internet est un endroit fabuleux pour s'envoyer des classements en travers de la gueule (la preuve, allez donc voir mon top du top et mon top daubes des films). C'est stupidement et primitivement un appel à la confrontation des subjectivités, c'est une grande perche tendue pour attraper autrui par le col, un grand moyen de dire : "hep ! toi qui a ou n'a pas les mêmes goûts que moi, viens donc par ici en parler pour me prouver que j'existe, que mon gros petit ego est bien là où il faut." C'est donc fondamentalement vital de s'acharner à faire et refaire des classements et d'essayer de les montrer et de les imposer à tout le monde. Car c'est ainsi que l'on existe.

 

        Pas de vérité, rien que du sens. Et les classements regorgent de sens, du bien beau sens, rien n'est plus révélateur que votre top des meilleurs films du monde ou que vos disques favoris. Et même si vous trichez comme des brutes (style vous mettez un Bergman dans votre liste alors que vous n'en avez jamais vu, ou que vous classez Pet Sounds dans votre top sans jamais l'avoir écouté), c'est encore plus révélateur du personnage que vous voulez jouer (et sur le web c'est reconnu comme sport olympique, la mythomanie des tops du top). La hiérarchisation est une méthode de socialisation presque aussi importante que la grosse bagnole et la cigarette, c'est dire. Comme je ne me suis jamais adonné à la bagnole et à la clope, on peut facilement comprendre pourquoi mon top des films fait 15 pages.

 

Mes goûts sont de toute façon bien meilleurs que les vôtres, bien plus vrais.

 

Si jamais vous êtes d'accord avec la ligne du dessus, je m'inquiéterais sévère à votre place.

 

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