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Near Dark

 

        L'un des grands chefs-d'œuvre engloutis des années 80 resurgit dans une édition DVD collector simplement monstrueuse. Mais la mythique série B lyrique de Kathryn Bigelow a-t-elle survécue au poids des ans ? On sait que le temps n'est pas tendre avec les classiques cultes des 80's. Qui va triompher au final ? Tangerine Dream ou Jenny Wright ? Les filtres bleus ou les murmures nocturnes ? C'est ce combat, entre les souvenirs et l'an 2000, entre le cri du cœur et l'objectivité, que je vais tacher de mener devant vous. Alors on s'accroche gentiment à son siège et on pénètre dans l'antre des ténèbres.

 

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        Du plus loin que je me souvienne, Near Dark, connu en France sous le nom joliment poétique de Aux Frontières de l'Aube, a toujours été un film culte et pratiquement invisible. Après avoir fait sensation dans les festivals fantastiques lors de sa sortie en 1987 (en particulier au festival de Paris) et une carrière plus que discrète dans les salles, Near Dark a disparu. Ce qui finalement correspond bien à la délicatesse en demie-teinte d'une œuvre qui marrie brutalité et douceur avec un brio toujours aussi unique. Mais je m'avance un peu en disant cela. Revenons aux années 90, Near Dark est bien là dans cette décennie où les films fantastiques connaissent un génocide aussi discret que bien réel. Il est là en VHS dans l'indispensable (à l'époque) collection Cauchemar. Mes premiers souvenirs du film (et jusqu'à présent les seuls) viennent de là. Une VHS arthritique offrant une copie obscure qui ne rendait pas grâce à un film qui joue des dégradés de noir et de bleu. Une VHS qui a fini par rendre l'âme, en quelques sortes, tant l'impression de voir le film sur Canal + sans décodeur, s'est rapidement faite sentir au fil des passages. Car j'ai aimé Near Dark plus que de raison.

 

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        Au début des années 90, j'aurais été le premier à classer le film de Bigelow dans les, oh, disons, 15 ou 20 meilleurs films de tous les temps. En évinçant, pour lui faire un nid douillet, aussi bien Citizen Kane que Les 7 Samouraïs. Near Dark me fascinait sans que je sache vraiment pourquoi. Le film m'apparaissait imparfait, souvent frustrant, et pourtant je lui accordais une tendresse toute spéciale. J'étais un "Near Dark fan", et je n'étais pas le seul. Mais au moment où je l'ai vu pour la dernière fois, il y a de cela 5 ou 6 ans (comme le temps passe, si ça se trouve cela fait plus longtemps encore), je n'avais toujours pas compris ce qui m'attirait vers ce film. Après l'avoir enfin revu, dans les conditions optimales de cette édition DVD, maintenant, oui, je crois m'être approché de ses ténèbres bien plus qu'auparavant.

 

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        Car j'ai enfin pu verser la larme que je retenais depuis peut-être 10 ans. Au lieu de rester bloqué sur les quelques points problématiques du film (quelques morceaux de Tangerine Dream vraiment kitsch, quelques séquences expéditives, la morale un peu trop "réac" mais moins que celle d'Une Histoire Vraie, finalement), je me suis abandonné entièrement au plaisir de redécouvrir dans les meilleurs conditions (ou presque) l'un de mes films préférés. Et j'y ai trouvé l'émotion simple et bouleversante qui s'y cachait depuis le début. Near Dark, sous ses dehors de série B road movie à la Hitcher et surtout à la Terminator (Cameron, c'est bien connu, est le modèle avoué (et pendant un temps mari) de Bigelow), est une œuvre indéniablement de genre mais d'une sensibilité rare. L'ironie veut que dans la meilleure modernisation du film de vampires (et sans doute le film du genre le plus réussi depuis au moins les Hammer Movies), le mot "vampire" ne soit pas prononcé une seule fois. Ce qui montre à quel point Kathryn Bigelow a pris son sujet au sérieux, l'a traité avec originalité et respect.

 

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        Dans Near Dark pas de crucifix, d'eau bénite, d'ail et autres guignoleries. Juste la soif, le soleil, l'immortalité et la peur. Pour renouveler le mythe, il fallait épurer tout le folklore douteux qu'il traînait. Ici l'imagerie judéo-chrétienne est absente, au profit d'empreints à des tonnes de mythologies modernes, en particulier le Western. Le film est d'ailleurs présenté, bien avant Carpenter, comme un Western avec des vampires. Piochant dans tous les genres sans temps mort et en suivant un rythme prenant de la première à la dernière image, Bigelow n'a pas seulement mis en scène une série B parfaite, elle a dépassé ses limites et posé sur pellicule quelques scènes inoubliables. Car, oui, Near Dark n'a pas pris l'ombre d'une ride, au contraire, le temps a magnifiquement joué en sa faveur.

 

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        Le film reste d'une grande cruauté et d'une véritable originalité, tout en étant franchement jouissif et touchant. La construction dramatique est en fait une succession de séquences fortes mais qui s'enchaînent naturellement les unes aux autres grâce à l'ajout de scènes intimistes en rapport avec la famille du héros. Ces scènes participent à la réussite de Near Dark car elles ne sonnent jamais faux, au contraire, la détermination du père de Caleb, prêt à tout pour retrouver et sauver son fils, est immédiatement émouvante. Ainsi, de moments chocs en pauses parfois poétiques, Near Dark monte doucement vers les sommets de son final.

 

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        Bigelow choisit de ne jamais trop expliquer, de ne jamais trop en dire, de ne jamais trop montrer. A une époque où le non-dit est quasiment exclut des films (sauf chez Shyamalan), une œuvre comme Near Dark a d'autant plus de prix. Nul doute que Blade 2 ou Minority Report seraient bien plus intéressants sans les interminables blah-blah qui prennent les spectateurs pour des idiots. Film adulte destiné à un public adulte, Near Dark nous prend pour des êtres sensibles et intelligents. On sait cela dès les dix premières minutes et l'onirique errance de Caleb et Mae. Nous sommes dans un univers autre, qui va nous emmener là où personne d'autre n'est jamais allé.

 

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        Film humain qui traite tout à la fois de ce qui fait le prix de l'humanité et où commence l'inhumain, Near Dark n'a besoin parfois que de quelques plans muets pour faire comprendre des notions essentielles. La souffrance physique y est douloureuse et jamais amusante (même lorsque les "vampires" font un massacre dans la plus que mythique scène du bar), la souffrance morale issue de la peur et de la solitude est omniprésente (chacun cherche un compagnon pour traverser l'éternité). Cette souffrance morale s'installe peu à peu dans le film et grâce à la performance d'un casting vraiment "habité", on croit dur comme fer aux tourments des monstres.

 

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        Caleb est un anti-héros imprévisible, toujours au bord de la tentation malgré toutes ses réticences. Le couple Lance Henriksen/Jeanette Goldstein est à la fois animal, effrayant et délicat. Ce grand malade de Bill Paxton s'impose en vampire brutal et (trop) sûr de lui. Le petit Homer est tout aussi inquiétant que touchant. Quant à Mae, Jenny Wright nous offre une performance autrefois récompensée. A la fois féline et fragile, dangereuse et terrifiée, maîtresse de la nuit et dotée d'un regard rêveur, Jenny Wright bouleverse à chaque fois que la caméra de Bigelow s'attarde sur elle. Et ce jusqu'à la dernière image du film, devant laquelle la larme trop longtemps retenue pourra être versée sans la moindre arrière-pensée.

 

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        Near Dark est un film visuellement sublime. Dans la copie THX du DVD, toutes les nuances ressortent sans contraintes. Les bleus électriques et les éclairages blancs agressifs sont étincelants, les méandres des noirs et des gris sont tous vivants. Le contraste entre le monde des ténèbres et celui du jour est d'autant plus saisissant. On ressent le danger et la fascination au travers même du visuel du film. Quant à la musique des très très ringards Tangerine Dream, elle est parfois vraiment à sa place, faisant pencher le métrage vers les rives des meilleurs Carpenter. Carpenter, bien sûr, auquel on ne peut que penser, lui qui signera son film de vampires bien plus tard et en le nommant frontalement Vampires. Et en adoptant une démarche bien éloignée de celle de Bigelow (à part la fascination pour le western, bien sûr).

 

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        Le son est excellemment rendu. Vous avez droit à une piste 5.1, une piste DTS et une piste surround, par contre il n'y a aucun sous-titres français et cela peut s'avérer problématique, l'histoire se déroulant dans les tréfonds du Texas (accents bien tranchés à l'appui). Mais rien d'insurmontable. Surtout que je ne suis pas du tout sûr que le film ait droit à une édition aussi luxueuse en France. Du moins, pas avant plusieurs décennies et un long travail de réhabilitation. N'oubliez pas le cas Princess Bride, autre film culte, terrible chef-d'œuvre, totalement snobé dans nos contrées si avides de cinéphilie mais seulement lorsqu'elle a des dehors bien respectables comme il le faut. Bien sûr, ni Near Dark, ni Princess Bride ne se donne des allures de films d'auteurs derrière leur visage de petits films. Alors forcément, ici on préfère les symboliques lourdes à la Cronenberg ou à la Lynch. Et on oublie les merveilles discrètes qui ont d'après moi tout autant d'importance qu'un Blue Velvet ou qu'un Faux-Semblants. Et sans aucun doute bien plus d'importance que les dernières œuvres en date des deux metteurs en scène cités précédemment (et c'est un fan de l'un et de l'autre qui vous le dit).

 

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        Bon, je m'égare. Je disais donc que Near Dark vient de sortir en DVD Zone 1. Vous ne pouvez pas louper le coffret collector, au couleur changeante de l'aube naissante (ça y est je m'emporte....). Superbe emballage et un deuxième disque avec des bonus. Des bonus sur Near Dark ?? On n'avait jamais osé en rêver, pourtant ils l'on fait. Le meilleur ? Un documentaire tout neuf de près de 50 minutes. On y retrouve tous nos héros d'hier et cela fait un peu mal de les voir vieillir. Kathryn Bigelow reste la cinéaste la plus belle de ce côté de l'enfer, Bill Paxton est devenu un metteur en scène dingue, Lance Henriksen est toujours le plus grand des seconds couteaux à la droite de Ed Harris, Adrian Pasdar surgit de sa tombe et on est presque ému, quant à Jenette Goldstein on attend qu'enfin un metteur en scène comprenne que c'est elle que l'on veut à la place de Ripley dans la saga Alien ! Et Jenny Wright me direz-vous ? Et bien la plus belle femme du monde l'espace d'une année, a disparu avec l'aurore. Totalement absente du documentaire, jamais évoquée, elle reste le véritable mythe d'un Near Dark désormais accessible à (presque) tous.

 

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        Le documentaire en lui-même est très intéressant et parfois vraiment émouvant. On apprend quelques anecdotes amusantes mais aussi pas mal de choses sur la méthode de travail de tout ce petit monde et surtout de la grande Kathryn. Le reste des bonus navigue entre l'indispensable (le commentaire audio du film par la douce voix de Kathryn Bigelow), l'appréciable (des photos, le scénario original, un screensaver pour votre ordinateur, des bandes annonces) et le petit + amusant (une scène coupée très courte, mais commentée par Bigelow, ah bah oui alors !). Une édition spéciale tout à fait digne de ce nom au final.

 

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        Non, le final, il est bien sûr dédié au film. Near Dark est une œuvre forte et fragile, le genre de celles qui marquent les spectateurs. Encore faut-il qu'elle soit vue. Aujourd'hui, j'ai peur que certains d'entre vous trouvent le film daté de prime abord. Ce serait une monstrueuse erreur. Near Dark est aussi daté que Nosferatu ou que Le Cauchemar de Dracula, il s'est fait une place dans l'intemporel. Son approche à la fois romantique mais pas du tout carnavalesque des vampires ainsi que sa vision toute en retenue et en non-dit du pouvoir de fascination du sang, font de Near Dark une œuvre à part et essentielle dans l'histoire du cinéma fantastique. Aller, j'ose, Near Dark est le meilleur film de vampires. Mais avec l'âge, le cinéphile enthousiaste que j'étais il y a 10 ans a acquis de la sagesse. Je ne pourrais plus vous affirmer que Near Dark est l'un des meilleurs films de tous les temps. Je ne peux que vous dire, avec toute la subjectivité qu'il m'est permis d'exprimer en ces lieux, que Near Dark est bien l'un de mes films favoris, qu'il m'est indispensable, et qu'il me touche de plus en plus au fil du temps qui passe inexorablement. Vous vous en moquez sans doute, mais je le dis quand même, Near Dark est bien l'un des plus beaux films du monde.

 

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En résumé : une édition collector d'une rare splendeur qui rend enfin justice à un chef-d'œuvre méconnu du cinéma. Near Dark se fait une nouvelle jeunesse, mais au lieu d'entrer dans le musée des films cultes, il vient nous rappeler son incroyable modernité. Near Dark sortirait en 2002 qu'il serait encore le meilleur film de l'année. Des leçons à prendre pour tout le monde, auprès de l'indispensable Kathryn Bigelow, la cinéaste la plus sous-estimée qui soit. Et un voyage unique là où la lumière vacille, où les femmes se font félines, où les monstres ont une âme et où les murmures deviennent parfois des cris.

 

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