Edwood Vous Parle de la

 

 

Confusion

 

 

 

 

Prologue

        "Have you ever smiled for too long ? Till you're aching ? Have you ever laughed till you cried ? Till your heart is breaking.", chantait Roisin Murphy. Sans que cela ait vraiment quelque chose à avoir avec notre thème du soir, j'avoue que je voulais commencer avec ces paroles. Cela donne un certain charme à mon ouverture, sans doute. Maintenant, je peux vous l'avouer, je suis confus. Bien sûr, certains parmi vous diraient plutôt que je suis seulement con. Faisons simple et direct. Mais non, je suis confus. Dans tous les sens du terme. Je suis donc à la fois un peu perdu. Je divague, j'erre et je ne sais point. Et je suis désolé. Voyez, je m'excuse. Pardon. Pardon. Je suis confus. Et je n'hésiterais donc pas à vous dire, car le mal est déjà fait après tout :

"Confusez-moi, ce soir."

 

 

Présentation du thème

        Mettez-moi mal à l'aise, faites-moi perdre ma rationalité et mes certitudes, faites-moi douter, faites-moi peur. Mettez-moi face à mes faiblesses et à mes erreurs. Que dans la confusion la plus totale j'en perde tous mes moyens. Car, halte aux moyens, vive les hauts ! Vive les entiers, les complets, les impossibles à atteindre ! Je ne sais pas où je vais, ce que je fais, ce que je pense, ce que je crois, ce dont je suis sûr. Je suis confus. La preuve, je me répète. On va me dire que si à chaque fois que je me répète, je suis confus. Ah bah, ça, ça doit être un mode de vie pour moi. Et c'est un peu vrai. Un peu, juste un peu. Parce que je suis pas souvent aussi confus que ce soir. Voyez-vous, ce soir, je ne sais pas trop où me poser, où m'accrocher, où me percher. Je suis un peu partout et beaucoup nulle part. Bien plus que d'habitude. Me heurter au réel me fait divaguer d'autant plus. On va me dire qu'il faut que j'arrête la drogue, mais pour arrêter, il eusse encore été nécessaire que je commence. La drogue, non ! J'ai pas besoin de ça en plus pour divaguer plus (la rime est nulle, ouhlala, ça oui). La cigarette, non ! Vous pouvez même vous en faire des suppositoires, tant que vous y êtes. L'alcool, peut-être ! Car j'ai le courage des mes opinions ! En fait, peut-être un peu de tout, et même beaucoup de certaines choses. Mais pas ce soir. Ce soir, c'est rien du tout. Juste moi et Harry Potter.

        Certaines personnes, pleines de bon sens en action (vous savez Man-Power, ce genre de choses), s'inquiètent pour moi quand je divague, surtout en public, tel un vieux cynique en goguette. Elles ont tort. Même si j'aime bien qu'on s'inquiète pour moi. Vous savez, on aime bien que les gens s'inquiètent pour vous. Même s'il n'y a pas vraiment de raison. C'est agréable que les gens se préoccupent de vous. Plein de gens. Tout ça, tout ça. Mais pardonnez-moi si je m'excuse, je crois que je suis confus.

 

 

Première partie

        On sonne à la porte. Je peux me précipiter pour ouvrir. Mais en fait, personne n'a sonné. Je me précipite néanmoins pour ouvrir. Personne. Forcément. J'en reste perplexe. Pourtant j'avais bien entendu que l'on n'avait pas sonné. Mais j'ai écrit le contraire. Comme ça, parce que j'en avais envie. Par contre je n'étais pas forcé d'aller ouvrir. Surtout en me précipitant et en me cognant dans un pied de chaises. Je ferme la porte en jetant un dernier coup d'œil dans le hall. Non, il n'y avait personne. Au loin, dans la résidence, on entend les échos d'une basse de musique électronique. Une perceuse mugit au sein du mur. Un enfant pleure aux environs du deuxième étage. Un peu plus loin, quelqu'un regarde la télévision trop fort. Une fois la porte fermée, il ne reste plus rien. Plus que le bruit familier de la rue. Les voitures klaxonnent gaiement, des gens s'engueulent sous la fenêtre, quelques insultes banales fusent. On en vient aux mains. Je remets le Moloko. Je me sens légèrement confus.

        Le mouton s'arrête devant le passage piéton, hésitant. Traversera ? Traversera pas ? Le feu est rouge pour les véhicules. Un bus s'immobilise en soufflant comme un vieux dragon survivant du Règne du Feu. Le mouton regarde à droite et à gauche. L'avenue est large, le chemin est long. Il sait qu'il a le temps, mais il doute. Les gens le fixent avec un air qu'il n'aime pas vraiment. Il pose une patte sur la chaussée. Puis une autre. Il s'avance prudemment. Il trace son chemin parmi la foule éparse. Bientôt il est de l'autre côté. Il aperçoit la station de métro. Il accélère son cheminement. Il descend les quelques marches, pousse de la tête la porte d'entrée et s'arrête devant les tourniquets. Il n'a pas de ticket. Le mouton est confus.

 

 

Deuxième partie

        Le silence se fait plus oppressant. Il manque quelqu'un à qui parler ce soir. Le temps semble plombé. Quelque chose ne va pas. Une chose, plusieurs choses, trop de choses, sans doute. C'est là pendant un instant, puis ça s'en va. Pas la peine d'y réfléchir. Pendant un instant un bruit grésille. Comme une interférence. Quelque part. Et puis plus rien. Je suis tout confusé.

        Etre confondu, c'est aussi être démasqué. Ou c'est se tromper de personne. Oh pardon, j'ai du confondre ! Dit l'araignée qui détache le homard de sa toile. En effet, les araignées, pourtant réputées pour être de sacrée salopes, ne mangent pas les homards. Sauf s'ils sont très bien cuisinés. Mais dans le cas présent, le homard était vivant et pas très content. Il va sans doute se plaindre à la préfecture. Ca va pas louper. Et l'araignée va encore être dans ses petits souliers. Ses nombreux petits souliers. Elle ne cesse de confondre les proies, dont elle fait ses festins, et les gens de passage. Car, oui, certains ne font que passer par la toile de l'araignée, ils n'ont pas l'intention de s'y arrêter, vous comprenez bien, ils sont pressés. Mais là, zut, ils se retrouvent tout empêtrées. L'araignée est bien désolée. Elle a beau leur expliquer qu'elle n'a pas encore inventé le fil qui sélectionne les invités et qui laisse partir les autres. Rien n'y fait. Pourtant la science y travaille dur sur ce fil intelligent, qui choisirait avec soin le plat du jour. Mais pour l'instant, que dalle. On dit qu'au Japon ils ont un fil qui sonne quand on met le pied dessus. Mais d'ici à ce que ça arrive jusqu'à notre amie l'araignée, c'est pas gagné. L'araignée en à marre. Elle prend son panier et va au marché. En chemin elle croise le mouton, il ne la reconnaît pas, elle fait semblant de ne pas le voir, ils se sont aimés pourtant. Il y a si longtemps.

 

 

Troisième partie

La nuit tombe. C'est le matin. On sonne. Une lumière s'allume en face. Une autre s'éteint. Un volcan s'éveille. Justine va à la pêche. Marion sort son chien. Paul tombe de sommeil. François chasse l'éléphant dans sa chambre. Il fait froid quand on sonne. Soudain, il ne se passe rien. Justine revient de la pêche, il fait beau. C'est l'été. Marion rencontre Thomas qui revient du cinéma. Il a vu Mélo d'Alain Resnais. Il a bien aimé. Ils parlent un peu pendant que le chien de Marion fait son caca sous une voiture. La voiture est rouge. Paul dort. François s'est fait mal. Il a cru voir un éléphant et en fait c'était une table. François viole la table. La table pleure. Justine fait cuire le poisson. Le soleil est à son zénith. C'est l'hiver. Thomas et Marion se disent au revoir. Marion aimerait bien que Thomas l'appelle un jour. Thomas veut juste se taper Marion. Le chien de Marion s'en moque. Paul dort toujours. François s'excuse auprès de la table. Elle ne l'écoute pas. Elle veut partir. Mais elle ne peut pas. Thomas rentre chez lui. Il fait nuit. C'est l'automne. Marion se sent seule devant la télévision. Paul dort. François parle au téléphone. Sans le décrocher. Il parle juste au téléphone. Comme ça, pour passer le temps. Justine s'installe dans une chaise longue. Elle boit une menthe à l'eau. Il fait chaud. Le téléphone sonne. Marion décroche. Ce n'est pas Thomas. C'est Paul. Qui dort. Marion raccroche. Elle regarde J'ai Décidé de Maigrir. Elle s'en fout. Mais ça la fait rire. Thomas mate un porno. Il s'endort. Paul se réveille et boit un verre d'eau. François prend un bain. La table fait sa valise et sort discrètement. Elle va habiter chez sa sœur. Elle est triste. Paul se recouche. Thomas dort. Marion mange des chips. Justine reste à l'ombre. Quelques oiseaux passent dans le ciel. Le ciel est bleu. Un vent léger monte de la plage. Justine est bien. Marion éteint la télévision. Elle se masturbe. Paul dort. Thomas aussi. François compte les bulles de savon. Justine veut tourner un film de ses vacances. Elle a la flemme de se lever. Elle s'endort, bercée par le vent. Il fait beau. C'est le printemps. François pleure le départ de la table. La table est dans le métro. Elle pleure aussi. Paul dort et Thomas aussi. Marion prend une douche. Justine dort. Elle rêve. Au bord de l'eau elle fait l'amour avec une autre fille. Elle sourit dans son sommeil. Paul dort aussi mais ne rêve pas. Thomas se réveille. Il a faim. Mais il se rendort. François se couche, il ne dormira pas. La table arrive chez sa sœur. Elle respire enfin. Marion s'assoit sur le canapé. Elle réfléchit. Elle passe la main dans ses cheveux. Sans s'en rendre compte. Justine dort toujours. Elle est heureuse. Paul dort. Thomas dort. François ne dort pas. La table dort enfin. Marion s'endort doucement. Elle regarde le mur. Le mur la regarde. Il fait beau. Justine se réveille. Elle pense au volcan qui se couche. Elle fait quelques pas sur la terrasse. Au loin il y a l'horizon, des vagues et le ciel. Elle se dit que l'infini est ici.

 

 

Quatrième partie

        Le train entre dans la gare en grinçant de tout son long. Bien vite des centaines de personnes se pressent sur le quai. Il y a ceux qui montent, et il y a ceux qui descendent. Tout le monde se déteste. Vous ne pouvez pas imaginer. Dans la bousculade un gros homme rougeaud donne un coup de coude dans la tête d'une petite fille adorable. Elle crie : "aie !" Le gros homme se retourne et répond d'un air gêné : "Pardon ma petite. Je suis tellement confus."

 

 

Conclusion

        La confusion englobe tant et tant de sens qu'il est impossible d'en faire le tour. On aurait bien voulu évoquer la confusion des genres, mais il est trop tard ce matin pour cela. J'avoue ne pas avoir le courage d'en parler plus longuement. Quelque part, ailleurs, le devoir m'appelle. Et j'entends sa voix qui murmure, qui me nomme, qui m'attend. Sans y prendre garde, je me tourne vers la fenêtre. Un pigeon vole. Une table aussi.

 

 

Edward D. Wood Jr. ("Je t'ai connue, tu m'as connu - gloire à Dieu au plus haut des nues !")