Edwood Vous Parle

 

 

 

Epopée du soir

 

 

 

        Les grands drames, il paraît, sont ceux du quotidien. Dans cette longue bataille qui oppose raison et sentiment. La belle affaire, madame Tourtière. Oui, il est toujours terrible de se voir impuissant à rendre heureux les gens que l'on aime. Et à être, accessoirement, heureux soi-même. C'est bien triste d'enchaîner les erreurs, les occasions manquées, les regrets, les remords et les cheveux blancs. Enfin, pour ce qui est des cheveux blancs, j'en suis quand même encore assez loin, faut pas abuser. Je ne suis pas si vieux que cela. Mais là n'était pas la question. La question concernait ce quotidien où chaque instant de bonheur semble devoir être équilibré par un malheur de même intensité. Pour un peu on finirait par se ranger du côté de Hobbes ou de Machiavel. De voir dans le monde une même quantité de bien et de mal, vous savez tous ces trucs blancs et noirs. Mais en fait, c'est n'importe quoi. Le bien, le mal, c'est subjectif. Alors si vous êtes un être ultra-rationnel, scientifique, très attaché à la réalité, vous direz donc que le bien et le mal ça n'existe pas, vu que c'est subjectif. Ca n'a pas d'existence hors de la conscience de chacun, et de la conscience collective. Et vous aurez sans doute raison. Il n'empêche que je souffre et que je suis heureux, et que le reste j'm'en fous, vous voyez. Comme Brigitte Bardot dans Et Dieu Créa La Femme (sublime nanar s'il en est), moi, j'm'en fous, j'm'en contrefous. Mais grave (ça c'est moi qui l'ajoute).

 

        Je me rends compte que l'on peut interpréter le chapitre précédent comme une profession de foi égoïste. Que nenni ! Pour être heureux, cela passe énormément, essentiellement même, par le bonheur des autres. On peut être un peu heureux tout seul, dans son coin, pour sa pomme. Mais être vraiment heureux c'est en faisant le bien commun. Je ne l'ai pas inventé, c'est chez Aristote. C'est vous dire si j'ai raison. Ohlala, oui, si Aristote l'a dit, vous n'allez pas le contredire comme ça. Même si ce qu'il raconte est une énormité, vous ne pourrez pas le prouver aussi facilement que vous le pensez. C'est la magie des grands penseurs, ça. On se dit : "oh putain les cons ! Ils racontent n'importe quoi !" Oui, mais allez donc dire quelque chose de plus intelligent ! Ah ! Pas facile. Il faut le style, la rigueur, la logique. Sinon c'est juste du niveau de : "Descartes, ouah il délire trop ! Comment c'est trop dépassé ce qu'il cause, dis, alors, vache !" ou bien "Nietzsche a dit Dieu est mort. Dieu a dit Nietzsche est mort." etc... Des choses qui peuvent être super rigolotes quand on les écrit sur les tables du lycée. Mais bon, pour meubler les conversation et passer pour quelqu'un de super brillant, on a fait mieux. Mais le problème, c'est que dès qu'on a un tant soit peu les moyens de tenir ce genre de conversations, on les fuit sagement comme la peste. Le dialogue philosophique est impossible.

 

        Une grande vague de mélancolie me submerge à cet instant. Ne vous inquiétez pas, d'ici la fin du paragraphe, cela sera sans doute fini. Qu'il est bien difficile d'être un peu seul lorsque l'on a pris l'habitude de ne plus l'être. Alors, on se plaint-plaint gentiment. Juste pour faire genre. Juste pour faire son intéressant. On sait que tout le monde s'en fout. Qu'on s'exibhisisissionne (ça s'écrit comme ça, oui, et puis d'abord je suis chez moi, d'abord). Alors je m'exhibhississionne si je veux. Pour mon bon plaisir et pour le plaisir des Dames. Là. Voilà. Au moins, moi, je le revendique. Je suis un zexhibissiossioniste. Et j'en suis fier. Je porte bien haut mon étendard. Et n'allez pas y voir des choses vulgaires.

 

        Comment vous avez pu le constater, l'affichage public de ma mélancolie n'a pas duré bien longtemps. C'est ça l'avantage avec Edwood, c'est qu'il ne nous emmerde finalement pas trop longtemps avec ses petits problèmes de conscience. Il pourrait. Mais il ne le fait pas. Parce qu'il a des choses plus intéressantes à faire. Du moins, il le croit. Voyez le genre. Il s'y croit. Quoi. Alors que bon, si on y regarde de plus près, mouais, hein, j'allais le dire. Mais pourquoi je parle de ça, moi ? Ah oui, je voulais faire le bien commun en arrivant au début de la page. Maintenant je ne suis plus très sûr. Je sais que certains d'entre vous ont largement mérité d'obtenir le bien commun. Ils ont travaillé dur pour cela, ils ont eu beaucoup de peine, beaucoup de malheurs, beaucoup de maladies, enfin, c'est triste quoi. Et je ne parle même pas de ceux à qui on a amputé un membre dans le but de les exploiter dans les stations de la ligne 2. Non, je n'en parle même pas. Alors, oui, je veux votre bonheur à tous et à toutes. Pour cela, mes frères et mes sœurs, je ne vous donnerais ni un vil argent (ni même un vif argent), je ne vous donnerais pas la bonne parole, je ne vous donnerais pas l'amour universel (parce que physiquement, je pourrais, mais ça serait pas raisonnable), je ne vous donnerais pas des biens matériels qui vous seront de toute façon inutiles. Non, je vais vous envoyer mes meilleurs voeux pour la nouvelle année, cette merveilleuse année 2004 qui frappe déjà à nos portes.

 

        On aimerait pouvoir aimer tout le monde et être aimé de tout le monde. Un Eden merveilleux, idyllique, inconcevable. Un univers qui ne peut pas exister pour mille et une raisons. Cette perfection de l'amour ne peut pas être effleurée à cause du temps, des lois de le physique, des lois morales, des lois biologiques, de la parole donnée, du cœur et de la raison. On se sent las. On se dit qu'il est déjà impossible d'aimer une poignée de personnes, d'aimer pleinement une personne et peut-être de s'aimer soi-même. Alors, aimer tout le monde, c'est beau, mais seul Dieu pourrait en être capable. S'il s'en donnait la peine. Pour lui donner un coup de main, à Dieu, on voudrait bien se dévouer, faire plus, faire beaucoup plus. Mais oui, mais non. On essaie de faire de son mieux, à sa petite échelle. Aimer sa famille (et encore, pas toute, et ça tourmente), aimer ses amis (pas suffisamment, même s'ils sont une espèce en voie de disparition très protégée), aimer son amie (pas suffisamment non plus, elle mérite tellement plus), aimer ses maîtresses (même si on en a pas, on les aime quand même). Et déjà ça dérive. Il faudrait aimer ses professeurs, tous. Ses collègues de travail, tous. Aimer les présentateurs T.V., les journalistes, la boulangère, le facteur, la concierge, le type assis en face dans le métro, aimer Jospin, et Sarkozy, et puis Le Pen et Martine Aubry, et puis aimer Ardisson, Jon Bon Jovi, Cameron Diaz, Polichinelle et Rin-Tin-Tin. Aimer tout le monde, dans un cœur gros comme ça ! Mais ça se peut pas. Vous comprenez bien pourquoi.

 

        Il est tard sur l'échelle des enfants sages. Il est plutôt tôt sur l'agenda d'Eric Dahan. Mais trois heures du matin, c'est l'heure du crime sans châtiment. C'est le moment où l'on dit et où l'on fait des choses que l'on regrette une fois le matin venu. Une heure merveilleuse, pour sûr. Alors dans un élan du cœur qui ne tient qu'à moi et sans attendre que le jour se lève, je vais continuer mon chemin loin de cette page blanche (qui est noire à l'heure où vous lisez ces lignes, cherchez pas à comprendre). Dans le précédent Edwood Vous Parle (pour ceux et celles qui suivent), il n'était pas encore trop tard. Aujourd'hui, il n'est toujours pas trop tard. Demain, oui, il ne sera toujours pas trop tard. Alors ? Où je veux en venir ? Mais c'est pourtant simple ! Ohlala ! Enfin ! Tant qu'il n'est pas trop tard, tout est encore et toujours possible. Et c'est la seule bonne nouvelle qui fera plaisir à tout le monde. Oui, faire plaisir à tout le monde ! Et c'est encore une victoire de canard.

 

 

Edward D. Wood Jr. ("Bacchus est alcoolique, et le grand Pan est mort.")