Edwood vous parle de

 

 

La belle nuit de Noël

 

 

        Dans la série des performances stupides pour impressionner la galerie à la manière de Jackass, après "j'ai mangé des fruits de mer" et "j'ai couché avec la fin du monde", et en attendant "j'ai marché sur des braises" et "je suis sorti avec une elfe des Galapagos", voici un sport extrême dont vous me direz des nouvelles : "j'ai réussi à ne pas déprimer le soir de Noël".

 

        Il faut dire que cela commençait mal, car les conditions d'une légère mélancolie étaient toutes réunies. Il me suffisait de faire retour seul sur les lieux de mon enfance, auprès de ma famille des plus réduites. Déjà, là, ça sentait le sang, les larmes et le mélodrame français. Ce n'était pas encore tout à fait la belle nuit de Noël, mais on sentait déjà qu'elle allait être longue.

        Mais finalement, le retour sur les terres du passé était à la fois un coup au coeur et une pause. Comme si les soucis du quotidien d'aujourd'hui s'effaçaient devant le souvenir des soucis d'hier sur lesquels on venait à poser un oeil bienveillant et assagit. On réalisait durement que le temps passe et qu'avec lui, ahlala, c'est vrai, tout s'en va. L'idée d'éternité qui rythmait notre enfance était belle et bien morte.

        Je ne crois sans doute plus assez au Père-Noël pour voir de la magie dans ce réveillon devant la télévision. Un réveillon solitaire dans la maison endormie, à zapper sur toutes les chaînes en même temps, ou presque. Mais le miracle de Noël existe, et le pathétique se transforme parfois en instant de grâce. Car je n'étais pas si seul et à intervalles réguliers j'étais rassuré par l'affection de ceux que j'aime. Mais parlons plutôt télé, sinon ça va devenir trop personnel.

 

        Sur Odysée, une très américaine rétrospective des films de Noël ouvrait les hostilités. Une majorité de nanars oubliés. Mais soudain, au détour d'une transition brutale, surgissent les instants les plus émouvants d'Edward Aux Mains d'Argent. Là, je pleure, excusez-moi, ça marche à tous les coups. Un peu plus tard, ce seront quelques secondes de The Nightmare Before Christmas. De quoi nous rappeler que Tim Burtonest le créateur des contes de Noël les plus émouvants et les plus novateurs sur pellicules depuis Frank Capra. Sur Arte, c'est théma Pinocchio. Le film de Commencini, que j'ai vu 2532 fois, garde son côté bidouillé et cruel. Je ne peux que préférer le livre, traumatisme indélébile de l'enfance. Sur M6, le seul et unique Astérix et Cléopâtre, historiquement le premier film dont j'ai fait l'achat en VHS, revient pour la milliardième fois, au moins. Mais bon, ça reste un moment grandiose de surréalisme fauché.

        Surprise sur TF1 (!!) avec le téléfilm inspiré du Monde Perdu de Conan Doyle. Rien à voir avec le nanar de Spielberg, à part pour quelques dinosaures assez réussis en images de synthèse. L'intérêt du film réside dans son chouette casting de seconds couteaux du cinéma américain. Peter Falk et James Fox, d'une part, et surtout l'immense Bob Hoskins, dont je ne dirais jamais assez toute la joie que me procure la moindre de ses apparitions. Le téléfilm est fidèle au splendide roman et, même si je zappe comme une brute assoiffée de sang, l'ensemble est agréable, bien que bizarrement très violent pour un soir de Noël. Un Noël gore, donc.

 

        Sur MTV, c'est comme toujours une soirée Madonna, sans doute la fille cachée du Père-Noël ou plutôt du Père-Fouettard. Comme d'habitude, c'est incroyablement complaisant et langue de bois, mais un survol aussi complet de la carrière de la dame, permet de confirmer mes théories. Madonna est zombifiée depuis Erotica. Après, c'est nettement moins léger, frais, simple, drôle et dansant. Son dernier album est d'une lourdeur intolérable. Bientôt ce sera aussi indigeste, toc et satisfait que certaines chansons de Bjork. On imagine à peine l'horreur. A sauver cependant, le clip bourrin de Die Another Day (titre crétin pour film de crise de la quarantaine). Madonna y est brutalisée, battue, torturée, humidifiée, en noir (joli) et en blanc (bandant), un clip qui fait mouiller le caleçon, donc. Par ailleurs, revoir des vieilleries, comme le relativement rare Rain, fait bien plaisir. Et puis on peut zapper à tout moment.

        Sur RTL9, c'est Supergirl qui s'y colle, pour la millième fois. Si Faye Dunaway y est très drôle, loin de son image habituelle, le film est fauché et assez nul. Malgré tout, j'y sauve un splendide passage étrange et très effrayant dans une dimension parallèle, ainsi que le mignon minois de Helen Slater, qui a totalement disparu du monde des humains après ce film. Je ne m'attarderais pas sur Questions Pour Un Champion spécial "stars", ainsi que sur les multiples programmes "festifs" pas très festifs.

 

        Deuxième partie de soirée et les choses sérieuses commencent. Arte poursuit sa brillante théma sur le pantin au long nez (non ce n'est pas un ministre). TF1 et F2 se tirent la bourre pour savoir qui servira le plus mauvais bêtisier des fêtes. Absolument rien de drôle, même pas une gamelle de sportif ou un lapsus de journaliste, un comble. Sur Canal Jimmy, 2533e diffusion de l'épisode nouvel an de Absolutely Fabulous (même chose sur BBC1, si je ne m'abuse). Croyez-le ou non, j'ai encore ri, comme quoi, les bonnes choses n'ont parfois pas de fin. Astérix Le Gaulois sur M6, premier essai cinématographique ayant très mal vieilli, pas du tout le punch du pur chef-d'oeuvre les 12 Travaux d'Astérix. Mais le meilleur est ailleurs.

        Sur F3, si je ne m'abuse, énième rediffusion (décidément) du Guépard. C'est beau, mais c'est toujours aussi chiant. Je préfère Ludwig, encore plus grandiose, encore plus long, et avec Romy Schneider. Par contre sur RTL9, un terrible petit polar français de Georges Lautner, à base, bien sûr, de chasse au magot. Casting de mecs, quoi, avec André Pousse en chef des méchants. Un André Pousse rien de moins que génial, comme toujours, maniant l'argot et le flingue comme bien peu l'ont fait avant ou après lui. En héroïne avec des couilles, Mireille Darc, qui n'a que assez rarement été aussi à l'aise et bandante. Un cinéma d'un autre âge, à l'époque où la série B était le fleuron du cinoche français. Un cinéma qui surprend toujours par sa nervosité, sa crudité et sa mise en scène d'une rigueur et d'une beauté clouantes. La claque surprise du réveillon.

 

        Sur MTV c'est l'heure du rock "alternatif". Peu de néo-métal, donc ça va mieux que d'habitude. A sauver, en particulier, le vraiment excellent Hard To Explain des Strokes, leur meilleure chanson, de toute façon, il n'en ont qu'une. Le single No One Knows des Queens Of The Stone Age, efficace à défaut d'être novateur, mais il faut que j'arrête d'être aussi exigeant. Par contre, on sent un réel effort du côté de The Streets, dont le dernier single Don't Mug Yourself, a contribué à me convaincre de la qualité de ce groupe. C'est drôle, bien fichu, assez surprenant. Leur album vaut la peine, ah, bah ça fait plaisir, tiens. Par contre il y a aussi des affreux, comme par exemple The Libertines qui moulinent dans le vide un rock sans saveur. J'ai d'ailleurs cru un moment, qu'ils me pardonnent, qu'ils étaient les Vines. Justement, les Vines, qui veulent nous faire croire qu'ils sont méchants, punks et qu'ils cassent tout. Ca ressemble à une pub pour parfum de jeunes, ou alors à une réclame pour fringues cheap. C'est laid, ça sent le fabriqué et le manque de sincérité. Désagréable au possible. Quelque part entre le métal californien et le punk tout aussi californien. Ils sont australiens et ils craignent.

 

        La messe de minuit me déprime. Le Pape murmure quelques mots, la tête inclinée sur le côté droit. On sait qu'il y a quelque chose de christique dans cette volonté de ne pas quitter sa place malgré la souffrance, mais bon, on est loin de la force symbolique de la crucifixion. Le masochisme chrétien surprend toujours, mais finalement il est si humain dans sa volonté de nier la nature et l'animal qui sont en nous. Pathétique et admirable, humain tellement humain. Déprimant, donc. Mon masochisme m'accordant une pause pour ce soir, je me replis auprès des seins de glace de Mireille Darc. Après le Lautner, zut alors, pas de trucs cochons fauchés sur RTL9. Il paraît qu'il y en a tous les soirs maintenant. Diantre ! Ah oui, mais ce soir, les enfants risquent de veiller tard, donc c'est la trêve, ils ont plutôt droit au Guépard qu'au triolisme flan filmé comme une pub Obao. S'il y a parfois des filles assez mignonnes au sein de ce genre de programme, on est plutôt loin de l'extase, il faut bien le dire. Par contre sur TMC, c'est un Muppets Show spécial Noël qui nous attend. Ils sont venus, ils sont tous là, même ceux de la Rue Sésame. L'Apocalypse des mounaques, quoi. Il est tard et j'ai l'impression d'avoir pris de la drogue. Fozzie est toujours aussi drôle et Gonzo toujours aussi touchant. Le doublage français, follement surréaliste, rappelle des souvenirs. Grand moment.

 

        La belle nuit de Noël s'avance doucement. J'en profite pour déposer des cadeaux au pieds du sapin. Tant qu'on y est, hein, ne perdons pas les vieilles habitudes. Il est possible que j'envisage de dormir, maintenant que je suis sûr que les gens que j'aime dorment paisiblement. Il y a quelque chose de réconfortant de veiller tard le soir de Noël. De se dire qu'ici et là, des enfants dorment et qu'ils croient toujours au Père-Noël. C'est le meilleur des moments pour une introspection. On se sent étrangement en paix, avec soi-même, avec tout le monde. Un grand élan d'amour nous submerge. J'aime l'univers entier en regardant le Muppets Show. Un amour simple, discret, silencieux. Je me sens triste et je me sens heureux. Certes, cela ne durera pas. Mais comme dans une fin dépressive d'un film de Tim Burton, on se brise en souvenirs et le regard perdu dans le vide on souhaite la paix sur terre aux hommes de bonne volonté. Et aux femmes.

        Il est temps de dormir. Et pour la première fois depuis le début de ces vacances des fêtes, cela ne prendra que quelques minutes. Cela s'est plus ou moins passé le soir de Noël 2002, j'avais beaucoup de conditions pour m'offrir une belle déprime, mais finalement j'avais encore plus pour être heureux.

 

 

Edward D. Wood Jr. ("le 22 septembre, aujourd'hui, je m'en fous")