Edwood Vous Parle du

 

 

 

Monde Tel Qu'il Est

 

 

 

    A la base, j'aurais aimé vous raconter comment que le monde il est beau, comment que le monde il est gentil. Puis je me suis dit que personne n'y croirait. Alors j'aurais pu vous expliquer pourquoi et comment que le monde il est bouh pas beau vilain, affreux sale et méchant. Mais là encore, il y aurait eu plein de monde qui n'y aurait pas cru. De toute façon, il m'est impossible de vous parler du monde tel qu'il est, pour de nombreuses raisons diverses et variées qui vont de l'impossibilité de connaître le noumène au fait que je ne vis pas suffisamment dans le monde tel qu'il est pour en avoir une idée claire et distincte. Bon, alors là vous allez vous dire que ENCORE une fois, c'est mal barré et que je vais broder des lignes et des lignes avec rien et que bon, si c'était drôle une fois, au bout de 25, ça commence à devenir, non pas lourd, mais tout simplement chiant. Ta ta ta ta, je vais quand même vous parler du monde. Une fois n'est pas coutume, je vais essayer de ne pas décevoir le lecteur (LE lecteur ? LA lectrice ? Je sais qu'il n'y en a qu'un. Je lui passe le bonjour d'ailleurs. Mais laissons planer un légitime doute sur son identité).

    Le monde, vu d'ici, se compose d'un ciel moyennement gris, d'arbres moyennement verts, de rues moyennement défoncées, de maison moyennement grandes, d'une place moyennement cradingue, de petits zoizeaux moyennement amorphes, de voitures moyennement utiles et de gens moyennement pressés. Je vis donc dans un quartier moyennement intéressant. Ce qui semble tout à fait convenable pour élaborer notre propos.

    Première constatation, le monde change, le monde bouge, le monde évolue, mais moyennement. Pour un mouvement rapide des nuages, on se rend bien compte que les maisons n'expriment pas une vélocité particulière. Pour un envol de zoizeaux, on remarque que les arbres demeurent sagement à leur place. Pour un passage de gens pressés vaquant à leurs occupations, on notera qu'il y a un Edwood scotché devant son écran. On peut donc confirmer qu'il y a dans le monde autant de mouvement que de repos, ce qui ferait plaisir à monsieur Descartes (on y revient toujours).

    Deuxième constatation, le monde est beau. Mais moyennement. Pour un petit toiseau mignon tout plein qui chante bien, il y a une Renault Clio Rouge. Pour un nuage tout en dégradés de gris sublime, il y a un poteau électrique. Pour une charmante demoiselle qui rentre chez elle, il y a un Edwood scotché devant son écran (ça y est, on a repéré le refrain). On peut donc en conclure que l'affirmation de départ est fausse. Le monde n'est pas moyennement beau, il est vraiment beau, car ce qui est beau écrase largement le reste.

    Troisième constatation, le monde est vaste. Mais moyennement, du moins, ça dépend. Pour un escadron de nuages, il y a une petite flaque d'eau sur la route défoncée. Pour un merle qui prend son essor dans les cieux, il y a un chien en laisse. Pour un enfant qui court sur la place, il y a (tous en chœur) un Edwood scotché devant son écran. La question du point de vue se pose encore plus à ce niveau de notre réflexion. Pour la chtite fourmi le monde est diantrement vaste, et pour le ptit chat enfermé dans une ptite pièce sombre toute la journée, le monde est moins vaste. Donc, on va dire que tout cela reste moyen.

    Quatrième constatation, le monde est vivant. Mais moyennement. Pour une averse de pluie chargée de merveilles biologiques, il y a des bouts de bitume défoncés. Pour un petit oiseau qui sautille sur une branche, il y a une voiture garée sur la place. Pour un ptit chat qui traverse la rue en dehors du passage clouté, sans regarder, ni à droite, ni à gauche, il y a (tadam !) un Edwood scotché devant son écran. Avouons-le, malgré tout, le vivant domine largement. C'est quand même moins moyen, hein, il fallait le noter.

    Cinquième constatation, le monde est sympa. Mais moyennement. Pour un nuage aux bonnes joues rosées, il y a un méchant nid de poule dans la rue. Pour un petit oiseau guilleret qui sautille dans la flaque, il y a une méchante BMW diesel. Pour un arbre majestueux qui abrite toute une faune primesautière, il y a, il y a, hein ? hein ? Tous avec moi les enfants ! Il y a ! Il y a un Edwood scotché devant son écran. (bien ! j'en vois deux qui suivent). Alors, franchement, le monde l'est sympa, même si ce n'est pas toujours facile.

    Sixième constatation, le monde est très occupé. Mais moyennement. Pour un nuage qui se presse au cœur du ciel, il y a un câble électrique qui pend distraitement à l'horizon. Pour un petit oiseau qui recherche un ptit quelque chose à manger, il y a un panneau de signalisation pas motivé. Pour un abruti, avec un téléphone portable, qui court dans la rue, il y a... il y a... les lecteurs de Edwood Vous Parle (hé hé hé). Chaque être vivant, chaque chose inanimée, a une occupation. Disons qu'il y a des degrés d'occupation.

    Conclusion partielle avant interlude : le manichéisme est une vaste connerie.

 


Interlude : Sublimation artistique des contradictions humaines, l'exemple de Bill Drummond. La moitié de KLF, dans son auto-biographie "45", décrit merveilleusement le désarroi qui habite chacun d'entre nous. Ce désarroi qui se retrouve le plus souvent enfoui dans notre inconscient ou sous des tonnes de temps qui passe sans se retourner, ce désarroi qui surgit parfois au cœur de la nuit et plus particulièrement, à ce qu'il paraît, quand l'être humain atteint la quarantaine. Dans une interview hallucinante que vous pourrez lire dans le Mancentral (l'avant-dernière des 108 interviews listées dans la section "rock rags"), Drummond en vient à énoncer avec une simplicité désarmante l'essentiel :

-'I think I've always done the same thing, and it's just what it looks like on the outside that's different,' he contends, unconvincingly. 'I don't know what it is, but it's dealing with that same feeling on the inside and working with that.'

-What kind of feeling?

-'A sort of big thing that you've got to get out, and it's just the wrapping that makes it look different. I'm trying to make sense of something.'

-What?

-'I don't know what it is.'


 

    Le monde tel qu'il est s'éloigne à mesure qu'on le recherche. Il fallait le dire. Plus on se croit dans le monde, plus on est hors du monde. Et inversement. Ce qui ne simplifie pas les choses. On va me dire qu'il n'est pas nécessaire de se poser autant de questions pour vivre dans le monde, même de bien vivre dans le monde. Oui, alors, pour vivre dans le monde, c'est vrai que la cueillette et la chasse, c'est suffisant. Pour bien vivre dans le monde, après, ça se discute (surtout que le monde, lui, le bien, il s'en tamponne trop bien grave). D'ailleurs, le monde tel qu'il est me fait dire qu'il n'a rien demandé à personne et surtout pas à moi et que ça commence à bien faire toutes ces histoires. Que si je n'arrête pas immédiatement de diffamer sur lui, il va me coller un procès aux fesses. Le monde tel qu'il est vu d'ici me dit : "get a life ! you fookin' cunt !" Ce qui est très vulgaire, heureusement que le monde parle anglais, sinon j'aurais été obligé de censurer.

    Ouais bah moi, ça n'arrange pas mes affaires ça. Regardez moi ça comme il est agressif le monde tel qu'il est ! J'attendais qu'il vienne me prendre par la main et me dire d'un air paternel (mais pas trop) : "regarde comme le monde il est beau, les ptits zoizeaux, les nuages, les jeunes filles, les arbres, les pâquerettes, les roses, les ptits papillons, cétypa merveilleux ?". Et au lieu de ça, le monde tel qu'il est nous fait le coup prévisible du "marche ou crève et ferme ta gueule sinon j'te la pète". Ce qui ne donne pas forcément envie d'aller voir ailleurs s'il y est.

    On va me dire : constat d'échec ! Alors, hein, d'une part vous allez arrêter de dire des vulgarités sur mon beau site et d'autre part est-ce que je vous demande si vous êtes en bonne entente avec le monde, vous, hein, d'abord ? Hein ? D'abord ! Si vous aviez bien suivi, hein, vous sauriez (vous sucessiez ?) que le manichéisme c'est bouh caca ! Que le monde tel qu'il est est comme nous tous, schizophrénique, coupé en deux, entre le bien, le mal et les ptits zoizeaux. Donc il y aussi le gentil monde tel qu'il est, qui n'arrête pas de dire : "garde espoir mon ptit Eddy, soit bon (Eddy - soit bon - humour !), je ne sais pas quand, mais quelque chose de merveilleux va arriver." Ouah ! Cool ! D'la balle ! C'est bien simple, moi j'y crois, là, ça c'est bien dit. Le monde tel qu'il est, vous voyez, il est sympa. Et d'un coup on comprend que le ptit oiseau, le ptit nuage, la ptite flaque, le ptit chat, le ptit arbre, le ptit Edwood, sont tous là à attendre que le monde tel qu'il est fasse un geste, bon ou mauvais. Alors, certes, zallez me dire, y en a qui attendent en attendant, et y en a qui attendent en agissant. Oui mais je vais dire, pas de manichéisme, on ne peut pas toujours tout le temps attendre ou tout le temps agir, c'est par phases. Un coup on bouge de là, un coup on zone. Aujourd'hui vous zonez en me lisant, mais demain, hein, demain sera un autre jour (et vous zonerez encore en me lisant, oui, alors, euh... oui... bon... c'est pas ça que je voulais dire...).

    J'avais prévu une super conclusion trop dégaine comme quoi : le monde tel qu'il est n'existe pas, c'est seulement le monde tel qu'il devient qui nous intéresse. Mais c'était sans doute trop bien, alors, j'me suis dit qu'il fallait trouver autre chose. Le monde tel qu'il est vu d'ici est conforme au point de vue qu'on en a (gag, conceptuel le gag). Il y a un arbre qui bruite, un ptit toiseau qui s'affaire, un chat qui dort, un ciel presque bleu, une voiture qui passe dans la rue grise (the word is), un Edwood qui attend, une ptite flaque qui brille, une ptite licorne qui court dans l'herbe, un ptit panneau de signalisation obsolète, tout pour plaire quoi. Ca valait la peine de venir.

 

Edward D. Wood Jr. ("been wait too long, baby, been wait too long, darling...")

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