Edwood Vous Parle

 

 

Heureux

 

 

 

        Comment s'en sortir dans notre monde si injuste, violent et finalement franchement horrible, lorsque l'on est atteint d'une grande crise de joie et de bonne humeur ? Je voulais que cette question soit le titre de mon chapitre, mais zut alors, c'était un peu long et on aurait dit dans mon dos : oh il se la joue avec un long titre de chapitre susceptible de cacher la vacuité et la routine du propos ! Et cela aurait été brutalement faux. Car le sujet de cet Edwood Vous Parle est bien l'art et la manière d'assumer son bonheur en public. Car tout le monde est tellement malheureux, tout le monde est tellement écrasé par le poids de la dépression qui ne cesse de tourner autour de la Terre en chantant l'immortelle ritournelle des âmes en peine. Et il est bien difficile d'oser dire : moi, là, maintenant, tout de suite, je suis heureux. C'est pas bien ça, hein. C'est pas beau. C'est désagréable à entendre. Quelqu'un d'heureux. Quelqu'un qu'on ne connaît même pas, là. Il n'a pas le droit d'être heureux. En tout cas, pas plus que moi. Et puis on essaie de se rassurer : il dit qu'il est heureux, mais c'est une manière polie et finalement ironique de cacher son désespoir. C'est de l'auto-suggestion, même que ! Il n'est pas vraiment heureux, enfin, voyons.

 

        Et pourtant si. Il est heureux. Enfin, je suis heureux, si l'on pouvait pour une fois parler un peu de moi. Je suis heureux, malgré tout. Malgré la guerre, la peur, les C.R.S., l'inflation, les licenciements, la grisaille, Vincent Delerm, la grippe, les rides, les chiens, Carla Bruni et les armes nucléaires. Malgré tout cela, et Dieu sait pourtant que cela en fait des raisons de se pendre, et bien oui, je suis heureux. J'me sens bien, vous comprenez. Je ne nage pas dans une joie béate et niaise, non, loin de là. Je ne me noie pas dans un bonheur idéal, un bonheur en toc et en carton, non, c'est un bonheur qui vogue, qui a des hauts et des bas, des zones d'ombre et des prairies pleines de soleil. Un bonheur à échelle humaine, à mon échelle, le bonheur qui fait que le cœur se sent léger même quand cela ne va pas. Un bonheur qui donne envie de faire mieux chaque jour, pourtant tout n'est pas rose.

 

        Vous allez me dire : on ne vient pas déranger les gens chez eux quand on est heureux. C'est toujours quand on est malheureux qu'on vient emmerder le monde avec des paroles et des plaintes. Ecrire, c'est souffrir, enfin, quand même, faut pas abuser. Quand on est heureux, on n'écrit pas. On n'en a pas besoin. En plus, c'est cruel. Les gens, ils veulent lire d'horribles histoires. Des histoires qui leur montrent que finalement, ah, ouf, ils ne sont pas si malheureux, qu'il y a pire ailleurs. Et puis si c'est le bonheur, y a rien à raconter, tout va bien, on mange à sa faim, on dort la nuit, on n'est pas dans le besoin, on vit d'amour et d'eau fraîche. Et ça, c'est pas bien, ouhlala, non, ça c'est pas bien. Même que c'est tellement pas bien qu'on n'y croit pas. On se dit qu'il y a un truc, que c'est de la mise en scène, que c'est truqué. Tout ça, c'est que des histoires.

        Mais ne vous arrive-t-il pas parfois de vouloir lire des histoires qui se finissent bien ? Non, pas forcément des monuments de niaiseries ou/et de banalités. Non, des histoires extraordinaires du bonheur quotidien. Là, voilà. Des histoires qui ne se finissent pas bien, mais qui ont leur bons moments. On en effacerait les instants tristes et on construirait un petit coin de verdure dans la ville.

 

"Ah ! Ah ! Tu es démasqué !" (dit le lecteur à l'esprit mauvais)

Ah ? Et pourquoi donc ? (répond, faussement étonné, le Edwood qui a déjà compris l'objection)

"Mais parce que tu as dit "construire", voyons ! Et si c'est construit, c'est que ce n'est pas naturel, ton histoire !" (poursuit le lecteur qui a décidément un esprit critique des plus développés)

Bah mon pauvre, si c'est une histoire, déjà, cela suppose un minimum de mise en scène, de mise en place, de mise en page (intervient alors le Edwood, à qui on ne la fait pas, c'est clair, il en a vu d'autres, enfin)

"oui, mais ton bonheur, il est factice ! il n'est pas vrai ! tu en parles juste parce que tu n'as rien à dire ! ah ! ah !" (insiste le lecteur tellement perspicace qu'il va bientôt travailler à Sans Aucun Doute ou à Entrevue)

Bon, déjà, tu vas me faire le plaisir de remettre des majuscules au début de tes phrases. Hein. C'est la moindre des politesses. Chez toi tu fais ce que tu veux, mais quand tu écris ici, tu pourrais faire un effort. (sermonne le Edwood, un tantinet à cheval sur des détails qui n'ont pas une si grande importance)

"?" (le lecteur acerbe ne saisit pas vraiment l'importance de la remarque et persiste à vouloir une réponse à son intervention. Le lecteur est futile)

Je n'ai pas grand chose à ajouter par rapport à ce que j'ai dit plus haut. Le bonheur, y a rien de plus vrai, de plus facile à expérimenter et puis, faut l'avouer, ça fait un peu plaisir, parfois, de lire des choses positives, non ? (enchaîne le Edwood, qui ne se démonte pas, même si on sent bien qu'il n'a pas vraiment grand chose à dire ce soir, mais il essaie, il est courageux, il ne fuit pas devant l'adversité)

"Mais on s'en fout, surtout que ce n'est ni drôle, ni intéressant" (fait remarquer le lecteur dont le sens de la réplique est renversant. Si, si, renversant.)

Et alors ? (répond le Edwood visiblement en perte de vitesse au moment d'aborder le dernier virage et alors même qu'il tenait la corde depuis le départ)

"Alors ? Alors je ne vois pas pourquoi j'irais lire tout cela si tu persistes à radoter toujours la même chose !" (affirme le lecteur, qui vient, semble-t-il, de commettre une erreur dans la dernière ligne droite.)

"Ah bon ?" (ajoute le lecteur qui sait lire entre les lignes)

(oui, oui, une erreur !) (ajoute l'auteur qui aime bien que tout soit clair)

"Mais où ?" (persiste et signe le lecteur qui n'aime pas être pris au dépourvu)

Et bien tu vois, cher lecteur (intervient le Edwood, parce que ça commence à bien faire), tu me dis que je radote, mais d'habitude, je me plains tout le temps, je suis vaguement triste, vaguement aigri, vaguement ennuyeux et vaguement clair. Cette fois, je suis gai, j'aime tout le monde (sauf certains d'entre les gens du monde, mais bon), je ne me plains pas une seule seconde, je ne m'ennuie pas et c'est très simple, précis, direct, sans ambiguïté.

"Ah ! Ah ! (surgit le lecteur qui décidément ne meurt jamais un autre jour mais bien hier, du moins il aurait dû) Tu t'es trompé dans ton argumentation. Tu dis que tu ne t'ennuies pas, mais c'est nous qui sommes ennuyés ! Ah ! Ah !

(le lecteur nous ennuie) (précise l'auteur qui commence à en avoir marre)

"L'auteur est vendu ! L'auteur n'est pas impartial" (clame le lecteur qui est un fameux imbécile)

"A bas l'auteur ! A bas Edwood ! Vive la liberté et la démocratie" (gargouille avec ridicule le lecteur qui est un caca de fan de Korn)

L'auteur en fait un peu trop là (tempère le Edwood qui est un ami alors on l'écoute) Le lecteur a le droit de s'exprimer. Même s'il ne dit que des bêtises. Comme j'aime faire partager mon bonheur, je veux lui offrir un peu de ma joie. C'est pour cela que je l'invite à chanter avec moi, avec vous, avec nous, tous ensembles, en nous donnant la main et en sautant bêtement dans la pièce. Comme vous connaissez les paroles, ce sera facile :

 

1

 

2

 

3

 

4

 

(riff de guitare irrésistible)

 

(Edwood) :

I don't care if Monday's blue
Tuesday's grey and Wednesday too
Thursday I don't care about you
It's Friday I'm in love

Monday you can fall apart
Tuesday Wednesday break my heart
Thursday doesn't even start
It's Friday I'm in love

Saturday wait
And Sunday always comes too late
But Friday never hesitate...

 

(les lecteurs) :

I don't care if Mondays black
Tuesday Wednesday heart attack
Thursday never looking back
It's Friday I'm in love

Monday you can hold your head
Tuesday Wednesday stay in bed
Or Thursday watch the walls instead
It's Friday I'm in love

Saturday wait
And Sunday always comes too late
But Friday never hesitate...


(tous en choeur !) :

Dressed up to the eyes
It's a wonderful surprise
To see your shoes and your spirits rise
Throwing out your frown
And just smiling at the sound
And as sleek as a shriek
Spinning round and round
Always take a big bite
It's such a gorgeous sight
To see you eat in the middle of the night
You can never get enough
Enough of this stuff
It's Friday
I'm in love

(ils répètent et ils fadent away et radiatent...)

 

 

 

Edward D. Wood Jr. (Au bois d' Clamart y' a des petit's fleurs, Y' a des petit's fleurs...)