Edwood Vous Parle

 

 

 

 

 

L’éternité et bonjour

 

 

 

 

 

Cela me semble incroyable, mais voilà plus d’un an que je ne vous ai pas parlé. Largement le temps pour la majorité d’entre vous de m’oublier, de me croire mort, disparu, pacsé, aseptisé, exilé, que sais-je ? Pour moi, qui vous parle depuis presque une décennie et qui pratique les longues pauses comme d’autres vont fumer une cigarette quand sonnent les coups de 10h30, cela ne m’a pas paru si long. A vrai dire, c’est comme si c’était hier, que j’étais là, en ces pages, à discuter de sujets depuis longtemps passés de mode (si tant est qu’ils le fussent un jour, à la mode de chez moi). L’intemporalité c’est la force de la page personnelle sur internet, pas de date de péremption, tout est immédiat et tout est éternel. Petit îlot perdu au milieu du grand tout virtuel, The Web’s Worst Page ne connaîtra de fin que lorsque tout aura disparu. En espérant, bien sûr, que ce ne soit pas aujourd'hui la veille.

 

Depuis la dernière fois, le monde a tourné, laissant derrière lui des vestiges de belles heures d’humanité flamboyante. Et de défaites quotidiennes. Chez vous, chez moi, chez les autres. Regarder par la fenêtre n’a rien perdu de son pouvoir révélateur, le calme de grande envergure demeurant la plus évidente preuve de la tranquille torpeur d’une société qui roupille. Une ambiance aussi sympathique offre toujours matière à parler pour ne rien dire, il y aurait de quoi en faire un métier, si vous voulez mon avis. Mais trêve de bavardages, venons-en aux faits. Je suis ici pour résumer la situation depuis l’épisode précédent et nous nous en tiendrons là.

 

Donc le temps a passé, malgré tout, malgré vous et malgré moi. Plutôt au rythme d’un épisode de 24h Chrono qu’au rythme d’un film de Kurosawa. Voyez-vous, c’est une comparaison qui fait ressortir une antinomie. Si on peut très bien imaginer Toshiro Mifune, sa grosse voix, son sabre et son mauvais caractère à la place de Jack Bauer, il est plus délicat de concevoir Kiefer Sutherland coincé dans Kagemusha ou dans Barberousse. Son désir de démastiquer du samouraïs à coup de M16 ou de faire exploser le château de l’araignée en moins d’une heure avec l’aide d’un téléphone portable et d’un sucrier, pourrait nuire à la cohérence de l’ensemble et à la cohésion du monde cinéphilique. Car c’est un beau château que celui de l’araignée. En effet, Peter Parker l’a payé avec les avances sur recette de Spider-Man 3, en admettant que le film ait au moins autant de succès que le second opus. On ne peut donc pas, dans ces conditions, espérer un accord temporel à l’amiable entre Sanjuro et Venom. Mais j’en vois déjà au fond qui sont perdus. Je réponds aux questions juste après le changement de paragraphe.

 

Oui, alors, donc ?

« Monsieur Wood »

Appelez-moi Ed.

« Tout de suite M. Wood, vous avez le numéro de téléphone de M. Ed ? »

Admettons.

« M. Wood, qu’avez-vous fait durant cette année de réflexion ? »

J’ai réfléchi.

« M. Wood, aller, alors, c’est vrai, hein, Miami Vice c’est de la merde, hein, dites ? »

Oui, c’est vrai.

« M. Wood, lire votre nouvel Edwood Vous Parle est comme une madeleine pour moi, comme quand j’étais jeune et que vous étiez mon idole. »

Ce n’est pas une question ça, c’est une affirmation, ça tue l’échange, sortez immédiatement de ma page.

« M. Wood, le poids des ans vous embellit et vous rend toujours plus brillant, comment faites-vous ? »

Je mange du muesli bio au petit déjeuner et je regarde des films de Kurosawa.

« Ooooooooh, aaaaaaaah !!! »

Madonna ?

« Non, Kurosawa ! »

Autant pour moi.

« Monsieur Wood, je préfère écrire monsieur en toute lettre plutôt qu’avec un M majuscule suivi d’un point, puis-je espérer une augmentation de salaire d’ici 2017 ? »

Non.

« M. Wood, je trouve que les questions sélectionnées par vos soins ne répondent pas du tout à mes attentes (nombreuses et variées, liste disponible sur simple demande écrite au 08564789456), dois-je envisager de regarder un film de M. Kurosawa ? »

Bien sûr. Je vous explique pourquoi.

 

Akira Kurosawa est né il y a bien longtemps dans une galaxie lointaine, far far away. Tout petit déjà, il se préoccupe de la disparition du crapaud buffle dans la région de Kyoto. Ses prises de positions, très courageuses, inspirèrent de nombreuses personnalités, de Maxime le Forestier à Belladonna. Abandonnant courageusement l’écologie au profit de la chanson, il sort en 1997, OK Computer, considéré par certains sourds comme l’un des meilleurs albums de musiques traditionnelles des années 70. Devant l’échec de sa carrière de rock star, il se tourne vers la bande dessinée, où il crée en 1515 le personnage de Spirou, gentil coquelicot le jour et vengeur masqué la nuit. Par manque d’informations, la rumeur lui attribuera plusieurs dizaines de chefs-d’œuvre du cinématographe, dont les 12 Salopards et Yo ! Dumbo (sur la carrière d’un chanteur de rap star du X), en fait mis en scène par Claude Lelouch.

 

« M. Wood ? »

Oui ?

« Est-ce vrai que vous nous revenez pour de bon et que vous ne nous quitterez plus jamais, jamais, jamais, que vous serez toujours là pour nous ? »

Peut-être.

« Merci, M. Wood, vous êtes trop bon avec nous M. Wood. »

 

Nous avons tout notre temps. L’éternité du virtuel nous permet de ne jamais nous quitter. Oui, c’est beau, oui, c’est émouvant. Tout disparaîtra demain, mais peu nous importe. Le grand ménage ne peut pas balayer l’instant présent, vous pouvez en faire un dicton, ça sonne bien. J’aurais encore plein de choses à vous dire, mais voyez-vous, je n’ai pas que cela à faire, je dois chroniquer des films de Kurosawa. Après, c’est certain, je reviens vers vous, les bras chargés de bonnes nouvelles et d’humour drôle, car c’est bientôt Noël…

 

 

 

 

Edward D. Wood Jr. ("Clap your hands if you want some more")