Edwood craque de partout pour

 

 

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    Parallel Lines

        Blondie

 

 

 

 

 

        39 minutes et 2 secondes de Bonheur. C'est peu et c'est beaucoup. C'est pas grand chose et c'est immense. On se demande parfois si la musique peut changer le monde, avec Blondie, c'est certain, la musique peut changer notre monde à nous. A la force de chansons de 3 minutes et des poussières, on se rend compte qu'il n'en faut pas plus pour que notre vision des choses se trouve bouleversée. Blondie a souvent joué un rôle essentiel dans ma vie, au même titre qu'un ami, qu'une présence quand on a vraiment besoin de retrouver la lumière. Et s'il est bien un groupe lumineux, c'est Blondie. Et c'est ainsi que je vais parler de leur meilleur album, l'indépassable Parallel Lines, qui incarne; mieux que tout autre disque, ce que l'on entend par le terme de "pop" en matière de musique.

        Cela commence par un bruitage, un téléphone sonne occupé. Et aussitôt on enchaîne à toute vitesse sur la chanson qui incarne aux oreilles de beaucoup la définition de la "power pop", Hanging On The Telephone. Il y a l'énergie punk, avec avant tout et surtout l'héritage des grands-papas gâteaux de la power pop qu'on aime, les Ramones. Et en contre-poids, il y a une obsession pour la mélodie, pour les prouesses vocales, pour la production luxueuse, directement issues des 60's triomphantes. Pendant toute sa carrière, Blondie ne désirera que cela, faire la synthèse entre l'énergie retrouvée à la fin des 70's et le monde classieux et mythique de Phil Spector, des Shangri-Las et des Supremes. En cette année 78, merveilleuse s'il en fut, le punk a un an et est déjà moribond, le disco triomphe, le rap approche à grands pas sur les traces du funk "chic", certains affreux persistent à faire du hard rock, du rock prog, de la mélasse et du flan. Mais la vérité est ailleurs (pour Dames, oui je sais, c'est nul...). Elle est à New-York, dans cette scène underground qui fait les beaux soirs du glauque CBGB, il y a là les Talking Heads, les Ramones, Blondie, Suicide... Tout un univers se (re)construit dans les caves. Et c'est de ces tréfonds que va surgir le plus précieux et le plus délicat des groupes de pop.

 

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        Précieux ? Délicat ? A l'écoute de Hanging On The Telephone on n'est pas vraiment sûr de la pertinence de ces adjectifs. Non, non, attendez, écoutez mieux, là, écoutez les breaks, les accélérations, l'énergie destructrice, mais écoutez aussi la beauté des mille et une mélodies qui filent à toute vitesse, écoutez la sympathie immédiate qui se dégage de chaque nuance, écoutez... Deborah Harry... Debbie Harry... Qui nous dit, pour que tout soit bien clair dès le début : "les gens qui m'appellent Blondie ne me connaissent pas." Bien sûr, hein, les enfants, Blondie c'est le nom du groupe (à la base Blondie c'est une héroïne de comic strips niais, parfaite incarnation de la bonne américaine moyenne). Non, là, nous parlons de Deborah Harry, icône d'une époque, égérie d'un nombre indécent de fanatiques. Debbie Harry, qui s'est lancé dans une carrière de chanteuse pop à l'âge de 30 ans (elle en a 33 pour l'enregistrement de Parallel Lines). Debbie Harry, qui tournera quatre ans plus tard avec David Cronenberg et ira jouer la méchante sorcière qui dévore les ptits marmots dans Darkside pour récolter un prix à Avoriaz totalement usurpé. Mais tout ceci est une autre histoire. Là, nous venons juste de survivre aux 2 minutes 17 de Hanging On The Telephone, le monde est déjà meilleur, si si, je vous assure.

        One Way Or Another, Debbie Harry énonce des menaces dont on rêve. D'une manière ou d'une autre, elle nous aura, elle nous trouvera, et tout et tout. Sur un rythme fou et irrésistible, tout en montagnes russes, on se laisse trouver et emporter, mais pourquoi donc résister ? Alors que l'on a toujours demandé que cela. Mais j'en connais qui ne seront toujours pas conquis. Prêt à hésiter encore, trop de power dans la pop pour certains coincés. Oui, mais non, là mes petiots, vous êtes finis, dehors, terminés, vous allez jeter votre Revolver et votre Pet Sounds par la fenêtre dès... Picture This. Cela commence comme du Shangri-Las avec la production de cette fin de 70's. Une ballade pop dont vous remarquerez qu'elle est juste un poil trop rapide pour être un slow (les slows chez Blondie, je ne vous raconte pas, c'est In The Flesh, ce genre de choses...), non, non, là on est hors catalogue, hors du temps, hors des modes. Toujours pas convaincu par l'intro ? Peur que tout cela ait méchamment vieilli ? Chut... Chut !!! La voix... la voix arrive... silence, chut, shut up... sssshhhhh.... hush... La voix de Debbie Harry, belle à pleurer toutes les larmes de son corps et du corps des autres. D'une richesse infinie dans toutes les nuances. Douce, très douce, si douce, et aussi si puissante sur ce refrain monstrueux qui cloue au fauteuil. Dans les graaaaaves, dans les aiguuuues, elle virevolte, dominant tout. 2 minutes 53, cela suffit, tout est là.

 

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        Et sur Fade Away And Radiate, où mister Robert Fripp himself vient faire traîner sa guitare rêveuse, l'ambiance se fait magique, lointaine, comme au plus tard de la nuit, vous savez 3am, quand on effleure l'éternité. Attendait-on un tel morceau de la part d'un groupe de pop que l'on imaginait léger-léger-léger (pour ne pas dire "gentiment idiot"). La bonne blague. Blondie est bien sûr l'un des groupes les plus fins et intelligents de la période. Et même d'une très looongue période (50 ans au bas mot). Et maintenant il est trop tard pour reculer nous sommes en plein cœur du cyclone qu'est Parallel Lines. La preuve ? L'enchaînement avec l'une des, hum... 20 ou 30 meilleures chansons de tous les temps (j'abuse ? certes...). Pretty Baby. "Teenage starlet I fell in love with you" Vous n'avez jamais entendu quelque chose d'aussi léger, d'aussi gracieux, d'aussi amusant tout en restant totalement grandiose. Miracle en direct, porté à bout de voix par une Debbie Harry qui atteint là ses sommets lyriques. On meurt sur place, on ne sait plus quoi dire (on se tait), quoi faire (on ne bouge pas), quoi penser (on se laisse submerger). LA chanson pop parfaite. Ce qui me fait penser que la chanson pop parfaite, la définition de la chanson pop, ce n'est pas Pretty Baby, mais c'est aussi une chanson de Blondie, c'est Dreaming, ouverture de l'album suivant (aussi réussi ou presque) Eat To The Beat. Mais c'est une autre histoire. "Long live innocence !" Pretty Baby saved my life !

        Bon, après, on ne se rend plus bien compte. Cela va vite, mais pas trop vite, mais on n'essaie plus d'étudier ce qui se passe. On se dit que Blondie (Debbie Harry, Chris Stein, Jimmy Destri, Nigel Harrison, Frank Infante, Clem Burke et le producteur Mark Chapman (et Jack Lee pour deux tubes en or), une belle brochette de génies), Blondie a réussi l'album parfait. Avec un rouleau compresseur tel que I Know But I Don't Know, ou bien encore la boule d'énergie pure qu'est 11:59, hymne éternel de toutes les soirées idéales. Rarement le Wall Of Sound spectorien aura été ressuscité avec un tel brio. Jimmy Destri parvenant à faire sonner un orgue électrique comme l'instrument le plus punk de la planète. "It's 11:59 and I want to stay alive".

 

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        Will Anything Happen ? Ça, pour se passer des choses, il s'en passe, partout, dans tous les coins. A la vitesse d'un cheval au galop, sur des rythmes rocks fous qui partent dans tous les sens avant de s'écraser au cœur de mélodies trop belles pour être vraies. Et c'est loin d'être fini, la preuve avec le délicieux Sunday Girl que l'on pourra encore étudier au microscope avant de comprendre pourquoi cette efficacité nous donne le sourire aux lèvres en un réflexe forcément inévitable. La vie est belle, Parallel Lines hurle cette vérité absolue à chaque note. Et voilà Heart Of Glass, le big tube faussement disco, vraiment pop, avec la voix divine de Debbie Harry qui nous raconte des choses pas possibles. Cette même Debbie Harry qui, à 55 ans passés, demeure toujours plus dynamique, charismatique, talentueuse, merveilleuse que toutes les Madonna, Britney, Mariah, Shirley, Sharleen, Christina, Bjork, Alanis, Dolores, Mandy, Jennifer, etc... réunies. Juste le temps de reprendre sur les chapeaux de roues I'm Gonna Love You Too que nous sommes cordialement mais fermement invités à Just Go Away. "Don't go away sad, don't go away mad, just go away." Où comment finir aussi haut que l'on a commencé. Et oui, c'est déjà la fin, 12 morceaux, c'est nécessaire et suffisant. Et c'est évident, le monde a changé, plus libre, plus brillant, plus vivant.

        A part The Hunter, rongé par les conflits qui noyaient le groupe juste avant la séparation en 83, Blondie n'a jamais délivré de mauvais albums. Sur toutes leurs œuvres il y a toujours au moins une bonne moitié du disque qui touche à la perfection. Et bien peu de groupes peuvent se vanter d'un tel palmarès. C'est pour cela que toute belle discothèque heureuse ne peut pas exister sans le premier album, Blondie, sans Eat To The Beat, sans Auto-American (et Plastic Letters, et No Exit, tant que nous y sommes). Mais l'indispensable des indispensables, celui que je ne cesse de qualifier de plus grand disque pop du 20e siècle (ce qui est exagéré... quoique...), c'est Parallel Lines. L'archétype du disque parfait, rien à jeter, tout à admirer, à chérir, à passer en boucles quand la déprime guette. A écouter les soirs de paix en été, vous savez, quand le jour s'enfuit lentement, très lentement, et qu'une brise chaleureuse joue sur votre visage et avec les quelques petits nuages rôses qui rêvassent à l'horizon. Parallel Lines, à écouter seul, à deux, à plusieurs, seul à plusieurs, seul à deux, tout le temps, partout, quand cela va, quand cela ne va pas. Cet album rend meilleur. "Stars live in the evening but the very young need the sun...Your looks are larger than life... Petite ingenue I fell in love with you..."

Parallel Lines - 1978, Chrysalis Records

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