Le Seigneur des Anneaux

Les Deux Tours

 

 

        Entendons-nous bien dès le début, les Deux Tours est un spectacle fastueux que je trouve largement supérieur aux films de divertissement habituels. Maintenant nous pouvons nous jeter en paix au cœur de la bête. La première vision du film m'a paru assez interminable et m'a procuré de l'hilarité et une migraine. La deuxième vision m'a paru plus courte et m'a procuré plus d'émerveillement et une migraine. Le métrage est long, c'est le cas de le dire, trois grosses heures, et parfois rythmé à la truelle. On saluera le tact de Jackson qui a pris la peine de fractionner la bataille du gouffre de Helm, qui autrement aurait été un puissant casse-méninges, à côté duquel les films Dogmes auraient ressemblé à des épisodes du Renard.

 

        Mais trêve de plaisanteries, si on ne peut être qu'heureux de la présence de certaines scènes, notamment un saisissant détour dans Osgiliath assiégée en toute fin de métrage, d'autres semblent ajoutées par complaisance ou pour surligner sans cesse les enjeux de l'histoire. Nous avons donc par exemple droit à un lourd monologue de Saroumane, ainsi qu'à une apparition surprise de la toujours drôle Galadriel (quelles mignonnes ptites zoreilles !). Même si on peut penser que la présence de Cate Blanchett a peut-être à voir avec des clauses contractuelles, les apparitions de Elrond et d'Arwen, contrairement au premier film, brillent par une grande beauté visuelle triste. Ainsi que par la présence d'un désormais mythique "flash forward" d'une splendeur esthétique écrasante.

 

        Pour le reste les Deux Tours en film souffrent du même syndrome que les Deux Tours en livre : ce n'est pas très passionnant ce qui se passe en Rohan. Pour détendre un peu l'aspect très dramatique du film (on ne plaisante pas des masses pendant trois heures, croyez-moi), on peut résumer en disant qu'ils aiment beaucoup les chevaux. Cependant c'est à Gripoil que Jackson réserve une simili pub Royal Canin assez tordante. Par ailleurs, une grande partie des scènes à Edoras et avec Theoden ressemble à s'y méprendre au 13e Guerrier, que Jackson n'a pourtant pas vu (ah ? ah...). Le 13e Guerrier, auquel on pense forcément souvent et la comparaison se fait généralement en faveur du chef-d'oeuvre de McTiernan. A revoir impérativement après la séance des Deux Tours, donc.

 

        Pour ce qui est de la création, ou du moins de l'adaptation des personnages, il y a peu de demie-mesure. On y croit ou on n'y croit pas. Commençons par ce qui fait rudement plaisir. Le véritable héros du roman est aussi le véritable héros du film. Je veux bien sûr de parler de maître Sam. Sean Astin nous offre une interprétation sobre, sensible, sympathique et humaine. Il est le Sam que l'on a toujours imaginé et vole, comme dans le livre, la vedette au très fade Frodon. Elijah Wood ne fait pas grand chose, mais n'est pas souvent dans le ton. Heureusement Frodon est de plus en plus absent à lui-même. Pour le meilleur, essentiellement lors d'un plan sublime face à un Nazgul. De toute façon, il n'y a que Sam et Gollum.

        Gollum justement, l'autre performance folle du film est celle d'Andy Serkis dans la peau virtuelle de Smeagol. Tout à la fois drôle, inquiétant, repoussant, touchant, effrayant, fascinant, Gollum est à la hauteur des énormes attentes. L'autre "héros" du Seigneur des Anneaux est crédible, bien plus que la plupart des acteurs bien réels. Rien que pour lui, le film est à voir absolument.

        Autre personnage essentiel, la divine Eowyn est l'excellente révélation de cet épisode. Interprétée avec sobriété par la toute belle Miranda Otto, elle fait oublier Arwen en à peine quelques plans. Avec une actrice au charisme pareil, la bataille du Retour du Roi risque d'être bouleversante. LE personnage féminin du roman est une réussite touchante à l'écran, pour l'instant, c'est un sans faute pour monsieur Jackson.

 

        Autres personnages attendus au tournant, les Ents. Pas de suspens, là encore c'est brillant. Sylvebarbe est un mélange de bonhomie rassurante et de menace froide. Le fait que les Ents ressemblent autant à des arbres qu'à des marionnettes, flagrant hommage à Jim Henson, ne fait que renforcer l'affection immédiate qu'on leur porte. Indissociable des Ents dans les Deux Tours, Merry et Pippin préparent doucement leurs contributions essentielles au Retour du Roi.

        Theoden, dont le temps de présence à l'écran en fait presque le héros du film, possède une belle prestance et s'offre les scènes les plus épiques et arthuriennes. Bravo. D'autres seconds couteaux, qui ont ou qui vont avoir leur importance, comme Eomer et Faramir, sont tout à fait crédibles. Quant à Brad Dourif en Grima, il n'a jamais eu l'air aussi traître et vicieux, ce qui est une réelle performance au vu du lourd passif de ce grand acteur méconnu.

 

        Mais qu'en est-il des autres survivants de la Communauté ? Et bien là, ça commence à déconner. Gandalf, quasi absent de cette partie de l'histoire, est aussi absent du film. Sa transformation en Gandalf le Blanc donne lieu à un suspens inutile et peu efficace. De surcroît, comme Saroumane, Gandalf souffre du syndrome "plus blanc que blanc", ce qui fait vraiment trop "tache" au cœur d'un film par ailleurs très boueux, sale et méchant. Je sais, c'est fait exprès, mais on peut trouver cela choquant de toute façon.

        Legolas ne cesse de faire des trucs de jeux vidéos. Parfois pour le meilleur, comme lors de l'attaque des loups d'Isengard. Et parfois pour le pire, lors d'une ridicule descente d'escalier en pseudo skateboard. Heureusement Jackson lui réserve quelques beaux échanges avec Aragorn.

        Gimli, ahlala, Gimli. Là, ça ne va plus. Gimli est devenu le quasi unique ressort comique du métrage. Alors si certains gags sont hilarants, cela devient rapidement embarrassant. Gimli est le bouffon de service, ce qui est un choix discutable. Notons qu'on rigole franchement moins avec les Elfes. Injustice ?

        Par contre, le choix peut-être le plus discutable des Deux Tours est d'avoir fait d'Aragorn le héros quasi totalitaire de l'histoire (au moins pour ce qui ne concerne par Frodon et Sam). Viggo Mortensen se donne à fond, c'est certain. il sait que tout sa carrière se joue en même temps que les batailles de l'anneau. Mais on y croit difficilement. Le personnage persiste à manquer d'ambiguïté et d'humanité. Aragorn devient l'effet spécial le moins crédible du film.

 

        En parlant d'effets spéciaux, ceux-ci sont parfois assez problématiques. Encore une fois le métrage vu en salles est quasi uniformément baigné d'un gris métallique lassant. Bon, passe encore, cela donne le ton de l'histoire. Mais la transition entre scènes retouchées et scènes naturelles est parfois assez refroidissante. Voir pour cela la plupart des séquences de jour à Helm's Deep. Il y a dans l'ensemble une véritable inégalité des SPFX, ce qui provoque par instant une brutale sortie du film. Quant aux spectres des Marais des Morts, cette fois qu'on ne me ramène pas les hommages au cinéma muet comme pour Galadriel (l'effet était ridicule de toute façon), ils ressemblent vraiment au premier fantôme de Ghostbusters. La scène est belle, par ailleurs.

 

        Pour rester dans l'inégalité, parlons aussi de la musique, qui navigue entre un rapidement exaspérant thème pompier pour séquences épiques et de très jolies partitions pour Gollum, l'anneau ou les elfes. Quant à la chanson finale, après Enya, c'est l'assez renommée fausse Bjork, Emiliana Torrini qui s'y colle. Si le morceau est plus sombre et intéressant que la bluette d'Enya, il faudra dire à Emiliana de cesser d'essayer d'imiter à tout prix sa compatriote islandaise. Ce serait mentir que d'affirmer que cette Gollum's Song n'est pas touchante, bien au contraire. Elle offre un début de générique de fin parmi les plus sobres et émouvants de ces dernières années. Et avouons-le sans rougir, cette chanson m'a plus emballé que tout le Vespertine de qui vous savez. On est aussi prêt à parier que certains trouveront très "branché" de faire une telle chanson pour un blockbuster. Hum... Certes... Tant qu'on ne se tape ni Moby, ni Sigur Ros pour le Retour du Roi, ça va...

 

        Et Peter Jackson dans tout cela ?? Sa mise en scène demeure dynamique et prenante, même si elle reste toujours moins brillante que dans Fantomes Contre Fantomes. Il est même parfois étrangement complaisant lorsqu'il ne cesse d'enchaîner les ralentis et les mouvements d'appareils circulaires par hélicoptère. Une fois, ça va, deux fois aussi, on peut même être encore plus indulgent. Mais au bout de dix fois, ouhlala. Ca finit par se voir. Et là, même si on sait que ces mouvement remplacent les descriptions interminables de Tolkien, et bien on sort du film. La musique n'aidant pas beaucoup en général.

 

        Bon, ouf, il y aurait encore beaucoup de choses à dire, notamment sur une très belle scène sans SPFX où Theoden se recueille sur la tombe de son fils. Mais aussi sur les grossiers inserts de visages de femmes et d'enfants apeurés, tout droit sortis de Xena. On pourrait aussi parler des tendances kitsch du film, qui ne dépareilleraient pas dans un John Boorman. Mais il faudrait aussi évoquer la dernière demie-heure, qui navigue entre le spectaculaire magique et le ridicule pas possible. Et oui, je pense bien sûr à ce gag incroyable à base de flamme olympique. C'est jouissif, mais stupide. Et on passe soudain d'une bataille épique à Sacré Graal. Enfin, c'est tellement drôle, qu'on peut pardonner. Notez quand même bien, que l'on se demande si le trébuchement final était intentionnel ou non, tant on voit nettement le cascadeur se prendre les pieds dans le décor. Il faudrait aussi s'attarder sur le talent infini de Jackson pour "ouvrir" ses scènes de batailles. Entre l'arrivée des loups d'Isengard, la lente avancée des Uruk-Hais vers Helm's Deep et surtout la marche déterminée des Ents au son de choeurs elfmaniens, quand Jackson veut, bon sang, il peut !

 

        En tout cas, bravo monsieur Jackson, votre film est bien la créature monstrueuse que vous nous aviez promise. L'année prochaine sera sans nul doute celle de votre triomphe.

 

 

Edward D. Wood Jr. (Eowyn = 1 / Aragorn = 0)