Empire du Soleil

 

 

Blade

The Rocky Horror Picture Show

Pitch Black


 

EMPIRE DU SOLEIL (Empire of the Sun)

de Steven Spielberg

 

        Le "héros" est un enfant égoïste qui après avoir été humilié et blessé de toutes les façons possibles devient un arriviste cynique avant de perdre la raison. Les adultes ne vivent que pour leur propre intérêt, les Anglais sont dignes mais passifs, les Américains sont vils et avides, les Japonais sont courageux et émouvants, les Chinois souffrent. C'est un film de guerre terrible, l'un des plus intenses et magnifiques de l'histoire du cinéma. Antithèse de la niaiserie et du manichéisme, d'une violence visuelle et surtout psychologique proche de l'insoutenable. Ce film c'est Empire du Soleil, et c'est, sans la moindre hésitation (ou presque...), le chef-d'œuvre de Steven Spielberg.

        Tous les reproches que l'on fait habituellement au cinéma de Spielberg : sentimentalisme excessif, guimauve, prises de liberté avec l'Histoire, gratuitement spectaculaire, naïf, musique envahissante de John Williams, divertissement avant tout. Tous ces reproches sont entièrement balayés, pour la seule et unique fois (peut-être aussi dans les Dents de la Mer), par Empire du Soleil. Sentimentalisme ? Quasi absent ! Tous les personnages sont humains, réalistes, emplis de défauts et de contradictions, de peurs et de violences. Jim, le jeune héros, est livré à lui-même, et il doit s'adapter à la sauvagerie environnante. Il n'y a que trahisons, barbaries, loi de la jungle, c'est la guerre, pour de vrai. Donc, pas de guimauve ! La meilleure illustration ? Les retrouvailles avec les parents, froides et insoutenables, où toute l'horreur de la guerre se trouve incarnée dans le regard vide de l'hallucinant Christian Bale.

        Prises de liberté avec la réalité historique ? Oui et non. Spielberg adapte un roman du grand J.G. Ballard (à qui l'on doit aussi Crash), et le film reste toujours d'une rigueur passionnante et très éloignée de tous les clichés. Gratuitement spectaculaire ? Beaucoup moins que dans les autres Spielberg. On est très loin du Soldat Ryan. Même si le film reste visuellement extrêmement impressionnant, à la force de l'image poétique, terrible, tétanisante, cela n'est jamais gratuit. Et bien souvent les plans virtuoses de Spielberg sont autant de non-dits infiniment littéraires. Pour résultat, le film devient très exigeant, d'une grande richesse. Musique envahissante ? C'est sans doute le film de Spielberg (avec Jaws et Always) où la musique se fait la plus discrète. Même la Liste de Schindler et le Soldat Ryan poussaient plus sur les violons. John Williams compose bien sûr quelques thèmes splendides, mais ils sont utilisés avec une grande parcimonie (le thème principal ("Cadillac of the Sky", qui me fait sortir mon mouchoir dès les premières notes) ne s'entend en son entier qu'une seule fois durant les 2h35 de métrage !). Et la musique est très souvent absente. Divertissement avant tout ? Loin de là ! On ne s'ennuie pas une seule seconde mais c'est grâce à l'intensité et au foisonnement de l'histoire. L'Empire du Soleil flirte avec le niveau de Deer Hunter et de la Ligne Rouge. C'est du Spielberg, indéniablement, mais du Spielberg vraiment adulte. Son œuvre la plus personnelle, la plus sincère, la plus profondément bouleversante, car toute en retenue, en silences et en réalisme.

 

        C'est aussi son film le plus sombre, le plus cruel, bien plus que Ryan et Schindler, au même niveau que Jaws. C'est bien sûr son œuvre la plus sous-estimée. Echec public et critique lors de sa sortie en 1987, personne n'attendait d'Empire du Soleil, fresque ayant coûté une petite fortune, qu'il soit une œuvre intimiste, désespérée et sans concession. Dans 50 ans, je prends les paris, ce sera de ce film dont on se souviendra comme étant le grand chef-d'œuvre d'émotion et de force de Steven Spielberg. Mentions aussi aux acteurs, fabuleux et inconnus dans leur grande majorité (surtout à l'époque) outre l'incroyable Christian Bale, il y a bien sûr un John Malkovich dans l'un de ses premiers grands rôles, déjà génial et une Miranda Richardson formidable de présence et d'émotion en quelques plans et en une poignée de répliques.

        Et puis il y a bien sûr bon nombre des plus sublimes scènes du cinéma de Spielberg (et du cinéma tout court). Toutes les scènes ayant rapport aux avions, bien sûr. La grande obsession de Spielberg pour le vol trouve ici sa plus belle incarnation. On ne pourra jamais oublier l'arrivée de Jim sur l'aérodrome sur fond d'étincelles (l'une des rares scènes directement lyriques du film), l'envol des kamikazes et bien sûr le raid aérien américain, quintessence de l'art cinématographique. La plus belle scène du film ? Peut-être l'arrivée des survivants en exode dans l'arène où sont entassés les trésors de guerre japonais. Une séquence onirique, simple et qui marque l'esprit avec un impact surprenant. Comme si tout le dérisoire du monde se trouvait résumé en ces quelques images impensables. L'ensemble du film est incroyablement bouleversant, mais contrairement à la majorité des Spielberg (et des films hollywoodiens en général), ici on ne vous dit jamais : "sortez vos mouchoirs", l'émotion agit progressivement, tout en finesse.

        Il y a un crescendo admirablement construit. Qui culmine sur trois scènes-clefs, les plus émouvantes de toute l'œuvre du Wonder Boy. La mort de Miranda Richardson, la mort du pilote japonais et les retrouvailles avec les parents. Difficile de décrire comme il le faut ces instants. Juste pour dire que la mort du jeune kamikaze est ce que Spielberg a tourné de plus intense, de plus intelligent et de plus bouleversant. Et oui, ce n'est pas rien. "Je peux ramener tout le monde à la vie". C'est aussi fort que la partie de roulette russe finale de The Deer Hunter. Et la fin d'Empire du Soleil atteint les sommets traumatisants du God Bless America de Cimino.

 

Je suis à peu près sûr que dans votre grande majorité, lecteurs et lectrices, vous avez déjà vu Empire du Soleil. Mais l'avez vraiment regardé ? On me taxe parfois de "mauvaise foi" ou "d'esprit de contradiction" quand j'affirme (et ce depuis la sortie du film) que Empire du Soleil est et reste le chef-d'œuvre de Steven Spielberg. Et pourtant c'est en toute sincérité. J'ai vu ce film de nombreuses fois, comme j'ai vu à peu près tous les Spielberg à maintes reprises (je suis très fan, eh oui), et à chaque vision j'aime davantage Empire du Soleil. Pour moi c'est un signe qui ne trompe pas. Quand un film émeut de plus en plus, année après année, que l'on découvre toujours de nouvelles choses, que l'on est toujours aussi impressionné, qu'il devient un "vieil ami" qui vieillit avec nous. Oui, alors, ce film est essentiel. Subjectivement, c'est mon Spielberg favori. Objectivement, il me semble être son œuvre la plus aboutie, la plus parfaite, la plus sincère et la plus touchante. Je me trompe ? C'est fort possible. Et je dois à peu près autant aimer Duel et Jaws, mais... Mais il y a dans Empire du Soleil ce petit quelque chose "d'âme" en plus, qui résonne dans mon cœur et dans mon esprit. Bien peu de films possèdent cette étincelle. Empire du Soleil est inestimable.

 


 

BLADE

de Stephen Norrington

 

        Plusieurs mises au point avant de commencer. Non, "les bons petits films d'Edwood" ne vont pas se spécialiser dans la série B, mais d'une certaine façon, c'est bien ce genre là qui peut incarner au mieux ces fameux "bons petits films". Non, Blade n'a rien à voir avec The Blade de Tsui Hark qui, lui, est l'un des plus grands films de l'histoire du cinéma. Non, Blade n'est pas aussi bien que Pitch Black (on met les choses au point tout de suite). Mais, oui, c'est un excellent film quand même, oh que oui ! Et d'ailleurs nous allons en parler dès la prochaine ligne sautée !

        Le film de Stephen Norrington jouit déjà d'un estimable statut culte. Pour de multiples et très bonnes raisons. La première que je vais citer, ah ! c'est mon mauvais esprit que me la dicte directement. La première raison est que c'est sans doute le film qui a été le plus photocopié (pillé, oui) par Matrix. Tout ce qui a impressionné le gogo dans Matrix est déjà dans Blade. Au plan près ! C'en est incroyable par moments (les gun-fights sur de la musique techno, les balles au ralenti, les sauts au ralenti, les arrêts sur image, les accélérations, la scène dans le métro, etc... la liste paraît interminable). Jusqu'au look du héros. Mais indéniablement, Blade a mille fois plus de prestance et de charisme que le pauvre Néo tout fadasse de Matrix (sans doute l'une des plus grandes faiblesses du film des Wachowski, un acteur principal transparent et un héros inexistant). Si Wesley Snipes n'est pas Al Pacino, il en impose par sa seule présence physique, tel un Schwarzy dans Terminator ou un Rutger Hauer dans Hitcher. Pas besoin de dialogues, il est là, il existe, on y croit immédiatement.

 

 

        Bon, j'étais reparti à casser du sucre sur Matrix, mais il faut avouer qu'il y a matière. Parce que Blade est une réussite en tous les points où Matrix se plante. Influencé par le cinéma asiatique tout en restant franchement européen. Toujours léger, jamais prétentieux, totalement BD. Vraiment impressionnant, plein de bonnes idées et d'excès. Et même s'il y a des petites choses très Z et que le scénar déconne à bloc (oh, c'est pas un si grand mal), le positif l'emporte largement sur le négatif. Parce que c'est un bonheur de trouver un "super-héros" de cinéma de cette trempe. Après le plantage hallucinant et cruel de Spawn le Film, Blade nous redonne goût au genre. Et de surcroît c'est un film de vampires, et je suis fan des films de vampires.

        Et pour faire un très mauvais jeu de mots, il n'y a souvent rien de pire qu'un film de vampires. Les réussites se comptent sur les doigts de la main. Mais quand c'est réussi, c'est génial. Il y a les grands classiques, Nosferatu, le Dracula de Browning, Vampyr, Le Cauchemar de Dracula, Dracula Prince des Ténèbres... Et il y a les vampires "modernes", mis à la page, et là c'est du n'importe quoi en barre. Alors pour un Vampires de Carpenter, combien de débilités sans nom (oui, les Prédateurs, c'est pas glop) ? Et le chef-d'œuvre absolu de cette modernisation reste le Aux Frontières de l'Aube (Near Dark) de Kathryn Bigelow, synthèse folle de tout ce que l'on peut faire de bien avec les vampires (violence, romantisme, métaphores, etc...). Face à cette merveille difficilement égalable, Blade tient plutôt bien la route, en ne cherchant pas à "faire somme" ou à totalement renouveler le genre.

 

        Bon, attendez, on va parler des plus gros défauts, là, il faut bien y passer. Le film souffre de baisses de régime regrettables. Mais finalement on n'est pas mécontent de ne pas être soumis à un Grand 8 de 2h. La motivation essentielle du méchant principal (réveiller un "Dieu du Sang") ne donne rien, nous fait perdre du temps sur la fin du métrage et est à peine rattrapée par un combat final presque parfait. Et les invraisemblances sont légion, dont certaines assez hallucinantes mais dignes de l'esprit Comics du film. On regrette aussi, et je crois que c'est bien là ce qui frustre le plus, le fait que certaines idées vraiment intéressantes ne soient pas poussées plus loin. D'ailleurs tout le monde s'accorde à dire qu'un film d'action entièrement aussi classieux et intense que les 10 premières minutes de Blade pourrait révolutionner le cinéma. Je suis bien d'accord, surtout que dans ces 10 premières minutes, il y a bien 7 minutes de Traci Lords, c'est dire si on touche au chef-d'œuvre ! Quoi d'autre dans les défauts ? Des personnages caricaturaux ? Non, ça passe, malgré Stephen Dorff qui en fait des tonnes et Kris Kristofferson inénarrable en comparse bourru, ça va. Des situations débiles ? Pas tant que ça, et comme le film ne se prend jamais au sérieux, on accepte même les trucs les plus grotesques. Allez, on passe aux points positifs.

        Wesley Snipes, comme je l'ai dit, est parfait en Blade. On lui demande juste d'être là, de faire du kung-fu au cœur d'une mise en scène de bourrin, de tenir un sabre ou un flingue, de laisser traîner son manteau dans le vent des ruelles obscures. Impeccable. Du gore ! Beaucoup de gore ! Du gore virtuel, du gore qui gicle pour de vrai, du gore rigolo (des explosions grandioses), etc... C'est saignant mais toujours amusant, impeccable aussi. De l'action ! Beaucoup d'action, plein de scènes d'action très très impressionnantes (en gros, la scène de l'hélico dans Matrix, mais répétée plusieurs fois dans le film). Du vampirisme ! J'en ai déjà parlé, y en a, et souvent parfaitement traité. Bon point pour l'histoire de Blade (le perso), certes ce n'est ni Batman, ni Incassable, mais on y croit quand même. De la bonne musique ? Y en a aussi ! Et contrairement à Matrix, les apports techno sont utilisés avec parcimonie et toujours au bon moment (ça me fait penser à cette scène ou Blade remet ses lunettes de soleil au moment où le riff arrive, ça ne vous rappelle rien ?). Traci Lords ? Y en a ! Oh ! Pas suffisamment, certes, mais on ne peut que se réjouir de la moindre de ses apparitions dans un film correct.

 

        Et donc ? Et donc c'est du tout bon, du vrai bon divertissement. Pas un chef-d'œuvre, pas un très grand film, mais un sacré bon film tout simplement. Qui arrive à impressionner, à enthousiasmer, à amuser, à intéresser, à faire dire : "whoua ! ça c'était de la séquence !" ou "whoua ! c'était rudement bien !". Devant Blade on se sent comme un gamin qui va au cinéma pour la première fois, et forcément on adore ça. Alors comme je disais, dans le genre séries B géniales de ces derniers temps, faut déjà se jeter sur Pitch Black qui est un niveau au-dessus. Mais Blade c'est vraiment le côté BD totale, on est là pour se détendre, ne plus penser à rien, en prendre plein la vue mais sans avoir l'impression de se faire flouer, sans qu'on essaie de nous prendre pour des gogos par derrière (non je ne vais pas en remettre une couche sur Matrix, non, non, quoique...). Et puis surtout, il y a un Blade 2 qui arrive, et on peut légitiment miser de gros espoirs sur lui. Enfin... peut-être... espérons...

 

Blade s'assume parfaitement en tant que grosse série B qui en veut, et se donne à peu près à tous les niveaux les moyens de son ambition. Mise en scène grandiose, tout Matrix est là avant Matrix et mieux que Matrix, scénario amusant, héros charismatique, Traci Lords, du gore, des vampires corrects et surtout et avant tout de l'action, du spectacle, du plaisir de spectateur. Un parfait film de détente.

 


 

THE ROCKY HORROR PICTURE SHOW

de Jim Sharman

 

            Oh on pourra discuter longtemps des lignes que je m'apprête à rédiger. Mais voilà, je viens juste de "sortir" d'une vision du Rocky Horror. Et il y a un effet Rocky Horror (qui dure en moyenne entre 2 jours et un mois, mais j'en connais chez qui ça dure depuis 20 ans), qui recommence à chaque vision (et c'est pourquoi on peut très bien comprendre pourquoi certains le voient toutes les semaines). Car c'est bien évidemment le meilleur film du monde.

            L'humanité est scindée en deux. Les fans du Rocky Horror Picture Show et les autres. Les gens heureux et les gens tristes, quoi, en gros, pour faire simple. Et c'est aussi simple que difficile d'expliquer pourquoi ce film là, celui-là, que rien en fait ne dispose à avoir un tel "pouvoir" sur ses spectateurs, possède pourtant l'un des plus hallucinants impacts qui soient. La première vision marque à vie. On connaît le culte de la chose, on se dit que cela va être déjanté, très "libre", avec des grosses chansons et plein de références au cinéma que l'on aime. Et puis cela débute, assez calmement, on est pris d'un fou rire affolant sur le "Dammit Janet !", on se réjouit de l'ambiance, des clins d'œil omniprésents qui flattent le cinéphage. On hallucine de plus en plus. Quand arrive le "Light Over At The Frankenstein Place", on se dit que ce film n'a pas de limites, que c'est génial, on aime, on adore. Et on n'a rien vu, rien de rien.

 

            Bon, euh... je considère que vous qui me lisez avez tous vu le film, sinon ça va pas aller. De toute façon tout le monde doit posséder le Rocky Horror. Enfin, donc, j'en étais au moment où Brad et Janet sonnent à la porte du manoir. Là, hop, vous savez, quand Richard O'Brien apparaît, le handyman, vous savez, là, il attendait le candyman. Et bien là, à cet instant, on adore le film, pour ce qu'il est, une parodie musicale dingue des séries B qui font notre vie. Mais on ne s'attend finalement pas à ce qui va se passer dans les minutes qui suivent. Quand débute le Time Warp, c'est le monde entier qui perd les pédales. On sent qu'il n'y a plus de limites, mais pas seulement dans le film, partout, dans l'univers. Et cette impression inoubliable ne diminue pas un seul instant pendant l'heure qui suit, au contraire, elle augmente jusqu'à l'apothéose de Rose Tints My World et Absolute Pleasure. C'est cela qui fait du Rocky Horror ce fantastique spectacle vraiment "vivant", qui réjouit toujours autant à chaque vision, qui chasse la déprime, quelles que soient les circonstances.

            C'est une alchimie complexe, qu'on pourrait définir simplement par : une bande de rigolos tourne une comédie musicale trash n'importe comment. Mais la vraie clef de l'histoire, c'est que ces rigolos ont du génie. Acteurs, compositeur, metteur en scène, tout le monde déconne et fait n'importe quoi, mais tout est parfait, c'est un tour de force permanent. Celui qui n'a pas vu le Rocky Horror ne peut pas croire qu'on puisse aligner les chansons irrésistibles, tubesques, garanties piratages de cerveau, sans temps mort, tout au long d'un film. Celui qui n'a pas vu le Rocky Horror ne peut pas comprendre qu'un film puisse donner une telle impression de liberté, de vie, d'humour infinis. Celui qui n'a pas vu le Rocky Horror ne peut pas imaginer que cela ne ressemble à rien de connu en ce monde et que c'est une œuvre unique, qui n'arrive pas à vieillir, car elle assume en tout point ses outrances vraiment outrancières, son absence de limites, sa folie.

 

            Peut-on faire plus excessif que le Rocky Horror tout en restant abordable, sympathique, accrocheur, réjouissant...?? Sans doute pas. Le film atteint le point limite du "sans limite". Car il réussit à n'avoir aucun tabou sans jamais être vulgaire ou donner l'impression de faire de la provoc pour la provoc, bien au contraire, tout semble naturel, bon enfant. Si on s'arrête sur les situations montrées (ou sous-entendues), sans doute trouverait-on un catalogue du "comment choquer le bourgeois". Mais quand on voit le film, on ne s'en rend absolument pas compte. Alors soit c'est moi qui suis vraiment totalement sans tabous (ce qui est sans doute le cas), soit ce film est un miracle (ce qui est sans doute le cas aussi de toute façon).

            Non, franchement, vous en connaissez beaucoup des films dont TOUTES les répliques sont cultes, vous en connaissez beaucoup des films imprévisibles dont chaque plan comporte au moins un gag visuel, vous en connaissez beaucoup des films où Susan Sarandon se ballade en sous-vêtements pendant les 3/4 du métrage en chantant à l'occasion "je veux être une salope, remplis-moi, créature de la nuit" (son meilleur rôle, sans aucun doute), vous en connaissez beaucoup des films où presque tout le casting finit en bas résilles et en guêpières en se roulant des pelles dans une piscine éclairée par le logo R.K.O., vous en connaissez beaucoup des films où un criminologue expert vous explique, schéma à l'appui, que c'est juste un saut vers la gauche, vous en connaissez beaucoup des films avec des répliques aussi cultes que "qu'avez-vous fait à Brad ??" "Rien ? Vous croyez que j'aurais dû ?" (bon je cite en français, ce qui est un blasphème, ne vous inquiétez pas, il n'y a JAMAIS eu de version française du Rocky Horror, Dieu merci), vous en connaissez beaucoup des films où Meat Loaf se fait massacrer à coups de pioche, vous en connaissez beaucoup des films avec des Little Nell en pyjama rayé et des oreilles de Mickey, avec des Richard O'Brien surgissant au détour d'un zoom pour nous annoncer "Frank'n'Furter, it's all over", avec des Tim Curry en sex-symbol interplanétaire, avec des Patricia Quinn sonnant l'heure du dîner, avec des enchaînements imprévisibles à se damner, avec des "Janet ! Brad ! Janet ! Dr Scott ! Rocky ! Janet ! Brad ! Janet ! Dr Scott ! Rocky ! Janet ! Brad ! Janet ! Dr Scott ! Rocky !", avec des références à tomber raide par terre de bonheur (Dana Andrews said prunes gave him the rules (ce genre de choses)), avec du plaisir absolu, partout, partout, partout ?

 

        Alors, oui, quel intérêt de parler du Rocky Horror Picture Show qui nous arrive en édition DVD de luxe ?? Avec un second DVD bourré de suppléments frappés (seulement deux chansons en karaoké, certes, mais on s'en fout, on peut faire TOUT le film en karaoké !). Non, maintenant, TOUTES vos soirées seront réussies. Que ce soit des soirées à 20, à 6, à 2 ou tout seul, le plaisir sera toujours absolu. Certes, au sens où l'on entend les "chefs-d'œuvre" et patati et patata, le Rocky Horror en est loin. Et même je trouve assez insultant qu'on puisse le classer dans l'histoire du cinéma, lui donner une étiquette, le comparer à d'autres œuvres, etc... Ce film est là, tout simplement là, on s'en fout de l'étudier, de discourir sur ses qualités, sur ses défauts, sur son culte, il suffit d'entendre l'intro de Science Fiction Double Feature pour que tout revienne à la mémoire. C'est un antidépresseur, c'est un vieux copain. Les mondes peuvent bien s'entrechoquer, on s'en fout, mais alors, on s'en fout ! Le Rocky Horror est là, le film le plus léger, le plus drôle, le plus vivant qui soit.

 

On aura toujours besoin des Grandes Œuvres du Cinéma (de La Nuit du Chasseur à Phantom Of The Paradise en passant par Ed Wood, The Lovers ou 2001), mais il y aura aussi toujours à part, sous la main, pas bien loin du coeur, le Rocky Horror Picture Show. On n'aura jamais besoin d'en parler, on n'aura jamais besoin de le défendre dans un débat passionné, ni de partir dans des délires lyriques à son sujet, ce film ne demande qu'à être glissé dans le lecteur et à couler de source du début à la fin, et à rendre, eh oui, à chaque fois, notre monde meilleur. Qu'est-ce que je viens de faire en ces quelques lignes ? Je viens de faire ce qu'il est inutile de faire. Il était inconcevable d'imaginer que je n'étais pas fan du Rocky, j'ai pris le soin de le confirmer, mais c'est du pléonasme à chaque phrase. Il suffisait que j'écrive : j'ai vu le Rocky Horror Picture Show, depuis ce jour, rose tints my world...

 


 

PITCH BLACK

de David Twohy

 

        Allez, j'ai les noms, c'est pas difficile, vous avez tous et toutes ratés Pitch Black lors de sa sortie en salles pendant l'été 2000. A part une poignée d'entre vous, vous n'avez rien vu passer. Ca pourrait être logique, pour un film d'une célérité aussi ahurissante, que tout le monde soit resté sur le quai du TGV, mais c'est aussi franchement impardonnable. Car, qu'y avait-t-il d'autre en salles pendant l'été 2000 ? Rien ! Absolument rien ! Et vous allez me dire : oui mais on n'était pas au courant, oui mais Pitch Black c'est pas notre tasse de thé. Attendez, aaaaattendez.... On reprend depuis le début.

 

        Pitch Black c'est quoi donc ? Une série B. Une série B de SF. Une série B de SF tendance survival horrifique. LE genre sacré. Tous les Alien, les Predator, les Terminator, The Thing et, en poussant un peu les limites strictes du genre, impossible de ne pas citer le chef-d'œuvre absolu qu'est Hitcher (tiens, je vais en parler aussi de celui-là à l'occasion). Et toutes les imitations plus (Un Cri Dans l'Océan) ou moins (n'importe quel titre au hasard, les trucs avec les grosses bêbêtes façon Anaconda, la Mutante ou Relic) réussies. Alors vous allez me dire que le Pitch Black, là, il arrive après la bataille, un ptit peu quand même. Faut qu'il soit sévèrement bien pour assurer face aux glorieux ancêtres (rien que les deux premiers Alien et le premier Predator, on tient là trois des meilleurs films de tous les temps (n'ayons pas peur des mots, c'est ainsi et pas autrement). Et c'est là que vous allez vous en vouloir de ne toujours pas avoir vu la bestiole de Twohy (et que vous allez vous ruer sur ce DVD vital), c'est que c'est aussi bien que cela !

 

        Certes ce n'est pas une révolution. Twohy emprunte le meilleur de tous les classiques précédemment cités. Il y a les bestioles en nombre façon AlienS, la claustrophobie façon Alien, et puis, ah, le bon plan, je vous le dis, la fausse piste façon Predator. Car comme dans Predator avec la mission commando des mercenaires qui occupe le début du film, Pitch Black veut nous entraîner sur une voie dérivée. Mais là je suis à deux doigts de vous raconter le film, et finalement j'en ai déjà trop dit. Juste que si c'est bien un "survival" au schéma très classique (des gens en danger, faut se tirer de là vite vite, on y passe un par un, qui va survivre à la fin ??), le traitement touche parfois... eh oui ! au génie ! Car Pitch Black se paye le luxe de nous montrer des trucs qu'on avait jamais vu ! Et de noyer les clichés dans une mise en scène splendide, très très peu clippée, et en fait très moderne tout en restant très agréable, très dynamique sans être fatigante ou incompréhensible. Et je parle de clichés, mais l'un des très grands points forts du film est de justement dératiser les clichés. Les protagonistes sont bien moins stéréotypés que ce qu'on pourrait penser de prime abord. Et contrairement au très lourdaud Cube, ici la modestie du propos et la finesse (oui ! la finesse) des caractères sont un plaisir de tous les instants.

 

        Ne voulant pas déflorer un millimètre de l'histoire, je préfère revenir sur les qualités esthétiques du film. Pitch Black fait partie de ces productions qui semblent avoir coûté 10 fois plus que le budget réel. Alors dans le désordre on notera : un splendide travail sur la photographie, digne de tous les éloges, l'une des plus belles photos de l'année dernière, faisant facilement la nique à Sleepy Hollow ou à Incassable (si si ! c'est aussi bien que cela ! (bis)). Une mise en scène, comme je l'ai dit, très dynamique et moderne sans être MTVesque. Un montage très efficace mais toujours facilement compréhensible (très bon point, ça !). Une musique de monsieur Graeme Revell très inspirée, en symbiose avec le film, digne de sa partition pour The Crow, ce qui suppose percussions grandioses et envoûtantes, doublées d'envolées orchestrales très maîtrisées. Des acteurs parfaits, et Dieu sait que c'est rare dans une série B. Vin Diesel s'impose avec une facilité déconcertante, je lui prédis une belle carrière dans la série B, pourvu qu'il choisisse les bons rôles, please. Radha Mitchell, surprenante, se prend pour Sigourney Weaver et elle a bien raison, elle réussit au final à s'imposer comme une héroïne à part entière avec une vraie personnalité. Des effets spéciaux digitaux comme je les aime, discrets, efficaces, pas besoin de faire des ralentis pour en imposer. Le montage, la photo, l'intensité de l'action, et un peu de SPFX, et hop ! Tout est là. A noter un univers from outer space qui se rit de son budget cheap et qui réussit à se trouver, lui aussi, une personnalité propre (au début on se dit que les déserts et les cabines de vaisseaux, on connaît par cœur, et puis on se laisse prendre au piège).

 

        Et pour une fois la critique au dos de la jaquette ne se plante pas et dit exactement ce qu'il faut dire. "Un vrai climat et une belle enfilade de chocs visuels". J'insiste sur le "vrai climat", parce que c'est ça qui permet de lier toutes les qualités que j'ai cité et en faire un grand petit film. Vous pouvez vous la jouer cyniques blasés à mort, vous n'avez aucun goût cinématographique si vous ne passez pas une dernière demi-heure infernale devant ce film (oui j'aime les sentences définitives dans ce style). Parce que c'est si délicieux de se noyer dans un film de genre "à l'ancienne", de se laisser happer par un thriller SF gore destroy, de sortir de la salle en ayant une seule envie, non pas d'aller aux toilettes comme après Dancer In The Dark, mais bien de retourner voir le film. Encore. Et encore. Car voilà, comme, pour prendre des exemples récents, Fight Club ou Le 13e Guerrier, voilà un film à se passer en boucle. Le film léger pour oublier le monde tel qu'il est et en même temps suffisamment intense pour ne jamais s'ennuyer au fil des visions. C'est une spécialité HK, mais c'est aussi l'apanage de grands metteurs en scène souvent considérés comme de simples "amuseurs" (McTiernan, Cameron, Zemeckis (dans sa bonne période) et même Spielberg (dans sa bonne période aussi...), etc... et on pourrait bien sûr remonter plus loin mais là je sens que je vais choquer les cinéphiles si je commence à comparer Pitch Black à la Prisonnière du Désert ou à Vertigo, oui, c'est abusif, je le reconnais, mais... y a du vrai !).

 

        Vous n'êtes toujours pas convaincu ? Là je ne peux plus grand chose pour vous. Le DVD de Pitch Black est impeccable. Certes les bonus sont très bof (mention spéciale à un des trucs les plus surréalistes jamais aperçus dans un menu interractivité avec "La rave party de Pitch Black", vous pouvez toujours courir pour comprendre, cherchez pas...). L'image est rendue à la perfection et le tour de force est de taille, c'est sublime. Le son est monstrueux et il fallait bien cela. Donc l'essentiel est en bonne et due forme. Pitch Black au top du top, et qui ne souffrira pas des multiples passages qu'il va recevoir. Alors, oui, je sais, dans la série : ils faut les acquérir en DVD parce que la cassette est bouffée jusqu'à la moelle. Il y a les sorties simultanées de Terminator, The Rocky Horror Picture Show et La Nuit du Chasseur. Tout cela est "very expensive". Surtout que le DVD de Pitch Black n'est pas donné. Vous pouvez, bien sûr, le louer, et je pense que pour bon nombre d'entre vous ça suffira. Et bah non ! Vous allez le louer, vous allez adorer et vous allez peut-être vous dire : ça valait une ou deux visions, mais maintenant c'est bon, à la limite je l'enregistrerai quand il passera sur Canal. Mais oui, mais non, si vous aimez ce film, vous allez voir, il va vous devenir indispensable. C'est bien simple, si vous avez fait l'acquisition du DVD de Predator, vous pouvez vous précipiter sur Pitch Black les yeux fermés. Sinon, et bien, à vous de voir, bien sûr. Si votre film favori est Jeanne et le Garçon Formidable, d'une part je me demande bien ce que vous fichez sur mon site, et d'autre part, OK, Pitch Black ce n'est pas pour vous. Si vous aimez le 13e Guerrier, Jaws, Fight Club, Alien, etc... vous ne pouvez pas vous permettre de passer à côté de cette perle.        

 

        Je pourrais encore ajouter plein de choses, mais j'ai peur de me laisser emporter par l'enthousiasme et de révéler certains points du scénario ce qui serait dommage. Voyons, le fait que j'ai classé Pitch Black en quatrième position de mon top films 2000 (juste derrière Sleepy Hollow), ça ne va pas convaincre grand monde. Mais cela veut tout dire, je reste mesuré là, tel que vous me lisez. Parce que en revoyant le film toute à l'heure, là, après avoir déboursé les 189 balles réglementaires (et croyez moi, je ne le fais pas pour n'importe qui), je me suis retrouvé emballé comme au premier jour. Prêt à agresser le moindre être vivant en lui criant : "Pitch Black le fichtregris de corneguidouille de bon film !" La série B de l'an 2000, c'était bien elle, le DVD le confirme de fort belle manière aujourd'hui.

Splendeur visuelle et sonore, scénario intelligent et efficace, acteurs impeccables, intensité du début à la fin sans la moindre baisse de rythme, Pitch Black a tout pour plaire à l'amateur de thriller de SF dans la veine de Alien et de Predator. C'est à dire, Pitch Black est vital à la DVDthèque du cinéphage de bon goût.

 

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