Chungking Express

Rêveuse et fragile, Faye Wong dans Chungking Express
 
 

"Durant ce bref instant d'intimité, un millimètre seulement nous sépare..."







        En 1994, le réalisateur Won Kar-Wai offre à Faye Wong son premier véritable rôle pour le grand écran. La recontre entre la star de la chanson asiatique et le metteur en scène des Cendres du Temps va donner naissance aux meilleurs moments d'un film splendide.
 

Poésie et instants délicats


        Wong Kar-Wai, né en 1958, est devenu metteur en scène en 1982. C'est en 1988 que son premier grand film voit le jour : As Tears Go By, avec de futures immenses stars du cinéma HK : Maggie Cheung, Jacky Leung et Andy Lau. En 1991, Kar-Wai signe l'admirable Nos Années Sauvages, une nouvelle fois avec Maggie Cheung et Andy Lau mais aussi avec Leslie Cheung. En 1994, il écrit et met en scène, quasi en même temps, Chungking Express, qui nous intéresse plus particulièrement et le génial Les Cendres du Temps, film de sabres crépusculaire. Le casting des Cendres du Temps fait rêver, outre Maggie Cheung et Jacky Leung, on retrouve Brigitte Lin et Leslie Cheung, stars du chef-d'oeuvre de Ronny Yu, The Bride With White Hair, ainsi que la plus belle actrice de la planète, Charlie Young. En 1995, Wong Kar-Wai délivre le fascinant Les Anges Déchus avec Takeshi Kaneshiro et une nouvelle fois Charlie Young. Enfin en 1997 sort Happy Together, un hallucinant drame romantique dominé par les performances de Leslie Cheung et Tony Leung. Wong Kar-Wai gagne le prix de la mise en scène au festival de Cannes, il était temps, car sa virtuosité, aux limites du vidéo clip, commence à tourner au procédé.
 

Le temps suspendu, quand la mise en scène fait corps avec son sujet

        Mais l'oeuvre la plus célèbre et célébrée en occident de Wong Kar-Wai, demeure le magique Chungking Express. C'est son film le plus délicat, le plus "léger", le plus optimiste, le plus sensible. Deux histoires d'amour, toute en finesse et en silences, magnifiées par une mise en scène brillante, des acteurs touchants, une musique décalée et un ton résolument poétique.

Brigitte Lin et Takeshi Kaneshiro, le temps d'une pause

        Le film se découpe en deux histoires distinctes dont le seul lien géographique est une boutique-restaurant dont la spécialité est la "salade du chef". La première partie du film suit le parcours d'un jeune policier, admirablement campé par Takeshi Kaneshiro, qui vient de se faire larguer par sa copine, May, après 5 ans de petites habitudes. Parallèlement, le scénario présente une mystérieuse femme à la très voyante perruque rousse (la divine Brigitte Lin), en plein conflit avec les triades. Ces deux personnages désespérés vont se croiser le temps d'une soirée. Sans défleurer plus le scénario de cette première partie, on peut souligner que la mise en scène, très typée, de Kar-Wai, sert admirablement les délicats moments forts de cette histoire triste et pourtant joliment optimiste.
 

Brigitte Lin, mystérieuse femme fatale

        La seconde moitié du film débute au son de l'une des plus belles chansons du monde, le California Dreamin' des Mamas and the Papas. Coup de génie de Kar-Wai, ce morceau magique va devenir le "thème musical" de Faye Wong (son personnage s'appelle d'ailleurs Faye). Faye Wong (orthographiée Faye Wang dans certaines versions occidentales) interprète, avec un naturel désarmant, le rôle d'une jeune serveuse lunaire et lunatique, une rêveuse qui s'ennuie. Autant par jeu que par curiosité, Faye s'immisce dans la vie et surtout dans l'appartement d'un policier (formidable Tony Leung) qui vient lui aussi d'être largué par une hôtesse de l'air (Valerie Chow). En pleine dépression, il ne remarque pas les intrusions de Faye dans son petit univers figé. Celle-ci s'amuse à bouleverser la demeure de ce policier (matricule 663), tout aussi perdu dans ses pensées qu'elle. Là encore je ne désire pas défleurer la fin de l'histoire, mais une nouvelle fois Kar-Wai réussit à allier une mise en scène et un rythme très modernes avec des instants légers, poétiques, tristes ou oniriques.
 

Quelques millimètres...


        Chungking Express est donc un film splendide, qui réussit à méler un grand nombre de sentiments sans jamais, ni forcer le trait, ni se perdre. Il est amusant de noter que le fan numéro un de Kar-Wai aux USA, Quentin Tarantino, s'est parfaitement souvenu de ce film pour mettre en scène sa meilleure oeuvre, Jackie Brown. Car Chungking Express est un film incroyablement vivant, émouvant, intelligent, nostalgique et drôle tout à la fois. Chungking Express serait-il donc un film parfait ? Sans aucun doute.

Faye Wong, délurée et lunaire

        Faye Wong (et non Faye Wang, en tout cas c'est bien elle, c'est sûr) est tout simplement sublime. Dès sa première apparition, on est amoureux, elle est exactement telle qu'on peut l'imaginer en écoutant ses disques : fragile et frivole, sensuelle et timide, délurée et triste, rêveuse et lointaine. Faye, dans le film, ne rêve que de voyages et d'amusement, elle semble vivre dans un autre monde (comme le policier 663 d'ailleurs, qui vit dans le passé). Et même si la fin du film inverse les rôles et que Faye semble métamorphosée, ce n'est qu'une apparence, Kar-Wai concluant son oeuvre sur un optimisme délicat et bouleversant. En tout cas, la performance de Faye Wong est anthologique. Et l'on ne peut que remercier Wong Kar-Wai de lui avoir si bien donné un rôle si proche de l'image idéalisée que ses fans peuvent avoir.
 
 

California dreamin' on such a winter day...


        On peut entendre dans le film et dans le générique de fin, la chanson Dream Person de Faye. On attend, depuis ce coup d'essai plus que réussi, le nouveau grand rôle de Faye Wong à l'écran.
 
 

Chung King Express - Un film de Wong Kar-Wai - Avec : Brigitte Lin, Takeshi Kaneshiro, Tony Leung Chiu-Wai, Faye Wong (Faye Wang), Valerie Chow - Scénario de Wong Kar-Wai - Musique de Frankie Chan et Roel A. Garcia - Photographie de Christopher Doyle et Lau Wai-Keung - Décors de William Chang - Montage de William Chang, Hai Kit-Wai et Kwong Chi-Leung - Produit par Chan Yi-Kan - 1994 - 103 minutes.
 
 

Faye Wong, telle qu'on la rêve



 
 
 
 

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