La sortie de Batman Returns

 

 

        En 1992, Batman Returns est le blockbuster estival de Warner Bros qui espère rééditer l'explosion du premier opus, trois ans plus tard. A cet instant tout se déroule comme si tout le monde percevait le film au premier degré ; les distributeurs, les critiques et la majorité du public laisse Batman 2 s'installer comme un action movie de base. Le film est un succès énorme qui terminera 3e du box office US de 1992 derrière Aladdin et Maman J'ai Encore Raté l'Avion, avec un total de 162,8 millions de dollars, devançant ainsi L'Arme Fatale 3 et Des Hommes d'Honneur. Après le passage de Titanic et de La Menace Fantome, Batman Returns détient encore un record : celui du plus grand nombre de salles au moment de sa sortie. En effet le film a été distribué dans 3 700 salles le jour d'ouverture.

 

        Au final Batman Returns a rapporté moins que Batman mais a surtout créé une polémique après coup, lorsqu'une partie du public américain (majoritairement les bons vieux parents réactionnaires) a réalisé que ce n'était définitivement pas une oeuvre tout public. Car, comme pour tout blockbuster qui se respecte, une multitude de jouets (pas très beaux, il faut le reconnaître) ont innondé les grandes surfaces. Des jouets à l'effigie de Catwoman, en particulier, avec fouet et tout ce genre de choses, qui la plupart du temps font plutôt les joies des boutiques fétichistes. Les gentilles mères de famille ont fait une drôle de tête en découvrant leurs zentils bambins en train d'organiser d'orgiaques combats entre de superbes icônes sado-masochistes. Heureusement il était déjà trop tard pour réagir.

 

        Au moment de sa sortie, l'accueil critique fut assez froid, voire carrément glacial. Certains journalistes eurent le courage de faire remarquer que : 1/ la suite était supérieure à l'original  2/ elle ne ressemblait que de très loin à un blockbuster de plus. Mais cela ne fit pas grand bruit. En France, le film fut quasi unaniment boudé par la critique (de Première à Télérama, avant la mode Burton, donc) à part dans des magazines aussi inestimables que Mad Movies (qui n'a jamais cessé de faire l'éloge du film, au point de le classer très haut dans ses 100 indispensables des 20 dernières années, à égalité burtonesque avec Edward). Puis le temps passa... The Nightmare Before Christmas apparut sur nos écrans, les critiques (re)découvrirent Burton et son univers. La mode était lancée, elle se poursuivit avec Ed Wood et atteignit son apogée avec Mars Attacks ! (nul doute qu'elle va se poursuivre avec Sleepy Hollow). Le révisionnisme fit alors rage, et ceux qui hier dédaignaient les Batman de Burton, se mirent à les réévaluer en flèche. Mieux vaut tard que jamais, le phénomène est tellement courant (de Carpenter à Cronenberg).

        Les critiques, comme d'habitude, ont jugé sur des a priori et sur la surface, n'hésitant pas à aller chercher d'invraisemblables invraisemblances pour descendre le film, sans noter que des invraisemblances il y a en a aussi chez Kubrick ou chez Fellini... Pire, on a pu lire des perles du style : "aucun développement des personnages, manque de psychologie, faiblesse du scénario, manichéisme, etc...". Alors que c'est bien évidemment sur ces points précis que résident la plus grande force du film. Les seuls éloges (je parle toujours des critiques "grands publics") furent pour le visuel, et c'est quand même la moindre des choses. Eloges d'autant plus méritées rétrospectivement, quand on voit l'esthétique des blockbusters actuels, de Armageddon à Matrix en passant par le 5e Elément, tous plus moches et clippés les uns que les autres. Burton a pris ses cours de mise en scène chez la Hammer pas sur MTV, et c'est l'une de ses principales qualité. Enfin, comme Edward, Batman Returns se trouvait en parfait décalage avec les critiques et le public, et s'il suscitait quelques interrogations (voire exclamations), elles étaient écrasées sous le poids de l'indifférence face à un OVNI que (presque) personne ne voulait explorer pour y découvrir ses innombrables trésors.

 

        Je dis tout cela, mais Batman Returns n'est toujours pas réévalué comme il le faut. Il y en a encore pour le considérer comme un Burton "mineur". Premièrement il n'y a pas de Burton "mineur" (pardon, c'est le fan aveugle qui parle), deuxièmement si on veut absolument de la hiérarchie, Mars Attacks ou Batman s'affirment plus évidemment comme des films moins importants dans l'œuvre. Mais juger Batman Returns comme un film mineur de Burton c'est comme considérer que Edward ou Ed Wood sont de simples commandes. Que Burton dénigre Batman Returns, c'est un fait, car ce n'est pas un film qui lui appartient entièrement, forcément. Que ce même film soit l'un des plus importants sommets de tous ses sommets, c'est un constat que lui-même ne peut pas changer. Tout simplement parce que c'est son oeuvre la plus sombre, la plus cruelle, la plus dépressive, la plus puissante (à égalité avec Edward, mais Batman 2 le dépasse en noirceur grâce à son visuel et à son désespoir chronique). Et, bon, c'est très subjectif, mais plus Burton fait dans l'émotion, plus j'adore. Donc, tout s'explique (enfin non, mais j'aurais essayé, encore une fois. Oui je sais ce n'est pas facile de défendre un film comme Batman Returns surtout quand on le classe devant La Nuit du Chasseur ou Barry Lyndon).

        J'ai oublié de dire que le film a moyennement marché en France, surtout pour une période estivale, se faisant dépasser par la crétinoïde Arme Fatale 3, plus propre à charmer les ados et le "grand public" (faudrait que je lui cause à lui, un de ces jours...). Chose rassurante, les Batman de Schumacher ont encore moins marché, non seulement en France mais aussi aux USA (bien fait, serais-je tenté d'ajouter).